Mission commune d'information sur le bilan et les conséquences de la contamination par l'amiante



Mercredi 6 avril 2005

- Présidence de M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président.

Audition de M. Daniel Ferrand, ingénieur spécialiste en diagnostics et interventions sur existants à la SOCOTEC (Société de contrôle de l'audit et du conseil technique) et de Mme Florence Molin, ingénieur spécialiste en risques sanitaires

La mission a d'abord procédé à l'audition de M. Daniel Ferrand, ingénieur spécialiste en diagnostics et interventions sur existants à la SOCOTEC (Société de contrôle de l'audit et du conseil technique) et de Mme Florence Molin, ingénieur spécialiste en risques sanitaires.

M. Daniel Ferrand, procédant à l'aide d'une vidéo-projection, a indiqué que la SOCOTEC, qui compte 4.500 agents en France et à l'étranger, était une entreprise spécialisée dans le diagnostic et le contrôle des bâtiments. Il a précisé qu'elle s'était orientée vers le marché du repérage de l'amiante depuis que les pouvoirs publics ont décidé le retrait de ce matériau. Il a rappelé la chronologie du repérage de l'amiante : le diagnostic des flocages et calorifugeage en 1996, le diagnostic des faux-plafonds en 1997 et l'obligation de réaliser des dossiers techniques amiante (DTA) en 2001, cette phase devant être achevée avant la fin 2005.

Il a expliqué que la détection de l'amiante était complexe et qu'il n'existait pas de repérage unique et définitif. Il a ainsi précisé que ce repérage variait selon la date de construction, le type de bâtiment (logement individuel ou collectif, établissements recevant du public...), le demandeur (propriétaire ou entreprise) et la destination (la gestion, la vente, la démolition ou les travaux). Rappelant que l'amiante avait fait l'objet d'usages multiples et qu'il se trouvait dans de nombreux produits, il a noté que sa présence variait selon la nature des composants (apparent ou caché, incorporé ou libre, friable ou non, incorporé à la fabrication ou à la pose).

Il a ensuite présenté les différents types de repérage de l'amiante : le diagnostic des flocages, des calorifugeages et des faux-plafonds, qui n'est plus pratiqué ; le repérage pour la réalisation du DTA ou pour la vente ; le repérage avant travaux ou avant démolition.

Mme Marie-Thérèse Hermange a voulu savoir ce qui se passerait si le DTA n'était pas réalisé dans les délais prescrits.

M. Daniel Ferrand a répondu que le code de la santé publique prévoyait des sanctions en cas de retard pour la réalisation du DTA.

Mme Florence Molin a précisé que le DTA pouvait également être réalisé après 2005 et intervenir au moment de la vente.

M. Daniel Ferrand a indiqué que le décret de 1996 avait fait l'objet de modifications en 2001 et que le repérage de l'amiante passait d'une logique de constat à une logique de gestion. De même, les modalités de repérage ont été étendues à d'autres matériaux, tandis que la compétence des intervenants, dans un premier temps non formalisée, devait donner lieu à une attestation de formation.

Il a ensuite abordé les obligations actuelles du propriétaire. Il a expliqué que le diagnostic des flocages, calorifugeages et faux-plafonds était obligatoire pour les parties privatives des habitations collectives, ainsi que pour les parties communes des habitations collectives et de tous autres immeubles, ces dernières devant également donner lieu à la réalisation d'un DTA. En outre, un constat pour la vente, ainsi qu'un repérage avant démolition, sont obligatoires dans les cas précités, mais également pour les maisons individuelles.

Puis il a évoqué la qualification de l'intervenant, qui doit être un contrôleur technique agréé ou un technicien de la construction. Il a également fait observer que sa compétence devait être reconnue, sa formation devant être certifiée à partir d'un référentiel portant en particulier sur les pré-requis quant aux compétences en modes de construction, le contenu pédagogique de la formation et les modalités de contrôle des connaissances.

Mme Janine Rozier s'est enquise de l'obligation de l'intervention d'une entreprise agréée.

M. Daniel Ferrand a répondu que le retrait des matériaux friables ne pouvait être effectué que par une entreprise certifiée.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président, a rappelé que la qualité de la formation des intervenants était parfois contestée.

M. Daniel Ferrand a estimé que la qualité de la mission était liée à la qualité des intervenants. Il a ajouté que ceux-ci devaient suivre une formation de quatre jours au terme de laquelle ils étaient reconnus compétents, mais qu'il n'existait pas d'obligation de repasser un examen ou même de réaliser effectivement des repérages. Il a néanmoins précisé qu'une réflexion était en cours sur les modalités de la formation.

Mme Florence Molin a ensuite présenté les différentes étapes du déroulement des missions de repérage : un contact par téléphone ou une première visite sur site pour les grosses opérations ; la réalisation d'un devis ; la visite de repérage ; l'analyse éventuelle des échantillons en laboratoire, par exemple pour des dalles susceptibles d'être amiantées ; la rédaction des rapports de repérage. Elle a également indiqué que les personnes intervenant sur, ou à proximité des matériaux amiantés, en étaient informées.

M. Daniel Ferrand a ensuite présenté les résultats d'une étude de marché réalisée à partir des diagnostics effectués entre août 1995 et mars 1998, portant sur 5.000 bâtiments, dont les résultats ont été publiés dans les cahiers du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) en 1999. Il a indiqué que 4,5 % de l'ensemble de l'échantillon, soit 200 bâtiments, contenaient de l'amiante. Il a précisé que les bâtiments dans lesquels de l'amiante avait été repéré avaient été construits pour l'essentiel entre 1950 et 1980, et que les bâtiments amiantés relevaient d'abord des secteurs de la santé (2,9 %), de l'industrie (2,6 %), des bureaux (2 %) et des logements (1,7 %). Il a fait observer que, dans plus de 85 % des bâtiments, la surface amiantée n'atteignait pas 10 % de la superficie totale du bâtiment, et que plus des deux tiers de la surface amiantée était concentrée dans 14 % des immeubles concernés. Au total, la surface estimée des flocages à l'amiante est comprise entre 4 et 6,5 millions de m2 et celle des calorifugeages amiantés est évaluée à 500.000 m2.

Enfin, il a fait part de ses interrogations concernant l'usage qui pourrait être fait des DTA. Il a en effet estimé que les propriétaires devaient être en mesure de suivre le programme des interventions et devaient procéder à une mise à jour régulière du diagnostic. De même, ces informations devraient être communiquées à l'ensemble des acteurs afin d'être utilisées de façon optimale.

M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur adjoint, a voulu savoir si le DTA concernait également les portes coupe-feu.

M. Daniel Ferrand a indiqué que le diagnostic prenait en compte les vantaux des portes coupe-feu.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président, a voulu savoir si le rapport rédigé par l'expert était communiqué aux propriétaires. Il s'est également demandé si les rapports établis pour des collectivités territoriales devaient être transmis aux préfets avant la fin de l'année 2005.

M. Daniel Ferrand a confirmé que le rapport était communiqué aux propriétaires mais que, dans le cas des collectivités territoriales, sa transmission aux préfets n'était pas prévue par le code de la santé publique.

Mme Janine Rozier s'est interrogée sur la dangerosité des toitures en amiante-ciment pour les bâtiments d'habitation construits depuis une vingtaine d'années.

M. Daniel Ferrand a indiqué que le retrait obligatoire de l'amiante était limité aux matériaux dangereux présentant un état de dégradation avéré. Il a expliqué que le danger d'exposition était très faible pour les toitures en amiante-ciment, même en cas de nettoyage.

Mme Florence Molin a ajouté que, seule, une action mécanique forte serait susceptible de libérer les fibres des plaques d'amiante-ciment.

M. Gérard Dériot, rapporteur, s'est interrogé sur les conditions de certification des entreprises spécialisées. Il a demandé aux intervenants s'ils considéraient, au regard de leur expérience, que la sécurité, tant celle des ouvriers que celle de l'environnement, était assurée sur les chantiers de désamiantage. Enfin, il s'est enquis des relations entre les entreprises, comme la SOCOTEC, et l'inspection du travail et la médecine du travail.

M. Daniel Ferrand a estimé que les entreprises qui procédaient au retrait d'amiante avec maîtrise d'ouvrage contrôlaient le risque, en raison de la présence de nombreux intervenants bien formés et des dispositifs de sécurité. Il a rappelé que le nombre des chantiers de désamiantage douteux avait fortement diminué et que des entreprises s'étaient vu retirer leur certification. Il a expliqué que le principal risque apparaissait face à des matériaux dont la consistance est difficilement appréciée, ou lors de manipulations d'amiante-ciment qui ont pour résultat de libérer des fibres. Il a précisé qu'il avait aujourd'hui beaucoup moins de contacts avec l'inspection du travail en raison du moindre investissement de son entreprise dans les opérations de désamiantage. Il a toutefois indiqué que l'inspection du travail intervenait au début des travaux, après l'établissement du rapport de repérage avant travaux.

M. Gérard Dériot, rapporteur, a voulu savoir si des précautions particulières étaient prises pour les salariés amenés à intervenir sur les fibres céramiques réfractaires, les effets sur la santé de ce produit de substitution demeurant à l'heure actuelle incertains. Il a également souhaité obtenir des précisions sur des chantiers de désamiantage, tels que ceux de Jussieu ou de la Tour Montparnasse.

M. Daniel Ferrand a indiqué que les protections des salariés étaient mises en place en cas de contact avec des matériaux friables et que, s'il n'y avait pas d'action abrasive sur les matériaux amiantés, un simple éloignement suffisait. Il a fait observer que les fibres céramiques réfractaires étaient utilisées dans l'industrie, et non dans les bâtiments courants où l'on avait utilisé des fibres de verre ou de roche, mais il a noté que les chantiers sur ces fibres étaient extrêmement rares. S'agissant de Jussieu, il a considéré que le problème posé par un tel chantier résultait principalement de la présence simultanée des occupants et des ouvriers et qu'il convenait donc de prévoir des protections adaptées. Enfin, il a rappelé que l'amiante dans la Tour Montparnasse ne concernait que quelques étages techniques.

Audition de M. Jean-Marie Schléret, président de l'Observatoire national de la sécurité des établissements scolaires et d'enseignement supérieur

La mission a ensuite procédé à l'audition de M. Jean-Marie Schléret, président de l'Observatoire national de la sécurité des établissements scolaires et d'enseignement supérieur.

M. Jean-Marie Schléret a tout d'abord indiqué que l'Observatoire qu'il préside, créé il y a une dizaine d'années, avait pour mission de veiller à l'application des règlements relatifs à la sécurité des bâtiments, des équipements et des pratiques en milieu scolaire, ainsi qu'à la prévention des accidents et au renforcement de la sécurité face aux risques majeurs.

Il a rappelé que la question de la contamination par l'amiante était une préoccupation ancienne de l'éducation nationale, différentes affaires, notamment celle du lycée de Gérardmer ou du site universitaire de Jussieu, ayant attiré l'attention des pouvoirs publics sur ce problème dès les années 1980. Un grand nombre de bâtiments à structure métallique contient de l'amiante, qui était apprécié pour ses propriétés de protection contre les incendies.

En 1995, l'Observatoire a publié un document traitant du sujet de l'amiante dans les établissements scolaires. La réglementation a été renforcée en février 1996 à la suite, notamment, de la publication d'un décret créant une obligation de diagnostiquer la présence d'amiante dans les immeubles bâtis. Elle est devenue plus stricte encore au fil des modifications intervenues en 1997, 2001 et 2002, qui ont imposé, par exemple, une obligation de repérage de la présence de l'amiante dans les faux-plafonds.

Trois études ont été réalisées pour évaluer la présence d'amiante dans les établissements scolaires et universitaires : la première, en 1996, concernait les établissements du second degré ; la deuxième, l'année suivante, les écoles primaires ; la troisième enfin, en 1998, s'intéressait aux établissements d'enseignement supérieur.

Il est apparu que 5,3 % des collèges et 13,2 % des lycées contenaient des surfaces amiantées. Concernant le primaire, les données obtenues doivent être maniées avec précaution, dans la mesure où, seul, un petit nombre d'écoles a répondu, à l'époque, aux demandes de renseignements qui leur avaient été adressées. Il ressortissait de cette étude que 2 % seulement des écoles présentaient des surfaces amiantées. Pour les universités qui disposaient, à la date de réalisation de l'enquête, de locaux d'une superficie de 13 millions de mètres carrés, on a recensé 126.000 m2 de locaux floqués et 47.900 m2 de locaux calorifugés, en excluant toutefois de ce décompte les sites universitaires de Jussieu, dont la quasi-totalité des 200.000 m2 de locaux sont amiantés, et de Censier.

M. Jean-Marie Schléret a déploré que l'Etat ait conservé fort peu d'archives relatives aux bâtiments scolaires et universitaires qu'ils possèdent, ou dont il avait la charge avant la décentralisation, et fait observer que cela ne facilitait pas, aujourd'hui, la recherche de la présence d'amiante. Il a noté que les régions, en charge des lycées, avaient généralement procédé à des travaux importants pour éliminer totalement l'amiante, plutôt que d'opter pour des solutions provisoires. Il a souhaité que les enquêtes, aujourd'hui un peu anciennes, relatives à la présence d'amiante soient actualisées et indiqué que le ministère conduisait une réflexion en ce sens.

Puis il a évoqué les données publiées par l'Observatoire dans son dernier rapport d'activité, relatives, d'une part au diagnostic de la présence d'amiante, d'autre part, à la réalisation du dossier technique amiante. Sur le premier point, 86 % des établissements du secondaire ont procédé à un diagnostic amiante, dont 82 % des collèges, 93,6 % des lycées d'enseignement général et 88 % des lycées d'enseignement professionnel. La réglementation impose par ailleurs aux établissements de catégories 1 à 4, c'est-à-dire ceux qui accueillent plus de deux cents élèves, de se doter d'un dossier technique amiante avant le 31 décembre 2003, les établissements de catégorie 5 disposant d'un délai plus long, qui arrive à échéance le 31 décembre 2005. Actuellement, 44 % des établissements du secondaire disposent de ce dossier technique, dont 40 % des collèges et 50,8 % des lycées. La réalisation du dossier technique est une obligation qui incombe aux propriétaires des établissements.

M. Gérard Dériot, rapporteur, s'est interrogé sur les raisons du retard et de la dérive des coûts du chantier de Jussieu. Il a également demandé si l'Observatoire disposait de données sur le nombre de victimes de l'amiante parmi les élèves ou le personnel de l'éducation nationale.

M. Jean-Marie Schléret a souligné que le chantier de Jussieu était d'une ampleur considérable et qu'il ne pouvait guère être comparé qu'au chantier du Berlaymont à Bruxelles, qui a cependant fait l'objet d'un désamiantage plus rapide. L'Observatoire a fait le point en 1999 et en 2002 sur la situation du site universitaire de Jussieu et constaté que les commissions de sécurité qui suivaient le chantier étaient très sensibles au risque incendie, particulièrement important dans cet ensemble de bâtiments à structure métallique. La situation de l'université de Jussieu a joué un rôle décisif dans la prise de conscience par l'opinion publique du problème posé par l'amiante.

Il a ajouté que l'Observatoire, qui n'a qu'une mission de contrôle de l'application de la réglementation, ne disposait pas de données chiffrées sur le nombre des victimes de l'amiante.

M. Gérard Dériot, rapporteur, a souhaité obtenir des précisions sur le degré d'exposition des élèves aux substances cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques.

M. Jean-Marie Schléret a invité les membres de la mission à consulter le dernier rapport d'activité publié par l'Observatoire, qui consacre un chapitre à cette question. Il a indiqué avoir alerté le ministre et les recteurs sur le problème posé par l'utilisation en classe de certains produits chimiques, dont la manipulation n'est pas prévue dans les programmes scolaires. Il a invité l'ensemble des acteurs à davantage de vigilance dans ce domaine.

Mme Catherine Procaccia s'est inquiétée de la capacité des plus petites communes à faire face à leurs obligations en matière de repérage et de retrait de l'amiante dans les écoles primaires dont elles ont la charge. Elle a demandé des précisions sur les activités de l'Observatoire et sur la manière dont il élabore ses statistiques.

M. Jean-Marie Schléret a exposé de manière plus détaillée les activités de l'Observatoire. Outre le contrôle du respect des règles de sécurité, l'Observatoire étudie avec attention le phénomène des accidents en milieu scolaire ; on en dénombre environ 58.000 par an, dont 2 % seulement nécessitent une hospitalisation. Il s'intéresse également à la conduite à tenir en cas de réalisation d'un risque majeur, tel qu'une tempête ou un grave accident industriel. L'Observatoire attire l'attention des pouvoirs publics sur les problèmes de sécurité qu'il identifie : il a, par exemple, en 1996, soulevé le problème de la non-conformité d'une partie du parc des machines-outils des lycées professionnels aux nouvelles règles européennes. L'Observatoire dispose, pour réaliser ses travaux, de la base de données ESOPE (Enquête sécurité de l'observatoire pour les établissements).

Abordant ensuite la question des écoles primaires, il a noté que la présence d'amiante y était moins fréquente que dans les collèges, mais que certaines de ces écoles, de construction relativement récente, pouvaient avoir été amiantées, parfois dans un but d'isolation phonique. Les communes subissent, quelle que soit leur taille, une forte pression des parents d'élèves pour une élimination rapide de l'amiante, lorsque sa présence est suspectée. Les communes qui disposent de moyens techniques insuffisants peuvent se tourner vers les services de l'Etat (direction départementale de l'équipement, direction départementale des affaires sanitaires et sociales) ou des caisses régionales d'assurance maladie (CRAM).

M. Roland Muzeau a demandé si les données à la disposition de l'Observatoire lui permettaient d'élaborer de véritables « tableaux de bord » par académie sur les questions de sécurité.

M. Jean-Marie Schléret a indiqué que la base de données ESOPE, même si elle n'avait pas vocation à être utilisée comme un instrument de gestion, était suffisamment précise pour permettre de fournir, à la demande des rectorats ou des collectivités territoriales, des données par académie ou par département. Elle ne concerne cependant, actuellement, que les établissements du second degré et va être prochainement étendue aux établissements du secteur privé sous contrat.

M. Jean-Pierre Godefroy a demandé si l'Observatoire avait constaté des différences, en matière d'exposition aux risques, entre les lycées d'enseignement général et les lycées professionnels.

M. Jean-Marie Schléret a répondu que les élèves des lycées professionnels étaient davantage exposés aux risques en raison de la nature des enseignements qui y sont dispensés. Les élèves formés aux métiers de l'automobile ont pu, par exemple, être exposés à l'amiante présent dans les garnitures de freins ou d'embrayages. Mais le manque d'archives en ce domaine rend difficile une évaluation précise de ces phénomènes.

Audition de M. Jean-Luc Pasquier, directeur délégué aux enseignements de radioprotection à l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)

La mission a enfin entendu M. Jean-Luc Pasquier, directeur délégué aux enseignements de radioprotection à l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).

M. Jean-Luc Pasquier a rappelé qu'il était entré en 1977 au ministère du travail, après une formation de physicien, en tant qu'ingénieur-conseil, et qu'il avait été affecté à la délégation à la sécurité du travail, créée après la loi du 6 décembre 1976 relative au développement de la prévention des accidents du travail. Il a ajouté qu'à la suite de la réorganisation de la direction des relations du travail (DRT) en 1982, il avait dirigé le bureau chargé de la réglementation de l'hygiène en milieu de travail, compétent notamment pour l'ensemble des risques physiques et chimiques suscités par le bruit, les rayonnements ionisants ou les travaux sous pression élevée. Il a indiqué qu'en 1994, il avait été nommé directeur scientifique de l'Office de protection des rayonnements ionisants (OPRI), ce dernier ayant été rattaché en 2002 à l'établissement public devenu l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Il a précisé que le premier dossier qui lui avait été confié consistait à mettre en place les mesures prévues par le décret de 1977, notamment pour appréhender le taux de fibres dans l'air. Il a souligné le caractère douloureux du dossier de l'amiante, y compris d'un point de vue personnel et en termes de responsabilité morale, estimant que le choix d'une carrière professionnelle au ministère du travail ne relève pas du hasard. Il a ajouté qu'à ses interrogations face à l'ampleur des conséquences sanitaires de l'amiante, s'ajoutaient des considérations personnelles, l'un de ses plus proches collaborateurs de l'époque, à la DRT, étant lui-même décédé d'un mésothéliome du fait de son exposition à l'amiante au début de sa carrière.

M. Gérard Dériot, rapporteur, rappelant que l'intervenant avait siégé au comité permanent amiante (CPA), de 1983 à 1994, où il représentait la DRT, a voulu savoir s'il était le premier fonctionnaire de cette direction à siéger au CPA, si des instructions lui avaient été données, et quelles avaient été les raisons de la participation de la DRT à ce comité. Il lui a également demandé s'il était informé à l'époque des conséquences de l'amiante sur la santé.

M. Jean-Luc Pasquier a précisé que le CPA n'avait jamais bénéficié, dans l'esprit du ministère du travail, d'un quelconque mandat. Il a rappelé qu'en 1982, lors de la création du CPA, il ne paraissait pas anormal de participer aux travaux d'un organisme informel où siégeaient également des organisations syndicales, des scientifiques et d'autres administrations. Il a insisté sur le fait que l'objectif initial du CPA était de rédiger et de diffuser auprès des entreprises des notices sur les dangers de l'amiante et les moyens de s'en prémunir. Il a affirmé que la politique du ministère du travail en matière d'amiante n'avait jamais été définie au sein du CPA, comme certains voudraient le faire croire aujourd'hui. Il a d'ailleurs noté qu'aucun membre du CPA n'avait été invité ès qualités à une quelconque réunion du ministère du travail. Enfin, il a indiqué que les travaux de la DRT sur l'amiante avaient été relayés par le biais du Conseil supérieur de prévention des risques professionnels.

Il a précisé qu'il avait eu connaissance des dangers de l'amiante sur la santé, et a rappelé qu'il avait rédigé, dès 1981, un article dans la revue « Echange-Travail » sur les risques liés à l'amiante, en particulier l'asbestose et le mésothéliome. Dans ce même article, il dressait le bilan de la campagne des mesures diligentées par la DRT, en lien avec l'inspection du travail, en matière de prévention. Il a ajouté que la DRT, dès 1983, avait demandé à l'inspection du travail de renouveler sa campagne de contrôles, notamment dans les entreprises de maintenance.

M. Gérard Dériot, rapporteur, a demandé des précisions sur la nature des discussions qui se déroulaient au sein du CPA. Il s'est enquis des sujets qui y étaient abordés et a voulu savoir, en particulier, si les membres du CPA évoquaient les moyens de protection des salariés confrontés à l'amiante et les méthodes de prévention. Il s'est également interrogé sur les débats qui pouvaient s'y dérouler sur les résultats des études épidémiologiques effectuées sur la santé des personnes exposées à cette fibre, d'autant plus que plusieurs médecins siégeaient au CPA.

M. Jean-Luc Pasquier a indiqué que le CPA n'évoquait pas les études épidémiologiques et que les représentants du ministère du travail ne s'étaient jamais prononcés sur ce sujet au sein du comité, préférant réserver leurs interventions au Conseil supérieur de prévention des risques professionnels. Il a insisté sur le fait que personne n'imaginait à l'époque l'ampleur du drame sanitaire qui allait se produire. Il a rappelé qu'il n'existait alors pas d'organisme de veille, tel que l'Institut de veille sanitaire (InVS), et qu'on faisait appel aux experts qui se présentaient. Il a ainsi précisé qu'il n'avait jamais personnellement été alerté par les experts jusqu'à la fin des années 1980 ou au début des années 1990, à l'exception des professeurs Bignon et Brochard qui étaient les seuls à s'intéresser à l'amiante à l'époque. Il a ensuite cité plusieurs documents de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) de 1987 présentant les actes d'un colloque tenu deux ans plus tôt, auquel avaient participé les principaux experts qui s'expriment aujourd'hui sur l'amiante et qui portait également sur d'autres produits cancérogènes professionnels. Il a également cité un numéro de la revue d'épidémiologie du ministère de la santé publique de 1984, dans lequel deux chercheurs de l'INSERM présentaient les résultats de leurs travaux sur les effets sanitaires de l'amiante.

M. Gérard Dériot, rapporteur, rappelant que le CPA défendait « l'usage contrôlé de l'amiante », a souhaité connaître la position de la DRT sur ce point à l'époque. Il a demandé à M. Jean-Luc Pasquier s'il était intervenu au cours des réunions pour attirer l'attention du comité sur les dangers potentiels de l'amiante.

M. Jean-Luc Pasquier a expliqué que « l'usage contrôlé » constituait la norme de droit commun appliqué à la plupart des produits cancérogènes professionnels : leur caractère cancérogène est connu, mais on estime qu'ils sont sans danger s'ils sont utilisés avec des précautions particulières. Il a estimé que cette position, s'agissant de l'amiante, avait trois fondements :

- il est préférable d'utiliser un produit dans des conditions très restrictives que de l'interdire et de le remplacer par un autre produit dont on ne pourrait connaître les conséquences sanitaires qu'après un très long délai ;

- une interdiction pure et simple est souvent de nature à démobiliser les services de contrôle et se révèle donc parfois plus néfaste qu'un usage contrôlé. L'interdiction de l'amiante aurait en outre nécessité un désamiantage complet de l'ensemble des structures contenant cette fibre, ce qui, à l'époque, était irréaliste ;

- l'amiante présentait d'incontestables qualités techniques et chimiques et était un matériau peu coûteux.

M. Gérard Dériot, rapporteur, a rappelé que l'une des collègues de M. Jean-Luc Pasquier à la DRT avait quitté le ministère du travail en 1987 pour exercer les fonctions de médecin-conseil dans un grand groupe du secteur de l'amiante, avant d'y revenir en 1991. Il a demandé des précisions sur les responsabilités successives de cette personne à la DRT. Il a également voulu savoir s'ils évoquaient ensemble les risques professionnels de l'amiante et les travaux du CPA.

M. Jean-Luc Pasquier a indiqué que le Dr Marianne Saux, dès son entrée au ministère, avait été affectée au bureau qu'il dirigeait. Après son retour dans l'administration, en 1991, elle avait été nommée chef du bureau de la médecine du travail puis de l'inspection médicale du travail. Il a précisé qu'ils évoquaient naturellement ensemble tous les dossiers relevant de la compétence du bureau, et pas seulement de l'amiante. A cet égard, il a tenu à rappeler qu'entre 1978 et 1994, alors que plusieurs ministres du travail, directeurs et sous-directeurs s'étaient succédé, le bureau qu'il dirigeait avait élaboré trois projets de loi ainsi que de très nombreux textes réglementaires, soit 22 décrets en Conseil d'Etat, portant notamment sur des produits cancérogènes ou sur les rayonnement ionisants, 44 arrêtés et 19 circulaires. Il a également fait observer que 13 décrets créant 31 nouveaux tableaux de maladies professionnelles, et modifiant la plupart des tableaux existant depuis 1918, avaient été rédigés par son bureau au cours de cette période, soit plus qu'entre 1918 et 1980. Il a dès lors considéré que, dans ce contexte, le CPA et ses travaux ne représentaient, pour le ministère du travail, qu'un « épiphénomène ».

Il a noté qu'à l'époque, les mésothéliomes ne constituaient qu'un faible pourcentage des maladies professionnelles et que ces pathologies étaient très peu nombreuses, les délais de latence de cette maladie pouvant atteindre plusieurs décennies, voire cinquante ans. Il a rappelé que, dans les années 1950, les travailleurs de l'amiante pouvaient être exposés à des valeurs de fibres dans l'air très supérieures au taux actuel de 2 fibres par cm3.

M. Gérard Dériot, rapporteur, a relevé que Mme Martine Aubry avait été directrice des relations du travail, d'avril 1984 à septembre 1987, à un moment où M. Jean-Luc Pasquier était lui-même en poste. Il a voulu savoir si ce dernier se rendait aux réunions du CPA avec des instructions précises de sa hiérarchie et comment il lui rendait compte des discussions qui s'y déroulaient. Il s'est également interrogé sur les doutes qu'elle aurait exprimés sur le bien-fondé de l'existence du CPA ou de la participation de sa direction à ce comité.

M. Jean-Luc Pasquier a affirmé que ni Mme Martine Aubry, ni aucun de ses successeurs ne lui avaient jamais donné d'instructions restrictives dans la préparation de mesures de prévention au travail, l'ensemble des directeurs qu'il a connus incitant, au contraire, leurs collaborateurs à faire preuve d'imagination. Il a précisé que les aspects économiques n'avaient jamais été déterminants dans les mesures de prévention qui avaient été mises en oeuvre, même si cela ne signifie pas qu'ils étaient ignorés. Il a indiqué qu'il se demandait même si Mme Martine Aubry avait connaissance de la participation de ses collaborateurs au CPA, qui n'était qu'un groupe de travail parmi d'autres, et non un enjeu.

Il a fait observer que, dès le début des années 1980, Mme Martine Aubry avait donné pour instruction de s'intéresser de très près aux produits cancérogènes professionnels. Il a ainsi noté qu'un groupe permanent avait été constitué sur ce sujet au sein du Conseil supérieur de prévention des risques professionnels et qu'une circulaire du 14 mai 1985, publiée au Journal Officiel, insistait auprès de l'inspection du travail sur le caractère prioritaire, pour le ministère, de la prévention des cancers professionnels. Il a ajouté que cette circulaire indiquait que le respect des valeurs-limites d'exposition ne constituait pas la panacée et qu'il convenait de réduire au maximum le niveau d'exposition. Ce texte définissait également plusieurs produits cancérogènes professionnels, dont l'amiante, et a inspiré les travaux de la Commission européenne pour sa politique de prévention des cancers professionnels, qui s'est traduite par une directive de 1991, transposée dans le code du travail en 1992.

M. Gérard Dériot, rapporteur, s'est enquis de l'appréciation que portait M. Jean-Luc Pasquier sur le rôle et les responsabilités du CPA, où il a siégé une douzaine d'années, et a voulu savoir si, selon lui, le CPA pouvait être qualifié de lobby.

M. Jean-Luc Pasquier a expliqué que, si le CPA était bel et bien un lobby, celui-ci n'était pas le seul et que le lobbying faisait partie des « règles du jeu ». A ce titre, il a indiqué que les lobbies s'exprimaient dans de nombreuses instances officielles, y compris au sein du Conseil supérieur de prévention des risques professionnels.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président, s'est demandé pour quelles raisons, dans ces conditions, il n'existait pas d'autre comité permanent pour les autres produits cancérogènes professionnels. Il a également fait observer que le CPA avait été constitué à l'initiative d'un lobbyiste professionnel et que les conditions de sa création auraient donc pu conduire à s'interroger sur les finalités d'un tel comité. Il a fait état de l'opinion des associations de victimes de l'amiante entendues par la mission et pour lesquelles les entreprises auraient eu pour principale préoccupation de retarder l'interdiction de ce matériau.

M. Jean-Luc Pasquier a indiqué qu'il savait que le CPA était financé par les industriels de l'amiante, mais qu'il s'intéressait avant tout au « produit final », c'est-à-dire aux documents de prévention rédigés ou diffusés par le CPA. Il a précisé que ce dernier préconisait également une réduction des valeurs-limites d'exposition. Il a exprimé ses doutes quant à l'impact des travaux du CPA sur l'évolution de la réglementation en matière de prévention des risques professionnels. Il a ainsi rappelé que la transposition de la directive européenne de 1983 n'avait posé aucun problème, comme l'atteste une note qu'il avait adressée au secrétariat général du comité interministériel pour les questions de coopération économique européenne (SGCI). Il a précisé que le délai d'entrée en vigueur de cette directive avait été fixé à trois ans par la Commission européenne et le Conseil et que la France avait transposé ce texte avec seulement trois mois de retard, en raison notamment de la nécessaire consultation du groupe interministériel des produits chimiques, ainsi que du Conseil d'Etat. Il a fait observer que, seuls, l'Espagne et le Portugal avaient transposé cette directive dans les délais, rappelant par ailleurs que la directive de 1991 avait été transposée en France six mois avant sa date d'entrée en vigueur.

Concernant les mesures de prévention, il a rappelé que le flocage avait été interdit dans les bâtiment d'habitation dès 1977, soit avant l'Allemagne, et que la diminution constatée de l'utilisation de l'amiante amorcée à partir du milieu des années 1970 résultait principalement du décret de 1977. Enfin, il a rappelé que, dès qu'il avait été en possession d'éléments nouveaux indiscutables, notamment des travaux du Britannique Julian Peto, il avait sollicité, en 1994, son directeur pour réunir en urgence l'ensemble des experts au ministère du travail. A l'issue de cette réunion, les experts ont recommandé de réduire encore les valeurs-limites d'exposition, sans aller jusqu'à l'interdiction de l'amiante.