Mission commune d'information sur le bilan et les conséquences de la contamination par l'amiante



Mercredi 9 mars 2005

- Présidence de M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président, puis de M. Paul Blanc, vice-président.

Audition de M. Gilles Brücker, directeur général de l'Institut de veille sanitaire (InVS)

La mission a tout d'abord procédé à l'audition de M. Gilles Brücker, directeur général de l'Institut de veille sanitaire (InVS).

A titre liminaire, M. Gilles Brücker a souligné l'importance de la thématique « santé au travail » pour l'institut qu'il dirige. Il a insisté sur le caractère emblématique, à cet égard, du dossier de la contamination par l'amiante, qui offre un exemple particulièrement frappant de corrélation entre l'exposition à un risque professionnel et le développement d'une pathologie, en l'occurrence le mésothéliome.

Depuis 1998, l'InVS pilote un programme national de surveillance du mésothéliome. Environ 600 cas sont détectés chaque année ; 85 % des mésothéliomes diagnostiqués chez des individus de sexe masculin ont une origine professionnelle.

Le département « Santé environnement » de l'InVS s'efforce, en outre, d'identifier les sources d'exposition non professionnelles à l'amiante. Il surveille particulièrement les populations vivant à proximité de sites industriels dans lesquels de l'amiante a été utilisé et celles résidant dans des régions caractérisées par une forte présence de l'amiante dans le milieu naturel, notamment la Corse, la Provence-Alpes-Côte d'Azur et le Nord-Pas-de-Calais.

Dans la mesure où l'amiante n'est pas la seule fibre dangereuse pour la santé, l'institut a élaboré une base de données, dénommée « EVALUTIL », afin de mieux évaluer les risques pour la santé humaine résultant de l'exposition à ces fibres.

M. Gérard Dériot, rapporteur, a demandé pourquoi l'InVS ne s'est pas autosaisi, comme il en a la compétence, au moment de la crise de la canicule.

M. Gilles Brücker a indiqué s'être déjà expliqué sur ce point, lors d'auditions auxquelles il a participé à la demande de missions d'information ou de commissions d'enquête parlementaires. Il a rappelé que le champ de compétence de l'InVS est extrêmement large puisqu'il lui appartient, en théorie, de détecter toutes les menaces pour la santé pouvant survenir sur le territoire national. Il a donc fallu, au moment de la création de l'institut, définir des priorités, en concertation avec la direction générale de la santé. Or, aucun des experts consultés n'a, à l'époque, considéré que le risque de canicule devait être traité prioritairement. Après 2003, l'institut s'est en revanche doté de nouveaux outils pour surveiller les conséquences des températures extrêmes : il a noué un partenariat avec Météo France pour disposer d'indicateurs bioclimatiques ; il analyse les flux de patients et les pathologies recensés dans les services d'urgence ; il reçoit des statistiques en temps réel, fournies par l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), sur l'évolution de la mortalité.

M. Gérard Dériot, rapporteur, a demandé si les moyens à la disposition de l'InVS sont suffisants et a souhaité connaître les grandes orientations de la politique de l'institut.

M. Gilles Brücker a répondu que les moyens avaient été nettement accrus ces dernières années, puisque les effectifs sont passés de 150 à 280 personnes, en équivalent temps plein, entre 2001 et 2005, auxquelles s'ajoutent 80 personnes en contrat à durée déterminée. Toutefois, malgré ce soutien des pouvoirs publics, l'institut n'est pas encore en mesure de surveiller tous les risques. D'importants domaines restent méconnus, ou sont en déshérence, comme la toxicologie. Il a évalué à 70 le nombre de créations de poste nécessaires pour mettre à niveau notre dispositif de toxico-vigilance.

Concernant les orientations de l'institut, M. Gilles Brücker a indiqué que l'InVS devait se doter d'un « schéma directeur des systèmes d'information » pour garantir la cohérence des divers systèmes de surveillance. Son département « santé au travail » développe une matrice « emploi-exposition », qui doit permettre un meilleur suivi, à long terme, des conséquences de l'exposition professionnelle à des substances nuisibles pour la santé.

Il est également utile de pouvoir s'appuyer sur un réseau décentralisé de veille sanitaire, ce qui justifie de développer les cellules interrégionales épidémiologiques (CIRE). Un réseau a été constitué en région Pays de la Loire pour suivre les troubles musculo-squelettiques, qui sont en pleine expansion. La loi du 13 août 2004, relative à la réforme de l'assurance maladie, devrait faciliter cette évolution, puisqu'elle prévoit l'élaboration de plans régionaux de santé.

En réponse à une question de M. Gérard Dériot, rapporteur, qui demandait si le dispositif de surveillance de l'exposition à l'amiante était aujourd'hui satisfaisant, M. Gilles Brücker a estimé ne pas disposer d'une connaissance suffisante de ce dossier pour répondre et a invité les membres de la mission à interroger les personnes spécialisées à l'InVS sur la question de l'amiante.

M. Paul Blanc a souligné le manque de réaction des pouvoirs publics face à la silicose, qui est provoquée par l'exposition prolongée à la silice présente dans les mines de charbon.

M. Gilles Brücker a jugé cette remarque parfaitement fondée. Cet exemple témoigne de la faiblesse des outils disponibles, jusqu'à une période récente, pour évaluer les risques professionnels, et de la faible attention longtemps portée à la problématique de la santé au travail.

Mme Catherine Procaccia, s'appuyant sur son expérience d'élue locale, a rendu hommage à l'action de l'InVS qui s'est montré très efficace pour dépister, à Vincennes, des cancers de l'enfant provoqués par un ancien site industriel. Elle s'est demandé si l'institut ne devait pas désormais concentrer son action sur la détection de risques environnementaux non identifiés, plutôt que de travailler sur des risques professionnels bien connus comme l'amiante.

M. Gilles Brücker a insisté sur l'importance de la communication et du dialogue avec les populations sur les risques existant dans leur environnement. Il a évoqué les divers travaux menés par l'InVS dans le champ environnemental, aujourd'hui en pleine expansion : l'institut enquête, par exemple, sur les dioxines qui sont dispersées dans l'environnement par les incinérateurs d'ordures ménagères, ou encore sur les antennes-relais téléphoniques. Ses recommandations ont abouti à un meilleur contrôle des tours aéro-réfrigérantes, qui peuvent, si elles sont mal entretenues, favoriser la diffusion de la légionellose.

L'institut est également sensible au problème posé par la grippe aviaire, qui s'est d'abord manifestée en Asie du Sud-Est. Pour tenir compte de la dimension internationale des problèmes de santé, il coopère avec l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et avec l'Agence de surveillance des maladies, installée à Stockholm. M. Gilles Brücker a ajouté qu'une de ses priorités, à son arrivée à la direction générale de l'InVS, avait été la création d'un département dédié à l'international.

Mme Françoise Henneron a rappelé l'importance du problème de la contamination par l'amiante dans son département du Pas-de-Calais. Elle a cité le cas de la cristallerie « Arc International », qui a annoncé des suppressions d'emplois, en raison de difficultés économiques, mais qui est également confrontée à des recours en justice de la part de salariés qui auraient été contaminés en travaillant à proximité de fours. Elle a souhaité savoir si l'InVS avait connaissance de ce dossier.

M. Gilles Brücker a admis ne pas posséder d'informations sur ce dossier particulier et a indiqué qu'il interrogerait ses services à ce sujet. L'InVS a cependant déjà été en contact avec cette société, lorsque deux de ses salariés furent suspectés d'avoir été infectés par le virus du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS). Puis il a évoqué le problème, plus général, des conséquences sur l'emploi de la prévention des risques. La fermeture de l'usine de l'entreprise Métaleurop, qui émettait beaucoup de plomb, facteur de saturnisme, s'est ainsi accompagnée de la disparition de 1.000 emplois. Des entreprises en difficulté utilisent parfois l'argument de la sécurité comme un prétexte pour procéder à la fermeture d'établissements.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président, a rappelé l'attitude de certains salariés de Métaleurop qui, craignant de perdre leur emploi, mettaient en doute les conséquences du plomb sur la santé humaine, et a déploré la confusion entretenue par certains médias entre enjeux économiques et environnementaux.

M. Gilles Brücker a estimé que la question posée était celle du niveau acceptable du risque. Le renforcement des normes de sécurité peut avoir un coût élevé. Il a cité, pour illustrer son propos, le surcoût induit pour les hôpitaux par l'amélioration de la surveillance de la maladie de Creutzfeld-Jacob. L'InVS travaille avec des sociologues pour mieux prendre en compte la dimension sociale des problèmes sanitaires.

Mme Michelle Demessine s'est interrogée sur les conséquences à attendre de l'adoption de la directive REACH (Registration, Evaluation and Authorisation of Chemicals), en préparation à la Commission européenne.

M. Gilles Brücker a répondu que des milliers de produits chimiques sont utilisés sans que les risques encourus soient parfaitement connus. Le plan « santé au travail », récemment présenté par le Gouvernement, apporte de premiers éléments de réponse, puisqu'il prévoit, outre une meilleure surveillance des populations, un développement des outils d'expertise toxicologiques sur les produits chimiques. Une coopération européenne est enfin indispensable afin que la France tire parti des recherches menées à l'étranger.

Présidence de M. Paul Blanc, président.

Audition du Pr Dominique Belpomme, cancérologue à l'Hôpital européen Georges Pompidou, président-fondateur de l'Association pour la recherche thérapeutique anti-cancéreuse (ARTAC).

La mission a ensuite procédé à l'audition du Pr Dominique Belpomme, cancérologue à l'Hôpital européen Georges Pompidou, président-fondateur de l'Association pour la recherche thérapeutique anti-cancéreuse (ARTAC). Le Pr Dominique Belpomme a souhaité que le dossier de l'amiante, dont il a estimé qu'il fallait aujourd'hui tirer un certain nombre d'enseignements, soit l'occasion de réfléchir plus généralement à l'appréhension des risques environnementaux en France.

Sans revenir sur la chaîne des responsabilités, dont il a reconnu qu'une part importante devait être imputée à la communauté scientifique, citant notamment une communication de l'Académie de médecine jugeant encore en 1996 que l'amiante ne présentait pas un danger majeur, il a considéré que le désamiantage constituait aujourd'hui le problème le plus préoccupant.

S'il a estimé que l'arsenal législatif et réglementaire était aujourd'hui satisfaisant, il a regretté la lenteur de la mise en oeuvre des préconisations légales sur le terrain, prenant notamment pour exemple la SNCF, dont de nombreux sites renferment encore de l'amiante.

Confirmant le chiffre avancé de 100.000 morts à venir, directement liées à la contamination par l'amiante, il s'est montré très alarmiste en estimant que cette prévision ne constituait que la partie immergée de l'iceberg, et ne prenait pas en compte les dangers sanitaires liés à l'ensemble des pollutions chimiques environnementales.

Il a dénoncé avec virulence le retard de la France à cet égard, « lanterne rouge » en matière de politique de santé environnementale, et a présenté l'Association pour la recherche thérapeutique anti-cancéreuse (ARTAC), dont il est le président, comme une réponse à ce qu'il a qualifié de déni de situation de la part des pouvoirs publics, ceux-ci s'étant notamment opposés à l'adoption de la directive européenne REACH (Registration, Evaluation and Autorisation of Chemicals) de régulation de la mise sur le marché des produits chimiques.

A l'origine de « l'appel de Paris », et de la « déclaration internationale sur les dangers sanitaires de la pollution chimique », soutenue, selon lui, par de nombreux scientifiques, il a résumé les grandes lignes de cette déclaration : le développement actuel de nombreuses maladies résulte de la dégradation de l'environnement ; l'enfant est particulièrement vulnérable à la pollution chimique ; l'espèce humaine est en danger à terme.

Soulignant la responsabilité des lobbies industriels, il a estimé qu'il était urgent que les pouvoirs publics réagissent, alors que depuis vingt ans, le nombre de cancers du sein et de la prostate avaient été multipliés respectivement par deux et par trois et que tous les ans, on constatait une augmentation de 1 % du cancer chez l'enfant.

Soulignant l'importante participation de la population aux nombreux colloques et réunions organisés à son initiative sur ce sujet, il a exhorté les pouvoirs publics à prendre des mesures immédiates d'interdiction de certains produits dont le caractère cancérogène est avéré, tels les pesticides, les dioxines et les phtalates.

Concernant ces derniers produits, il a indiqué qu'ils étaient désormais interdits dans de nombreux pays européens, aux Etats-Unis et au Japon ; en France, ils sont encore utilisés pour assouplir les plastiques, et notamment les poches de perfusion dans les hôpitaux, celles-ci pouvant être à l'origine d'avortements et d'une stérilité future des enfants.

S'agissant des pesticides, il a estimé qu'on pouvait leur imputer une responsabilité non négligeable, d'une part, dans la hausse de la stérilité masculine qui touche, selon ses sources et selon des études internationales, 15 % des couples, d'autre part, dans l'augmentation de la fréquence de la maladie de Parkinson, y compris chez des sujets jeunes.

En ce qui concerne les dioxines, il a regretté que la législation imposant la mise au norme des incinérateurs soit encore inappliquée pour plus de la moitié d'entre eux.

Un large débat s'est alors engagé.

M. Paul Blanc, Président, s'est interrogé sur l'éventuelle responsabilité de l'amiante dans le développement du cancer bronchique à petites cellules et a souligné le rôle de l'allongement de l'espérance de vie dans l'augmentation des cancers de la prostate. Il s'est également enquis des raisons pour lesquelles le problème de la silicose n'a pas été davantage médiatisé dans le passé.

Il s'est, enfin, étonné du succès rencontré par les manifestations évoquées par le professeur Belpomme, alors qu'il est si difficile de faire respecter en France la législation anti-tabac.

Mme Sylvie Desmarescaux a souhaité obtenir des précisions sur les progrès attendus de la recherche thérapeutique contre le cancer. Elle a demandé si l'on pouvait considérer que les salariés exposés à des matériaux cancérigènes, et en particulier, aux fibres de céramiques réfractaires, étaient aujourd'hui suffisamment informés et protégés, et plus généralement si le principe de précaution était correctement appliqué en France.

En réponse à ces interrogations, le Pr Dominique Belpomme a apporté les précisions suivantes :

- il n'existe aucun lien entre le développement du cancer bronchique, dit « à petites cellules », et l'inhalation des fibres d'amiante ;

- l'amiante a un double effet, mutagène et d'accélération, sur le développement du cancer ;

- la multiplication des cancers de la prostate chez des sujets jeunes infirme la thèse selon laquelle ces cancers seraient dus principalement à l'allongement de l'espérance de vie ;

- la silice est responsable de la sclérose pulmonaire mais elle semble rarement, à elle seule, à l'origine de cancers, même si elle est classée comme cancérigène ;

- la législation française anti-tabac n'est en effet aujourd'hui pas respectée, mais elle est également moins rigoureuse que les autres législations européennes en ce domaine et devrait être renforcée ;

- on ne peut attendre que des progrès limités de la recherche contre le cancer, le taux de guérison étant susceptible de passer de 45 % à 60 % au maximum, d'où la nécessité de renforcer et de développer les politiques de prévention et de précaution dans une perspective environnementale ;

- si le contrôle de la santé des salariés doit être renforcé, toute la population est exposée aux produits chimiques présents dans l'environnement, et les effets néfastes de ces derniers sont encore très sous-évalués ;

- aucun organisme officiel ne s'est encore prononcé sur le caractère cancérigène des fibres céramiques réfractaires ;

- le récent débat sur la charte de l'environnement illustre la frilosité des pouvoirs publics en ce domaine, alors qu'il faudrait, par exemple, réglementer l'utilisation des téléphones portables pour certaines populations vulnérables, comme l'ont fait certains de nos voisins européens.

Audition du Dr Patrick Brochard, chef du service de médecine du travail et de pathologie professionnelle au CHU de Bordeaux, professeur des universités en épidémiologie, économie de la santé et prévention à l'université Victor Segalen-Bordeaux II

La mission a, enfin, procédé à l'audition du Dr Patrick Brochard, chef du service de médecine du travail et de pathologie professionnelle au CHU de Bordeaux, professeur des universités en épidémiologie, économie de la santé et prévention à l'université Victor Segalen-Bordeaux II.

M. Paul Blanc, président, a souhaité que soit rapidement présenté le comité permanent amiante (CPA), en particulier les conditions de son installation, son rôle et son organisation. Il a voulu connaître l'avis de l'intervenant sur la part de responsabilité du CPA dans le retard pris par les autorités françaises pour interdire l'amiante.

Le Dr Patrick Brochard a indiqué qu'à la demande du professeur Bignon, il avait participé aux travaux du CPA à partir de 1985, alors qu'il était jeune chef de clinique. Il a précisé que le rôle des scientifiques qui y siégeaient, lui-même étant chargé de la médecine du travail, consistait à fournir des informations sur l'état des connaissances relatives à l'amiante au cours des années 1985 à 1995. Il a tenu à souligner que son intervention était limitée à la partie épidémiologique du dossier. Il a rappelé que toutes les formes d'amiante avaient été reconnues comme un agent cancérogène par le Centre international de recherches sur le cancer (CIRC) à partir de 1977, et que la France avait eu le choix entre continuer à utiliser l'amiante ou y renoncer. Il a indiqué que la décision prise à l'époque était, faute de produit de substitution, de continuer à utiliser l'amiante en protégeant les professionnels au contact de ce matériau, comme cela se pratique pour beaucoup d'autres agents cancérogènes utilisés, en particulier les radiations ionisantes. Il a noté que la question posée aux scientifiques du CPA visait à connaître la possibilité de fixer une valeur limite d'exposition acceptable à l'amiante, mais que le CPA n'avait jamais cherché à remettre en cause le caractère cancérogène de ce produit. Il a ainsi mis en évidence le rôle de veille joué par les scientifiques au sein du CPA et a précisé que son intervention au sein de celui-ci n'avait jamais eu de caractère décisionnel. Il a cependant jugé, avec le recul, que le CPA n'aurait jamais dû exister.

M. Paul Blanc, président, a souhaité obtenir des précisions complémentaires sur le rôle exact du CPA.

Mme Sylvie Desmarescaux s'est étonnée du propos final de l'intervenant et a souhaité obtenir des éclaircissements de sa part.

Le Dr Patrick Brochard a rappelé qu'il n'existait, à l'époque, aucune agence permettant d'éclairer l'Etat dans sa prise de décision, tels l'Institut de veille sanitaire (InVS) et l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale (AFSSE) aujourd'hui, et que le CPA avait alors représenté une innovation. Il a indiqué que la création du CPA était une initiative de l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS), qui souhaitait réunir l'ensemble des protagonistes, y compris les syndicats. Il a cependant estimé que l'Etat n'avait pas joué son rôle pour piloter les travaux du CPA et que la pérennisation de celui-ci ne s'était pas accompagnée d'un fonctionnement similaire à celui d'une agence.

M. Paul Blanc, président, a rappelé que, dans une lettre à M. Pierre-André Périssol, alors ministre du logement, l'intervenant écrivait, en juin 1995, que « ceux qui réclament l'interdiction de l'amiante utilisent la situation pour inquiéter les populations ». Il a voulu savoir si celui-ci pensait alors réellement que l'amiante était inoffensif, s'il était utilisé correctement.

Le Dr Patrick Brochard a estimé que la question centrale portait sur la relation entre la dose d'amiante à laquelle on est exposé et les effets de cette exposition. Il a précisé qu'il était possible d'utiliser certains matériaux dans des conditions satisfaisantes pour la santé, pourvu que cette relation dose/effet ne soit pas trop importante, tout en ajoutant qu'il convenait d'encourager la substitution chaque fois qu'elle était possible. Il a néanmoins considéré qu'à l'époque les médecins s'étaient faits « piéger », car on leur avait fait croire que la substitution n'était pas possible.

M. Paul Blanc, président, s'est interrogé sur le caractère cancérogène de certains produits de substitution aujourd'hui utilisés.

Le Dr Patrick Brochard a indiqué que cette question visait notamment le problème des fibres céramiques réfractaires, principal produit de substitution de l'amiante.

Mme Marie-Thérèse Hermange a voulu savoir pourquoi les médecins n'alertaient pas l'opinion publique sur la dangerosité de ces fibres.

Le Dr Patrick Brochard a indiqué que l'alerte avait été donnée avant même l'interdiction de l'utilisation de l'amiante et qu'il avait personnellement été l'auteur de plusieurs publications sur ce sujet et avait participé aux travaux menés par la Commission européenne sur ce thème. Il a cependant considéré qu'il était très difficile de faire prendre conscience aux décideurs du caractère complexe et nuancé des conclusions épidémiologiques sur les fibres céramiques réfractaires. Il a ainsi expliqué qu'il fallait au moins cinquante ans pour apprécier les effets sur la santé de ce matériau, même si les indicateurs actuels étaient tous inquiétants, en particulier au regard des résultats des expériences animales et de l'apparition de pathologies pleurales chez l'homme.

Il a indiqué que les industriels ne reconnaissaient pas la dangerosité d'un produit avant que son caractère cancérogène fût formellement démontré. Il s'est dès lors inquiété des effets des fibres céramiques sur la santé qui pourraient connaître la même ampleur que celle de l'amiante. Il a assuré que les industriels étaient à l'époque très bien informés sur les conséquences de l'amiante mais que ces informations n'avaient pas été transmises aux utilisateurs, en particulier les ouvriers du bâtiment, tels les électriciens, les peintres et les plombiers. Il a ainsi rappelé que la réglementation mise au point en 1977 était en théorie d'application générale, mais que, de facto, elle n'avait pas concerné les utilisateurs, alors que 80 % des cas de mésothéliomes observés aujourd'hui concernent ces secteurs d'activité.

Mme Michelle Demessine, constatant que le problème de l'amiante n'était pas uniquement français mais international et que la situation perdurait dans les pays en voie de développement, a souhaité savoir comment l'on pouvait se protéger de l'amiante, et si ces protections étaient compatibles avec l'exercice de l'activité professionnelle. Elle s'est interrogée sur l'utilisation faite aujourd'hui de la relation dose/effet. Enfin, elle a fait observer que les grandes entreprises, les chantiers navals par exemple, avaient été à l'origine de la prise de conscience de la gravité du problème.

Le Dr Patrick Brochard a indiqué qu'il existait des organismes scientifiques indépendants qui avaient évalué les relations dose/effet au cours du temps permettant de travailler dans des conditions acceptables. Il a estimé que la France avait été plutôt en avance en matière de normes de sécurité au travail mais que ces dernières n'avaient pas toujours été respectées, en particulier dans les chantiers navals, où les niveaux d'exposition pouvaient être 100 à 1.000 fois supérieurs aux normes, alors même que les premières études sur la nocivité des fibres d'amiante avaient été réalisées au sein des chantiers navals. Il a dès lors considéré que le problème n'était pas celui des normes définies, mais de leur application. Il a noté que les normes de sécurité au travail, renforcées en 1996, étaient aujourd'hui relativement contraignantes et coûteuses et qu'elles pouvaient par conséquent être source de difficultés pour les petites entreprises ou les artisans.

Mme Sylvie Desmarescaux a relevé que le Canada, pays développé présentant un niveau sanitaire élevé, continuait à exploiter l'amiante et que les mineurs concernés ne semblaient pas bénéficier d'une protection particulière.

Le Dr Patrick Brochard a indiqué que le Canada est un pays producteur d'une variété d'amiante, en particulier de chrysolite. Il a toutefois mis en évidence les informations contradictoires sur les effets de la chrysolite sur la santé, mais a personnellement estimé que ce produit était également cancérogène. D'une manière générale, il a d'ailleurs fait remarquer que la production mondiale d'amiante sous forme de chrysolite progressait de nouveau, les principaux pays producteurs, outre le Canada, étant le Brésil et la Russie. Il a déploré l'incapacité à maîtriser un matériau après sa phase de production, en particulier lors de sa diffusion dans le grand public, l'amiante constituant une parfaite illustration de ce phénomène.

M. Paul Blanc, président, s'est demandé si les salariés étaient aujourd'hui correctement protégés contre l'amiante résiduel.

Le Dr Patrick Brochard a répondu par la négative, du fait de la non-application de la réglementation. Il a ajouté que, si la réglementation établie en 1977 avait été correctement appliquée dès l'origine, la situation dramatique observée aujourd'hui ne se serait pas produite.

M. Paul Blanc, président, a voulu connaître les leçons qui avaient été tirées du dossier de l'amiante en matière d'organisation et de méthode de travail de la médecine du travail.

Le Dr Patrick Brochard, soulignant l'importance de cette question, a rappelé qu'en France, l'organisation de la santé au travail était confiée aux médecins du travail, dont les missions, trop nombreuses, les empêchent de mener à bien cette tâche, même si un décret de juillet 2004 avait constitué un réel progrès. Il a illustré ses propos par l'exemple des fibres céramiques réfractaires qui font l'objet, de la part des médecins du travail, de réunions d'information avec les chefs d'entreprise, mais a regretté que ces derniers restent passifs, préférant attendre une interdiction de ce matériau au niveau communautaire.