MISSION COMMUNE D'INFORMATION CHARGEE D'EXAMINER L'ENSEMBLE DES QUESTIONS LIEES A LA MAREE NOIRE PROVOQUEE PAR LE NAUFRAGE DU NAVIRE ERIKA

Table des matières


Mercredi 17 mai 2000

- Présidence de M. Henri Le Breton -

Audition de M. Alain Grill, président de la chambre syndicale des constructeurs

Au cours d'une réunion tenue dans l'après-midi, la mission d'information a entendu M. Alain Grill, président de la chambre syndicale des constructeurs.

M. Alain Grill
a commenté le projet de création d'une agence maritime européenne, projet bien accueilli par la plupart des professionnels, mais beaucoup moins bien par un certain nombre d'administrations nationales. Il a ensuite abordé le problème de la nécessaire classification des contrôles de l'Etat du port en espérant que la présidence française de l'Union européenne, à partir du 1er juillet prochain, ménagera des avancées en ce domaine. Il a suggéré que d'anciens navigants, ou ingénieurs des chantiers navals, puissent venir renforcer les effectifs des inspecteurs de la sécurité maritime. Il a, enfin, exposé le projet de pétrolier antipollution E3 (pour " européen ", " écologique ", " économique "), en soulignant la supériorité d'ordre technique, pour un coût modique, de ce type de " pont intermédiaire " sur les navires dits " double coque ".

M. Henri de Richemont, rapporteur, a interrogé l'orateur sur les navires " sous normes ", en faisant remarquer que l'Erika était muni de tous les certificats nécessaires, bien que le fuel lourd présente un certain nombre de spécificités à prendre en considération.

M. Alain Grill, dans sa réponse, a fait état de l'importance primordiale de l'entretien des navires ; il s'est expliqué sur le problème de la surveillance, par les sociétés de classification, en concluant que les contrôles devaient être effectués plus fréquemment. Il a insisté sur le très grand risque de corrosion des coques déjà exposées à la salinité de la mer, dû à la nécessité de chauffer les produits lourds.

M. Charles-Henri de Cossé-Brissac s'est interrogé sur le pourcentage de la flotte mondiale qui serait à exclure du transport maritime et sur la possibilité de remplacer ces bâtiments.

M. Alain Grill a estimé qu'on ne pouvait pas, du jour au lendemain, remplacer une flotte de pétroliers et que, pour longtemps encore, un certain nombre de bâtiments anciens navigueraient sur les mers, ce qui soulignait, plus encore, la nécessité du contrôle.

MM. Fernand Demilly et Philippe Nogrix ont interrogé l'intervenant sur la structure et sur l'âge de la flotte pétrolière mondiale, ainsi que sur les causes de l'échec actuel du projet de pétrolier E3.

Dans sa réponse, M. Alain Grill a estimé que le sort du pétrolier E3 n'était pas définitivement scellé et que les Européens étaient tout à fait à même de soutenir un tel projet, malgré le refus, exprimé par le Congrès des Etats-Unis, d'accueillir, dans les eaux territoriales, ce type de bâtiment, actuellement construit en un seul exemplaire.

Auditions des commandants Jacques Loiseau, pour l'association française des capitaines de navires (AFCAN), Bertrand Apperry, consultant code ISM et Charles Claden, commandant de l'Abeille Flandres

La mission d'information a ensuite entendu les commandants Jacques Loiseau, pour l'Association française des capitaines de navires (AFCAN), Bertrand Apperry, consultant code ISM, et Charles Claden, commandant de l'Abeille Flandres.

Le commandant Jacques Loiseau
a rappelé l'histoire de l'association qu'il a présidée pendant plusieurs années. Il a décrit le système de recrutement des équipages par des bureaux de placement, dénommés " sociétés de manning ". Il a estimé que la dilution des responsabilités dans certains milieux maritimes pouvait avoir des conséquences dramatiques et il a regretté la disparition du lien entre les équipages, les navires et les armateurs, pour ce qui est des pavillons de complaisance. C'est pourquoi a-t-il estimé qu'il fallait un nombre accru de contrôles, aussi bien des navires que des capacités des équipages et a-t-il, enfin, jugé qu'il pouvait être dangereux de s'intéresser uniquement aux pétroliers, car toutes les catégories de navires étaient susceptibles de connaître des problèmes, ce que l'on constatait notamment avec le gigantisme croissant des porte-containers.

Le commandant Bertrand Apperry, pour sa part, a présenté et décrit le code ISM et les modalités de certifications des équipages. Pendant longtemps, la seule préoccupation ne portait que sur les navires, et seulement récemment, est venue s'ajouter une autre préoccupation, visant la qualification des équipages. Il a estimé qu'à l'heure actuelle, les 9/10e de navires de la flotte mondiale étaient soumis à des audits de qualité, et qu'il serait peut-être souhaitable de créer des cellules de crise nationales pour aider les bâtiments victimes d'avaries.

M. Fernand Demilly a interrogé les orateurs sur les " dysfonctionnements " apparus lors du naufrage de l'Erika.

Pour sa part, M. Henri de Richemont, rapporteur, s'est demandé s'il ne conviendrait pas de contrôler plus fréquemment, et plus systématiquement, les navires transportant des produits " noirs ".

M. Philippe Nogrix a interrogé les capitaines de navires sur les liens existant, ou devant exister, entre les capitaines et leurs armateurs.

En matière de dysfonctionnement, le commandant Jacques Loiseau a estimé que la dilution des responsabilités entre les armateurs, les bureaux de placement des équipages, les sociétés de classification et les gestionnaires de navires pouvait poser problème.

S'agissant de la responsabilité du capitaine, le commandant Bertrand Apperry a réaffirmé que s'il incombait toujours au commandant de décider, l'existence de cellules de crise auprès des armateurs, et donc à terre, était susceptible de l'éclairer dans ses choix.

Le commandant Charles Claden a, quant à lui, exposé le cas de l'Erika : il a rappelé le rôle qu'il avait été appelé à jouer, en détaillant la chronologie des événements, jusqu'à ce que la partie arrière du pétrolier ait sombré.

M. Henri de Richemont, rapporteur, a vivement rendu hommage, en termes très chaleureux, au nom de la mission d'information, à tout le personnel de l'Abeille Flandres et aux équipes de la Marine nationale qui ont participé à ces opérations.

A la demande du rapporteur, le commandant Charles Claden a estimé que, même s'il était arrivé sur les lieux avant que l'Erika ne se casse en deux, il n'aurait sans doute pas pu sauver le navire.

En réponse à M. Philippe Nogrix, M. Bertrand Apperry a remarqué que le code ISM consistait en fait dans une application maritime des normes de qualité ISO (organisation internationale de standardisation), et que les contrôles permettaient de vérifier que ces normes étaient bien appliquées.

M. Henri de Richemont a demandé aux intervenants de formuler leur opinion sur l'éventualité, pour la Marine, de se doter d'un quatrième remorqueur.

Les trois commandants ont été d'accord pour estimer que la meilleure des solutions consistait en un remorqueur de haute mer capable d'effectuer des opérations de récupération.

Le commandant Jacques Loiseau a conclu en estimant qu'il était nécessaire de procéder à plus d'inspections, et de définir une politique européenne commune, puisqu'un très faible pourcentage seulement de contrevenants finissaient par être sanctionnés.

Enfin, interrogé sur le plan POLMAR, le commandant Charles Claden a déclaré qu'il fonctionnait bien, même si le préfet maritime devait disposer de plus de moyens, et qu'en tout état de cause, le fait que le plan POLMAR relève de la responsabilité du préfet maritime était la meilleure des solutions.

Jeudi 18 mai 2000

- Présidence de Mme Anne Heinis, présidente -

Audition de M. Jean-Paul Guenolé, chef du centre de sécurité des navires du Havre

Au cours d'une réunion tenue dans la matinée, la mission d'information a entendu M. Jean-Paul Guenolé, chef du centre de sécurité des navires du Havre.

M. Jean-Paul Guenolé
a rappelé que la politique de sécurité maritime était d'ordre public, et il a exposé les différentes normes réglementaires en ce domaine, selon les cadres international, européen et national. Il a détaillé l'organisation administrative française destinée à faire face aux obligations, comme Etat du pavillon, et comme Etat du port. Il a cité, à ce propos, quelques exemples particulièrement significatifs. Pour ce qui est des matières dangereuses, au sens large, il a regretté qu'en raison de trop faibles effectifs dont disposait notre pays, il ne soit pas toujours possible de s'en occuper.

En réponse à Mme Anne Heinis, présidente, qui interrogeait l'intervenant sur ces différents cas, M. Jean-Paul Guenolé a expliqué le déroulement des différentes visites de l'Etat du pavillon et les relations entre les centres de sécurité des navires et les sociétés de classification. Il a estimé que 90 % des navires étrangers, ou venant faire escale dans nos ports, ne subissaient pas de contrôles effectifs de l'Etat du pavillon.

En réponse à M. Henri de Richemont, rapporteur, qui l'interrogeait sur les navires qui ne connaissent pas de véritable contrôle de l'Etat du pavillon, M. Jean-Paul Guenolé a estimé que les contrôleurs de l'Etat du port devaient avoir des compétences à la fois en matière de construction navale, d'équipement de sécurité et d'exploitation des navires.

M. Henri de Richemont a interrogé l'orateur sur les banques de données SIRENAC et EQUASIS qui relatent les résultats des contrôles de l'Etat du port.

M. Jean-Paul Guenolé a souligné que le nouveau système EQUASIS, qui allait remplacer SERENAC, serait de portée beaucoup plus large, puisqu'il devait notamment faire le lien entre les trois Mémorandums de Paris, de Tokyo et de Viña del Mar ; il aura vocation, également, à regrouper un certain nombre de données issues des sociétés de classification ; les autorités nationales et, d'autres intervenants, auront ainsi accès à beaucoup plus de renseignements sur beaucoup plus de navires. Il a estimé qu'en matière de contrôle, le système EQUASIS serait, s'il était efficace, dissuasif.

En réponse à M. Henri de Richemont, M. Jean-Paul Guenolé a décrit le système américain qui, selon lui, est meilleur en matière de contrôle, en raison de l'inexistence de distorsions entre les différents ports.

M. Henri de Richemont, rapporteur, s'est interrogé sur les projets de garde-côtes européens ou d'agences maritimes.

M. Jean-Paul Guenolé a estimé que, même si, pour l'instant, les pays européens n'avaient pas les mêmes intérêts, il était nécessaire, à terme, d'arriver à un système européen qui évite les concurrences déloyales entre les ports.

Il a conclu en insistant sur le fait que l'origine des difficultés ne relevait pas de l'âge des bâtiments, mais bien plutôt de défauts d'entretien.

Audition de M. Alfons Guinier, Secrétaire général de l'Association des armateurs européens

Puis la mission a entendu M. Alfons Guinier, Secrétaire Général de l'Association des armateurs européens.

M. Alfons Guinier a tout d'abord indiqué que le transport maritime était une industrie qui s'inscrivait dans un contexte de concurrence globale internationale. Il a ensuite noté que, concernant la flotte de l'espace économique européen, il était constaté une chute du nombre des navires sous pavillons européens. En 1985, cette flotte représentait 28 % de la flotte mondiale alors qu'en 1999, ce pourcentage est revenu à 16 ; toutefois, la flotte contrôlée par les armateurs européens est au niveau de 35 % à 40 % du total en 1999.

Par ailleurs, à partir des années quatre-vingt et jusqu'à aujourd'hui, le nombre des marins européens a baissé de 50 %. Cette chute est maintenant brisée, et une remontée des effectifs est amorcée.

M. Alfons Guinier a évoqué les orientations communautaires de l'Union européenne pour les transports maritimes. Il s'agit de la sauvegarde de l'emploi dans ce secteur, de la préservation du savoir-faire maritime, de l'amélioration de la sécurité et de la protection de l'environnement.

M. Henri de Richemont, rapporteur, a souligné l'importance fondamentale, pour un Etat, de pouvoir compter sur une flotte importante.

En réponse, M. Alfons Guinier a approuvé les propos du rapporteur, mais a souligné les difficultés des compagnies d'armement maritime au regard des contraintes fiscales et des coûts salariaux. Il a indiqué que néanmoins certains pays européens avaient mis en place des systèmes de taxation attractifs, en remplaçant notamment l'imposition sur les bénéfices par une taxe forfaitaire en fonction du tonnage des navires, et en exonérant les entreprises des charges sociales, patronales et salariales.

M. Alfons Guinier a regretté que la chute importante du nombre d'emplois ait créé une pénurie de marins qualifiés européens. Il a indiqué que son organisation souhaitait que la Commission européenne prenne des mesures de formation des marins.

M. Alfons Guinier a ensuite abordé le problème de la sécurité maritime. Il a noté que dans ce domaine, la difficulté se trouvait essentiellement dans l'application des règles existantes. Il a souhaité un ciblage des contrôles.

M. Henri de Richemont, rapporteur, s'est inquiété du sort des navires sous normes, détenus dans les ports. Il s'est interrogé sur une possible politique de prime à la casse des bâtiments âgés, ou bien de redevance sur l'utilisation de ces bateaux.

M. Alfons Guinier a souhaité que l'association internationale des sociétés de classification prenne des mesures pour la transparence des informations pour les armateurs et les affréteurs, notamment par l'alimentation du système EQUASIS. Il a plaidé pour l'interdiction des changements injustifiés de société de classification et pour l'amélioration de l'inspection de la classe.