Mission commune d'information sur le bilan et les conséquences de la contamination par l'amiante



Mercredi 1er juin 2005.

- Présidence de M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président -

Audition des représentants des organisations patronales

La mission a d'abord procédé à l'audition des représentants des organisations patronales sous la forme d'une table ronde.

M. Dominique de Calan, président du groupe de travail amiante du mouvement des entreprises de France (MEDEF) et délégué général adjoint de l'Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM), a indiqué avoir été chargé par les trois organisations professionnelles représentées d'exposer à la mission les trois points d'une déclaration commune.

S'agissant de la réparation des victimes, il a estimé qu'elle devrait être plus juste, plus rapide et mieux ciblée : les organisations patronales jugent ainsi inadapté le périmètre d'indemnisation, et en particulier celui de l'allocation de cessation d'activité, parce que manifestement trop large et souhaitent un resserrement des critères d'attribution en faveur des personnes réellement atteintes de pathologies consécutives à l'inhalation des fibres d'amiante.

En second lieu, la responsabilité des employeurs, tant publics que privés, ne saurait être exclusive et il a rappelé qu'il ne fallait pas occulter le fait que l'amiante avait aussi servi à sauver des vies.

Enfin, il a estimé nécessaire de clarifier et simplifier les mécanismes de réparation, dont l'enchevêtrement actuel est préjudiciable aux victimes.

M. Daniel Boguet, membre de l'Union professionnelle artisanale, a rappelé que les entreprises artisanales avaient toujours utilisé l'amiante en toute bonne foi, encouragées en cela par l'idée qu'on avait à faire à un « matériau miracle » qui avait la faveur des responsables locaux et des consommateurs.

Le Dr Pierre Thillaud, représentant de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) au Conseil supérieur de la prévention des risques professionnels, a rapporté deux anecdotes, selon lui significatives : se fondant sur son expérience d'élu local, il a évoqué le cas d'une commission de sécurité qui avait émis un avis négatif dans les années 80 parce que la quantité d'amiante utilisée pour floquer un bâtiment était jugée insuffisante. Il a également relaté le cas d'un employeur désireux d'assurer ses locaux en 1987 et dont la compagnie d'assurance avait conditionné la passation du contrat au flocage de ceux-ci.

Estimant ainsi que les responsabilités étaient partagées, il s'est étonné que le Fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (FCAATA), financé par les employeurs, prenne aujourd'hui en charge l'indemnisation des personnes susceptibles d'avoir été exposées à l'amiante depuis 1948.

Il a considéré que les entreprises n'avaient pas à être stigmatisées, compte tenu de l'attitude passée des pouvoirs publics, et a fait observer qu'une mission d'information parlementaire n'était pas une commission d'enquête.

M. Gérard Dériot, rapporteur, a rappelé que ces deux structures ne disposaient pas des mêmes prérogatives. Convenant d'une responsabilité partagée dans le dossier de l'amiante, il a indiqué que la mission s'était donné pour objectif non seulement d'améliorer l'indemnisation des victimes, mais aussi de tirer les leçons de la crise, afin qu'un tel drame ne puisse pas se reproduire.

M. Roland Muzeau s'est étonné de la tonalité de l'intervention du représentant de la CGPME et s'est interrogé sur l'interprétation qui pouvait être faite de ses propos, estimant que le souci d'objectivité était le même, qu'il s'agisse d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information.

Il a précisé qu'en entendant les organisations patronales, les membres de la mission cherchaient notamment à savoir quel avait été leur rôle au sein du Comité permanent amiante, comment elles avaient réagi aux études scientifiques disponibles, estimant que l'attitude consistant à renvoyer les seuls pouvoirs publics face à leur responsabilité n'était pas fondée.

M. Dominique de Calan a fait observer que les représentants des entreprises n'avaient peut-être pas la même maîtrise de leurs propos que les parlementaires, et qu'en tout état de cause, ils ne cherchaient à accuser personne et qu'ils partageaient le souci de faire avancer le débat.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président, a également rappelé que le devoir d'objectivité était le même, que l'on se trouve dans le cadre d'une mission d'information ou d'une commission d'enquête.

Tout en insistant sur la nécessité de comprendre le fonctionnement d'un système qui a sous-estimé pendant une trentaine d'années le risque de l'amiante, il a indiqué qu'il n'était pas dans l'intention de la mission de minimiser la responsabilité des pouvoirs publics, mais que chacun devait en reconnaître sa part.

Répondant à la question de la responsabilité de la médecine du travail, M. Daniel Boguet a reconnu que, comme d'autres acteurs sociaux intervenant en matière de santé au travail, les médecins du travail avaient un rôle essentiel à jouer dans l'évaluation des risques professionnels auxquels sont exposés les salariés. Pour autant, il a estimé que leur responsabilité s'arrêtait au stade des connaissances scientifiques disponibles et diffusées.

Au nom de son organisation, il a estimé qu'il était temps de mettre un terme à la « chasse au coupable », rappelant que les salariés de l'artisanat, comme certains travailleurs indépendants, avaient été exposés au risque amiante sans véritablement en mesurer les risques, compte tenu notamment du temps de latence entre l'exposition au risque et l'apparition de la maladie.

Il a néanmoins souligné que les artisans, soumis aux mêmes obligations de sécurité à l'égard de leurs salariés, ne disposaient cependant pas des mêmes moyens que ceux des grandes entreprises. A cet égard, il a estimé indispensable que l'artisanat puisse s'appuyer sur les examens réalisés par le médecin du travail qui a la charge d'apprécier l'aptitude au travail de chaque salarié.

Il a ainsi souhaité que le législateur apporte des aménagements à l'organisation des services de la médecine du travail en tenant compte des besoins de toutes les entreprises, surtout lorsqu'elles ne disposent que de moyens limités pour procéder à une évaluation des risques.

Se félicitant que la réforme de la médecine du travail, qui a été engagée en 2004, permette d'aller en ce sens, il a néanmoins émis des réserves sur certaines dispositions susceptibles de mettre en péril la survie des services propres à l'artisanat et a souhaité que celles-ci soient revues et adaptées.

Rappelant que l'UPA n'avait jamais siégé au sein du Comité permanent amiante, il a estimé que la responsabilité susceptible d'être retenue contre les artisans -notamment dans le cadre de procédures pour faute inexcusable- était complètement inadaptée, compte tenu des informations dont ils pouvaient disposer.

Plaidant pour un système mutualisé de prévention et de réparation des risques professionnels, il a regretté que l'évolution jurisprudentielle de la définition de la « faute inexcusable » ait complètement vidé cette notion de son sens et a invité le législateur à redéfinir cette notion, aujourd'hui strictement jurisprudentielle, dans un sens plus pragmatique.

Evoquant les conséquences de la loi dite Fauchon, il a estimé que ce texte n'avait pas supprimé la responsabilité pénale des chefs d'entreprise en matière de contamination par l'amiante, chaque cas devant faire l'objet d'un examen attentif par la juridiction pénale, qui doit apprécier, en application des nouvelles dispositions, si les faits reprochés entrent dans les limites fixées par la loi.

M. Bernard Caron, directeur de la protection sociale au MEDEF, a souligné les incertitudes persistantes, non sur le caractère cancérigène de l'amiante, mais sur l'ampleur des effets pathogènes induits.

Il a indiqué que la prise de conscience des employeurs avait été progressive, compte tenu de l'évolution des connaissances scientifiques, mais que, pendant longtemps, la priorité donnée à la protection contre l'incendie avait prévalu, au détriment de l'enjeu de santé publique.

S'agissant de la médecine du travail, il a estimé qu'elle avait agi en fonction de l'information dont elle disposait et rappelé, par exemple, que la lutte contre la tuberculose avait longtemps été prioritaire par rapport au danger des intoxications.

N'ayant jamais siégé personnellement au sein du CPA, il a néanmoins reconnu que celui-ci n'avait pas négligé les aspects économiques du dossier, estimant que le comité s'était collectivement trompé sur son évaluation des risques.

Il a considéré que le revirement de jurisprudence de la Cour de cassation, en 2002, posait un problème majeur aux employeurs.

Abordant le problème de la responsabilité des chefs d'entreprise, il a estimé qu'il relevait de la même problématique que celui de la tarification des accidents du travail, le débat entre mutualisation des risques et responsabilisation individuelle restant encore aujourd'hui ouvert.

Estimant qu'il s'agissait de trouver un équilibre entre juste réparation et viabilité économique des entreprises, il a rappelé qu'en vertu de la loi de 1898, toujours en vigueur, la responsabilité des employeurs était toujours susceptible d'être retenue pour des accidents survenant sur le lieu de travail.

Il a néanmoins déploré la diabolisation actuelle des entreprises concernant l'amiante, celles-ci n'ayant fait qu'assurer la sécurité de leurs salariés et répondre à la demande des consommateurs. Il a estimé que les chefs d'entreprise avaient toujours essayé de répondre au mieux à des contraintes contradictoires dans un contexte d'incertitudes scientifiques.

S'appuyant sur son expérience professionnelle, le Dr Pierre Thillaud a tenu à rappeler les conditions d'exercice des médecins du travail, qui sont déterminées par un cadre réglementaire et les moyens mis à leur disposition, estimant qu'en dépit de ses contraintes la médecine du travail avait rempli son rôle.

M. Dominique de Calan a indiqué que deux accords interprofessionnels proposaient de développer le caractère interdisciplinaire de la médecine du travail, pour associer, aux médecins, des scientifiques et des experts.

Rappelant que la production d'amiante augmentait aujourd'hui, notamment au Canada, au Brésil et en Chine, il a souligné que certains pays continuaient à utiliser en grande quantité des produits à base d'amiante.

Répondant à une intervention de Mme Sylvie Desmarescaux, il s'est interrogé sur l'intérêt de la recherche de coresponsabilités pour les victimes.

Soulignant l'importance exceptionnelle accordée à la question de l'amiante, notamment par rapportà d'autres produits toxiques, leDr Pierre Thillaud s'est demandé s'il ne fallait pas chercher à « normaliser » ce dossier, afin d'en améliorer la gestion et le système d'indemnisation.

S'agissant de la création du FIVA,M. Daniel Boguet a dénoncé l'inéquité du mode de financement de ce fonds et la sous-représentation patronale au sein de son conseil d'administration.

Il a rappelé que, depuis 2001, la branche accidents du travail - maladie professionnelle, qui connaît aujourd'hui des difficultés financières sérieuses, avait contribué à hauteur de 908 millions d'euros au financement du FIVA, contre une contribution globale de l'Etat de 78 millions d'euros, alors même que le budget 2005 du Fonds fait apparaître des réserves importantes (332 millions d'euros) et que celui-ci doit encore recevoir 200 millions d'euros de la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP).

Il a ajouté que, disposant de trois sièges seulement, les entreprises n'avaient aucune marge de manoeuvre dans les décisions du FIVA.

A propos des charges du Fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (FCAATA), il a indiqué qu'elles n'avaient cessé de croître depuis sa création, alourdissant sensiblement le montant de la dotation de la branche accidents du travail et maladies professionnelles, qui atteint aujourd'hui 750 millions d'euros, contre 450 millions d'euros en 2003.

Relevant plus d'un mécanisme de départ en retraite anticipée que d'un dispositif de prise en charge des victimes de risques professionnels, il a considéré qu'il était peu logique que le financement du Fonds continue à reposer principalement sur la branche accidents du travail et maladies professionnelles, dont il contribue à dégrader l'équilibre financier.

Notant qu'une contribution complémentaire spécifique, mise à la charge des entreprises ayant exposé leurs salariés à l'amiante, avait été introduite par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2005, il a appelé la représentation nationale à « ne pas désespérer » les créateurs d'emploi.

Il a considéré qu'il existait aujourd'hui une disproportion manifeste entre les efforts financiers consentis par les entreprises pour répondre aux conséquences de l'amiante et les efforts attendus en matière de prévention et d'adaptation des modalités d'indemnisation des victimes du travail. Il a estimé qu'il convenait que les victimes de l'amiante soient effectivement et correctement indemnisées, mais que cet effort ne pouvait être entrepris au détriment des autres victimes, voire de la prévention d'autres risques tout aussi néfastes pour la santé.

Il a indiqué que l'UPA portait un avis positif sur le plan gouvernemental « Santé au travail », dans la mesure où celui-ci semble tenir compte des contraintes et difficultés propres aux petites entreprises, notamment artisanales, en matière d'évaluation des risques par exemple. Il a cependant ajouté que ce plan suscitait quelques inquiétudes : le seuil unique de 450 entreprises par médecin du travail poserait un problème d'application lié à l'insuffisance avérée des effectifs de la médecine du travail ; en outre, la réflexion engagée sur la question de l'inaptitude devrait intégrer les difficultés des petites entreprises en termes de possibilité de reclassement.

M. Roland Muzeau, rappelant qu'un document établi par la société Arkema, remis à la mission au cours d'une précédente audition, pouvait être assimilé à un « manuel » sur la manière, pour les entreprises, de limiter la reconnaissance des maladies professionnelles, s'est interrogé sur l'existence d'une stratégie de la plupart des grands groupes pour sous-déclarer les maladies professionnelles et échapper ainsi à leurs responsabilités en matière de prévention.

Mme Houria Sandal, conseiller technique à l'UPA, a estimé qu'il n'était pas possible de généraliser la pratique éventuelle d'une sous-déclaration des maladies professionnelles à partir d'un cas particulier.

M. Dominique de Calan a rappelé que les représentants des employeurs avaient toujours condamné le non-respect de la loi. Il a précisé que les grands groupes disposaient de comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) qui avaient la possibilité de saisir de multiples instances afin de dénoncer de telles pratiques. Il a fait part de sa conviction selon laquelle le dialogue social au sein des entreprises permettait, plus que les textes réglementaires, d'améliorer la santé au travail. Il a indiqué que l'UIMM avait élaboré un système de qualification paritaire à la sécurité, mais que sa mise en oeuvre dépendait d'une autorisation administrative toujours en attente.

M. Bernard Caron a rappelé que l'employeur confronté à un accident du travail ne pouvait porter d'appréciation sur celui-ci et avait l'obligation de le déclarer, sauf à engager sa responsabilité.

Il a précisé que l'indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles reposait actuellement sur le principe de la mutualisation. Il a fait observer que le taux moyen de cotisation s'établissait à 2,1 % pour l'ensemble des entreprises, dont la moitié correspond au risque réel, et la seconde moitié à divers autres risques, dont la contribution au FIVA et au FCAATA, qui n'ont pas de lien direct avec la responsabilité de l'entreprise cotisante. Il a estimé qu'il convenait dès lors de distinguer la mutualisation et la responsabilisation. En ce qui concerne le FCAATA, il a indiqué que les entreprises privées, contrairement aux chantiers navals, s'étaient vu refuser la prise en compte, à l'occasion de l'établissement de la liste des entreprises éligibles au fonds, des seuls postes de travail exposés à l'amiante.

S'agissant de la réparation, il a fait part de l'hostilité des organisations représentatives des employeurs à une évolution vers une judiciarisation « à l'américaine ». Il a fait observer que les matériaux de substitution n'étaient pas nécessairement aussi efficaces ni moins nocifs que l'amiante, alors que les besoins en matière de protection au feu demeuraient importants. Enfin, il a noté que les employeurs étaient de plus en plus confrontés à des pathologies professionnelles, dont les effets apparaissent après un long délai de latence et dont les causes sont multiples, la volonté d'éradiquer totalement le risque ne devant pas aboutir à la disparition de l'emploi.

En réponse à une question de M. Roland Muzeau sur la réforme de la gouvernance de la branche AT-MP, décidée par la loi sur l'assurance maladie en 2004, M. Daniel Boguet a rappelé que l'UPA avait souhaité l'autonomie de cette branche, qui ne doit pas servir de variable d'ajustement pour combler le déficit de la branche maladie. Il a précisé que la convention d'objectifs et de gestion restait à signer.

M. Bernard Caron a ajouté que les négociations avec les organisations syndicales de salariés n'avaient pas encore été engagées, mais qu'elles le seraient très probablement à la rentrée, à l'issue de la réflexion en cours sur la tarification, l'indemnisation et la façon d'améliorer la politique de prévention.

Le Dr Pierre Thillaud a fait observer que la délégation patronale ne disposait que de trois voix sur vingt et une au conseil d'administration du FIVA et a regretté que les pouvoirs publics portent trop souvent plus d'attention aux interventions des associations de victimes qu'à celles des organisations syndicales, de salariés comme d'employeurs. Notant que la santé au travail et la prévention des risques professionnels allaient relever de la compétence de l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale (AFSSE), il s'est inquiété de la reproduction de cette répartition des voix au conseil d'administration de cette agence.

Mme Marie-Christine Blandin a rappelé que les associations de victimes présentes au conseil d'administration du FIVA expliquaient en partie l'insuffisance des actions subrogatoires du fonds par leur trop faible représentation. Elle a estimé que la note de la société Arkema constituait sans doute un cas particulier, mais qu'elle éclairait l'opinion sur l'existence de certaines pratiques. Elle s'est demandé si les entreprises qui avaient utilisé de l'amiante avaient mis en place un suivi pour les sous-traitants. Elle a estimé que la particularité de l'amiante résultait de sa traçabilité, des fibres étant retrouvées dans les poumons des personnes exposées. Enfin, elle s'est interrogée sur la nocivité éventuelle des produits de substitution.

Mme Houria Sandal a indiqué que l'engagement de recours subrogatoires par le FIVA ne relevait pas de la compétence du conseil d'administration, mais de celle des services du Fonds.

M. Dominique de Calan a noté qu'il réclamait en vain, depuis trois ans, la restriction des conditions d'éligibilité au FIVA afin de diminuer le nombre de recours.

Le Dr Pierre Thillaud a estimé que les abus éventuels d'indemnisation par le FCAATA étaient liés au caractère d'exception qui a été donné à l'amiante. Il a expliqué que la traçabilité des fibres d'amiante dans les poumons résultait de la conduite d'investigations médicales approfondies. Il a considéré que l'imprécision de la formulation de certaines maladies professionnelles pouvait conduire à des cas de reconnaissance abusive. Enfin, il a fait observer que certains abus provenaient aussi de l'absence de procédure contradictoire pour l'inscription des entreprises sur la liste du FCAATA.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président, s'est interrogé sur l'opportunité de banaliser les maladies professionnelles liées à l'amiante. Notant que le CPA avait sous-évalué les dangers de l'amiante, mais qu'il n'en avait pas négligé les aspects économiques, il s'est demandé si ce lobby n'avait pas contribué à maintenir l'utilisation de l'amiante, alors que sa nocivité était connue de longue date. Il a fait observer que les produits de substitution, dont certains sont d'ailleurs aussi dangereux que l'amiante, existaient depuis longtemps, mais qu'on avait essayé d'en limiter l'utilisation en France.

Le Dr François Pelé a insisté sur la complexité des questions ainsi soulevées, notant que les connaissances scientifiques sur l'amiante avaient évolué. Il a indiqué que l'amiante avait été banni aux Etats-Unis en 1973 et que la plupart des connaissances scientifiques sur cette fibre provenait de ce pays, qui continue néanmoins à en utiliser. Il a également fait état d'autres interrogations scientifiques : la validité de la distinction entre amiante blanc et amiante bleu, le lien entre le risque et la dose d'exposition ou encore les effets réels de ce matériau sur les cancers pulmonaires, rappelant que c'est seulement en 1977 que le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) avait classé l'amiante parmi les facteurs des cancers du poumon et de la plèvre.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président, a fait observer que le Professeur Brochard, par exemple, avait certes beaucoup publié sur les risques de l'amiante, mais qu'il avait aussi siégé au CPA pendant plusieurs années. Il s'est demandé si le risque lié à l'amiante n'avait pas été tout simplement accepté en connaissance de cause.

M. Dominique de Calan a estimé que l'application systématique du principe de précaution aboutirait à faire disparaître toute activité industrielle. Il a récusé la volonté prêtée aux représentants des employeurs de banaliser l'amiante. Il a considéré que le document de la société Arkema, qui ne fait qu'évoquer la coresponsabilité et la possible existence d'antécédents professionnels des salariés, posait la question de la reconnaissance de la responsabilité d'une entreprise pour ses salariés atteints d'une pathologie à laquelle elle est étrangère.

M. Roland Muzeau a estimé que la simple lecture de l'introduction de ce document permettait de comprendre qu'il constituait un « mode d'emploi » pour éviter la reconnaissance des maladies professionnelles.

M. Bernard Caron a fait observer que les représentants des employeurs étaient minoritaires au sein du CPA et que les lobbies défendant toutes sortes d'intérêts étaient extrêmement nombreux.

Le Dr François Pelé a noté que les entreprises étaient très sensibilisées à la question des produits de substitution. Il a indiqué que les fibres de verre, selon le CIRC, n'étaient probablement pas cancérogènes, alors que l'utilisation des fibres de roche nécessite la prudence et que les fibres céramiques réfractaires sont suspectes d'être cancérogènes, ce qui devrait dissuader les employeurs de les utiliser.

Mme Sylvie Desmarescaux a estimé que le doute devrait systématiquement conduire à ne pas utiliser ces produits.

Audition de Mme Marianne Levy-Rozenwald, présidente du conseil de surveillance du Fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (FCAATA)

La mission a ensuite procédé à l'audition de Mme Marianne Levy-Rozenwald, présidente du conseil de surveillance du Fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (FCAATA).

Mme Marianne Lévy-Rozenwald a tout d'abord rappelé que le FCAATA, qui ne dispose pas de la personnalité juridique, avait été créé pour regrouper les financements destinés à assurer le service de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA). Elle a précisé le rôle de son conseil de surveillance, qui n'est pas une instance décisionnelle, mais plutôt un organe de contrôle, chargé de veiller à la régularité des comptes et au bon fonctionnement du fonds.

Elle a ensuite souligné que les charges du fonds, en hausse d'environ 100 millions d'euros par an, avaient connu une forte progression depuis sa création. La montée en charge se poursuit aujourd'hui, du fait de l'élargissement progressif des critères d'attribution de l'ACAATA et de l'extension de la période d'exposition professionnelle prise en compte pour obtenir le bénéfice de l'allocation. Des bénéficiaires quittent le dispositif, pour cause de décès ou de départ en retraite, mais en nombre insuffisant pour inverser cette tendance.

Elle a enfin indiqué que le nombre de bénéficiaires de l'ACAATA s'élevait actuellement à 27.500 personnes et que son budget prévisionnel pour 2005 était de l'ordre de 700 millions d'euros.

M. Gérard Dériot, rapporteur, a demandé à Mme Marianne Lévy-Rozenwald si elle partageait les critiques émises par la Cour des comptes concernant l'excessive complexité de l'organisation administrative du FCAATA et si elle envisageait des possibilités de simplification. Il lui a également demandé si elle disposait d'informations sur l'évolution prévisible des dépenses du fonds, puis s'est interrogé sur le bien-fondé de la recommandation de la Cour des comptes consistant à resserrer les critères d'attribution de l'ACAATA, afin d'utiliser les sommes ainsi économisées pour mieux indemniser les bénéficiaires du FIVA. Enfin, il a noté que l'on reprochait parfois au FCAATA d'être détourné de son objet pour devenir un simple instrument d'accompagnement des restructurations et a souhaité savoir si son conseil de surveillance disposait d'informations sur ce point.

Mme Marianne Lévy-Rozenwald a admis que l'organisation du FCAATA, partagée entre la Caisse des dépôts et consignations et l'assurance maladie, était fort complexe. Les caisses régionales d'assurance maladie (CRAM) reçoivent et instruisent les demandes d'allocations, puis font une proposition à la victime, indiquant le montant de l'allocation qu'elle est susceptible de percevoir, afin que celle-ci puisse choisir, en toute connaissance de cause, de partir en préretraite ou de poursuivre son activité professionnelle. La Caisse des dépôts est chargée d'effectuer la synthèse des comptes, de percevoir les droits sur le tabac qui alimentent le FCAATA et de verser aux régimes de retraite complémentaire les cotisations dues par les bénéficiaires. Si la participation de la Caisse des dépôts avait pu être justifiée, initialement, par le souci de distinguer l'ACAATA des prestations de sécurité sociale, elle n'apparaît plus indispensable aujourd'hui et la gestion du fonds pourrait sans inconvénient être entièrement confiée à l'assurance maladie.

Mme Marianne Lévy-Rozenwald a ensuite indiqué ne pas disposer encore de prévisions de dépenses pour l'année 2006. Ces prévisions sont élaborées par la direction de la sécurité sociale et devraient être présentées au conseil de surveillance le 9 juin prochain. Les dépenses du fonds devraient encore augmenter, peut-être à un rythme un peu ralenti par rapport aux années antérieures.

Elle a reconnu que le FCAATA avait pu être utilisé comme un outil d'accompagnement des restructurations et regretté qu'il soit ainsi détourné de sa vocation première. Elle a déploré d'autres pratiques abusives, notamment celle consistant à augmenter fortement les salaires l'année précédant le départ en préretraite, afin que le salarié ait droit à une allocation plus élevée, celle-ci correspondant en effet à une fraction du salaire de référence. Elle a cependant précisé que ces éléments d'informations résultaient de témoignages portés à la connaissance du conseil de surveillance, et non de preuves matérielles tangibles.

Sur la question des critères d'attribution de l'ACAATA, elle a souligné qu'ils avaient progressivement été élargis, sous la pression des associations de victimes, des syndicats et des employeurs, de sorte qu'une partie des bénéficiaires ne développeront jamais de pathologie liée à l'amiante. Pour autant, il est vraisemblable que la plupart des personnes qui demandent l'allocation rencontrent de véritables problèmes de santé, puisque leur départ en préretraite s'accompagne toujours d'une perte de pouvoir d'achat, l'ACAATA ne représentant qu'entre 65 et 85 % du salaire de référence. Il est important, à cet égard, de maintenir un écart significatif entre le montant de l'ACAATA et le salaire de référence, afin d'éviter que tous les salariés aient un intérêt objectif à rentrer dans le dispositif.

Elle s'est enfin dit réservée sur la proposition de la Cour des comptes consistant à restreindre l'accès à l'ACAATA pour mieux indemniser les bénéficiaires du FIVA. Elle a estimé que le problème principal résidait aujourd'hui, non dans un trop large accès à l'ACAATA, mais dans la persistance d'un nombre important de recours contentieux, en dépit de la création du FIVA. Elle s'est prononcée en faveur de la centralisation du contentieux auprès d'une cour d'appel unique, afin d'aboutir à une harmonisation du barème d'indemnisation des victimes. Elle a ajouté qu'il lui paraissait très difficile, vu le caractère passionnel du dossier de l'amiante, de priver une partie des actuels bénéficiaires de l'ACAATA de leur allocation, ces personnes exposées à l'amiante étant toutes susceptibles de développer une pathologie. En outre, l'ACAATA présente l'avantage, à la différence du FIVA, de ne pas bouleverser l'organisation du système d'indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles. Il existe en effet un écart important entre le niveau d'indemnisation des victimes de l'amiante et celui des victimes d'autres maladies professionnelles.

M. Roland Muzeau a rappelé que Mme Marianne Lévy-Rozenwald avait présidé la commission chargée d'évaluer le montant de la contribution que doit verser l'assurance maladie à la branche accidents du travail et maladies professionnelles pour compenser les phénomènes de sous-reconnaissance et de sous-déclaration des maladies professionnelles. Il a souhaité obtenir des précisions sur ses modalités d'évaluation.

Mme Marianne Lévy-Rozenwald a répondu qu'il s'agissait là d'un exercice particulièrement délicat, dans la mesure où le niveau de la sous-déclaration et de la sous-reconnaissance est très mal connu. La sous-déclaration peut s'expliquer par le fait que le lien entre une pathologie et son origine professionnelle n'est pas toujours établi par la victime ou par son médecin traitant, mais aussi par la réticence de beaucoup de salariés à déclarer leur affection, de crainte de perdre leur emploi. La sous-reconnaissance résulte, quant à elle, du refus des CRAM de reconnaître le caractère professionnel de certaines maladies. Si certaines pathologies, le cancer notamment, font l'objet d'études rigoureuses qui permettent d'évaluer ces phénomènes avec une certaine précision, l'information est en revanche extrêmement lacunaire pour d'autres pathologies professionnelles très répandues, telles que les troubles musculo-squelettiques.

M. Roland Muzeau a souhaité avoir confirmation d'une estimation selon laquelle 5 à 10 % des cancers seraient d'origine professionnelle.

Mme Marianne Lévy-Rozenwald a indiqué ne pas disposer d'information sur ce point, mais a suggéré de se référer aux études très fiables conduites par l'Institut national de veille sanitaire (InVS) en matière épidémiologique.

La mission a enfin décidé de prolonger ses travaux pour procéder à une série d'auditions complémentaires et de publier son rapport au début de la prochaine session parlementaire.