Mission commune d'information sur le bilan et les conséquences de la contamination par l'amiante



Mercredi 23 mars 2005. - Présidence de M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président -

Audition de M. Daniel Bouige, président du laboratoire Hygiène de contrôle des fibres (LHCF Environnement)

La mission a d'abord procédé à l'audition de M. Daniel Bouige, président du laboratoire Hygiène de contrôle des fibres (LHCF Environnement).

M. Daniel Bouige a indiqué avoir été professionnellement impliqué dans le dossier de l'amiante depuis 1974, en tant qu'ingénieur chargé d'élaborer une méthodologie permettant de mesurer et contrôler la présence d'amiante sur les lieux de travail, d'abord au sein de la Chambre syndicale de l'amiante, à laquelle a succédé la Chambre syndicale des fibres techniques (CSFT), puis en tant que directeur de l'association française de l'amiante (AFA).

Il a indiqué avoir mis au point dès 1974, en partenariat avec l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS), une méthode de prélèvement et d'analyse des fibres en milieu professionnel, largement inspirée des procédés anglo-saxons, qui a permis d'établir des cartes d'empoussièrement des entreprises important et transformant l'amiante.

Il a précisé que les entreprises concernées étaient celles exerçant une activité de transformation de l'amiante dans divers secteurs (amiante-ciment, garnitures, textiles, étanchéité...), à l'exclusion des activités de flocage.

Ayant eu l'occasion de participer, aux niveaux européen et international, aux travaux des trois directions générales concernées de la Commission européenne, à ceux de l'organisation mondiale de la santé (OMS), du Bureau international du travail (BIT), de l'UNEP (programme de l'environnement des Nations unies) ainsi qu'à différents groupes d'experts, il a indiqué que l'ensemble de ces instances s'étaient saisies du dossier de l'amiante entre 1975 et 1995, notamment sous l'influence des experts anglo-saxons.

Il a évoqué à cet égard sa contribution à l'élaboration de la convention du BIT sur « la sécurité dans l'utilisation de l'amiante » et à l'établissement de cartes d'empoussièrement internationales qui ont été transposées dans divers pays.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président, a demandé des précisions sur la nature et le statut de son laboratoire.

M. Daniel Bouige a indiqué qu'il s'agissait d'un laboratoire privé, spécialisé dans le contrôle de la qualité de l'air dans les entreprises utilisant notamment des fibres et des métaux lourds, et plus généralement des produits susceptibles de présenter des risques pour la santé.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président, a souhaité connaître l'avis de l'intervenant sur la politique d'usage contrôlé de l'amiante, en vigueur en France jusqu'en 1997.

M. Daniel Bouige a tout d'abord rappelé que le principe d'utilisation contrôlée prévalait encore pour la plupart des substances dangereuses et était appliqué dans la plus grande partie des pays industrialisés.

Il a ensuite replacé cette politique dans son contexte : alors qu'il était difficile d'en escompter des effets immédiats, compte tenu des temps de latence relativement longs des maladies liées à l'amiante, et que chaque variété présentait des effets toxiques variables, les pouvoirs publics ont pu légitimement estimer que l'urgence consistait d'abord à réduire les risques d'exposition aux fibres.

Il a noté que les premiers indicateurs avaient été relevés dans les chantiers navals, ceux-ci ayant fait prendre conscience de la dangerosité des produits friables et d'isolation, et que, compte tenu des incertitudes qui prévalaient alors, les politiques, les scientifiques et les industriels avaient pu considérer la politique d'usage contrôlé comme la moins mauvaise des solutions.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président, a demandé des précisions sur le niveau du seuil d'exposition toléré, qui a été fixé en 1977 à deux fibres par cm3.

M. Daniel Bouige a indiqué que ce choix résultait de travaux menés par l'« Asbestos research Council », à partir de l'observation de travailleurs très exposés aux fibres d'amiante, ceux-ci ayant conduit à établir un lien entre les degrés d'exposition et le risque de développer des fibroses pulmonaires.

Il a rappelé à cet égard la situation catastrophique de certaines entreprises : les premiers contrôles effectués dans l'entreprise textile Amisol à Clermont-Ferrand avaient par exemple révélé la présence dans l'air de 100 à 200 fibres par cm3.

Il a souligné qu'en tout état de cause, la fixation de ce seuil n'avait jamais été considérée comme une garantie absolue permettant de prévenir le développement des cancers.

M. Gérard Dériot, rapporteur, s'est interrogé sur le rôle de la chambre patronale de l'amiante et l'influence du comité permanent amiante (CPA) sur les prises de décision des pouvoirs publics.

M. Daniel Bouige a précisé qu'il n'avait été que salarié de la chambre patronale de l'amiante. Il a ensuite indiqué que la mise en place du CPA résultait d'une initiative concertée, émanant notamment du directeur général de l'INRS de l'époque, visant à mettre en place une structure interdisciplinaire d'échanges, chargée de rendre compte, tant aux partenaires sociaux qu'aux pouvoirs publics, des divers problèmes liés à l'amiante.

Il a rappelé qu'aucune instance ne remplissait alors ce rôle, alors même que la situation de certaines entreprises, comme Amisol, suscitait de nombreuses réactions et avait un retentissement considérable.

M. Gérard Dériot, rapporteur, s'est interrogé sur la fiabilité des méthodes d'analyse utilisées par le laboratoire.

M. Daniel Bouige a rappelé les nombreuses propriétés techniques de la fibre d'amiante et a souligné comment celle-ci se dispersait dans l'air de manière invisible lors de sa manipulation. Il a ajouté que les méthodologies actuelles permettaient de détecter un niveau très bas de diffusion des fibres.

M. Gérard Dériot, rapporteur, s'est interrogé sur les risques que pouvaient présenter les fibres de substitution, et en particulier les fibres céramiques réfractaires, pour la santé des professionnels et des utilisateurs.

M. Daniel Bouige a tout d'abord regretté, en dépit des travaux menés par les chercheurs anglo-saxons, le manque d'attention portée aux différents niveaux de dangerosité de l'amiante.

Il a souligné par ailleurs que, malgré les études engagées depuis longtemps sur les produits de substitution, on ne disposait pas à l'heure actuelle du recul épidémiologique suffisant pour pouvoir se prononcer sur la toxicité de ces produits.

S'agissant des fibres céramiques réfractaires, dont il a souligné qu'elles ne constituaient qu'un produit de substitution parmi beaucoup d'autres, il a néanmoins estimé que l'application du principe de précaution devait conduire à préconiser leur interdiction, assortie d'exceptions accordées avec l'aval de la communauté scientifique. Il a souhaité, par ailleurs, que des politiques d'usage contrôlé soient définies pour les fibres dont les effets cancérigènes sont encore incertains.

M. Gérard Dériot, rapporteur, a demandé si toutes les entreprises potentiellement dangereuses avaient mis en place des stratégies pour évaluer de manière précise les risques pour leur personnel.

Citant l'exemple des poussières de bois, dont l'effet cancérigène est établi, M. Daniel Bouige a regretté que, de nombreuses entreprises n'aient pas procédé à une analyse de risque pertinente, les mesures effectuées étant souvent plus descriptives que qualitatives.

M. Gérard Dériot, rapporteur, s'est enfin interrogé sur les risques induits par de faibles niveaux d'exposition à l'amiante.

M. Daniel Bouige a estimé que les méthodes d'extrapolation utilisées pour évaluer la dangerosité des faibles niveaux d'exposition ne permettaient pas de lever les incertitudes, tant sur les seuils tolérés que sur le nombre de personnes susceptibles d'être contaminées.

M. Paul Blanc s'est interrogé sur la position du Canada, et s'est inquiété d'une éventuelle importation de l'amiante canadien dans notre pays.

M. Roland Muzeau a évoqué, compte tenu de la connaissance du caractère cancérigène de l'amiante, la responsabilité des lobbies industriels dans le retard pris par la France pour interdire l'amiante. Il s'est interrogé sur le niveau d'acceptabilité du risque aujourd'hui dans notre pays et sur les conséquences d'une réintroduction de produits amiantés sur le territoire français, via l'importation de biens manufacturés en provenance de pays émergents. Il s'est enfin inquiété de la toxicité, à long terme, des éthers de glycol.

Mme Marie-Christine Blandin a souhaité savoir quelle était la part des études demandées par les pouvoirs publics au laboratoire, s'il existait des laboratoires publics en ce domaine et quelles étaient les meilleures sources scientifiques sur les effets des différentes fibres.

Mme Sylvie Desmarescaux a rappelé qu'un décret de 1991 établissait le caractère dangereux des fibres céramiques réfractaires et a exprimé la crainte que la non-interdiction de ces fibres conduise dans l'avenir à un problème de santé publique comparable à celui de l'amiante.

En réponse à ces interrogations, M. Daniel Bouige a notamment apporté les précisions suivantes :

- il revient à l'Institut national de veille sanitaire (InVS) de se prononcer sur la question de l'interdiction des éthers de glycol ;

- la réintroduction de produits amiantés en France par le biais d'importations est peu probable, compte tenu du risque de poursuites pénales encouru par les éventuels importateurs et de l'efficacité des contrôles existants ;

- s'agissant de la dangerosité de certaines fibres, il faut aujourd'hui mettre en oeuvre les moyens d'investigation et d'anticipation dont la France s'est dotée, qui sont beaucoup plus efficaces que ceux dont on disposait il y a une dizaine d'années ;

- il existe des laboratoires publics, comme le laboratoire d'études des particules inhalées (LEPI) ; pour sa part, le laboratoire LHCF Environnement est accrédité et complètement indépendant ;

- l'InVS, l'INRS et les centres de recherche du secteur hospitalier constituent les principales sources de référence scientifique en France, mais les études étrangères, notamment anglaises, européennes et internationales, qui ont fait l'objet de publications antérieures dans de nombreux pays, ont permis de diffuser largement les connaissances sur le dossier de l'amiante ;

- s'agissant de la dangerosité des fibres céramiques réfractaires, il convient d'utiliser tous les moyens de surveillance aujourd'hui disponibles (InVS, médecine du travail, caisses régionales d'assurance maladie...).

Audition de M. Dominique Moyen, ancien directeur général de l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS)

La mission a ensuite procédé à l'audition de M. Dominique Moyen, ancien directeur général de l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS).

Après que M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président, eut retracé sa carrière, M. Dominique Moyen a effectué quelques rappels sur le statut et la mission de l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS). Dépendant de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), il est dirigé par un conseil d'administration paritaire, représentant les employeurs et les salariés et est financé, à 95 %, par une dotation du Fonds national de prévention de la commission des accidents du travail et des maladies professionnelles. Il mène des recherches et études dans le champ des risques professionnels, conduit des actions de formation, publie des revues et brochures et répond aux questions qui lui sont adressées par les professionnels. Il a estimé que la composition de son conseil d'administration et ses modalités de financement garantissaient son indépendance.

Puis M. Dominique Moyen a évoqué le comité permanent amiante et la part qu'il avait prise à sa création (CPA) : à l'issue d'une réunion, organisée au ministère du travail, rassemblant des représentants des industriels de l'amiante et des syndicalistes, il a suggéré que ces échanges puissent se poursuivre au sein d'une structure de concertation informelle, moins lourde à gérer que le Conseil supérieur de prévention des risques professionnels, normalement compétent. Cette proposition a été suivie d'effet et le Comité a ensuite réuni, pendant une quinzaine d'années, des représentants de l'ensemble des acteurs concernés. Il a ajouté que le CPA avait soutenu la politique de réduction des valeurs limites d'exposition, et avait été attentif à la prévention des risques pour la santé induits par le flocage. Ce dernier point l'a amené à distinguer trois catégories parmi les populations concernées par l'amiante : les ouvriers ayant travaillé dans des usines de traitement de l'amiante, tout d'abord ; les salariés exposés à l'amiante lors d'opérations de flocage et de déflocage, ensuite ; le grand public, enfin.

M. Dominique Moyen a indiqué que la question centrale était, selon lui, de comprendre pourquoi l'on n'avait pas interdit plus tôt l'utilisation de l'amiante dans notre pays. A ce sujet, il a noté que la France avait longtemps suivi une politique de réduction des risques liés à l'utilisation de l'amiante, dont l'instrument privilégié fut la fixation de valeurs limites d'exposition, reposant sur l'idée que l'organisme humain pouvait supporter une exposition à de faibles doses d'amiante sans conséquence nuisible pour la santé. Des interrogations sur le bien-fondé de cette politique sont apparues lorsque de premières études ont révélé que le mésothéliome pouvait survenir même après une exposition à de très faibles doses d'amiante. M. Dominique Moyen a jugé que la décision d'interdire l'amiante était intervenue tardivement après que ce constat a été établi. Il a ajouté que si l'INRS avait développé des capacités techniques dans le domaine de la mesure de l'exposition à l'amiante, il disposait d'une faible expertise sur ses conséquences physiologiques et biologiques.

M. Gérard Dériot, rapporteur, s'est interrogé sur l'existence d'un éventuel « lobby » des industriels de l'amiante et de son influence, notamment au sein du CPA.

M. Dominique Moyen est convenu que les industriels du secteur n'avaient pas milité pour l'interdiction de l'amiante et qu'ils avaient défendu leur point de vue, tant au sein du CPA que dans les milieux scientifiques, ou au sein du Conseil supérieur de prévention des risques professionnels.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président, a estimé qu'il y avait eu une certaine pression des industriels, qui arguaient qu'il n'y avait pas de produit de substitution satisfaisant à l'amiante, ou que l'amiante sauvait plus de vies qu'elle n'en mettait en péril, en raison de son rôle dans la prévention des incendies.

M. Dominique Moyen s'est élevé contre la mise en cause dont il a été l'objet de la part de certains journalistes, qui l'ont présenté soit comme une personne naïve, soit comme une personne malintentionnée. Il a rappelé que le CPA avait été à l'initiative d'une vaste campagne d'évaluation de l'exposition à l'amiante dans les usines.

M. Gérard Dériot, rapporteur, a souhaité obtenir des précisions sur l'évolution des connaissances relatives aux risques induits par l'exposition à de très faibles doses d'amiante.

M. Dominique Moyen a répondu que l'INRS n'avait pas mené d'études sur ce sujet mais qu'il s'appuyait sur les expertises d'organismes extérieurs. En 1998, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et le Bureau international du travail (BIT) ont reconnu le caractère cancérigène du chrysotile. Auparavant, l'OMS avait recommandé l'abandon de l'amiante et son remplacement par des produits de substitution et avait affirmé l'existence d'un risque de cancer, même en cas d'exposition à de très faibles quantités d'amiante.

M. Paul Blanc a estimé que le but de la mission d'information était d'analyser les conséquences de la contamination par l'amiante, et non de désigner des responsables. Il a estimé que la mission devrait s'attacher, le bilan médical étant établi, à examiner les conditions d'indemnisation des victimes.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président, a précisé que l'objectif de la mission était de comprendre les mécanismes ayant conduit à ce drame sanitaire, afin d'éviter que de tels événements ne se reproduisent à l'avenir. Il a fait observer que nos moyens d'anticipation et d'investigation dans le domaine des risques sanitaires s'étaient améliorés, ce qui rendait moins probable la répétition d'une telle crise.

M. Dominique Moyen a indiqué avoir été mis en cause par certaines victimes au plan pénal. Il est revenu sur la politique d'utilisation contrôlée de l'amiante, pour préciser que l'émergence du principe de précaution conduisait à la recherche du « risque zéro », plutôt qu'à une politique de contrôle du risque.

Mme Marie-Christine Blandin a considéré que la mission devait s'efforcer de comprendre quelles défaillances dans les processus de décision avaient rendu possible le drame de la contamination par l'amiante, ce qui ne signifie naturellement pas qu'il lui revienne de désigner nommément des coupables. Elle a regretté que les médecins ayant alerté sur les dangers de l'amiante n'aient pas été davantage écoutés par les responsables politiques. Puis elle a invité la mission à s'intéresser aux débats en cours au Canada, pays qui continue d'exploiter l'amiante, et dans lequel les avertissements des journalistes et des scientifiques sur la dangerosité du produit suscitent des réactions violentes, tant de la part des industriels que des élus ou des syndicalistes. Elle a estimé que ces débats pouvaient donner une idée de l'état d'esprit qui prévalait en France à l'époque où l'amiante était un matériau largement employé.

M. Dominique Moyen a noté qu'outre le Canada, des pays du Sud de l'Europe et des pays émergents utilisaient encore l'amiante et que la production mondiale d'amiante avait tendance à augmenter depuis quelques années. Concernant l'attention portée aux mises en garde émanant du milieu médical, il a précisé que l'INRS disposait, à l'époque où il en était le directeur général, d'une équipe de six médecins et a assuré que leurs prises de position faisaient l'objet de toute la publicité nécessaire.

Il a ajouté que les produits de substitution à l'amiante, notamment les fibres céramiques réfractaires, étaient loin d'être inoffensifs et que leur utilisation devait donc donner lieu à une grande vigilance.

Audition de M. Gilles Evrard, directeur des risques professionnels de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS)

La mission a enfin procédé à l'audition de M. Gilles Evrard, directeur des risques professionnels de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS).

Après que M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président, eut brièvement présenté son parcours professionnel, M. Gilles Evrard a indiqué avoir pris ses fonctions à la CNAMTS en 1996, au moment où l'utilisation de l'amiante fut interdite. Il a précisé que le service qu'il dirigeait était compétent en matière de prévention des risques professionnels, d'indemnisation des victimes et de financement de la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP). Il s'est dit préoccupé par l'augmentation du nombre de maladies professionnelles provoquées par l'amiante et par la hausse des dépenses d'indemnisation qui en résulte. Les dépenses liées à l'amiante représentent désormais, selon les années, de 12 à 15 % des dépenses totales de la branche AT-MP, si l'on prend en compte les versements de la branche aux deux fonds d'indemnisation des victimes.

M. Gérard Dériot, rapporteur, a rappelé que la convention d'objectifs et de gestion (COG), récemment signée entre l'État et la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) de la sécurité sociale, indiquait que « la vocation de la branche ATMP [était] d'aider les acteurs de la vie économique à éviter les risques liés au travail ». Il s'est demandé si la branche AT-MP avait joué tout son rôle dans la prévention des risques liés à l'amiante et s'est interrogé sur les raisons du retard constaté en matière de protection des salariés, alors que les effets cancérigènes de l'amiante sont connus depuis le début du XXe siècle. Il s'est enquis des moyens dont disposait la branche AT-MP pour mener à bien sa mission de prévention et de détection des risques professionnels et a souhaité obtenir des précisions sur les relations qu'elle entretenait avec l'INRS (Institut national de recherche et de sécurité).

M. Gilles Evrard a répondu que la branche aidait les acteurs de la vie économique à remplir leurs obligations en matière de prévention des risques professionnels, mais que la responsabilité de la sécurité des salariés au travail incombait, en dernier ressort, aux chefs d'entreprise, dans le cadre de la politique générale de prévention définie par l'État. La branche accidents du travail et maladies professionnelles promeut les bonnes pratiques par le biais de recommandations élaborées en partenariat avec les partenaires sociaux. Il a considéré que la branche avait abondamment traité des problèmes posés par l'amiante avant 1996 et a rappelé que, dès 1945, les maladies causées par l'amiante, notamment l'asbestose, figuraient dans le tableau des maladies professionnelles causées par l'amiante.

M. Gérard Dériot, rapporteur, a souhaité connaître l'avis de M. Gilles Evrard sur les modalités de financement du Fonds de cessation d'activité anticipée des victimes de l'amiante (FCAATA) et du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA).

M. Gilles Evrard a précisé que les bénéficiaires de l'allocation du FCAATA étaient des salariés ayant travaillé dans des établissements où ils ont été exposés à l'amiante. Ces établissements sont recensés dans des listes établies par arrêté du ministre du travail. Il apparaît que 10 % seulement des personnes titulaires de l'allocation de cessation anticipée d'activité ont développé des pathologies liées à l'amiante. Le FCAATA s'apparente donc plus à un mécanisme de départ en retraite anticipée qu'à un dispositif d'indemnisation des risques professionnels. En conséquence, on peut estimer peu logique que son financement repose principalement sur la branche accidents du travail et maladies professionnelles, dont il contribue à dégrader l'équilibre financier. Une contribution spécifique, à la charge des entreprises ayant exposé leurs salariés à l'amiante, a cependant été introduite dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2005.

La vocation du FIVA est différente, puisqu'il a en charge l'indemnisation des personnes ayant développé des pathologies causées par l'amiante. Le financement de ce Fonds par la branche AT-MP apparaît donc plus logique. On peut cependant se demander pourquoi seul le régime général abonde le Fonds, alors qu'il indemnise des ressortissants de l'ensemble des régimes de sécurité sociale.

M. Gérard Dériot, rapporteur, a demandé s'il existait une estimation du nombre de salariés encore exposés à l'amiante, puis a évoqué la dangerosité des produits de substitution.

Sur le premier point, M. Gilles Evrard a indiqué ne pas disposer d'estimation fiable. Concernant les produits de substitution à l'amiante, et notamment les fibres céramiques réfractaires, il a souligné que la branche était préoccupée par les risques inhérents à leur utilisation et que l'INRS menait une étude épidémiologique sur ce sujet. Son travail se heurte cependant à certaines difficultés méthodologiques, dans la mesure où il est difficile de composer des cohortes de sujets ayant été exposés aux fibres céramiques réfractaires, mais pas aux fibres d'amiante. La caisse recommande une utilisation aussi limitée que possible de ces fibres.

M. Gérard Dériot, rapporteur, s'est interrogé sur le jugement qu'il convenait de porter sur le plan « Santé au travail » récemment présenté par le Gouvernement. Il a souhaité savoir dans quelle mesure la branche AT-MP y était associée et si les mesures annoncées paraissaient de nature à éviter la répétition d'un drame sanitaire comme celui de l'amiante. Dans le cas contraire, il a demandé quelles mesures complémentaires devraient être mises en oeuvre.

M. Gilles Evrard a jugé que le plan « Santé au travail » était une heureuse initiative, à laquelle le Gouvernement avait pu être incité par la reconnaissance, par la justice administrative, de la responsabilité de l'État dans le dossier de l'amiante. Il a rappelé que le plan prévoyait un renforcement des contrôles et une meilleure évaluation des risques professionnels, mais s'est inquiété de la capacité de l'administration à recruter de nouveaux épidémiologistes pour assumer cette charge de travail supplémentaire, compte tenu du faible nombre de personnes possédant les qualifications requises.

Il a ensuite estimé que la principale difficulté, dans l'affaire de l'amiante, était de comprendre pourquoi, alors que les connaissances scientifiques étaient disponibles, la prise de décision avait été si lente.

M. Gérard Dériot, rapporteur, a demandé si la branche AT-MP disposait d'une évaluation du nombre total de personnes qu'il faudrait indemniser.

M. Gilles Evrard a regretté de ne pas avoir d'évaluation précise sur ce point, avant de noter que, dans les pays qui avaient interdit l'amiante avant la France, on observait une diminution du nombre de pathologies constatées, dans un délai de cinq à dix ans après que l'interdiction a été mise en oeuvre. Il s'est déclaré inquiet des conséquences des déflocages effectués sans respecter la réglementation en vigueur.

M. Paul Blanc a demandé s'il était possible d'identifier les entreprises qui exposent ainsi leurs salariés à l'amiante.

M. Gilles Evrard a constaté qu'il était très difficile de repérer et de contrôler des artisans qui manipulent l'amiante, sans avoir procédé à une déclaration préalable ni obtenu de certification. Les contrôles effectués avec l'inspection du travail ont montré que, dans les trois quarts des cas, la réglementation n'était pas, ou imparfaitement, respectée.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président, a fait état d'une évaluation selon laquelle le coût total de l'indemnisation de l'amiante, dans les vingt prochaines années, pourrait atteindre 36 milliards d'euros et a souhaité savoir si elle était vraisemblable.

M. Gilles Evrard a jugé cette évaluation plausible, sous réserve que l'on n'observe pas, dans les années à venir, une diminution du nombre de pathologies constatées liées à l'amiante.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président, a souhaité obtenir des précisions sur les modalités de classement des établissements sur les listes attestant qu'ils ont exposé leurs salariés à l'amiante.

M. Gilles Evrard a souligné que l'établissement de ces listes relevait de la responsabilité du ministère en charge du travail et que la commission des accidents du travail et des maladies professionnelles se contentait d'émettre un avis. La CNAMTS a donné instruction aux caisses régionales d'assurance maladie (CRAM) de transmettre aux services compétents de l'État les informations dont elles pouvaient disposer.

M. Roland Muzeau a observé que, du fait du développement de la sous-traitance, le nombre d'entreprises intervenant sur les chantiers était de plus en plus important et s'est demandé s'il était possible de recenser l'ensemble des salariés concernés.

M. Gilles Evrard a confirmé que beaucoup d'entreprises éphémères, ou de taille très réduite, intervenaient sur les chantiers et étaient difficiles à suivre dans la durée. Il a ajouté que la CNAMTS portait une attention particulière aux entreprises dont un ou plusieurs salariés avaient déjà déclaré une maladie professionnelle. Du fait du délai de latence des pathologies causées par l'amiante, les entreprises ayant exposé leurs salariés à ce matériau ont souvent disparu. De plus, le fait qu'un grand nombre de salariés aient travaillé successivement dans plusieurs entreprises rend complexe la détermination des responsabilités de chaque employeur. Lorsque la branche AT-MP se trouve dans l'impossibilité d'imputer la responsabilité d'une maladie professionnelle à un employeur précis, l'indemnisation des victimes relève d'un compte spécial, prévu à cet effet : dans le cas des pathologies causées par l'amiante, une proportion considérable des indemnisations, de l'ordre de 75 %, est rattachée à ce compte.

Mme Marie-Christine Blandin a rapporté le cas de salariés de l'entreprise Alstom, qui se sont engagés dans de longues procédures, dans le but de faire reconnaître une maladie professionnelle, mais qui souffrent maintenant de discriminations à l'embauche, les employeurs potentiels craignant que, une fois la maladie reconnue, une part de responsabilité ne leur soit attribuée, ce qui aurait des conséquences sur le niveau de leurs cotisations sociales.

M. Gilles Evrard a admis que de telles situations étaient régulièrement observées et qu'elles étaient à l'origine de la sous-déclaration des maladies professionnelles, les salariés craignant, selon les cas, de perdre leur emploi ou de souffrir de discrimination à l'embauche.