Mission commune d'information sur le bilan et les conséquences de la contamination par l'amiante



Mercredi 22 juin 2005

- Présidence de M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président -

Audition de M. Claude Delpoux, directeur, et de Mme Valérie Dupuy, responsable de la coordination juridique, direction des assurances de biens et de responsabilités de la Fédération française des sociétés d'assurances (FFSA)

La mission a tout d'abord procédé à l'audition de M. Claude Delpoux, directeur, et de Mme Valérie Dupuy, responsable de la coordination juridique, direction des assurances de biens et de responsabilités de la Fédération française des sociétés d'assurances (FFSA).

M. Claude Delpoux a indiqué que l'amiante concernait l'assurance en responsabilité civile à deux titres :

- la responsabilité civile environnementale pour les dommages aux tiers causés par l'amiante ; dans ce domaine accidentel, les actions en responsabilité civile sont, à ce jour, limitées, alors que les dossiers liés aux accidents d'opérations de désamiantage sont susceptibles d'être plus nombreux ;

- la garantie de la faute inexcusable de l'employeur : il s'agit d'une dérogation à l'exclusion générale, dans les contrats d'assurance, des dommages causés aux préposés ; en principe, le contrat couvre les dommages aux tiers, mais le préposé n'est pas considéré comme un tiers, sauf si la faute inexcusable de l'employeur est retenue.

Il a précisé qu'il n'était pas possible, jusqu'en 1976, d'assurer la faute inexcusable de l'employeur, et que, jusqu'en 1987, seule, la faute inexcusable du substitué dans la direction, et non celle de l'employeur lui-même, était assurable.

Il a indiqué que la Fédération française des sociétés d'assurances (FFSA), faute de remontées statistiques, ne connaissait pas l'impact financier global des affaires liées à l'amiante. Il a néanmoins souligné l'augmentation du nombre de recours pour faute inexcusable depuis les décisions de la Cour de cassation du 28 février 2002.

M. Claude Delpoux a fait observer que, depuis le début des années 1990, la plupart des assureurs de risques d'entreprise excluent, dans les contrats, les risques liés à l'amiante, car il est impossible de prévoir leur coût. Il a également noté qu'après la jurisprudence de 1990 sur l'application de la garantie dans le temps, seul, le fait générateur commis pendant la durée de la garantie devait être pris en compte, ce qui a exposé les assureurs pour les risques dits longs, pour lesquels le dommage peut se manifester longtemps après la survenance du fait générateur, l'exposition à l'amiante en l'espèce.

Il a estimé que les décisions de la Cour de cassation du 28 février 2002 avaient totalement bouleversé la prise en compte par les assureurs de la faute inexcusable de l'employeur en cas de risques professionnels, qui, jusqu'alors, ne donnait lieu qu'à un faible contentieux. Il s'est d'ailleurs interrogé sur la possibilité de couvrir ce risque au titre de la responsabilité civile générale, précisant toutefois que les contrats d'assurance actuels limitaient les engagements pour des sinistres de même nature et prévoyaient des plafonds de garantie.

M. Claude Delpoux a indiqué qu'en cas de litiges concernant l'amiante, la situation était différente selon le contenu des contrats d'assurance, dont certains peuvent comporter une exclusion du fait des règles relatives à la garantie dans le temps et a souligné la disproportion entre les dossiers soumis au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA) ou qui font l'objet d'un recours devant les juridictions de sécurité sociale, et ceux relevant de l'assurance.

Il a rappelé que les modalités d'indemnisation des victimes par le FIVA découlaient du principe de la réparation intégrale selon les règles de droit commun, alors que la réparation des accidents du travail est en principe forfaitaire. Cependant, lorsque la faute inexcusable est retenue, l'indemnisation est majorée et les préjudices extra-patrimoniaux sont également indemnisés ; il en résulte que l'indemnisation majorée au titre de la faute inexcusable se rapproche aujourd'hui du droit commun. Il a relevé l'existence de disparités quant au régime et quant au montant retenu pour l'indemnisation du préjudice, réalisée de façon forfaitaire ou selon le droit commun, ce qui nuit à la cohérence de l'indemnisation. Il a jugé qu'il convenait de rechercher davantage d'équité au niveau de la réparation du préjudice.

Mme Valérie Dupuy a indiqué que la qualification des pathologies liées à l'amiante n'était pas toujours réalisée dans des conditions satisfaisantes par les tribunaux qui, parfois, n'ordonnent même pas des expertises médicales. Cette attitude est en partie à l'origine d'une confusion entre les plaques pleurales et les maladies plus graves comme l'asbestose, le cancer ou le mésothéliome, les plaques pleurales n'évoluant pas nécessairement vers des pathologies malignes. Elle a considéré que cette confusion était à l'origine de l'hétérogénéité de l'indemnisation selon les juridictions saisies, les plaques pleurales étant parfois indemnisées au même niveau que les pathologies plus lourdes. Selon elle, le regroupement du contentieux au sein d'une cour d'appel unique n'apportera pas de solution à cette situation tant que l'expertise médicale ne sera pas plus précise en amont.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président, s'est enquis de l'importance des disparités en matière d'indemnisation.

Mme Valérie Dupuy a indiqué, à titre d'exemple, que la cour d'appel de Paris indemnisait une plaque pleurale à hauteur de 50.000 à 150.000 euros, soit quasiment le même montant que pour un mésothéliome devant d'autres juridictions, comme la Cour des comptes l'avait d'ailleurs relevé dans son rapport.

M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur-adjoint, s'est interrogé sur les raisons pour lesquelles les compagnies d'assurances américaines avaient refusé d'assurer les travailleurs de l'amiante dès 1918 et a voulu savoir si des décisions similaires avaient été prises en France. Il a demandé si la FFSA disposait d'informations particulières sur le débat en cours aux Etats-Unis portant sur la création d'un fonds d'indemnisation des victimes, qui porterait sur des centaines de milliards de dollars. Il s'est demandé si les victimes de l'amiante pouvaient souscrire des contrats d'assurance à titre individuel et si une évaluation du montant de ce marché potentiel était disponible. Il s'est enquis des modalités d'assurance des chantiers de désamiantage et a voulu savoir si les chantiers les plus importants, celui de Jussieu par exemple, faisaient l'objet de conditions d'assurance spécifiques. Rappelant que l'amiante était présent dans la tour Montparnasse, il s'est enquis des procédures prévues en matière d'assurance, compte tenu de la pluralité des propriétaires et de l'existence de parties communes amiantées, et s'est interrogé sur le coût global prévisible des travaux. Enfin, il a demandé des précisions sur la place de la réassurance pour le risque amiante.

M. Claude Delpoux a rappelé que la nocivité de l'amiante sur la santé était connue dès la fin du XIXe siècle et que la prise de conscience des risques liés à l'exposition à cette fibre avait été progressive au cours de la première moitié du XXe siècle. Il a noté qu'aux Etats-Unis, les maladies professionnelles relevaient des compagnies d'assurance privées, et non d'un système de sécurité sociale comme en France. Il a fait observer que, dans ce pays, les enjeux financiers s'établissaient en centaines de milliards de dollars et que l'indemnisation des victimes de l'amiante avait conduit de nombreuses entreprises à la faillite. Il a indiqué que des conventions avaient été conclues afin de trouver des solutions.

Mme Valérie Dupuy a mis en évidence les disparités selon les pays d'Amérique du Nord, les dossiers étant moins nombreux au Canada qu'aux Etats-Unis en raison de la moindre dangerosité de l'amiante canadien. Elle a estimé que le régime français des AT/MP avait contribué à retarder la prise de conscience du risque que représente l'amiante.

M. Claude Delpoux a indiqué que la jurisprudence de la Cour de cassation avait créé une appréciation très différente du risque de la faute inexcusable et avait posé le problème du caractère assurable de ce type d'engagement, qui devient très difficile à prévoir par l'assureur. Il a rappelé que la Cour des comptes avait souligné le caractère obsolète des modalités de la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles, cet élément devant être intégré dans la réflexion globale qui va être engagée sur ce sujet. Il a estimé qu'il n'était pas possible, s'agissant de l'indemnisation des victimes dites « de la deuxième génération », c'est-à-dire celles qui ont travaillé occasionnellement sur des produits contenant de l'amiante, de présumer une faute inexcusable de l'employeur, en raison de la possibilité, pour celui-ci, de s'exonérer lorsqu'il n'a pas eu conscience du danger.

Il a indiqué que les entreprises spécialisées dans le désamiantage avaient des difficultés à trouver des assureurs au titre de la responsabilité civile, sinon avec des plafonds de garantie qui ne sont pas nécessairement à la mesure des risques courus. Il a ajouté que les assureurs étaient particulièrement réticents à l'égard du désamiantage occasionnel, les garanties de qualité des prestations n'étant pas forcément réunies et des erreurs dans l'exécution des travaux pouvant survenir. Il a néanmoins noté qu'il n'existait pas de refus systématique d'assurer les entreprises de désamiantage. Il a fait observer que les contrôleurs techniques réalisant le diagnostic de l'amiante devaient posséder des qualifications solides pour pouvoir être assurés, ce qui n'est pas toujours le cas actuellement. Une normalisation de cette profession lui est donc apparue nécessaire. Il a indiqué ne pas disposer d'informations sur la situation de la tour Montparnasse. Enfin, il a noté que les réassureurs avaient demandé d'exclure le risque amiante, car les engagements cumulés par les compagnies d'assurance au titre de ce risque ne peuvent plus être couverts.

Mme Catherine Procaccia, au-delà de la responsabilité civile, a voulu savoir s'il était possible de s'assurer sur la vie au titre du risque amiante ou si celui-ci faisait également l'objet d'une exclusion.

M. Claude Delpoux a indiqué qu'à sa connaissance, les contrats d'assurance de personnes n'excluaient pas le risque amiante, mais a précisé qu'il ferait vérifier ce point.

M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur-adjoint, a rappelé que des cas de victimes de l'amiante rencontrant des difficultés pour s'assurer au moment de contracter un emprunt avaient été portés à sa connaissance.

M. Claude Delpoux a rappelé que, pour l'assureur, la maladie constituait nécessairement un élément d'appréciation à prendre en compte.

Mme Valérie Dupuy a précisé qu'il existait, dans le cadre de la convention dite Belorgey, des dispositifs spécifiques pour les personnes présentant un risque aggravé.

M. Roland Muzeau a souhaité savoir si une personne atteinte de plaques pleurales pouvait être assurée sans surcotisation.

Mme Marie-Christine Blandin a fait observer que l'assurance de personnes atteintes de plaques pleurales ne devait pas soulever de difficultés, puisque ces pathologies sont présumées non évolutives.

Mme Valérie Dupuy a indiqué qu'une évolution était toujours possible et que l'aggravation du préjudice devrait pouvoir donner lieu à la réouverture du dossier, ce qui n'est actuellement pas souvent le cas devant les tribunaux.

Audition de Me Philippe Plichon, avocat

La mission a ensuite procédé à l'audition de Me Philippe Plichon, avocat.

Me Philippe Plichon a indiqué qu'il traitait des dossiers relatifs à l'indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles pour le compte des employeurs depuis près de 40 ans. Il a ainsi vécu l'évolution du régime de la faute inexcusable et de l'incrimination pénale, estimant que ces deux aspects allaient de pair et ne pouvaient être distingués. Il a rappelé qu'à l'origine la faute inexcusable entraînait une sanction consistant en une majoration de la rente servie par les caisses primaires : elle conduit ainsi l'avocat à plaider à la fois sur l'existence de la faute inexcusable elle-même et sur la gravité de cette faute, en fonction de laquelle le juge fixe le niveau de la majoration.

Il a fait observer que la loi du 6 décembre 1976, qui avait été largement inspirée par Mme Martine Aubry, lorsqu'elle était fonctionnaire au ministère du travail, trouvait son origine dans la mise en détention préventive d'un chef d'établissement d'une filiale des Charbonnages de France consécutive à un accident du travail. Il a rappelé que l'économie générale de cette loi, qui aborde le régime juridique de la causalité indirecte appliquée à la responsabilité pénale, ajoutait à la majoration de la rente l'indemnisation des préjudices dits « complémentaires », c'est-à-dire certains préjudices personnels dans l'hypothèse de la faute inexcusable, et, en contrepartie, a autorisé les employeurs à s'assurer contre la faute inexcusable commise par leurs préposés. Il a noté que cette loi officialisait la responsabilité du délégataire en matière d'hygiène et de sécurité et que, au cours d'un procès pénal, les cadres délégataires, et non l'employeur, seraient amenés à répondre des accidents du travail, les magistrats admettant aisément la faute pénale du délégataire afin de faciliter à la victime l'accès à la faute inexcusable.

Il a ensuite évoqué la loi du 13 mai 1996, en vertu de laquelle l'auteur de la faute pénale ne doit pas avoir accompli les « diligences normales » pour voir sa responsabilité pénalement retenue. Il a fait observer qu'à l'époque, les inspecteurs du travail avaient appelé l'attention du législateur sur le fait qu'il serait très difficile d'incriminer un employeur pour un accident du travail. Il a noté que les magistrats n'avaient toutefois pas appliqué cette loi et que la notion de « diligences normales » n'avait donc été d'aucune utilité pour appréhender la notion de causalité indirecte.

Me Philippe Plichon a estimé que de nombreuses interprétations de la loi du 10 juillet 2000, dite « loi Fauchon », n'étaient pas « honnêtes », insistant sur la sévérité de la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation envers les employeurs. Il a estimé que la déconnexion de la faute inexcusable et de la faute pénale, qui est un aspect essentiel de cette loi, constituait un apport important pour les victimes. En effet, il a expliqué que, dans l'hypothèse d'une relaxe pénale, la faute inexcusable était auparavant très difficile à obtenir, l'autorité de la chose jugée au plan pénal s'imposant au juge social. Evoquant les décisions de la Cour de cassation du 28 février 2002, qui donnent une nouvelle définition de la faute inexcusable comme une obligation de sécurité de résultat, il a jugé critiquable leur caractère rétroactif. Il n'en a pas moins noté que ces arrêts constituaient le pendant, pour les victimes, de la « loi Fauchon ». Il a appelé l'attention sur le fait que la Cour de cassation, et en particulier le président de sa chambre sociale, M. Pierre Sargos, avait souhaité, en la matière, se substituer au législateur, et s'est interrogé sur les conséquences de cette évolution vers un « gouvernement des juges ». Rappelant qu'un des arrêts du 28 février 2002 était motivé par la qualité, jugée non satisfaisante par les magistrats, de la transposition d'une directive européenne dans le code du travail, il a estimé que le juge s'était « emparé » du pouvoir normatif.

Abordant le cas d'espèce de l'amiante, il a noté que des mesures exceptionnelles et inédites avaient été adoptées, en particulier la levée de la forclusion consécutive à l'acquisition de la prescription de deux ans pour toutes les victimes d'une maladie professionnelle retenue entre 1947 et 1998. Il a fait observer que ces mesures étaient financées pour l'essentiel par la branche accidents du travail et maladies professionnelles de la sécurité sociale, dont les cotisations sont d'origine exclusivement patronale. Dans le même temps, et comme conséquence des arrêts du 28 février 2002, les employeurs ne parviennent plus à s'assurer contre le risque de la faute inexcusable.

Me Philippe Plichon a ensuite abordé le problème de l'inopposabilité des décisions de prise en charge par les caisses primaires d'assurance maladie. Il a précisé que l'inopposabilité sanctionnait le non-respect, par une caisse, lors de l'instruction d'une demande de prise en charge présentée par un assuré, d'une disposition d'ordre public du code de la sécurité sociale. Il a noté que les conséquences financières de l'inopposabilité étaient supportées par la branche accidents du travail et maladies professionnelles, c'est-à-dire par l'ensemble des employeurs. Il a fait observer que le législateur avait progressivement supprimé les cas d'inopposabilité, à l'exemple de la réunion d'un collège de trois médecins chargé de se prononcer sur le diagnostic, très complexe, des pathologies liées à l'amiante. Il a également noté que la jurisprudence avait réduit le champ des motifs d'inopposabilité et a cité un arrêt du 31 mai 2005 susceptible d'avoir de graves conséquences au regard des prévisions financières des employeurs qui éprouvent des difficultés à provisionner le risque au niveau du bilan. Il en a conclu que les entreprises supporteraient l'ensemble du coût financier des maladies professionnelles liées à l'amiante, ce qui ne manquerait pas d'avoir des répercussions dommageables, notamment sur les plus petites d'entre elles ou les plus fragiles. Il a cité le cas des Constructions mécaniques de Normandie qui n'auraient plus qu'à déposer leur bilan, faute de pouvoir assurer l'indemnisation de plusieurs cas de mésothéliomes.

Il a regretté l'absence d'investigations médicales sérieuses de la part des caisses, spécialement en matière de cancer broncho-pulmonaire, rappelant que le professeur Got, dans son rapport de 1996, avait insisté sur la nécessité de constater une quantité importante de fibres d'amiante pour établir un lien entre ce matériau et la pathologie. Il a également émis des critiques sur la réparation du préjudice dit « complémentaire » prévu dans la loi créant le FIVA qui, du point de vue des victimes, constituerait une sorte de préjudice « moral », et a estimé que cette réparation apparaissait contraire au fait que le FIVA indemnise « intégralement » les victimes, de sorte qu'on ignore la nature de cette indemnité « complémentaire » et ce qu'elle répare. Il a également fait état de la démarche de « panachage » de certaines victimes qui vont d'une juridiction à une autre pour tenter d'obtenir une indemnisation maximale.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président, s'est interrogé sur la possibilité de regrouper le contentieux relatif aux indemnisations du FIVA auprès d'une cour d'appel unique afin de remédier à l'hétérogénéité des décisions rendues par les tribunaux.

Me Philippe Plichon a noté que cette hétérogénéité concernait l'indemnisation de l'ensemble des risques et pas seulement l'amiante. Il a estimé que le souhait des associations de victimes de voir le contentieux de l'amiante regroupé à la cour d'appel de Paris s'expliquait par la générosité financière de celle-ci. Une solution peut être trouvée dans une concertation au niveau des présidents des cours d'appel.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président, a voulu connaître le sentiment de l'intervenant sur le regroupement des dossiers judiciaires liés à l'amiante dans les deux pôles santé publique de Paris et de Marseille, récemment demandé par le garde des sceaux.

Me Philippe Plichon a estimé que cette annonce était consécutive, selon lui, à l'échec de l'avocat de l'Association nationale des victimes de l'amiante (ANDEVA) à Dunkerque et à Douai. Il a considéré que la décision de non-lieu prononcée par la cour d'appel de Douai n'était pas fondée, contrairement à ce qui est souvent dit, sur la « loi Fauchon ». La cour d'appel relève que le médecin du travail de l'entreprise concernée connaissait le danger de l'amiante, qu'il avait tenté, en vain, de sensibiliser les salariés et qu'il n'avait jamais reçu d'instructions du ministère du travail. Elle s'appuie également sur le fait que la caisse régionale d'assurance maladie avait reconnu l'absence d'actions de prévention en direction de l'amiante jusqu'en 1995 et que les organisations syndicales ne s'étaient pas davantage manifestées au sein des comités d'hygiène et de sécurité. L'arrêt de la cour d'appel de Douai ne peut justifier une « délocalisation » des instances en cours. Il a rappelé que les arrêts du Conseil d'Etat de mars 2004 avaient retenu l'entière responsabilité de l'Etat dans quatre dossiers de maladies professionnelles liées à l'amiante. Il a cité le cas d'une grande entreprise, dont le CHSCT avait évoqué l'existence de 25 à 30 postes exposés à l'amiante, ce qui signifie bien que, dans les années 1980, les priorités en termes de sécurité ne concernaient pas l'amiante.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président, a noté qu'au cours des années 1970, il avait travaillé dans une entreprise utilisant de l'amiante et que la question de la protection n'avait jamais été abordée.

Me Philippe Plichon a noté l'absence de techniques de protection efficaces contre des hautes températures à l'époque, les ouvriers de la sidérurgie préférant conserver leur ancien vêtement de protection contenant de l'amiante.

M. Roland Muzeau a fait observer que l'argumentaire développé par l'intervenant ne lui était pas inconnu et a évoqué un document interne établi par la société Arkema qui constitue, selon lui, un « mode d'emploi » pour éviter la reconnaissance des maladies professionnelles et écarter la responsabilité de l'employeur.

Me Philippe Plichon a indiqué ignorer l'existence de ce document et a précisé qu'il n'était pas l'avocat du groupe auquel appartient cette entreprise. Il a expliqué que le contentieux des inopposabilités ne concernait que les rapports entre les caisses et les employeurs et qu'il était sans aucune incidence sur les décisions des caisses à l'égard des victimes. Il a insisté sur l'ampleur du coût financier de l'indemnisation des victimes de l'amiante pour les entreprises. Il a rappelé que, à l'origine, l'Etat devait contribuer, à hauteur du quart, au financement du FIVA mais que la branche accidents du travail et maladies professionnelles en assurait en réalité la quasi-totalité. Il a exprimé ses inquiétudes sur le sort des petites et moyennes entreprises qui sont les plus exposées au risque financier, sans aucune couverture d'assurance.

Mme Marie-Christine Blandin a salué la conviction de l'intervenant, en dépit de la technicité de ses propos dont l'argumentation relevait essentiellement d'une logique économique. Elle a évoqué le cas des chefs d'entreprise qui ont négligé la nocivité de l'amiante et a estimé que la justice devrait chercher à identifier les employeurs qui avaient délibérément caché la vérité sur les conséquences de l'amiante sur la santé. Elle a fait observer que les victimes étaient très attachées à la dimension symbolique d'une condamnation pénale.

Me Philippe Plichon a noté que la recherche de la responsabilité serait rendue particulièrement difficile dans le dossier de l'amiante du fait du temps de latence des pathologies.

Audition de M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes et de M. Jean-Denis Combrexelle, directeur des relations du travail

La mission a enfin procédé à l'audition de M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes et de M. Jean-Denis Combrexelle, directeur des relations du travail.

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes, a tout d'abord souligné à quel point le dossier de l'amiante était sensible au plan humain, difficile au plan technique et exigeant au plan financier. Il a indiqué que 35.000 décès, entre 1965 et 1995, étaient imputables à l'amiante et que l'on anticipait 60.000 à 100.000 décès supplémentaires dans les vingt-cinq prochaines années. En 2004, 1,13 milliard d'euros ont été consacrés à l'indemnisation des victimes. Au niveau international, l'Organisation internationale du travail (OIT) estime que 100.000 personnes meurent chaque année, dans le monde, à cause de l'amiante.

Puis M. Gérard Larcher s'est interrogé sur les raisons de ce drame sanitaire. Sans retracer toute l'évolution de la réglementation, il a cependant rappelé que le décret du 17 août 1977 avait posé les premières règles en matière de protection des salariés et que les valeurs limites d'exposition professionnelle avaient ensuite été progressivement abaissées. Mais notre pays a commis l'erreur, selon lui, de soutenir la thèse de « l'usage contrôlé » de l'amiante, qui s'est révélée illusoire en raison de l'utilisation massive et diffuse des produits amiantés.

Il a fait observer que la Grande-Bretagne et l'Allemagne avaient pris des mesures de prévention et interdit l'amiante avant la France, mais que ces deux pays étaient confrontés aujourd'hui à une situation sanitaire comparable à la nôtre. En revanche, les Etats-Unis, qui n'ont toujours pas interdit ce matériau, se trouvent dans une position plus favorable, ce qui s'expliquerait par le grand nombre de recours collectifs, ou class-actions, engagés outre-atlantique.

Il a ensuite noté que l'interdiction de l'amiante dans tous les pays de l'Union européenne n'était effective que depuis le 1er janvier 2005 et qu'elle n'était en vigueur, au total, que dans quarante pays. Jugeant que les fondements scientifiques d'une interdiction totale de l'amiante étaient encore ténus en 1996, il a souligné l'importance de l'étude réalisée, à cette date, par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), dans la prise de conscience de la dangerosité de cette fibre. Ses chercheurs se sont livrés à un examen critique de 1.200 publications scientifiques et ont mis en évidence l'impact nocif, sur la santé, de l'exposition à de faibles doses d'amiante et le caractère extrêmement diffus de l'exposition. Il a ajouté que le drame de l'amiante devait inciter l'Etat à investir davantage le champ de l'évaluation des risques sanitaires et de la surveillance épidémiologique.

M. Gérard Larcher a souligné que l'interdiction de l'utilisation de l'amiante, à compter du 1er janvier 1997, n'avait pas suffi, à elle seule, à régler les problèmes posés par ce matériau, puisque l'on estime que 100.000 m2 de locaux sont amiantés en France et que 3.000 produits contiennent de l'amiante. Depuis 1996, les opérations de désamiantage sont soumises à une réglementation stricte, que l'inspection du travail s'attache à faire respecter rigoureusement, en partenariat avec les caisses régionales d'assurance maladie (CRAM). En outre, un décret va bientôt renforcer les règles encadrant les interventions des entreprises de maintenance dans les locaux amiantés et les travaux d'enlèvement d'amiante non friable.

Il a également abordé la question du suivi des personnes exposées à l'amiante. L'Institut de veille sanitaire (InVS) considère que 25 % des hommes aujourd'hui à la retraite ont été exposés professionnellement à l'amiante. Le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA) a indemnisé 16.000 personnes depuis sa création, pour un coût total de 723 millions d'euros. Le fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (FCAATA) a, quant à lui, bénéficié à 1.500 entreprises et à 27.000 salariés, pour une dépense d'environ 750 millions d'euros en 2005. Il a reconnu que le mode de fonctionnement, complexe du FCAATA suscitait des incompréhensions, ce qui a motivé la commande, à l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), d'un rapport pour évaluer le dispositif et faire des propositions de réforme. Par ailleurs, une expérimentation est en cours dans quatre régions, depuis 2002, pour assurer le suivi post-professionnel des salariés exposés à l'amiante et un bilan sera dressé à l'automne.

M. Gérard Larcher a poursuivi son propos en évoquant les leçons à tirer de cette crise. Rappelant que le Conseil d'Etat avait enjoint à l'Etat, dans ses arrêts de mars 2004, d'organiser une veille scientifique appropriée, il a d'abord insisté sur les problèmes posés par les matériaux de substitution à l'amiante, notamment les fibres céramiques réfractaires, dont plusieurs études pointent le caractère potentiellement cancérigène, alors qu'elles sont utilisées dans les fours industriels ou les pots catalytiques. L'Agence française de sécurité sanitaire environnementale (AFSSE) a été saisie, en 2004, d'une demande d'étude pour évaluer le degré d'exposition des salariés et rechercher des produits de substitution moins dangereux. D'autres produits chimiques suscitent des inquiétudes, tels que le formaldéhyde, les éthers de glycol, ou les produits phytosanitaires. Sur les 30.000 produits chimiques présents sur le marché, seuls, quelques milliers ont été correctement évalués, ce qui explique l'importance des enjeux attachés à l'adoption du projet de règlement communautaire REACH (enregistrement, évaluation et autorisation des produits chimiques). Celui-ci prévoit en effet d'obliger les industriels qui mettent ces substances sur le marché à évaluer les risques résultant de leur utilisation et vise à mettre en place un système d'autorisation préalable pour les produits qui apparaissent les plus dangereux.

Pour mieux répondre à ces nouveaux défis, le Gouvernement a décidé d'intégrer la sécurité au travail dans le dispositif de sécurité sanitaire, en élargissant les missions de l'AFSSE, qui deviendra, à l'automne prochain, l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (AFSSET). Elle recrute actuellement dix ingénieurs de haut niveau pour se doter d'un département consacré à la santé au travail. L'Etat investit également dans le développement d'une expertise en santé au travail, notamment par la création de pôles scientifiques régionaux, en partenariat avec le ministère de la recherche. L'AFSSE mène d'ores et déjà des études sur les fibres minérales artificielles, le formaldéhyde, les éthers de glycol ou encore les fibres courtes d'amiante.

Pour améliorer le contrôle de la réglementation, le plan Santé au travail prévoit, de plus, de techniciser l'inspection du travail, tout en lui conservant son caractère généraliste, et de renforcer sa présence sur le terrain. Dès cette année, une trentaine d'agents vont être recrutés pour créer sept cellules régionales de soutien méthodologique, scientifique et technique de l'inspection du travail. D'ici à 2009, ces cellules devront être généralisées à l'ensemble du territoire, avec des effectifs plus importants dans les départements les plus industrialisés.

M. Gérard Larcher a enfin indiqué que les 23 mesures contenues dans ce plan allaient structurer l'action de l'Etat dans le domaine de la santé au travail pendant les cinq prochaines années, avec une forte implication de l'ensemble des structures ministérielles, tant au niveau national que local.

M. Gérard Dériot, rapporteur, a demandé pour quelles raisons l'utilisation de l'amiante avait été interdite seulement en 1996, alors que ses propriétés cancérigènes étaient connues de longue date. S'appuyant sur le témoignage de représentants syndicaux qui ont indiqué, lors de leur audition, que la montée du chômage les avait conduits à faire passer au second plan les questions de santé et de sécurité au travail, il a souhaité savoir comment le ministère du travail arbitrait entre ces différents objectifs. Il s'est également interrogé sur les formes que prend le lobbying des industriels sur les dossiers relatifs à la santé et à la sécurité au travail.

Rappelant que le ministère du travail avait longtemps été représenté au sein du comité permanent amiante (CPA), il a également demandé si les travaux de ce comité avaient exercé une influence significative sur les décisions du ministère et s'il était envisageable que le ministre et le directeur des relations du travail aient pu ne pas être tenus informés de son existence, comme cela a été affirmé lors de certaines auditions. Il a enfin évoqué le cas de Mme Marianne Saux, qui a dirigé la médecine du travail après avoir été médecin-conseil chez Saint-Gobain, et s'est interrogé sur l'interprétation qu'il convient de donner d'une telle mobilité professionnelle.

M. Gérard Larcher a répondu qu'il avait assisté, la semaine passée, à une conférence de l'OIT, au cours de laquelle avait été annoncé le lancement d'une campagne mondiale visant à interdire l'amiante, ce qui atteste une prise de conscience grandissante des Etats, des organisations syndicales et des employeurs, qui sont les trois composantes représentées au sein de l'organisation.

Sur la question des arbitrages à effectuer, il a insisté sur l'importance de la concertation pour trouver le bon équilibre entre protection de l'emploi et préservation de la sécurité des salariés et a admis que le sentiment de désespérance ressenti par certaines populations face à la désindustrialisation pouvait être à l'origine de réticences au moment de la mise en oeuvre de nouvelles mesures sanitaires.

Concernant le lobbying effectué par les industriels, il a indiqué que celui-ci s'exprimait principalement par la fourniture de données incomplètes, d'où l'importance de doter l'Etat d'une capacité d'expertise indépendante plus forte par le biais de l'AFSSET.

M. Jean-Denis Combrexelle, directeur des relations du travail, rappelant que le comité permanent amiante avait été créé en 1982, a insisté sur la nécessité de se replacer dans le contexte de l'époque pour apprécier le déroulement des événements. Il a souligné qu'il était normal, et même souhaitable, que la direction des relations du travail (DRT) entretînt des relations avec les industriels pour exercer correctement sa mission, d'autant qu'il n'existait pas, alors, d'instance scientifique légitime capable de proposer une évaluation indépendante des risques. Doutant que le CPA ait joué un rôle décisif, il a ajouté, avec quelque ironie, que l'on reprochait le plus souvent à la DRT, non d'être à l'écoute des industriels, mais de négliger les besoins des entreprises, et que le véritable problème résidait donc dans les incertitudes scientifiques qui avaient longtemps perduré.

Sur le cas de Mme Marianne Saux, il a d'abord précisé qu'elle avait bien dirigé l'inspection médicale, qui a en charge le corps des inspecteurs du travail. Toutefois, s'il est vrai que les règles de déontologie applicables aux fonctionnaires étaient peut-être moins exigeantes à l'époque qu'elles ne le sont aujourd'hui, il a estimé qu'il serait excessif de voir, dans sa mobilité professionnelle, le signe d'un « complot » associant l'administration et les industriels. Il a ajouté que le dossier de l'amiante était, de tous ceux dont connaît sa direction, le plus difficile à traiter sur le plan humain.

M. Gérard Dériot, rapporteur, a noté que la Cour des comptes, dans un rapport remis à la commission des affaires sociales du Sénat, suggérait de définir une clé de répartition stable des charges entre l'Etat et la sécurité sociale pour financer l'indemnisation des victimes. Il a demandé si le Gouvernement était favorable à cette mesure et a souhaité savoir quelle pourrait être la contribution de l'Etat. Il s'est également enquis des prévisions du ministère concernant l'évolution des dépenses d'indemnisation.

Il a ensuite fait état d'une autre recommandation de la Cour, consistant à « recentrer » le bénéfice de l'ACAATA (allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante) afin d'utiliser les sommes ainsi économisées pour mieux indemniser les bénéficiaires du FIVA, et a demandé quelle était la position du Gouvernement sur ce point.

Il a expliqué que la procédure d'inscription des établissements sur les listes ouvrant droit au bénéfice de l'ACAATA s'était souvent vu reprocher, lors des auditions auxquelles a procédé la mission, son caractère arbitraire et que le FCAATA semblait parfois détourné de sa vocation première pour devenir un simple outil d'accompagnement des restructurations. Il a demandé au ministre si ces critiques lui paraissaient fondées et souhaité des précisions sur la procédure d'instruction des dossiers.

Après avoir indiqué que la responsabilité du financement de l'indemnisation relevait plus du ministère en charge de la sécurité sociale que du ministère en charge du travail, M. Gérard Larcher a fait état des prévisions disponibles concernant les dépenses du FIVA et du FCAATA : elles seraient comprises entre 27 et 37 milliards d'euros pour les vingt prochaines années.

Puis il a jugé utile de rappeler quelques ordres de grandeur afin d'éclairer la mission sur les enjeux financiers attachés au projet de règlement REACH : alors que sa mise en oeuvre devrait entraîner un surcoût de dépenses d'environ 2,3 milliards d'euros au cours des onze prochaines années, le chiffre d'affaires annuel réalisé par l'industrie chimique européenne est de 500 milliards d'euros.

Il a ensuite expliqué que les modalités de fonctionnement du FCAATA pouvaient parfois être à l'origine d'un sentiment d'injustice chez les victimes de l'amiante, mais que le principe qui avait présidé à sa création - compenser la perte d'espérance de vie de personnes exposées à l'amiante par un système de préretraite - demeurait fondé. L'IGAS a été saisie de ce dossier et devrait communiquer ses propositions d'ici à la fin de l'été.

M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur-adjoint, a déclaré qu'il connaissait des exemples d'entreprises ayant exposé leurs salariés à l'amiante, mais qui n'ont pas été retenues sur les listes du FCAATA. Tel est le cas, par exemple, de l'entreprise Normandie Caoutchouc, qui a longtemps fabriqué des joints en amiante-caoutchouc. Il a demandé, en conséquence, si le ministère n'avait pas tendance à privilégier les grandes entreprises, pour limiter les plans sociaux, au détriment des petites entreprises.

Revenant sur une question du rapporteur Gérard Dériot, M. Gérard Larcher a dit approuver l'idée de définir une clé de répartition stable des financements entre l'Etat et la sécurité sociale et a indiqué avoir commandé un rapport afin d'évaluer cette question. Il a également affirmé que le FCAATA ne saurait être assimilé à un fonds d'accompagnement des restructurations.

M. Jean-Denis Combrexelle a ajouté que les règles de fonctionnement du FCAATA impliquaient de tracer une frontière entre des entreprises bénéficiaires et des entreprises exclues du dispositif et que cela débouchait nécessairement sur des incompréhensions ou des déceptions, d'autant que, seules, les entreprises relevant de certains secteurs d'activité sont éligibles au FCAATA : entreprises de flocage et de calorifugeage, entreprises ayant fabriqué des matériaux contenant de l'amiante, entreprises de construction et de réparation navales. Il a cependant rappelé que les personnes reconnues malades de l'amiante bénéficiaient aussi de l'ACAATA, sur une base individuelle.

Il a ensuite insisté sur les difficultés inhérentes à l'instruction des demandes d'inscription sur les listes. Les directions départementales du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (DDTEFP), qui travaillent en partenariat avec les directions déconcentrées des CRAM, ont beaucoup de mal à reconstituer l'historique des entreprises dont l'inscription sur les listes est demandée, dans la mesure où peu d'informations sont conservées dans les archives.

M. Roland Muzeau a affirmé qu'il connaissait des exemples d'entreprises ayant oeuvré dans le même secteur d'activité et qui avaient pourtant fait l'objet de décisions divergentes et a demandé si certains refus n'étaient pas motivés, en fait, par une volonté de restreindre les dépenses du fonds.

M. Gérard Larcher a admis, citant l'exemple de l'entreprise Moulinex, qu'il avait pu y avoir, par le passé, des dérives dans l'utilisation du fonds, mais qu'il y avait mis fin dès son arrivée au ministère en 2004, en définissant une doctrine rigoureuse. Il a ajouté qu'il n'avait jamais été soumis à aucune pression concernant le montant de l'enveloppe budgétaire allouée au FCAATA.

M. Jean-Denis Combrexelle a confirmé que le ministère s'efforçait de traiter tous les dossiers avec équité, mais qu'il se heurtait à des problèmes de procédure et à des problèmes de fond. Pour traiter les premiers, une circulaire de 2004 a renforcé la transparence de la procédure d'instruction des dossiers. Pour traiter les seconds, le ministre a, comme il l'a indiqué, commandé une étude à l'IGAS.

M. Gérard Dériot, rapporteur, a souligné que la faiblesse des moyens de l'inspection du travail avait été souvent évoquée lors des auditions auxquelles a procédé la mission et qu'elle rendrait difficile, en particulier, le contrôle des chantiers de désamiantage. Il a demandé au ministre s'il comprenait ces critiques et si un renforcement des moyens de l'inspection du travail était envisagé à moyen terme. Il a ajouté que les médecins du travail s'étaient également souvent vu reprocher leur manque d'indépendance vis-à-vis des employeurs, qui les aurait empêchés de jouer convenablement leur rôle d'alerte sur les dangers de l'amiante. Il a souhaité savoir si le ministre partageait ces observations et, dans l'affirmative, s'il envisageait une réforme statutaire du corps des médecins du travail pour y remédier.

M. Gérard Larcher a répondu qu'il avait demandé au directeur de l'Institut national du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (INTEFP), M. Jean Bessière, de mener une réflexion sur l'évolution de l'inspection du travail, en concertation avec les partenaires sociaux et les membres du corps. Il a rappelé sa volonté de conserver le caractère généraliste de l'inspection du travail, tout en développant des cellules régionales d'appui plus spécialisées, qui emploieront des ingénieurs, des médecins ou encore des chimistes.

Il a ensuite regretté que, chaque année, seule, la moitié de la nouvelle promotion d'inspecteurs du travail choisisse de travailler effectivement pour ce corps et a attribué ce phénomène à la survalorisation, au sein du ministère, depuis une vingtaine d'années, de la fonction « emploi » par rapport à la fonction « travail ». Le ministère souhaite la création de trente postes, l'année prochaine, pour développer les cellules régionales d'appui et entend revaloriser la carrière des inspecteurs du travail pour éviter qu'ils ne quittent leur corps d'origine.

Concernant les médecins, il a rappelé qu'ils bénéficiaient déjà d'importantes garanties statutaires et jugé qu'il n'était pas nécessaire d'envisager de nouvelles réformes en la matière. Il a insisté sur la détermination du ministère à faire respecter l'indépendance et la déontologie des médecins du travail.

Mme Marie-Christine Blandin a déclaré apprécier la détermination du ministre sur les questions de santé et de sécurité au travail, avant d'évoquer le problème du démontage, par des entreprise non homologuées, de plaques de fibrociment, ainsi que le coût élevé du traitement des déchets amiantés, qui conduit parfois à ce que les procédures règlementaires ne soient pas respectées. Elle a suggéré d'être davantage à l'écoute des anciens salariés de l'amiante, qui peuvent efficacement attirer l'attention sur la présence de cette fibre dans certains lieux ou dans certains appareils, et de mieux protéger les salariés qui prennent le risque, dans les entreprises, d'être des « déclencheurs d'alerte » sur les risques professionnels. Elle a souhaité, enfin, obtenir des précisions sur les raisons de la démission du directeur de l'AFSSE, qui s'est inquiété de l'indépendance des chercheurs face à la pression des lobbies industriels.

M. Gérard Larcher a répondu qu'un décret allait être publié, avant la fin de l'année, pour mieux encadrer les opérations de traitement du fibrociment. Il a indiqué que l'indépendance d'une agence telle que l'AFSSE pouvait être garantie par la présence d'un comité scientifique respecté, d'une part, mais aussi par la présence d'un comité associant les partenaires sociaux. Il a souligné la détermination sans faille du ministère, depuis sa création il y a près d'un siècle, à protéger les salariés dans leur milieu de travail.

M. Roland Muzeau a dit souhaiter que les propos rassurants du ministre soient bien suivis d'effets, avant de rappeler que la loi du 13 août 2004 portant réforme de l'assurance maladie avait enjoint les partenaires sociaux d'engager une négociation en vue de la réforme de la branche accidents du travail et maladies professionnelles de la sécurité sociale. Il a demandé comment le Gouvernement comptait relancer ces négociations, qui paraissent aujourd'hui enlisées. Il s'est également interrogé sur les remèdes à apporter au problème de la sous-déclaration des maladies professionnelles et des accidents du travail. Il a ensuite évoqué un document, émanant de la société Arkema, exposant la marche à suivre pour limiter le montant des indemnisations versées aux victimes de risques professionnels. Jugeant ce procédé moralement scandaleux, et craignant qu'il n'inspire d'autres groupes, il a souhaité connaître la réaction du ministre. Il a enfin demandé qui, à l'IGAS, était plus spécifiquement chargé du rapport relatif au FCAATA.

M. Gérard Larcher a indiqué que le Gouvernement avait rappelé aux partenaires sociaux leur obligation de négocier sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et qu'il avait créé une mission d'appui, confiée à l'IGAS, pour les accompagner dans cette démarche. Rappelant la difficulté de déterminer avec certitude l'origine professionnelle de pathologies multifactorielles, il a déclaré qu'une commission se penchait actuellement sur le problème de la sous-déclaration et qu'il s'efforçait, en outre, de convaincre les chefs d'entreprise que la sécurité au travail est un véritable facteur de compétitivité. N'ayant pas eu connaissance du document produit par la société Arkema, il a indiqué que cette question serait examinée et donnerait lieu à une réponse écrite et a enfin précisé que M. Jean Roigt s'était vu confier la mission de conduire l'étude relative à la réforme du FCAATA.