MISSION COMMUNE D'INFORMATION CHARGÉE DE DRESSER LE BILAN DE LA DÉCENTRALISATION ET DE PROPOSER LES AMÉLIORATIONS DE NATURE À FACILITER L'EXERCICE DES COMPÉTENCES LOCALES

Table des matières


Mardi 26 octobre 1999

- Présidence de M. Paul Girod, vice-président.

Audition de M. Claude Badrone, sous-directeur au service de la législation fiscale au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, accompagné de Mme Véronique Bied-Charreton, chef de bureau

La mission commune d'information a procédé à l'audition de M. Claude Badrone, sous-directeur au service de la législation fiscale au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, accompagné de Mme Véronique Bied-Charreton, chef de bureau.

M. Claude Badrone a tout d'abord exposé que le produit de la fiscalité directe locale, qui s'élevait à 350 milliards de francs en 1997, avait augmenté de 93 % depuis 1988. Il a relevé que, parallèlement, les recettes fiscales nettes de l'Etat avaient progressé au cours de la même période de 25,8 %. Il a indiqué que la part de la fiscalité locale dans le produit intérieur brut était passée de 3,4  % en 1988 à 4,4 % en 1997, cette progression étant notamment imputable à l'accroissement des interventions des collectivités locales.

Puis M. Claude Badrone a fait observer que l'Etat prenait en charge une partie importante de la fiscalité locale. Il a ainsi relevé que, s'agissant de la taxe professionnelle, le coût net pour l'Etat, après déduction des frais d'assiette et de recouvrement, s'élevait à 59 milliards de francs en 1998. Il a noté que la part de la taxe professionnelle prise en charge par l'Etat était passée de 23 % à 33 % entre 1990 et 1998. En ce qui concerne la taxe d'habitation, il a observé que l'Etat prenait en charge 18 milliards de francs, soit 20,8 % du produit de cette taxe.

M. Claude Badrone a indiqué que le plafonnement de la taxe professionnelle en fonction de la valeur ajoutée, mesure qui avait été consolidée par la loi de finances pour 1999, représentait pour l'Etat un coût de 38,2 milliards de francs en 1998. Il a noté que ce coût n'avait pas diminué en dépit de l'adoption de certaines mesures telles que le gel des taux pris en compte pour le calcul du plafonnement ou l'exclusion de la déduction des loyers dans le calcul de la valeur ajoutée.

M. Claude Badrone a par ailleurs précisé que l'ensemble des dégrèvements accordés aux contribuables modestes en matière de taxe d'habitation représentait pour l'Etat un coût de 18 milliards de francs après déduction des frais d'assiette et de recouvrement. Il a rappelé que l'Assemblée nationale avait souhaité renforcer ces mesures de dégrèvement dans le cadre du projet de loi de finances pour 2000.

M. Claude Badrone a enfin souligné qu'en matière de taxe foncière sur les propriétés bâties, les exonérations et dégrèvements étaient plus modestes compte tenu de la nature même de cette taxe qui portait sur la propriété de l'immeuble. Il a relevé qu'en conséquence, l'Etat ne supportait pratiquement aucune charge à ce titre.

Répondant à M. Paul Girod, président, M. Claude Badrone a reconnu que les marges de manoeuvre des collectivités locales en matière fiscale étaient de plus en plus étroites. Il a ainsi fait valoir que depuis environ 20 ans, la taxe professionnelle n'avait pu perdurer que grâce au très fort engagement financier de l'Etat et que la taxe d'habitation était, pour sa part, très critiquée.

M. Claude Badrone a exposé que l'Etat était contraint de s'engager financièrement soit pour sauvegarder un impôt local, notamment la taxe professionnelle, soit parce que des dégrèvements étaient inévitables en matière de taxe d'habitation.

M. Michel Mercier, rapporteur, s'étant demandé si l'Etat ne préférait pas apporter sa contribution financière plutôt que de prévoir les réformes nécessaires de la fiscalité locale, M. Claude Badrone a considéré que l'Etat était prêt à engager de telles réformes lorsque sa contribution financière devenait trop importante.

En réponse à M. Paul Girod, président, qui faisait observer que la réforme de la taxe professionnelle opérée par la loi de finances pour 1999 privait les collectivités locales du dynamisme de l'évolution des bases, M. Claude Badrone a fait valoir que ce dynamisme était préservé en ce qui concerne les bases de cette taxe portant sur l'investissement.

Sur une question de M. Michel Mercier, rapporteur, qui souhaitait connaître l'évolution réelle des bases fictives de la part " salaires " de la taxe professionnelle, M. Claude Badrone a indiqué qu'au cours des dernières années, précédant la réforme, ces bases avaient augmenté de façon équivalente à la dotation globale de fonctionnement.

A l'invitation de M. Paul Girod, président, M. Claude Badrone a ensuite abordé la question de la révision des valeurs cadastrales. Il a rappelé que les simulations opérées avaient mis en évidence que cette révision se traduirait par des transferts de charges importants entre locaux d'habitation mais aussi entre des locaux d'habitation et des locaux commerciaux. Il a souligné que les bases imposables des locaux d'habitation seraient plus élevées à l'issue de la révision. Il a estimé que ces transferts résultaient de la superposition d'une fiscalité communale, départementale et régionale.

Répondant à M. Michel Mercier, rapporteur, qui faisait observer que le prélèvement prévu pour la réalisation des travaux de révision des valeurs cadastrales avait été maintenu, alors même que ces travaux avaient été achevés, M. Claude Badrone a fait valoir que la pérennisation de cette mesure devait être mise en rapport avec l'accroissement de la prise en charge par l'Etat de la fiscalité locale. Il a indiqué que, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2000, l'Assemblée nationale avait prévu le dépôt par le Gouvernement d'un rapport au Parlement sur la réforme de la taxe d'habitation, rapport qui devrait en outre examiner le sort à réserver à ce prélèvement.

M. Claude Badrone a, par ailleurs, précisé que les simulations périodiquement réalisées confirmaient les résultats constatés par les premières simulations. Il a ainsi noté que la cotisation de taxe d'habitation augmenterait à l'issue de la révision pour 61 % des locaux d'habitation et que 9,9 % d'entre eux subiraient une hausse supérieure à 50 %.

En réponse à M. Paul Girod, président, qui se demandait si ces hausses ne concernaient pas essentiellement des logements sociaux de fait, M. Claude Badrone a précisé qu'elles se répartissaient entre des locaux de natures diverses. Il a indiqué que 41 % des habitations de type HLM subiraient une augmentation et que 4 % d'entre elles enregistreraient une hausse supérieure à 50 %.

Répondant à M. Michel Mercier, rapporteur, qui s'inquiétait du risque d'obsolescence des travaux de révision qui dataient de 1990, M. Claude Badrone, tout en reconnaissant que depuis cette date les bases avaient pu évoluer, a néanmoins fait valoir que ces travaux représentaient toujours un progrès par rapport aux bases actuellement prises en compte qui dataient de 1970.

M. Paul Girod, président, s'est alors demandé si cette obsolescence des travaux de révision des valeurs cadastrales ne servirait pas à justifier le maintien d'un prélèvement spécifique destiné à leur financement dès lors que l'Etat était en conséquence conduit à supporter de plus en plus le coût de la fiscalité locale.

En réponse, M. Claude Badrone a fait valoir qu'il fallait conserver les acquis de la révision qui permettaient une évaluation plus réaliste des locaux mais en gommant les transferts de charges importants qui avaient pu être observés. Il a souligné que ces transferts concernaient non seulement des locaux HLM mais aussi des locaux à caractère industriel.

Répondant ensuite à M. Paul Girod, président, qui s'interrogeait sur la possibilité d'effectuer un écrêtement sur la richesse exceptionnelle d'une commune en matière de taxe professionnelle, M. Claude Badrone a fait observer que les fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle mettaient en cause des sommes relativement faibles au regard des enjeux de la péréquation. Il a reconnu que la substitution d'un critère lié à la richesse communale au critère des " établissements exceptionnels " permettrait d'accroître le montant de la péréquation. Il a indiqué qu'à l'issue de la réflexion en cours, un rapport dressant un constat de la situation actuelle serait remis au Parlement avant le vote définitif du projet de loi de finances pour 2000.

Après avoir fait observer que certains contribuables avaient subi en 1999 de très fortes hausses de leur taxe d'habitation alors même que leur situation personnelle n'avait pas changé, M. Michel Mercier, rapporteur, a souhaité savoir quelles mesures législatives avaient pu provoquer de telles variations.

En réponse, M. Claude Badrone a rappelé que depuis 1996, les dégrèvements de cotisation de taxe d'habitation étaient fondés sur un revenu de référence afin d'éviter que la réforme de l'impôt sur le revenu, opérée à cette date, n'aboutisse à une diminution de ces dégrèvements alors même que la situation personnelle des contribuables n'avait pas changé. Il a fait observer que la réduction du quotient familial réalisée en 1999 avait eu un impact sur le montant de l'impôt sur le revenu mais pas sur le revenu lui-même, lequel était seul pris en compte dans le calcul des dégrèvements de taxe d'habitation. Il a en outre relevé que cette mesure avait concerné entre 3.000 et 4.000 contribuables qui n'étaient pas susceptibles de bénéficier d'un dégrèvement au titre de la taxe d'habitation.

M. Claude Badrone a néanmoins fait valoir que la baisse du quotient familial avait pu entraîner une diminution du plafonnement des pensions alimentaires versées à un enfant majeur, ce qui avait pu avoir des conséquences sur le montant du revenu imposable. Il a estimé entre 4.000 à 5.000 le nombre de contribuables ayant un revenu moyen ou modeste qui avaient pu subir les effets négatifs de cette diminution sur leur cotisation de taxe d'habitation.

Puis répondant à M. Lylian Payet qui souhaitait connaître la part des départements d'outre-mer, notamment la Réunion, dans le montant de la taxe foncière, ainsi que la part des bénéficiaires du revenu minimum d'insertion dans le produit de cette même taxe, M. Claude Badrone a fait valoir qu'il n'était pas possible d'identifier spécifiquement les bénéficiaires de cette allocation parmi les redevables de la taxe d'habitation.

En réponse à M. Michel Mercier, rapporteur, M. Claude Badrone a estimé que la réforme du quotient familial n'avait pas eu d'effets notables sur la taxe d'habitation et a souligné qu'une faible variation du revenu imposable suffisait à provoquer une hausse significative de la cotisation acquittée au titre de cette taxe.

M. Paul Girod, président, s'étant interrogé sur la possibilité de mieux moduler le régime de cette taxe au plan local, Mme Véronique Bied-Charredon a précisé que les collectivités locales, qui pouvaient décider d'accorder certains abattements, le faisaient en pratique rarement car elles devaient supporter le coût de telles mesures.

M. Michel Mercier, rapporteur, ayant souhaité connaître le montant du produit de cotisation destiné à financer le coût de la réforme de la taxe professionnelle, M. Claude Badrone a rappelé que le législateur avait prévu une augmentation de la cotisation de péréquation et de la cotisation minimale de taxe professionnelle, lesquelles étaient acquittées par les entreprises les moins imposées au titre de cette taxe.

Après avoir précisé que le rapport sur l'application de la réforme de la taxe professionnelle avait été déposé devant le Parlement, M. Claude Badrone a fait observer que l'abattement progressif opéré sur la part " salaires " de la taxe professionnelle favorisait d'abord les petites entreprises. Il a relevé que les entreprises de taille moyenne ou grande ne bénéficiaient pas encore des effets de la réforme et qu'elles devaient, en revanche, supporter l'augmentation de la cotisation de péréquation et de la cotisation minimale.

Répondant à M. Michel Mercier, rapporteur, Mme Véronique Bied-Charreton a indiqué que le coût net de la réforme de la taxe professionnelle pour l'Etat s'élevait à 8,4 milliards de francs en 1999 et qu'il atteindrait 10,4 milliards de francs en 2000.

Après avoir noté que lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2000, l'Assemblée nationale avait retenu une indexation à 2,05 % pour le calcul de la compensation versée par l'Etat aux collectivités locales au titre de la réforme de la taxe professionnelle, M. Michel Mercier, rapporteur, a souhaité avoir des précisions sur l'utilisation du produit de fiscalité locale acquitté par France-Télécom.

Indiquant que ce produit s'élevait à 6,5 milliards de francs, M. Claude Badrone a fait observer que le législateur avait prévu que la fraction de ce produit correspondant aujourd'hui à son montant total de 1994, soit 4,4 milliards de francs, revenait à l'Etat, lequel devait l'utiliser pour alimenter la dotation de compensation de la taxe professionnelle (DCTP) créée par l'article 6 de la loi de finances pour 1987, mais que le surplus de recettes alimentait le fonds national de péréquation de la taxe professionnelle (FNPTP). Il a souligné que ce surplus augmentait rapidement puisqu'il était passé de 1,7 milliard de francs en 1998 à 2,076 milliards de francs en 1999. Il a estimé que, ce montant versé au FNPTP représentant le tiers de la fiscalité locale acquittée par la Poste et France-Télécom, cette situation ne simplifiait pas la réflexion sur un retour éventuel de ces deux entreprises sous le régime de droit commun.

M. Claude Badrone a néanmoins fait valoir qu'il avait été demandé à France-Télécom, qui effectuait actuellement une seule déclaration fiscale au plan national, d'établir des déclarations fiscales pour chacun de ses établissements.

M. Michel Mercier, rapporteur, s'interrogeant sur l'avenir du système de financement local, s'est demandé s'il ne fallait pas envisager désormais un partage entre l'Etat et les collectivités locales de certains impôts dont le produit bénéficiait actuellement exclusivement à l'Etat. Il a relevé qu'une telle formule pourrait permettre de mieux associer les collectivités locales aux fruits de la croissance.

Tout en reconnaissant qu'il était désormais difficile de maintenir en l'état le système actuel, M. Claude Badrone a néanmoins fait observer que dans les Etats qui avaient prévu un dispositif de ce type, notamment l'Allemagne, les collectivités locales ne disposaient plus du pouvoir de voter les impôts. Il a fait valoir que la transposition d'un tel système en France aurait pour effet de changer la nature des prérogatives des collectivités locales, lesquelles conservaient actuellement le pouvoir de voter les taux, même si ce pouvoir était encadré.

Considérant que l'existence de quelque 36.000 communes ne facilitait pas les évolutions du système de financement local, M. Claude Badrone a jugé qu'une réforme institutionnelle constituait un préalable à une réforme fiscale. Il a ainsi observé que le pouvoir de voter un barème pour l'impôt sur le revenu avait été reconnu depuis le 1er janvier 1998 aux 17 régions autonomes d'Espagne dans le cadre d'un système institutionnel très différent de celui régissant l'organisation territoriale française.