MISSION COMMUNE D'INFORMATION  "LA FRANCE ET LES FRANÇAIS FACE A LA CANICULE


Table des matières



Mercredi 19 novembre 2003

Audition de MM. Pierre Portet et Alain Le Jan, inspecteurs généraux du Génie rural des eaux et de la forêt (GREF), chargés de la coordination sécheresse au ministère de l'agriculture

La commission a d'abord procédé à l'audition de MM. Pierre Portet et Alain Le Jan, inspecteurs généraux du Génie rural des eaux et de la forêt (GREF), chargés de la coordination sécheresse au ministère de l'agriculture.

M. Pierre Portet
a indiqué qu'il avait exercé les fonctions de « coordinateur sécheresse » au sein du ministère de l'agriculture durant le mois de juillet, avant d'être relayé par M. Alain Le Jan durant le mois d'août, et de s'occuper conjointement de la coordination durant le mois de septembre.

Il a rappelé que le ministre de l'agriculture s'était entouré dès le début du mois de juillet d'ingénieurs généraux du GREF ayant exercé des fonctions de terrain et connaissant tout particulièrement les événements climatiques exceptionnels, et avait effectué de nombreux déplacements sur l'ensemble du territoire pour visiter des exploitations agricoles touchées par la sécheresse. Il a ajouté que les réunions interministérielles s'étant déroulées à cette époque avaient rassemblé des représentants du ministère de l'agriculture, mais aussi de l'intérieur (pour les incendies de forêt), de l'écologie (pour les problèmes d'eau) et des finances.

Soulignant que la sécheresse, à la différence de la canicule, ne constituait pas un phénomène nouveau pour le monde agricole, il a précisé que l'action du ministère de l'agriculture avait eu essentiellement pour objet d'éviter que cet événement climatique exceptionnel n'entraîne une « décapitalisation de bétail » de la part des éleveurs, jugeant que cet objectif avait été atteint dans la mesure où le cours de la viande bovine n'avait pas baissé.

Il a ensuite exposé les diverses mesures prises dès le mois de juillet par le ministère, et notamment l'allocation exceptionnelle de 25 millions d'euros consacrée au transport de fourrages. Observant que le peu d'informations disponibles à l'époque avait rendu difficile sa délimitation géographique, il a expliqué que celle-ci avait été déterminée par les services centraux du ministère pour chaque département en référence à des critères tels que l'existence de mesures préfectorales de restriction d'eau, ainsi que la plus ou moins grande présence d'animaux, de fourrages et de paille. Précisant que 40 départements relativement dispersés avaient été retenus à l'origine, avant que ne soit délimitée une zone plus homogène de 49, puis de 53 départements, il a estimé que les mesures consacrées au transport de fourrages avaient été favorablement accueillies par les personnes concernées, ajoutant que des crédits supplémentaires étaient prévus en loi de finances rectificative.

M. Alain Le Jan a ensuite déclaré que les mesures avaient déjà été prises lorsqu'il avait relayé son collègue comme coordinateur sécheresse début août, à une période où une partie des effectifs du ministère était en congé, et que sa tâche avait consisté à développer les contacts avec les directions et services déconcentrés des ministères intéressés, les préfets, les parlementaires, les organismes professionnels et la presse.

Il a insisté sur le fait que la procédure de reconnaissance et de dédommagement des calamités agricoles avait été mise en oeuvre de façon accélérée afin que les premières indemnisations puissent avoir lieu courant septembre.

Il a indiqué avoir reçu et transmis aux services compétents de très nombreux appels téléphoniques suite à la lettre du ministre de l'agriculture adressée le 29 juillet aux agriculteurs, celle-ci traitant de la réforme de la PAC, mais aussi des problèmes liés à la sécheresse, en fournissant le numéro de téléphone du « coordinateur sécheresse » au ministère.

Il a reconnu que l'intervention des transporteurs en vue de l'acheminement du fourrage vers les départements sinistrés avait posé problème, du fait que la profession, peu habituée à ce type d'activité, était en « service réduit » durant l'été. Il a toutefois considéré que la situation s'était améliorée à la suite d'une meilleure coordination entre les ministères de l'agriculture, des transports et de la défense, ainsi qu'après la mise en place dès la fin du mois de juillet d'un comité de suivi hebdomadaire avec les principaux services administratifs et organisations professionnelles (Assemblée permanente des chambres d'agriculture, Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, Jeunes agriculteurs, Coordination rurale, Confédération paysanne et Confédération nationale des syndicats d'exploitants familiaux), dont les comptes rendus ont été adressés à tous les départements, sinistrés ou non.

M. Jacques Pelletier, président, a fait observer que les stocks de paille étaient demeurés en place jusqu'au 20 octobre dans son département et avaient ainsi été exposés aux intempéries. Il s'est également interrogé sur les incidences de la canicule quant aux rendements des diverses productions végétales et animales.

M. Serge Lepeltier, rapporteur, a déploré que les leçons de la sécheresse de 1976 n'aient pas conduit à mieux se préparer à la survenance d'un tel événement, en ayant recours par exemple à des réquisitions et aux entreprises de transport dont les capacités sont portées à la connaissance des administrations. Il s'est demandé si la sécheresse de cette année était seulement superficielle ou bien plus profonde, et quelles en seraient les conséquences sur l'agriculture, notamment sur le long terme. Il s'est enfin enquis des réflexions éventuellement engagées au sein du ministère de l'agriculture afin d'analyser les conséquences potentielles du réchauffement climatique sur l'agriculture.

En réponse à ces deux interventions, M. Pierre Portet a apporté les précisions suivantes :

- s'agissant des niveaux de récolte, il a indiqué que les baisses atteindraient, selon les premières estimations, 36 % pour le sorgho, 30 % pour le maïs grain, 21 % pour le maïs semence, 16 % pour les céréales, 11 % pour les oléagineux et 5,5 % pour les protéagineux. Il a ajouté que la sécheresse avait également eu d'importants effets sur la production animale, et notamment sur les élevages de porcs et de volailles ;

- il a souligné que les mesures prises par le ministère de l'agriculture étaient à la fois de nature européenne (avancement de la liquidation des aides surfaces et des primes animales, autorisation du pâturage des jachères) et nationale (aide au transport de fourrages, abondement du Fonds national de garantie des calamités agricoles -FNGCA- par un décret d'avance de 149 millions d'euros). Il a ajouté que la réunion de la commission nationale des calamités agricoles dès le 29 août, puis à d'autres reprises, avait permis de faire bénéficier presque tous les départements français de dossiers d'indemnisation pour tous les types de productions concernés, ajoutant que les services déconcentrés n'avaient pas signalé une quelconque insuffisance des dotations ;

- il a indiqué que la sécheresse de l'été dernier était uniquement « de surface », assurant que l'état des nappes phréatiques n'avait jamais soulevé d'inquiétude ;

- il a annoncé que le GREF mettait actuellement en place un groupe de travail sur les conséquences du réchauffement climatique sur l'agriculture ;

- s'agissant des mécanismes d'assurance, il a rappelé que le FNGCA avait vocation à couvrir exclusivement les risques non assurables. Reconnaissant que cette disposition posait problème pour les élevages intensifs, dont les pertes sont considérées comme assurables, il a indiqué que certains dispositifs avaient permis de leur venir en aide, notamment par l'intermédiaire de fonds d'action conjoncturelle.

Revenant sur le problème du transport de fourrages, qui devrait être réglé avant l'hiver, M. Alain Le Jan a répété que les transporteurs et les agriculteurs se connaissaient mal, ajoutant que le coût du transport était excessivement élevé pour un produit aussi volumineux et bon marché que la paille, et que l'intervention de l'armée avait été limitée du fait qu'elle ne possédait pas les véhicules adaptés. Estimant que le recours à la réquisition était difficilement envisageable dans la mesure où celle-ci n'avait jamais été décidée depuis la dernière guerre, il a souligné que d'autres mesures plus adaptées (autorisations de transport le week-end, aides fournies par des transporteurs retraités, actions menées dans les centres de formation professionnelle des transporteurs ...) avaient été engagées suite aux réunions de concertation organisées par les préfets et que la coopération des différents acteurs avait été satisfaisante.

Après avoir rendu hommage au ministre de l'agriculture pour la façon dont il avait réagi face à la sécheresse, M. Daniel Soulage a remarqué qu'outre les pertes de récoltes, les pertes de fonds, ayant des incidences pendant plusieurs années sur l'équilibre des exploitations agricoles, risquaient d'être importantes. Il a souhaité que le montant global de ces dégâts soit évalué et que des moyens d'indemnisation appropriés soient dégagés, ce qu'il a estimé problématique compte tenu notamment de la ponction des crédits destinés aux offices.

Convenant que la question du dédommagement de ces dégâts, concernant les productions fruitières et viticoles, mais aussi les forêts, se posait effectivement, M. Pierre Portet a indiqué que l'indemnisation par la procédure des calamités agricoles était possible dès lors que le dégât était éligible, ce qui, a-t-il reconnu, n'était pas systématiquement le cas. Répétant qu'il était exceptionnel que la quasi-totalité du territoire soit déclarée sinistrée, il a observé que l'aide au transport de fourrage avait été financée pour moitié par des redéploiements budgétaires, à la demande du ministère des finances.

M. Jacques Pelletier, président, a estimé pour conclure que le ministère de l'agriculture avait réagi vite et bien, tout comme le monde agricole, familier de ce type d'événements climatiques.

Audition de M. Gilles Brücker, directeur général de l'Institut de veille sanitaire

La mission a ensuite procédé à l'audition de M. Gilles Brücker, directeur général de l'Institut de veille sanitaire.

En préambule, M. Gilles Brücker a exprimé son émotion concernant les conséquences dramatiques d'un événement que personne n'a été en mesure d'appréhender en temps utile et a estimé qu'il convenait d'analyser les raisons d'une telle catastrophe sanitaire qui a été à l'origine de 15.000 décès.

Il a rappelé que l'Institut de veille sanitaire (InVS) avait été créé en 1998 à partir du Réseau national de santé publique, qui s'intéressait aux maladies infectieuses. Il a indiqué que les missions de l'InVS étaient considérables, puisqu'il était chargé de surveiller l'état de santé de la population en tout temps, en tous lieux, et en toutes circonstances, ce qui l'a conduit à effectuer des choix.

Il a indiqué qu'une réflexion avait été menée afin d'établir des priorités et que de nombreux experts avaient été consultés, en précisant que seul l'un d'eux avait mentionné les phénomènes climatiques comme thème de surveillance prioritaire et qu'il n'avait pas été suivi. Il a relevé que le contrat d'objectifs et de moyens de l'Institut de veille sanitaire, qui définit ses priorités, ne mentionnait pas les phénomènes climatiques, soulignant par ailleurs que notre pays avait peu d'expérience en ce domaine.

Il a en effet rappelé que les conséquences sanitaires de la vague de chaleur survenue aux mois de juin et juillet 1976 étaient passées totalement inaperçues, alors que celle-ci avait entraîné 6.000 décès en surnombre. Il a fait la même observation concernant la vague de chaleur de 1983 à Marseille, en regrettant que les travaux du professeur San Marco n'aient pas été suffisamment pris en compte au niveau national.

M. Gilles Brücker a noté que, si l'InVS n'avait pas su appréhender les risques liés à la canicule, l'Institut avait su anticiper nombre d'autres problèmes, comme le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS).

Il a ensuite rappelé que la question de la canicule n'avait jamais été abordée lors des réunions de sécurité sanitaire qui se tiennent régulièrement sous l'égide du directeur général de la santé, y compris au cours de celle du 30 juillet 2003.

Il a précisé qu'il était présent à l'Institut de veille sanitaire jusqu'au 5 août et qu'il avait joint sa collaboratrice qui assumait la direction de l'InVS les 6, 7 et 8 août, celle-ci ne lui ayant fait part d'aucune information alarmante.

Retraçant la chronologie de la canicule, il a indiqué que trois décès par coup de chaleur avaient été signalés à l'InVS par la direction départementale des affaires sanitaires et sociales du Morbihan le 6 août, information qui a ensuite été validée par l'Institut.

M. Gilles Brücker a précisé que de nombreux échanges avaient eu lieu avec la direction générale de la santé, qui est l'interlocuteur naturel de l'InVS en cas d'alerte, au cours des 6, 7 et 8 août, et que l'Institut avait été consulté pour la rédaction du communiqué de presse de la DGS. Par ailleurs, il a noté que l'InVS avait préparé dès le 8 août la méthodologie de l'enquête sur les effets sanitaires de la canicule qui devait être engagée la semaine suivante.

Il a ensuite indiqué que, contrairement à ce qui avait été affirmé par le rapport Lalande, l'InVS était en mesure d'assurer une veille permanente avec un système d'astreinte téléphonique, mais qu'aucune information alarmante n'était remontée le week-end.

Il a précisé que la mise en place de la procédure d'enquête engagée par l'Institut à partir du 11 août s'était heurtée à des difficultés pour obtenir des informations de la sécurité civile, cet « embargo » n'ayant été levé que le 13 août à la suite d'un appel direct au ministère de l'intérieur, et à la lenteur des remontées des certificats de décès.

Il a noté que le 14 août avait eu lieu une réunion avec le directeur général de la santé, le cabinet du ministre de la santé et l'assistance publique des hôpitaux de Paris, au cours de laquelle avait été évoqué le chiffre de 1.500 décès, l'InVS l'estimant supérieur.

Il a indiqué qu'une certaine confusion avait marqué la communication de ces données au cours des jours suivants, et en particulier le 17 août, où il a avancé le chiffre de 5.000 morts. Il a précisé qu'il était intervenu à la télévision ce même jour, en accord avec M. Lucien Abenhaïm, directeur général de la santé.

Il a déploré les difficultés de communication avec le cabinet et indiqué que l'Institut de veille sanitaire n'était pas en ligne directe avec le ministre.

Il a rappelé que la canicule avait entraîné en définitive environ 15.000 décès supplémentaires et que cette vague de chaleur avait été d'une intensité exceptionnelle, avec des températures nocturnes inédites pendant deux jours, encore aggravée par la pollution atmosphérique.

Rappelant que 80 % des victimes de la canicule étaient des personnes âgées de plus de 75 ans, il s'est déclaré troublé par le fait que plus de 60 % des personnes décédées par coup de chaleur à l'hôpital provenaient d'institutions pour personnes âgées, au sein desquelles elles sont censées être prises en charge.

Il a ensuite relevé l'importance de la question des pathologies associées et de l'adaptation de la posologie au phénomène climatique, ce qui nécessiterait de la part de l'InVS d'autres enquêtes plus approfondies, ainsi que la diversité des taux de surmortalité constatés sur le territoire national et dans les grandes villes françaises.

M. Gilles Brücker a ensuite évoqué les effets de la canicule dans les autres pays de l'Union européenne, qui semblent avoir été de moindre ampleur. Il a relevé que le Royaume-Uni avait enregistré 2.045 décès en surnombre, l'Allemagne de 3.500 à 7.000, l'Italie 4.175, le Portugal 1.316, selon des chiffres ne portant pas sur la totalité de la population. Il a toutefois précisé que les autres pays européens n'avaient pas mis en place un système d'analyse aussi complet qu'en France.

Il a enfin indiqué que l'Institut de veille sanitaire devait tirer quatre grandes leçons de cette crise : la nécessité de revoir ses missions, ce qui devrait être réalisé dans le cadre du projet de loi de santé publique, la mise en place d'un partenariat avec Météo France, une meilleure coordination avec les médecins urgentistes, dans la mesure où aucune information n'est remontée à l'InVS de leur part, et la mise en place d'études au niveau européen pour mieux comprendre les facteurs déterminants de la mortalité due à la canicule.

Un large débat s'est alors instauré.

Mme Valérie Létard, rapporteur, a souhaité obtenir des précisions sur les raisons pour lesquelles l'InVS n'a pas rempli sa mission d'alerte au cours de cette crise, en se demandant si ces carences étaient imputables à son mode de fonctionnement, à la faiblesse de ses réseaux, et notamment des cellules interrégionales d'épidémiologie, ou à une coordination imparfaite avec les autres acteurs.

Elle a ensuite observé que l'InVS et la DGS donnaient l'impression de se renvoyer la balle à propos de ce défaut d'alerte. Elle a rappelé que le docteur Françoise Lalande avait regretté devant la mission d'information l'absence de service de garde au sein de l'Institut de veille sanitaire, estimant que cela ne lui permettait pas d'être opérationnel en toutes circonstances, et notamment lors des week-ends, et elle a demandé si un tel service était dorénavant envisagé. Elle a également souhaité savoir si le directeur général s'était tenu au courant de la situation au cours de ses congés. Elle s'est interrogée sur les liens existant avec l'Institut, les agences de sécurité sanitaire et Météo France, et a souhaité obtenir des précisions sur les partenariats envisagés par l'InVS.

Enfin, après avoir relevé que l'InVS avait rencontré des difficultés pour obtenir certaines informations notamment auprès du ministère de l'intérieur, elle s'est enquise des aménagements susceptibles d'être apportés à l'Institut pour améliorer notre système de veille sanitaire.

M. Serge Lepeltier, rapporteur, a demandé des précisions sur la notion même de veille, en faisant observer qu'il pouvait s'agir d'une veille passive ou d'une veille active. Il s'est également interrogé sur les possibilités de prévoir les conséquences des phénomènes climatiques, et d'agir plus rapidement, par le biais notamment d'un renforcement de la coopération avec Météo France.

Mme Monique Papon a souligné la multiplicité des partenaires de l'InVS. Elle s'est enquise de la place accordée aux observatoires régionaux de santé et de leur articulation avec les cellules interrégionales d'épidémiologie.

M. Jean-François Picheral a souhaité obtenir des informations complémentaires sur les dispositions préconisées par le professeur San Marco à Marseille.

M. Jacques Pelletier, président, a regretté le cloisonnement excessif des services concernés et a estimé que l'InVS devrait être en contact direct avec les services déconcentrés de l'Etat afin de réagir dans les meilleurs délais.

En réponse à ces interventions, M. Gilles Brücker a indiqué que la DGS et l'InVS ne se renvoyaient pas la balle et qu'il avait très rapidement reconnu les carences de l'Institut, même si cette crise n'entrait pas dans le cadre de ses missions.

Il a estimé que le système actuel d'alerte fonctionnait de manière satisfaisante, mais qu'il n'y avait pas eu de remontées d'informations globales pour identifier précisément l'ampleur du phénomène au cours de cette crise.

Il s'est interrogé sur les actions qui étaient susceptibles d'être menées et sur les autorités qui auraient pu être saisies si la gravité du phénomène avait pu être appréhendée plus rapidement. Il a estimé qu'un plan d'action devait exister en amont pour que la surveillance et l'alerte aient une réelle efficacité.

Répondant à Mme Valérie Létard, rapporteur, qui lui faisait observer qu'il était toujours possible d'intervenir dans les médias, M. Gilles Brücker a indiqué qu'il fallait élaborer des plans canicule d'urgence, en précisant que les prévisions climatiques de Météo France n'étaient réellement fiables qu'à 3-5 jours, délai qui ne permettait pas d'improviser des actions efficaces.

Il a précisé qu'il avait été informé de la situation par son directeur-adjoint et qu'il avait décidé d'interrompre ses vacances et de regagner l'Institut le 16 août.

Concernant le système de garde, il a estimé qu'une permanence effectuée par un épidémiologiste, 24 heures sur 24, n'était pas nécessaire et a assuré qu'aucune alerte n'avait pris en défaut, depuis 1998, le système de permanence de l'Institut, qui dispose d'un numéro de téléphone unique avec renvois.

Il a noté qu'un groupe de travail avait été mis en place avec Météo France pour améliorer la coopération entre l'InVS et cet organisme, la difficulté consistant à convertir des indicateurs climatiques en indicateurs sanitaires.

Il s'est refusé à tout commentaire sur le contenu de l'ouvrage récent du Professeur Lucien Abenhaïm, ancien directeur général de la santé, qui a présenté sa démission le 18 août après une réunion houleuse avec le ministre de la santé.

En dépit des critiques adressées par le docteur Pelloux au système de veille, il a estimé que le rôle des médecins urgentistes était essentiel pour donner l'alerte et saisir systématiquement l'InVS. Il a toutefois noté que l'intérêt de l'InVS n'était pas tant d'obtenir des informations quantitatives, le plus souvent inutilisables, que des informations qualitatives, afin d'en tirer des conséquences épidémiologiques.

Concernant la définition de la veille sanitaire, il a relevé l'ampleur de l'objectif assigné à l'Institut et indiqué qu'il était impossible de tout surveiller, ce qui imposait de faire des choix. Il a réfuté l'accusation de passivité attribuée à l'InVS, comme en témoignaient ses travaux sur les conséquences du bioterrorisme, de la téléphonie mobile ou de la pollution hydrique et atmosphérique.

Il a ensuite indiqué que l'articulation entre l'InVS et les observatoires régionaux de santé publique n'était pas optimale et qu'une clarification des compétences de différents acteurs à l'échelon régional serait nécessaire.

Enfin, s'agissant de l'évaluation du dispositif mis en place à Marseille par le professeur San Marco, il a précisé que la cellule interrégionale d'épidémiologie de Provence-Alpes- Côte d'Azur serait chargée d'évaluer l'efficacité des mesures pratiques prises pendant la période de canicule afin d'en tirer toutes les conséquences.

En conclusion, M. Jacques Pelletier, président, a remercié M. Gilles Brücker pour son intervention et a exprimé le souhait qu'une éventuelle nouvelle vague de chaleur n'ait pas les conséquences tragiques de l'été dernier.

Audition de M. Pascal Berteaud, directeur de l'eau au ministère de l'écologie et du développement durable, accompagné de M. Jean-Claude Vial, directeur-adjoint de l'eau au ministère de l'écologie et du développement durable

La mission a enfin procédé à l'audition de M.  Pascal Berteaud, directeur de l'eau au ministère de l'écologie et du développement durable, accompagné de M. Jean-Claude Vial, directeur-adjoint.

M. Pascal Berteaud a souligné le caractère, à la fois ordinaire et extraordinaire, du phénomène climatique de l'été dernier, avec une sécheresse « classique », de longue durée mais moins grave que celle de 1976 par exemple, et une canicule brève mais dont l'ampleur a contraint à des réactions rapides et à des modifications de procédures.

Il a précisé que cet épisode climatique n'avait pas eu d'incidence sur les débits d'eau, mais avait provoqué une hausse forte et rapide de la température des eaux de rivières, qui avait nécessité des mesures exceptionnelles pour la gestion des centrales nucléaires. La sécheresse n'a pas eu de caractère préoccupant, compte tenu de la forte pluviométrie des années précédentes et, par conséquent d'un remplissage satisfaisant des nappes phréatiques ; contrairement à la moitié sud de la France, la moitié nord a subi des conséquences moindres qu'en 1976, du fait notamment des investissements réalisés depuis vingt-cinq ans.

M. Pascal Berteaud a indiqué qu'un bilan précis était en cours de réalisation et que l'on pouvait d'ores et déjà conclure au bon fonctionnement des procédures dans les régions habituées à la sécheresse, comme le bassin de la Loire et le Sud-Ouest, mais qu'une modernisation des outils s'imposait pour la gestion des situations de crise.

A cet égard, il a informé la mission de la création d'un comité national de suivi, chargé d'établir un bilan prévisionnel dès le mois de mars, afin de mobiliser l'ensemble des acteurs concernés et de préparer, si nécessaire, des actions de sécurisation de la ressource.

Il a souligné que la politique de soutien d'étiage engagée depuis 1976 permettait aujourd'hui de gérer de manière satisfaisante les débits d'eau et noté le développement des interconnexions du réseau d'eau potable. Depuis 1988, les agences de l'eau ont consacré à ce programme 3,9 milliards d'euros d'investissement : 25.000 kilomètres de canalisations ont été ainsi connectés sur les 800.000 kilomètres du réseau. Il a précisé qu'un tel programme nécessitait des investissements sur cinq à quinze ans alors que ce type de dispositif n'est utilisé qu'une fois tous les quatre ou cinq ans.

Il a ensuite évoqué les arrêtés de restriction de consommation d'eau pris par les préfets, qui sont passés de 17 au 1er juin à 77 au 22 août dernier, dont 60 étaient encore en vigueur début octobre. Ces arrêtés, dont l'efficacité est en cours d'analyse, visaient à la fois l'irrigation des cultures, les usages domestiques et les prélèvements industriels.

M. Pascal Berteaud a jugé que des marges de manoeuvre existaient encore en matière de gestion de l'eau et qu'il était en particulier nécessaire de travailler avec les producteurs d'électricité d'origine hydraulique, détenteurs de la majorité des ouvrages de stockage, notamment sur la Loire, afin que ces derniers puissent être sollicités en période de sécheresse.

Il a ensuite évoqué les conséquences de la canicule d'août 2003 sur l'eau des rivières. A partir du 8 août, s'est posé le problème des rejets des centrales nucléaires dans un contexte de demande énergétique assez forte. A la demande de Réseau de transport d'électricité (RTE), un arrêté a autorisé, à titre dérogatoire, des rejets d'eau d'une température de 1 à 1,5°C supérieure à la normale pour les centrales comportant des tours aéroréfrigérantes et de 3°C pour les autres. Un comité de suivi, comportant des scientifiques et le président du conseil supérieur de la pêche, a analysé l'impact de la canicule sur le milieu aquatique, sachant que la survie des poissons est aléatoire si la température de l'eau est supérieure à 30° C et a constaté des dommages assez faibles sur ce milieu. Il a par ailleurs souligné le succès de la politique mise en oeuvre, Electricité de France (EDF) ayant usé avec parcimonie du système dérogatoire.

M.  Pascal Berteaud a ensuite exposé les initiatives engagées pour améliorer la situation :

- lancement de travaux destinés à remédier à la fragilité du réseau hydroélectrique ;

- études visant à réduire la consommation d'eau utilisée pour le refroidissement des centrales nucléaires et pour diminuer la température de l'eau rejetée ;

- remise à plat des arrêtés autorisant le rejet d'eau par les centrales, ceux-ci posant des difficultés d'interprétation ;

- réflexions sur une gestion globale de l'eau à l'échelle du bassin avec les différents utilisateurs ;

- pérennisation du dispositif national de veille sur la sécheresse afin de surveiller les températures des rivières et définition d'un programme de recherche sur les milieux aquatiques dans la perspective d'une meilleure gestion des réserves d'eau.

M. Serge Lepeltier, rapporteur, s'est enquis des conséquences de la sécheresse sur les cultures, tant irriguées que non irriguées. Il s'est interrogé sur l'évolution des réserves d'eau et s'est demandé si celles-ci seraient en mesure de répondre aux besoins en cas de réchauffement climatique. Il a également souhaité obtenir des précisions sur les méthodes culturales qui permettraient d'économiser l'eau.

M. Jacques Pelletier, président, s'est également inquiété des conséquences du réchauffement climatique sur l'agriculture, l'irrigation et sur la population piscicole qui semble avoir été moins touchée qu'en 1976.

M. Pascal Berteaud a jugé ces questions essentielles car l'irrigation représente 40 % des prélèvements, dont 70 % ne sont pas récupérés. Sous réserve d'un bilan en fin d'année, il a estimé que les difficultés pour les irrigants n'avaient pas été insupportables et que les pertes de rendement agricole étaient probablement davantage dues à la canicule qu'à la sécheresse.

Il a regretté que le débat actuel porte essentiellement sur la création de nouvelles réserves, estimant qu'il devrait d'abord concerner les méthodes culturales et l'adaptation des spéculations à la situation climatique. Il a relevé, à cet égard, que l'augmentation des réserves d'eau au cours des quinze dernières années s'était accompagnée d'une hausse de la demande et n'avait pas répondu au problème de la gestion collective de la ressource. Il a donc souhaité qu'une logique de responsabilité l'emporte sur la fuite en avant. Tout en jugeant indispensable le maintien d'un système d'irrigation, qui remonte à la nuit des temps, il a souligné les conséquences pour l'environnement de la création de nouveaux barrages et retenues.

M. Daniel Soulage a attiré l'attention de l'orateur sur les réactions des exploitants agricoles face à un tel raisonnement et souligné leur responsabilité dans la multiplication des retenues, même s'il a jugé possible de modérer et de mieux cibler l'irrigation avec de nouvelles méthodes culturales ; il a illustré son propos en citant l'important réseau de petits lacs créés, depuis 1976 dans son département, qui permet de maintenir des activités, notamment agricoles, en zone rurale.

M. Pascal Berteaud a estimé qu'il convenait de sortir d'un débat passionnel, la question essentielle devant porter sur le mode de développement agricole compatible avec l'environnement. Il a ensuite confirmé à M. Jacques Pelletier, président, la faible mortalité de la population piscicole, mais il a indiqué qu'il convenait d'attendre les résultats des analyses d'ici un ou deux ans et que la réduction de cette population pouvait expliquer partiellement ce constat.

M. Daniel Eckenspieller s'est inquiété de la dégradation de la qualité de l'eau de consommation et s'est interrogé sur les incidences de la canicule sur les nappes phréatiques, compte tenu de la concentration d'engrais chimiques sur des sols asséchés.

M. Pascal Berteaud a estimé que ces incidences étaient peu importantes, les craintes ayant plutôt porté sur l'érosion du sol et sur les risques d'inondations à l'automne, ces derniers s'étant en l'occurrence révélés infondés.

M. Jean-Claude Vial a précisé qu'aucun problème n'avait été signalé quant aux conséquences de la canicule sur la qualité de l'eau.

Répondant enfin à M. Jacques Pelletier, président, qui soulignait le bas niveau des besoins de retenue sur la Seine, M. Pascal Berteaud a indiqué que des mesures restrictives pourraient être envisagées en cas d'hiver sec, du fait de la difficulté de réalimenter le barrage de la Marne, qui est vidé tous les dix ans.