"Chat" avec MM. Denis BADRE et André FERRAND, le 18 septembre, à 18 heures sur le Forum de la mission sur l'Expatriation


Présentation
Compte rendu du débat

Présentation

La mission d’information sur l’expatriation des compétences, des capitaux et des entreprises, qui est présidée par M. Denis Badré (UC), et dont le rapporteur est M. André Ferrand (RI), a remis ses conclusions le mardi 19 juin dans un rapport intitulé : " Mondialisation : réagir ou subir ? "

Constituée dans le prolongement des travaux déjà effectués par le Sénat sur la " fuite des cerveaux ", la mission a voulu répondre à la question suivante : face à la mobilité irréversiblement croissante des hommes, des entreprises et des capitaux, la France est-elle en train de perdre une partie de ses forces vives, ou fait-elle en sorte de tirer le meilleur parti de ses réels atouts ?

Au vu des témoignages recueillis en France et à l'étranger, et notamment, de ceux exprimés directement par plusieurs centaines d'expatriés dans le cadre d'un forum Internet, ainsi que d'une étude réalisée auprès des diplômés d'HEC expatriés, la mission s'est donné pour tâche d'évaluer très concrètement, et de manière vivante, l'ampleur et, surtout, la signification des mouvements d'expatriation.

Elle a pu ainsi estimer à 500 milliards de francs l'exode des patrimoines entre 1996 et 2000, et considérer que le mouvement se poursuit -bien qu'à un rythme moindre-, ce qui entraîne non seulement une perte fiscale directe mais également des conséquences lourdes pour l'avenir : pertes d'investissements, pertes d'emplois, de savoir-faire et, au bout du compte, un nouveau manque à gagner fiscal...

La mission a dressé un inventaire des handicaps qui viennent affaiblir l'attractivité et la compétitivité de notre pays, et montré que la France a tendance à gâcher ses nombreux atouts par des attitudes et des choix à contre-courant.

Considérant qu'il faut d'abord que l'État se modernise profondément et que les États membres de l'Union européenne doivent harmoniser leurs politiques dans le cadre de la mondialisation, la mission propose une stratégie offensive visant à :

- doter l'entreprise " France " d'un cadre fiscal et social plus attractif , notamment par l'adoption -dans l'attente d'une harmonisation européenne- d'un régime fiscal spécifique pour les impatriés de nationalité étrangère, par le " déplafonnement du plafonnement " de l'impôt sur la fortune, ainsi que par la définition d'un seuil spécifique de l'ISF pour les Français ayant fait toute leur carrière à l'étranger et désireux de revenir en France ;

- dynamiser la recherche et l'innovation et favoriser le rayonnement de tous les talents, notamment en élargissant les financements destinés aux jeunes chercheurs ainsi qu'en créant un régime fiscal plus favorable aux créateurs d'entreprises ;

- développer une politique globale, volontaire et cohérente de l'ouverture à l'international, en organisant le réseau des acteurs publics ou privés français à l'étranger, et en renforçant l'enseignement français à l'étranger, par une implication financière du ministère de l'éducation nationale.


 Compte rendu du débat sur Canal Chat

Bonsoir, nous sommes très heureux de recevoir le sénateur André Ferrand
Bonsoir à tous.

Paul : Parmi les français travaillant à l'étranger, il y a un certain nombre d'ingénieurs qui y jouent un rôle important. Pensez-vous que ces ingénieurs devraient se constituer en réseau pour augmenter leur efficacité pour le plus grand bénéfice des entreprises dans lesquelles ils travaillent et de "l'entreprise France"
Tout à fait, je suis très heureux de cette question. Elle tombe dans le cadre de nos propositions : identifier puis mettre en réseau tous les éléments de la diaspora des Français et des amis de la France, francophones ou non qui exercent leurs talents hors de France.

Gino : Constate-t-on un réel flux de départ des cadres supérieurs et des chefs d'entreprise au Royaume-uni ou est-ce un fantasme de lecteur du Figaro ?
Il y a eu en tout cas un flux de départs de cadres de la finance surtout attirés par la place financière de Londres. Il y a eu également des chefs d'entreprise des nouvelles technologies. Il semble que ce flux se soit calmé sous le double effet du ralentissement de l'économie et de la crise des entreprises de la nouvelle économie. Néanmoins, la communauté française de Londres reste très importante et se renouvèle. Ce ne sont pas que des chefs d'entreprise et des cadres supérieurs. Il y a l'attrait de la langue et de la proximité et c'est dans le secteur de la restauration et de l'hôtellerie qu'ils sont le plus nombreux. Il n'en demeure pas moins que la place financière de Londres comporte en qualité un grand nombre de Français qui sont réputés dans les métiers de la finance et souvent des mathématiciens très appréciés.

Fred : Bonjour, quel statut fiscal pour un expatrié en Nouvelle-Zélande ? Y a-t-il des accords spéciaux selon les pays ?
Sans être définitif dans ma réponse, l'expatrié français en Nouvelle-Zélande est comme les autres soumis à la fiscalité locale tout en tenant compte d'une convention fiscale bilatérale entre la Nouvelle-Zélande et la France destinée à empêcher la double imposition.

dilbert : Est-ce que des statistiques vont être produites sur les effectifs des chancelleries/consulats/ambassades/inutiles à l'étranger, leur coût ( spécialement en Europe de l'Ouest ) et ce qu'on peut faire avec l'argent pour aider les productifs français à l'étranger - par exemple je crois qu'il y a trop de monde au service des visas à Sofia.
Je serais très réservé dans ma réponse dans la mesure où je trouve au contraire d'une manière générale que notre réseau consulaire, en particulier au service des Français de l'étranger, n'est pas assez dense. Je pense en particulier à la fermeture très regrettable du consulat général de France à Melbourne et à l'absence de toute représentation officielle française à Auckland. Par ailleurs, les services des visas sont très souvent débordés donnant ainsi aux étrangers désireux de venir en France en particulier, les étudiants, une image qui n'est pas celle que nous souhaiterions. J'avoue ne pas connaître l'effectif du service des visas de Sofia, mais suis évidemment bien d'accord pour regretter ce qui s'y est passé et il nous faut faire en sorte que cela serve de contre-exemple pour faire disparaître partout de telles pratiques s'il en existe encore.

smd : N'est-ce pas un atout pour la France que ces cadres acquièrent une expérience à l'étranger ?
Complètement, j'ai passé moi-même 30 ans de ma vie hors de France et suis complètement partisan du développement de l'expatriation, à condition d'une part que nos expatriés reviennent dans les meilleures conditions pour apporter au pays leur expérience et tout ce qu'ils ont acquis y compris matériellement et d'autre part, qu'on soit capable de faire en sorte que nos expatriés agissent dans une mouvance qui reste favorable à nos couleurs.

Doudou : Concrètement, vos rapports ont quels suites ? Ils sont justes consultatifs ou systématiquement des lois sont créées derrière leur publication ?
C'est encore une question que j'apprécie beaucoup : d'une part, nous comptons bien donner une suite concrète à nos propositions, en particulier en matière fiscale et sociale au moment de la prochaine loi de Finance, et d'autre part, grâce aux médias et à tous les relais d'opinion possibles, nous voulons contribuer à faire partager nos idées et nos propositions aux décideurs
et ainsi faire évoluer les mentalités.

Antony : L'analyse n'est-elle pas tout à fait différente selon qu'on examine les flux à court et à long terme termes (c'est plus rassurant sur la durée) ? Ne manquons-nous pas de données ?
La réponse à la dernière question est oui. Nous avons constaté que nous manquions assez cruellement de données en ce qui concerne la mesure quantitative, mais surtout qualitative des flux, et nous proposons que le ministère des Affaires étrangères ait les moyens de collecter et d'enregistrer toutes les données nécessaires à une politique cohérente et intelligente de management de la diaspora.

DFI : Quelles mesures préconisez-vous pour attirer les "cerveaux" étrangers en France ?
Nous avons préconisé en particulier une mesure propre à rendre attractif le cadre fiscal et social dans lequel ils viendraient exercer leurs talents chez nous. Il s'agit d'un statut provisoire. A salaire net équivalent, ils coûtent plus cher qu'à l'étranger, nous souhaitons donc créer une régime fiscal spécifique dit des "impatriés". D'autres pays le pratiquent : Grande-Bretagne, Belgique, Pays-Bas et les modalités sont diverses. On peut soit leur faire profiter d'un abattement forfaitaire sur leurs revenus, soit, comme en Belgique, faire en sorte que l'assiette de leurs impôts soit proportionnelle au nombre de jours réellement passés dans le pays à l'exclusion des jours passés professionnellement à l'étranger. En ce qui concerne plus spécialement les chercheurs, on pourrait assouplir les conditions dans lesquelles ils sont recrutés dans nos grands organismes. On a également pensé à mettre en place des responsables dans les services de l'État chargés de faciliter leurs démarches d'entrée en France. La demande de régime spécifique de l'impatriation a également fait partie des propositions faites au gouvernement par notre collègue le député Charzat, mais nous savons que malgré le soutien de M.Fabius, cette mesure ne sera sans doute pas adoptée lors de la prochaine loi de Finance afin de ne pas indisposer certaines composantes de l'actuelle majorité.

Charles : Pensez-vous que les législatives et présidentielles de l'année prochaine pourraient modifier notre politique en matière d'expatriation, bref nous rendre plus attrayant pour nos concitoyens ?
Nous comptons bien que les prochaines échéances électorales seront l'occasion d'un tel débat
extrêmement actuel. Ce monde ouvert est en compétition et la France doit se mettre en ordre de bataille afin d'être aussi attractive que possible vis-à-vis de ses enfants mais aussi des étrangers que nous avons intérêt à accueillir.

Hugues : Comment expliquez vous la politique de bas salaire qui se pratique en France ?
S'il est vrai qu'au niveau européen nos salaires directs sont dans la moyenne, il n'en est pas de même en ce qui concerne le coût économique global pour l'entreprise du fait de l'importance des charges sociales. Je crois avoir répondu ainsi à votre question.

Siann : Quel est le solde net des cadres travaillant à l'étranger par rapport aux cadres étrangers travaillant en France ?
C'est une excellente question à laquelle je ne suis malheureusement pas capable de répondre précisément. D'autant plus que, vous le savez, la notion de cadre est spécifiquement française.
On estime à 25 000 personnes environ les « impatriés » étrangers à salaire relativement élevé
alors que les statistiques du ministère des Affaires étrangères estiment à 135 000 les cadres et professions intermédiaires expatriés.

Rackété : Comment rester dans un pays dont prés de 50% des parlementaires sont des fonctionnaires (et si l'on compte les professions libérales ce sont près de 60% qui vivent dans un autre monde que leurs concitoyens) et pire 52 ministres sur 53 sont AUSSI des fonctionnaires ? La dichotomie entre gouvernants et gouvernés augmente de mois en mois..
Compte tenu de mon propre parcours, je ne puis qu'abonder dans votre sens, les règles du jeu sont telles que les hommes et les femmes d'entreprises ne peuvent en général pas quitter leurs responsabilités pour entrer en politique sans prendre le risque de se retrouver assis entre deux chaises en cas d'échec. On sait qu'au contraire, les fonctionnaires ont un filet de sécurité ou, si vous préférez, un élastique. Ceci est aussi un problème qui devrait faire l'objet d'un débat fondamental à l'occasion des prochaines échéances électorales.

Xavier : Bonjour, je suis Je suis Français, résident à Bamako au Mali, je voudrais savoir comment se situe le Sénateur vis à vis de la réforme de l'autorité parentale. C'est un problème concret qui me concerne en tant qu'expatrié, et je sais que nous sommes nombreux dans ce cas.
J'avoue ne pas être complètement au fait de la question. C'est une question qui relève de la commission des Lois à laquelle je n'appartiens pas. Je serai heureux de vous répondre personnellement après m'être mieux informer. Contactez-moi à : a.ferrand@senat.fr.

Victor : Va-t-il y avoir une harmonisation européenne de la fiscalité des résidants non nationaux ? Bruxelles est par exemple très attrayant pour les étrangers alors que l'IRPP est très élevé pour les Belges. Peut-on freiner ce "dumping" patrimonial ?
L'harmonisation fiscale et sociale européenne est effectivement une des principales priorités que nous avons dégagées, et le cas spécifique des non nationaux doit faire l'objet d'un traitement particulier. Quant à la situation fiscale des étrangers en Belgique, il est vrai qu'elle est très favorable au niveau de la fiscalité des capitaux, mais il n'en est pas de même pour les salariés (sauf s'ils bénéficient du statut particulier d'extranéité, dont ne peuvent profiter que ceux qui ont des responsabilités internationales tout en résidant à Bruxelles) qui sont largement moins bien traités en France puisqu'ils sont alignés sur les Belges. Le dumping patrimonial que vous dénoncez fait partie des priorités de la Commission européenne. Les États Membres ayant décidé de lutter contre cette concurrence fiscale dommageable dans le cadre d'un groupe "code de conduite".

Millord : Pensez-vous que les attentats aux États-Unis vont avoir une influence à moyen terme sur les flux des compétences, des capitaux et des entreprises ?
Il est évidemment bien tôt pour conclure sur ces points. On peut cependant imaginer que les États-Unis qui sont une des destinations principales des flux en particulier de compétences
deviendront moins attractifs d'abord je le crains en termes d'image, et, indirectement parce qu'on peut imaginer que ces dramatiques événements aggraveront le ralentissement économique en cours agissant ainsi à la fois sur l'industrie et l'économie traditionnelle et sur la nouvelle économie qui avait attiré tous les talents français que l'on sait.

Ludovic : Bonjour, Je suis français et j'ai quitté la France pour travailler en Suisse pour faire les systèmes d'informations des banques. La raison est simple, l'argent : à 31 ans je gagne 572 000 FF bruts / ans. En France les salaires sont trop bas et on ne peut pas négocier dans l'entreprise alors les jeunes se vendent au prix fort à l'étranger pour des travaux de spécialistes pendant 5-10 ans ce qui permet de devenir riche rapidement. Ma question : Pourquoi vous brisez l'élite en la poussant à enrichir les autres pays ? J'affirme que c'est la vieillesse des enseignements publics de l'ENA qui amènent à ce résultat. Pourquoi l'État n'anticipe pas, c'est son travail ?
Je me rends compte que, pour faire référence au titre de notre rapport, vous n'avez pas "subi", mais que vous avez "réagi". Je ne saurais évidemment vous en blâmer, surtout si, là où vous êtes, vous faites en sorte de favoriser les intérêts français. Je regrette moi aussi que notre environnement fiscal et social en particulier encourage de tels départs et je fais partie de ceux qui souhaitent et travaillent pour que notre État et notre administration se modernisent et favorisent au contraire l'exercice en France de tous les talents.

Miguel : L'exode des patrimoines représente selon vous 500 milliards de F sur les 5 dernières années. Combien représente "l'import" des patrimoines ?
C'est, là encore une question très intéressante qui n'avait pas échappé à la mission. Nous l'avons posé lors de son audition au directeur général des Impôts qui nous a répondu qu'il n'était malheureusement pas possible de mesurer les flux consécutifs à l'installation d'étrangers en France pour des raisons essentiellement juridiques. Ce point est suffisamment important pour que nous persévérions et essayions d'obtenir des informations.

Merci beaucoup au sénateur André Ferrand, le mot de la fin ?
Je tiens à remercier très chaleureusement tous les internautes qui pendant le forum ou à l'occasion de ce chat ont contribué d'une façon très intéressante à nos travaux. Il faut qu'ils sachent que nous restons à leur disposition pour mener ensemble ce combat de la place et du rayonnement de la France dans le monde. L'enjeu est évidemment politique et économique, mais il est avant tout culturel. Il y va de la survie de nos valeurs et de tout ce à quoi nous sommes attachés. Merci à tous. Au revoir.