MISSION COMMUNE D'INFORMATION  "LA FRANCE ET LES FRANÇAIS FACE A LA CANICULE


Table des matières




Mardi 25 novembre 2003

- Présidence de M. Jacques Pelletier, président -

Audition de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable et de Mme Tokia Saïfi, secrétaire d'État au développement

La mission d'information a d'abord procédé à l'audition de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable et de Mme Tokia Saïfi, secrétaire d'État au développement.

M. Jacques Pelletier, président,
a rappelé, à titre liminaire, l'esprit dans lequel travaillait la mission d'information, en soulignant que son objectif ne consistait pas à conduire une « chasse aux sorcières », mais à comprendre les événements et à faire des propositions. Il a précisé que, si le ministère de l'écologie et du développement durable ne s'était pas trouvé en première ligne face à la crise de la canicule, il était néanmoins apparu concerné à plus d'un titre.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin a déclaré, en préambule, que personne ne pouvait affirmer que la canicule de cet été était le prélude à un réchauffement climatique, mais qu'à l'inverse, personne ne pouvait non plus exclure cette hypothèse.

Elle a affirmé qu'il était en revanche certain que cette crise permettait d'anticiper les problèmes auxquels nous devrions faire face si les estimations prévoyant le réchauffement de l'atmosphère venaient à se confirmer.

Elle a noté que le troisième rapport d'évaluation du Groupe intergouvernemental d'experts sur le climat (GIEC) avait confirmé la perspective d'un dérèglement climatique dont les manifestations devraient être l'augmentation des températures maximales, l'accroissement de la variabilité du climat et l'augmentation de la fréquence et de l'intensité des phénomènes extrêmes comme les vagues de chaleur, les inondations et les tempêtes.

Elle a rappelé que les conséquences de la crise s'étaient traduites par une surmortalité des personnes vulnérables, un accroissement des feux de forêts, des problèmes pour les réseaux de transport et d'énergie et de stress thermique pour les animaux d'élevage. Considérant que cet épisode devait susciter une véritable prise de conscience de la part des pouvoirs publics, elle a estimé que le caractère prolongé du choc thermique, conjugué à une sécheresse prononcée, constituait la principale caractéristique de cette crise.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin a jugé que ce phénomène climatique avait présenté un caractère exceptionnel tout à la fois par sa durée, par son intensité et par son étendue géographique sur une grande partie de l'Europe et qu'il devait, en conséquence, être interprété comme un signal d'alarme soulignant la grande vulnérabilité de notre société.

Elle a rappelé qu'elle avait eu à faire face, en sa qualité de ministre de l'environnement, à une phase exceptionnelle de pollution atmosphérique, notamment par l'ozone, à des incendies de forêts ayant ravagé plus de 60.000 hectares, à une situation hydrologique ayant atteint des niveaux critiques sur une proportion du territoire plus importante qu'en 1976 et à des difficultés pour la production d'électricité en raison des températures élevées des cours d'eau.

Faisant observer que l'ensemble des ministres avaient dû faire face à des situations difficiles dans leur domaine respectif de compétence, elle a considéré que la crise de cet été avait constitué une vraie crise systémique. Elle a ensuite exposé les mesures prises par le ministère de l'environnement et du développement durable pour y faire face.

Elle a indiqué, au préalable, que ses services avaient mis en oeuvre les procédures prévues pour ce cas de figure, mais qu'ils avaient dû aussi, très souvent, sortir de ce cadre existant, en raison du caractère exceptionnel des événements. S'agissant de la pollution atmosphérique, elle a observé que la phase critique s'était étendue du 4 au 12 août, période durant laquelle la France avait connu des concentrations en ozone élevées, supérieures dans bien des endroits aux maxima historiques.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin a précisé que les procédures permettant d'informer le public et de prévenir les personnes les plus vulnérables des précautions sanitaires à prendre face à la pollution, avaient été mises en oeuvre dans toutes les régions touchées.

Elle a indiqué que des communiqués de presse avait été diffusés le lundi 4, puis le jeudi 8 août 2003 et qu'elle avait demandé que des mesures de réduction de la pollution soient mises en place, alors même que le seuil d'alerte européen n'avait pas été franchi. Elle a également relevé que les préfets des zones les plus concernées avaient imposé une réduction de la vitesse automobile et fait procéder à des vérifications de contrôle technique des véhicules. Elle a également précisé que les directions régionales de l'industrie de la recherche et de l'environnement (DRIRE) avaient demandé une réduction des émissions des principaux industriels polluants.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin a noté que le rôle de son ministère avait été double en matière d'approvisionnement électrique, en précisant, en premier lieu, que ses services avaient examiné les demandes de dérogation présentées par EDF, afin de continuer à utiliser l'eau des fleuves pour refroidir ses centrales thermiques et nucléaires. Elle a rappelé que l'augmentation de température engendrée par les centrales était relativement faible, mais que, dans une situation déjà très dégradée, cette faible élévation pouvait être fatale à une partie de la faune aquatique. Compte tenu de la faiblesse des marges de manoeuvre d'EDF et de l'impact écologique prévisible, elle a indiqué qu'elle avait décidé, avec Mme Nicole Fontaine, ministre de l'industrie, d'accorder des dérogations en mettant simultanément en place un comité de suivi des milieux aquatiques, présidé par le président du Conseil supérieur de la pêche.

Soulignant l'absence de surmortalité piscicole attribuable aux centrales, elle a noté que ces dérogations n'avaient été utilisées sur une période significative que par deux centrales, Tricastin et Golfech, et très ponctuellement par deux autres unités. Elle a évalué à 300 mégawatts l'économie réalisée suite à l'appel à la maîtrise des consommations lancé par le Gouvernement le 11 août, date à laquelle elle avait décidé de revenir à Paris compte tenu de l'évolution et de l'urgence de la situation.

En second lieu, elle a ajouté qu'elle avait fait appel, dès le 28 août au réseau national de données sur la nature, pour dresser un premier bilan des impacts sur les milieux naturels, la faune et la flore.

S'agissant de la lutte contre la sécheresse, elle a indiqué que les procédures de gestion des ressources en eau avaient été mises en oeuvre en précisant que des arrêtés de restriction d'utilisation avaient été pris dans 77 départements et que certains d'entre eux étaient encore en vigueur ou avaient été récemment réactivés comme dans la Marne.

Elle a par ailleurs présenté le plan de restauration des espaces forestiers détruits par le feu en notant que ce dernier s'attachait, en complément de la régénération naturelle des peuplements forestiers, à protéger les sols de l'érosion et à assurer la restauration des espèces et des milieux.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin a estimé que la crise de la canicule confirmait que, pour faire face à la multiplication d'événements météorologiques extrêmes, il convenait de suivre trois axes d'action.

Le premier d'entre eux consiste à réduire la vulnérabilité de notre société aux changements climatiques : elle a précisé que l'Observatoire national des effets du réchauffement climatique élaborera dans cette perspective une méthodologie d'évaluation des seuils de vulnérabilité des différents secteurs et engagera une première étude de planification des actions à conduire.

Le deuxième objectif consiste à poursuivre et à renforcer la réduction des émissions de gaz à effet de serre : elle a rappelé que la France s'était engagée à maintenir, à l'horizon 2010, le niveau de ses émissions à hauteur de celui de 1990. Elle a précisé à cet égard que le troisième rapport du GIEC indiquait que, pour simplement limiter l'augmentation moyenne de la température de la planète à 2°C, il faudrait réduire de moitié à l'échelle planétaire ces émissions, ce qui impliquait une division par quatre ou cinq pour les seuls pays industrialisés.

Elle a précisé que les efforts engagés visaient tout d'abord à renforcer les actions nationales, notamment dans les secteurs des transports et du bâtiment qui ont enregistré une croissance préoccupante de leurs émissions (+ 21 % et + 17 % par rapport à 1990). Elle a évoqué l'entrée en vigueur prochaine, en 2005, du futur marché européen des permis d'émissions, la fixation des plafonds d'émission aux entreprises, la transposition de la directive européenne ainsi que du futur plan national d'allocation des quotas d'émission.

Le troisième axe concerne l'innovation technologique, dont elle a souligné le rôle essentiel, elle a rappelé que le Gouvernement avait adopté, le 15 septembre dernier, un plan « véhicules propres » correspondant à un soutien supplémentaire de près de 40 millions d'euros en faveur de la recherche et du développement.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin a indiqué qu'elle s'était impliquée, au niveau international, dans des actions diplomatiques auprès de pays comme le Maroc et la Chine pour qu'ils adoptent des mesures visant à limiter la production de carbone et auprès de la Russie pour que celle-ci ratifie le protocole de Kyoto.

Elle a estimé qu'il convenait désormais de tirer les leçons de la crise de la canicule pour la conduite de l'ensemble des politiques publiques, en exposant ensuite les actions entreprises dans le cadre de son département ministériel.

Elle a rappelé qu'elle avait présenté le 5 novembre dernier une communication en Conseil des ministres proposant, d'une part, d'accentuer la réduction de la pollution par des actions préventives, d'autre part, d'améliorer l'information du public et, enfin, de réduire la pollution en dehors des pics exceptionnels par la limitation de certaines activités individuelles ou la réduction de la vitesse des automobiles. Elle a noté que si la question de l'efficacité de la circulation alternée faisait toujours débat parmi les pays de l'Union européenne, les règles applicables en France avaient néanmoins été considérablement renforcées, pour en faire une vraie mesure de réduction du trafic.

Elle a également fait observer qu'elle avait proposé à ses collègues européens une coordination des actions à entreprendre lors des pics de pollution, mais l'efficacité des efforts de la France était réduite malheureusement par l'inertie de l'Allemagne ou du Royaume-Uni qui ne souhaitaient pas, pour des raisons tant politiques que techniques, engager des mesures restrictives.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin a ensuite estimé qu'il convenait d'adapter les politiques de prévention et de lutte contre les incendies de forêts et précisé que les ministères concernés avaient demandé conjointement une mission d'évaluation sur ces questions. Elle a annoncé que ce rapport devrait être rendu à la fin de ce mois et devrait servir de base à l'élaboration du plan du Gouvernement qui comprendra un important volet consacré à la « reconstruction écologique ».

Constatant l'importance de la maîtrise de l'urbanisme, de la planification régionale et la nécessité de généraliser les plans de prévention des risques incendies de forêts (PPRIF), elle a regretté que certains maires dénoncent l'insuffisance des moyens financiers de l'État et autorisent une urbanisation anarchique sur le territoire de leur commune.

S'agissant des ressources hydrauliques, elle a noté qu'un bilan national de la gestion de la sécheresse était en cours de réalisation et qu'il lui apparaissait d'ores et déjà nécessaire d'étendre la planification des restrictions et de renforcer la coordination entre l'amont et l'aval des bassins ainsi que la corrélation rejets-débits.

Elle a précisé qu'un suivi renforcé de la température et de l'oxygène des cours d'eau sera effectué dès 2004 pour parvenir à mieux gérer les milieux aquatiques et que l'impact des dérogations accordées pendant la crise de la canicule sera analysé à cette occasion. Elle a indiqué que la transposition en droit français de la directive-cadre européenne sur l'eau allait se traduire dans les bassins hydrographiques par un important travail d'analyse, et que les conséquences du changement climatique sur la biodiversité et sur le fonctionnement des écosystèmes devaient faire l'objet de recherches accrues et être prises en compte dans l'élaboration de la stratégie nationale de biodiversité qui sera adoptée au premier semestre 2004.

S'agissant de la production d'électricité, elle a précisé qu'elle avait demandé à Électricité de France (EDF), l'établissement d'un « plan canicule » destiné à améliorer le planning d'entretien de ses centrales et la qualité de la prévision de la température des fleuves. Elle a estimé ensuite qu'il convenait dans le cadre du « plan climat », de mieux maîtriser la demande en électricité à la fois en renforçant la réglementation des appareils et des installations, en développant les énergies renouvelables et en encourageant l'isolation des bâtiments.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin a rappelé que notre pays avait été confronté ces dernières années à une série exceptionnelle de crises : pollutions maritimes, inondations torrentielles meurtrières ou inondations de plaines, accident technologique, feux de forêt, canicule. Elle a fait observer que le dénominateur commun de beaucoup d'entre elles était le facteur climatique. Elle a ainsi souligné que, depuis sa prise de fonction, il y a 15 mois, elle avait eu elle-même à faire face à la vague de froid de janvier, aux inondations torrentielles du sud de la France, à la pollution du Prestige puis à la crise de la canicule. Elle a indiqué que la réponse appropriée se situait au niveau interministériel et que des initiatives allaient être prises dans ce domaine, estimant que le souci de mieux faire face aux défis de l'avenir supposait de prendre en compte toutes les informations, de mobiliser l'ensemble des services, et d'écarter la tentation de rechercher en permanence des boucs émissaires.

Elle a souligné que la crise de cet été avait révélé des dysfonctionnements qui auraient pu être catastrophiques et que nous avions évité de justesse un manque de substances anti-incendie, des menaces sur les lignes électriques dans le Verdon, des délestages massifs ou même des accidents ferroviaires.

Elle a insisté sur le rôle du ministère de l'environnement dans la prévention des risques, estimant que ses prédécesseurs, à l'exception notable de M. Michel Barnier, avaient maintenu, souvent pour des raisons idéologiques, ce ministère dans un « ghetto » et que cet isolement avait limité l'efficacité des politiques de prévention ainsi que leur influence sur les collectivités publiques. Elle a affirmé que toute son action, depuis qu'elle était à la tête de ce ministère, visait précisément à le faire sortir de cet isolement.

Un large débat s'est ensuite instauré.

M. Serge Lepeltier, rapporteur, a demandé à Mme Roselyne Bachelot-Narquin si elle s'était heurtée dans son action à d'éventuels cloisonnements administratifs. Il est convenu par ailleurs qu'elle avait alerté avec force et rapidité l'opinion publique des dangers de la canicule sur le plan de l'environnement et s'est interrogé sur la possibilité d'évaluer les comportements de nos concitoyens. Il a également demandé si l'on pouvait évaluer la part des décès attribuables directement aux effets de la pollution. Il a souhaité obtenir des précisions sur les conséquences environnementales de la canicule pour les forêts. Il a également estimé qu'il serait souhaitable de définir une stratégie sur les modes d'énergie à privilégier à l'avenir pour faire face à l'évolution des « pics » de besoins énergétiques.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin a déclaré qu'elle ne s'était pas heurtée, dans son action, à de tels cloisonnements et elle a souligné, au contraire, la mobilisation de ses services, ainsi que la grande disponibilité de ses collègues du Gouvernement, à commencer par celle du Premier ministre.

Elle a noté que les appels au civisme visant à limiter la consommation d'électricité avaient été suivis puisque 300 mégawatts avaient été ainsi économisés, regrettant cependant que certains médias aient dénigré ce type de message en le qualifiant de « conseils de ménagère », alors même qu'ils sont au contraire très utiles. Elle s'est également inquiétée du développement de la climatisation dans les automobiles, qui risque de réduire l'impact des efforts engagés par les Français.

Elle a souligné la difficulté d'évaluer avec précision l'impact de la pollution dans le total des décès, tout en précisant que le niveau de l'ozone était, à l'évidence, un facteur de mortalité.

S'agissant des « pics » de besoins énergétiques lors de crises du type de celle de la canicule, elle a estimé qu'il convenait de prendre en compte le fait que le mois d'août risquait désormais de devenir une période de forte consommation et que le planning d'entretien des centrales nucléaires devrait être revu en conséquence. Elle a souhaité, qu'à l'horizon 2020, la place des énergies renouvelables augmente, jusqu'à représenter le tiers de la production d'électricité.

Mme Tokia Saïfi, secrétaire d'État au développement durable, a complété les propos de Mme Roselyne Bachelot-Narquin en soulignant le développement satisfaisant du plan d'action en faveur de développement durable, la création d'un correspondant attitré dans chaque ministère et la nécessité, pour être efficace, de changer les comportements des citoyens dans leur vie quotidienne.

M. Alain Gournac a remercié Mme Roselyne Bachelot-Narquin pour la qualité de son intervention et a noté que la France était encore en retard dans le domaine de la prévention. Evoquant son expérience d'élu local, il a estimé que ces actions devaient être correctement conduites, déplorant, a contrario, la banalisation des avis d'alerte et la disponibilité insuffisante de certains services publics en période de vacances.

M. Claude Domeizel a souligné la nécessité de restaurer les espaces forestiers incendiés et l'importance des actions de prévention, se déclarant par ailleurs préoccupé des délais de fiabilité des prévisions météorologiques. Il a demandé si le ministère de l'environnement avait alerté en temps utile les services du ministère de la santé et ceux du ministère de l'intérieur, rappelant que, dès le mois de juillet, on pouvait craindre une situation difficile pour le reste de l'été.

M. Hilaire Flandre, rapporteur, a souligné que l'agriculture française avait eu la chance de traverser la crise de l'été 2003 en disposant au préalable d'importantes réserves d'eau. Il a insisté sur l'impact négatif pour l'environnement des appareils de climatisation et s'est demandé quelle était la possibilité de voir évoluer la position de certains pays pollueurs comme les Etats-Unis. Sur les aspects sanitaires de la crise de la canicule, il s'est demandé si les décès qui sont intervenus correspondaient à un supplément de mortalité ou plutôt à une anticipation de celle-ci.

Répondant à ces interventions, Mme Roselyne Bachelot-Narquin a tout d'abord rappelé que la responsabilité du ministère de l'environnement se situait au niveau de la prévention, et que les services de Météo France relevaient du ministère de l'équipement.

Précisant que son action s'inscrivait au coeur de plusieurs démarches convergentes, avec notamment la future prise en compte de l'impératif de protection de l'environnement dans la Constitution, la stratégie nationale pour le développement durable, et la loi du 30 juillet 2003 sur les risques technologiques et naturels, elle a indiqué d'une façon générale qu'elle avait pour préoccupation d'anticiper les phénomènes susceptibles de se produire, comme par exemple le risque d'inondation à l'automne après la sécheresse de cet été.

Elle a estimé qu'il sera difficile de distinguer parmi les victimes de la canicule, les décès anticipés de ceux qui seraient imputables à une surmortalité avérée. Elle a ensuite affirmé qu'en tout état de cause toute approche statistique était inadmissible en ce domaine. Elle a observé par ailleurs qu'il convenait de lutter contre les habitudes de gaspillage et que la future loi sur l'eau s'efforcera de les combattre. Elle a jugé que l'attitude des Etats-Unis d'Amérique consistant à refuser de ratifier le protocole de Kyoto ne s'expliquait pas seulement par la simple influence du lobby pétrolier mais résultait aussi de l'absence de prise de conscience par les citoyens américains des impératifs de la protection de l'environnement dans leur vie quotidienne.

Mme Sylvie Desmarescaux a insisté sur la nécessité de sensibiliser la population aux actions de prévention à commencer par les enfants, et ce dès le plus jeune âge.

M. Jacques Pelletier, président, a souligné la réactivité du ministère de l'environnement, mais aussi le manque de coordination au niveau européen, souhaitant que les parlementaires français puissent sensibiliser, à l'occasion de leurs missions, leurs homologues étrangers.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin a déclaré que la dimension européenne de son action lui tenait particulièrement à coeur, considérant qu'il s'agissait de l'espace permettant aux politiques publiques d'être le plus efficace. Elle a précisé qu'elle veillait à être particulièrement présente dans les négociations européennes et à collaborer, en particulier, avec ses collègues allemands et anglais sur des sujets concrets comme par exemple les normes d'émission des gaz d'échappement des véhicules automobiles. Elle a rappelé que nos partenaires avaient souvent critiqué la faible implication de ses prédécesseurs dans les instances communautaires et que cette situation devait cesser.

Audition de Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie

La mission a enfin procédé à l'audition de Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie.

Mme Nicole Fontaine
a d'abord procédé à un récapitulatif chronologique de l'action de son ministère durant la canicule, en indiquant que le directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection (DGSNR), agissant en tant qu'autorité de sûreté nucléaire, avait adressé fin juillet à ses trois ministères de tutelle (économie, finances et industrie ; écologie et développement durable ; santé, famille et personnes handicapées) une note, publiée sur Internet, retraçant les difficultés rencontrées concernant les rejets thermiques des centrales nucléaires et précisant, d'une part que ces rejets sont réglementés par des arrêtés fixant des températures maximales des eaux fluviales en aval des centrales, et d'autre part que des dérogations peuvent être autorisées par l'autorité de sûreté nucléaire sous de strictes conditions.

Elle a indiqué que le directeur-adjoint de son cabinet, qui assurait l'intérim du directeur de cabinet en congé, l'avait informée de la situation le 4 août et avait demandé à la direction générale de l'énergie et des matières premières (DGEMP) d'en assurer le suivi. Elle a observé qu'Electricité de France (EDF), le Réseau de transport d'électricité (RTE) et la DGSNR avaient confirmé le caractère délicat de la situation les 5, 6 et 7 août, tout en jugeant qu'il était possible d'y faire face en édictant des dérogations. Elle a précisé que le directeur-adjoint de son cabinet, alerté sur ce point, l'avait informée le 8 août, ainsi que le cabinet du Premier ministre, du fait que la persistance de conditions climatiques extrêmes conduisait à augmenter de manière significative les autorisations de dérogation nécessaires pour maintenir en activité les centrales de production électrique. Elle a rappelé la situation à ce moment, marquée par une consommation supérieure aux normales saisonnières et un risque d'incapacité à fournir l'électricité nécessaire pour y faire face, susceptibles d'entraîner des coupures brutales de courant ou des délestages non maîtrisés. Elle a indiqué qu'il avait alors été décidé de demander à EDF de mettre en oeuvre l'ensemble des possibilités de génération accessibles, de tenter d'agir sur la consommation, d'envisager d'éventuelles modifications réglementaires et d'informer le public.

Précisant que les responsables d'EDF, de RTE, de la DGSNR, de la DGEMP et de son cabinet, en contact permanent depuis le début de la semaine, avaient mis en place une cellule de crise, elle a ajouté qu'elle avait demandé dès le 11 août que se tienne une réunion interministérielle afin que les ministres évoquent l'éventuelle modification de l'arrêté sur les rejets thermiques des centrales. Elle a déclaré qu'une réunion technique de préparation s'était tenue le 10 août et qu'elle avait personnellement informé l'opinion publique à travers une interview au Journal du Dimanche publiée ce même jour et des interventions dans différentes radios, avant d'être relayée par la ministre de l'écologie et du développement durable, Mme Roselyne Bachelot-Narquin, le 11 août.

Elle a ensuite fait état des décisions auxquelles avait abouti la réunion interministérielle du 11 août :

- s'agissant de l'offre d'électricité : l'engagement d'EDF à acheter sur les marchés européens toute l'électricité disponible, à réduire au minimum ses exportations, à obtenir l'« effacement » d'un maximum d'entreprises clientes lors des pics de consommation, à mobiliser son parc de groupes électrogènes, à recourir à la cogénération et à reporter, dans la mesure du possible, les travaux de maintenance ;

- concernant la consommation des ménages : l'amplification de l'appel aux économies d'énergie lancé la veille ;

- s'agissant de la réglementation relative aux rejets : le remplacement des températures maximales autorisées pour les eaux fluviales en aval des centrales nucléaires et thermiques par un différentiel maximal de température entre l'amont et l'aval ;

- concernant la coordination : la pérennisation du dispositif d'alerte et de gestion de crise mis en place la semaine précédente et la tenue d'une réunion interministérielle au minimum tous les deux jours.

Rappelant que l'arrêté interministériel signé par la ministre de l'écologie et du développement durable, le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, M. François Mattei, ainsi qu'elle même, le 12 août, puis publié le lendemain par le Journal officiel, avait permis le maintien en activité de plusieurs centrales telles Blayais sur la Gironde, Golfech sur la Garonne, Tricastin sur le Rhône et Cattenoz sur la Moselle, elle a ensuite indiqué qu'elle avait multiplié les interventions dans les médias les 11, 12, 13 et 14 août. Reconnaissant que la cellule de crise constituée autour de son cabinet avait envisagé, à partir du 13 août, d'éventuels délestages sélectifs au cas où il n'aurait plus été possible de répondre à la demande à partir du 18 août, date de la reprise de l'activité économique après la période principale de congés et le long week-end du 15 août, elle a précisé qu'une réunion interministérielle s'était tenue à Matignon le 14 août sous la présidence du conseiller technique pour la sécurité intérieure afin d'étudier les différents scénarios envisageables pour la semaine suivante. Les prévisions de Météo France ayant confirmé la baisse des températures, il a alors été estimé, a t-elle ajouté, que les capacités de production disponibles seraient suffisantes pour faire face à la demande et qu'il ne serait donc pas nécessaire de mettre en oeuvre le plan de délestage qui avait été élaboré pour le 18 août, la cellule de crise continuant de fonctionner de façon permanente tandis que le Gouvernement rassurait l'opinion publique sur l'évolution de la situation.

Constatant que les prévisions, tant météorologiques que relatives à la production d'électricité, avaient été confirmées le 18 août, elle a précisé qu'une réunion interministérielle s'était tenue à Matignon le 19 août afin de préparer le conseil des ministres du 21 août, consacré notamment à un premier bilan de l'évolution climatique et de l'action du Gouvernement.

Exposant ensuite les premières conclusions concernant la gestion de la crise, elle s'est félicitée du bon fonctionnement du dispositif technique et administratif en matière énergétique, malgré des conditions climatiques exceptionnelles, observant qu'EDF, RTE, l'autorité de sûreté nucléaire et les diverses administrations concernées avaient parfaitement réagi. Elle a par ailleurs jugé que la concertation interministérielle, sous son impulsion et sous l'autorité du Premier ministre, avait fonctionné de manière satisfaisante. Précisant que le surcoût global avait été chiffré à 300 millions d'euros, elle a constaté que les dérogations accordées l'avaient été de façon aussi restrictive que possible et qu'aucun dommage sanitaire ou environnemental n'avait été relevé à ce jour.

Elle a reconnu cependant que la situation avait été à plusieurs reprises extrêmement tendue et que des mesures préventives devraient être prises à l'avenir. Rappelant qu'elle avait demandé à EDF et à RTE d'établir un « plan canicule » qui serait très prochainement présenté, elle a déclaré avoir contacté son homologue italien afin qu'il sensibilise la présidence de l'Union européenne sur la nécessité de mener une réflexion quant aux moyens de renforcer le dispositif européen d'alerte et de coordination en cas de situation climatique exceptionnelle. Précisant que cette initiative avait été accueillie de manière positive, elle a annoncé qu'elle serait discutée lors du prochain conseil européen de l'énergie, le 15 décembre, sur la base d'un document préparé par la Commission européenne.

Convenant par ailleurs que la préparation du processus de délestage sélectif avait fait apparaître des insuffisances et des lacunes, s'agissant notamment de l'information préalable des autorités concernées, telles les préfectures et les collectivités territoriales, ainsi que du ciblage des coupures afin de limiter au maximum leurs effets, notamment pour les personnes fragiles et les utilisateurs prioritaires, elle s'est félicitée de ce que l'appel au civisme ait été entendu et ait permis de réduire la consommation d'énergie de 300 mégawatts.

Estimant que cette crise rendait nécessaire une meilleure maîtrise de nos consommations énergétiques sur le long terme, elle a annoncé que le futur projet de loi d'orientation sur l'énergie, soumis au Parlement au début de l'année 2004 après une large concertation, intégrerait ce paramètre dans ses trois piliers relatifs à la maîtrise de l'énergie, à la diversification du bouquet énergétique par le développement des énergies renouvelables et à la préparation de l'horizon 2020 par le maintien de l'option nucléaire.

Un large débat s'est alors instauré.

M. Serge Lepeltier, rapporteur, a interrogé la ministre sur la place respective de chaque type d'énergie dans les « pics de besoin » et la possibilité d'y faire face en augmentant la part des énergies renouvelables, ainsi que sur la qualité du réseau électrique français et sa capacité à faire face à ce type de phénomène climatique. Il a également demandé des précisions sur les conséquences de la canicule pour l'ensemble du secteur industriel et sur son éventuelle estimation en termes de points de PIB, sur les mesures prises, notamment à l'égard des industriels, pour réduire l'émission de gaz à effet de serre, et sur les enseignements susceptibles d'être tirés de la sécheresse de 1976 et de la réaction des différents pays européens à la crise de cet été.

M. Hilaire Flandre, rapporteur, s'est enquis du surcoût résultant de la canicule et de la façon dont aurait évolué la situation en matière énergétique si elle avait perduré, des risques potentiels de rupture du réseau électrique national, des estimations en termes de pertes de croissance et de l'opportunité de conserver une place prioritaire à l'énergie nucléaire alors que le risque de nouvelles canicules n'était pas à écarter.

En réponse à ces interventions, Mme Nicole Fontaine a apporté les précisions suivantes :

- il n'y a pas eu d'étude précise sur la part de chaque énergie, et notamment des énergies renouvelables, dans les pics de besoins, étant précisé que l'objectif fixé par l'Union européenne consistant à augmenter la part des énergies renouvelables à hauteur de 21 % d'ici 2010 serait inscrit dans la loi d'orientation sur l'énergie et requerrait un renforcement significatif de l'effort de recherche en la matière ;

- aucune conséquence significative de la canicule n'a été relevée pour l'ensemble du secteur industriel (hors énergie), sachant que le fait qu'elle soit intervenue durant la période estivale a sans doute largement contribué à en restreindre les conséquences ;

- la continuation de la canicule aurait provoqué la mise en place du plan de délestage, qui se serait sans doute déroulée dans des conditions satisfaisantes en raison de sa bonne préparation et d'une sensibilisation satisfaisante du public ;

- le maintien de l'option nucléaire conduira à repenser la localisation des centrales et notamment à préférer celles situées sur les bords de mer, qui subissent moins les effets de la canicule ;

- la sécheresse de 1976 n'était en rien comparable, quant à ses effets sur la production énergétique, à la canicule de cet été ;

- tous les pays européens, au-delà de leurs spécificités, ont des réseaux de production et de distribution d'électricité vulnérables (comme l'a illustrée la rupture du réseau italien), ont envisagé de recourir au délestage (sauf l'Allemagne et la Suisse) et devront donc réfléchir aux moyens à mettre en oeuvre pour renforcer leur système énergétique en vue d'une prochaine canicule ;

- des actions ont été engagées avec la ministre de l'écologie et du développement durable afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre, que ce soit à travers la transposition de la directive européenne sur les permis à polluer instaurant des « quotas de carbone » d'ici 2005, la signature par 24 grandes entreprises d'engagements volontaires à réduire de 20 millions de tonnes leurs rejets de CO2 d'ici 2007, ou encore le projet de loi d'orientation sur l'énergie prévoyant de diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre d'ici 2050.

Remerciant la ministre pour la clarté de son exposé, M. Alain Gournac l'a interrogée sur l'existence d'une réflexion au sein de son ministère sur la gestion d'autres aléas climatiques extrêmes tels que des grands froids, sur la faculté qu'avait EDF, au point de vue juridique, de rompre brutalement ses contrats commerciaux, sur le degré de mise à jour des plans de délestage et sur la nécessité de communiquer davantage en ce qui concerne l'importance des économies d'énergie.

En réponse, Mme Nicole Fontaine a apporté les précisions suivantes :

- une campagne de sensibilisation de l'opinion publique sur la maîtrise de l'énergie sera lancée au début de l'année prochaine ;

- un plan « canicule », outre les plans « grand froid » et « tempête », sera bientôt élaboré, sachant que l'ensemble des mesures prises par EDF durant la canicule constitueraient à elles seules un véritable plan si elles étaient formalisées ;

- le plan de délestage devra effectivement être mis à jour ;

- les contrats liant EDF à ses clients comportent des seuils de fourniture minima qu'il n'est pas possible d'ignorer, même si des marges de manoeuvre existent.

M. Jacques Pelletier, président, a conclu en remarquant que la concertation et la coordination pour la gestion du volet énergétique de la canicule avaient été très satisfaisantes et en faisant observer qu'il faudrait y sensibiliser les autres pays, et notamment ceux, tels les Etats-Unis, qui se montraient réticents à prendre des engagements en matière de maîtrise de l'énergie.

Mercredi 26 novembre 2003

- Présidence de M. Jacques Pelletier, président -

Audition du colonel Richard Vignon et du médecin colonel Jean-Yves Bassetti, président et vice-président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France

La mission d'information a tout d'abord procédé à l'audition du colonel Richard Vignon et du médecin colonel Jean-Yves Bassetti, président et vice-président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France.

Le colonel Richard Vignon a rappelé que sa Fédération représentait les sapeurs-pompiers territoriaux, les 96 services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) couvrant l'ensemble du territoire, à l'exclusion de Paris, de la petite couronne parisienne et de Marseille. Il a précisé que les sapeurs-pompiers avaient été doublement sollicités l'été dernier, au titre à la fois de la crise sanitaire et des incendies qui ont ravagé la forêt méditerranéenne.

S'agissant de la crise sanitaire, il a souligné que les SDIS n'avaient, à aucun moment, été sollicités comme l'a été la brigade des sapeurs-pompiers de Paris. En région, les moyens humains et matériels ont en effet permis de répondre aux besoins, l'augmentation importante du nombre des interventions ayant pu être régulée dans un cadre normal, sans qu'il soit nécessaire d'alerter les états-majors de zone de la sécurité civile. Leur mission s'est bornée au transfert des victimes de la canicule dans les services d'urgence.

Il a souligné que, parallèlement à cette activité opérationnelle, nombre de sapeurs-pompiers avaient joué spontanément et bénévolement un important rôle de lien social au niveau local, en fournissant notamment de l'eau et un soutien psychologique à de nombreuses personnes âgées. Il y a vu la confirmation de l'importance d'une revitalisation du volontariat dans les corps de sapeurs-pompiers et du maintien d'un maillage étroit du territoire par les centres d'incendie et de secours. Il a estimé que ce type de crise mettait également en exergue la nécessaire diffusion d'une véritable culture du risque au sein de la population, par l'intermédiaire des écoles ou des médias.

Il a ensuite regretté que, face à la situation de saturation et de débordement des structures sanitaires, il n'ait pas été fait appel aux moyens matériels et humains de la sécurité civile, pourtant disponibles et rapidement mobilisables, du fait d'un cloisonnement administratif excessif et d'un déficit de coordination entre les différents ministères. Il a estimé qu'avait manqué un organe de décision capable de prendre « à chaud », en temps réel, la dimension de la crise et de coordonner les réponses des différents acteurs des secours. En particulier, la dimension interministérielle du Centre opérationnel de gestion interministérielle de crise (COGIC), qui relève du ministère de l'intérieur, a été très largement ignorée.

Dans ces conditions, il a fait part des réserves de son organisation concernant la proposition de création d'un « COGIC santé », formulée en septembre dernier dans le rapport de la mission présidée par le docteur Lalande : il lui a paru préférable, dans une logique de décloisonnement et de simplification administrative, de renforcer et d'optimiser la dimension interministérielle de l'actuel COGIC.

Il a également observé un manque de transversalité dans la transmission et dans l'interprétation de l'information. Il a cependant insisté sur le fait qu'il n'appartenait pas aux sapeurs-pompiers, qui n'en avaient d'ailleurs pas les moyens, de donner plus rapidement l'alerte sur l'augmentation alarmante de la mortalité. En effet, seuls les services d'aide médicale d'urgence (SAMU) pouvaient avoir une vision précise de la situation globale en la matière, les sapeurs-pompiers n'étant que des intervenants parmi d'autres pour les missions de transport sanitaire. Il a ainsi justifié la grande circonspection de sa Fédération face à la proposition formulée en septembre dernier par la mission d'information de l'Assemblée nationale sur les causes et conséquences de la canicule, tendant à confier aux SDIS une mission permanente de veille sanitaire. Il a estimé, sauf à étendre sensiblement le champ de compétence de la sécurité civile et à en tirer les conséquences en termes d'organisation et de moyens financiers, qu'on ne pouvait considérer cette crise sanitaire comme une crise de sécurité civile. Il a, à cet égard, relevé le retard pris dans la publication de la circulaire visant à clarifier les missions des acteurs de l'aide médicale urgente, ainsi que pour l'élaboration du projet d'arrêté d'application de la loi « démocratie de proximité » relatif au remboursement aux SDIS des transports de malades. Il a jugé qu'un tel transfert de compétences s'exercerait au détriment de l'efficacité opérationnelle, du volontariat et des finances locales.

Le colonel Richard Vignon a estimé en conséquence irréaliste de confier aux SDIS une mission de veille sanitaire, mais a noté que ces services pouvaient être appelés en renfort en cas de crise sanitaire importante et qu'ils avaient vocation à être associés à la préparation de plans « chaleur » adaptés localement par les préfets, en coopération avec les élus locaux.

Il a ensuite évoqué les dommages causés par les incendies de forêt : plus de 2.000 départs de feu, plus de 60.000 hectares de forêt détruits, 10 victimes, dont 4 sapeurs-pompiers, ce bilan étant le plus lourd des 30 dernières années.

Il a indiqué que, compte tenu des conditions météorologiques des mois précédents, et donc de la prévisibilité des difficultés de cette campagne de lutte, sa Fédération était intervenue le 30 juillet dans le débat public pour dénoncer les graves carences constatées dans la gestion de cette crise, liées en particulier à un manque d'anticipation et la mise en oeuvre très insuffisante de moyens de prévention. Le colonel a estimé que l'occurrence du risque aurait justifié une anticipation très en amont et a jugé à la fois tardive, erratique et parcimonieuse, la gestion des colonnes de renfort de 1.500 sapeurs-pompiers venant d'autres départements. Il a regretté qu'une vision trop strictement comptable et à court terme ait conduit, au début de la crise, à suspendre le départ de nombreuses colonnes déjà mises en alerte et à provoquer de trop nombreux mouvements d'allers et retours, éprouvants tant pour les personnels que pour les matériels.

Le colonel Richard Vignon a indiqué en outre que cette crise avait mis en lumière l'insuffisance et la vétusté de la flotte aérienne dédiée à ces actions, ainsi que la nécessité d'une meilleure prise en compte des risques liés aux feux dans les politiques en matière d'urbanisme et de gestion des forêts.

Il a ensuite évoqué les importantes mesures récemment annoncées par le ministre de l'intérieur, qui prennent en compte les principaux enseignements de cette crise : déploiement de colonnes préventives et prépositionnement stratégique de moyens d'intervention dès le début de l'été ; acquisition de deux avions gros porteurs ; emploi d'hélicoptères lourds pour accroître la polyvalence de la flotte aérienne de la sécurité civile ; négociation engagée pour recourir aux moyens de pays étrangers ; renforcement du contrôle et de la prise en compte des risques de feux de forêt par les collectivités territoriales lors de la révision des documents d'urbanisme et du respect par les propriétaires de leurs obligations en matière de débroussaillement ; généralisation des plans de prévention des risques liés aux incendies de forêt...

Le colonel Richard Vignon a regretté l'absence de culture de sécurité civile en France, où prime une approche curative des crises, toujours dramatique et plus coûteuse pour la collectivité, sur une approche préventive et responsable. Il a souhaité que les colonnes de renfort soient affectées prioritairement à la gestion des risques courants, ce qui permettrait aux sapeurs-pompiers locaux de se consacrer à la lutte contre les feux de forêt. Il a jugé, par ailleurs opportun d'assouplir la gestion de ces colonnes, notamment en abandonnant le principe d'indivisibilité d'une colonne, pour un dispositif fondé sur des groupes d'intervention plus mobiles. Evoquant le projet de loi de finances pour 2004 et le projet de loi relatif à la modernisation de la sécurité civile, en préparation, il a appelé de ses voeux une programmation budgétaire adaptée aux enjeux, respectée dans la durée et ne reposant pas sur les seules collectivités territoriales.

Il a enfin souhaité que les investissements en matière de sécurité civile ne soient pas seulement considérés comme une charge, mais s'inscrivent dans une approche de gestion économique des risques.

Après avoir remercié l'orateur pour la précision et la franchise de son discours, M. Jacques Pelletier, président, a demandé si le COGIC n'aurait pas pu se saisir lui-même de la situation de l'été dernier.

Le colonel Richard Vignon lui a indiqué qu'il aurait été difficile au COGIC de s'autosaisir en l'absence d'informations, estimant qu'une responsabilité claire devait être affichée, soit au niveau interministériel, soit avec un ministère chef de file.

M. Hilaire Flandre, rapporteur, a exprimé la crainte que beaucoup de temps soit consacré à régler les problèmes de conflits de compétences. Puis il a demandé si les personnels avaient bénéficié de formations leur permettant de répondre utilement aux besoins, si la coordination des acteurs concernés sur le terrain et la diffusion des informations entre eux avaient été satisfaisantes et, enfin, quel était le sentiment de la Fédération sur les difficultés rencontrées en région parisienne et sur les divergences d'interprétation auxquelles elles avaient donné lieu entre la préfecture de police et la brigade de sapeurs-pompiers de Paris.

Le colonel Richard Vignon n'a pas souhaité répondre à cette dernière question, la région parisienne n'entrant pas dans le champ de compétence de son organisation.

M. Serge Lepeltier, rapporteur, a regretté que les différents acteurs semblent « se renvoyer la balle » et a rappelé que le préfet représente l'ensemble des ministères dans le département, où il exerce une mission transversale. Il n'y a donc pas lieu, selon lui, de désigner une administration qui aurait la suprématie sur les autres.

Mme Valérie Létard, rapporteur, a demandé des précisions sur les préconisations de la Fédération en matière de prévention et d'anticipation des crises.

Le colonel Richard Vignon a assuré que les sapeurs-pompiers ne revendiquaient aucune suprématie ni exclusivité en matière de sécurité civile, laquelle devrait être l'affaire de tous. Il a souhaité que les sapeurs-pompiers, dont les effectifs -de l'ordre de 250.000 hommes- sont composés à 85 % de volontaires, puissent se concentrer sur leur mission principale, liée aux urgences et aux secours. Il a fait part de la démotivation de ces personnels, dans la mesure où ils se voient confier de trop nombreuses missions de transport sanitaire, sans lien avec ces urgences et, en outre, coûteuses pour les collectivités territoriales. Il a souhaité qu'au-delà d'une vision comptable soit effectué un bilan économique global des actions de prévention et d'anticipation, qu'il a jugées très insuffisantes en France.

Il a indiqué qu'en l'absence de feux de forêt de cette ampleur depuis 7 ou 8 ans, son organisation avait souligné les risques découlant de l'abandon du débroussaillement et du vieillissement des avions. Après avoir salué l'efficacité et l'implication de l'ensemble des acteurs sur le terrain, il a estimé que la mise en place de moyens préventifs permettrait de diviser par deux les dommages liés aux incendies. Il s'est interrogé sur les moyens dont disposaient réellement les préfets pour coordonner les différents services concourant à la sécurité civile, moyens qu'il a estimé très insuffisants pour assurer une nécessaire transversalité et mobiliser, le cas échéant, les acteurs concernés 24 heures sur 24.

Le médecin colonel Jean-Yves Bassetti a confirmé ce propos et relevé que, dans le midi de la France, le préfet de zone n'avait pas réussi à se faire entendre du ministère de l'intérieur, qui n'avait réagi qu'après l'alerte donnée par la Fédération, elle-même saisie par le président de l'union régionale du sud. Il a ensuite rappelé que les sapeurs-pompiers devaient obligatoirement recevoir une formation à la lutte contre les feux de forêt, un diplôme de premier niveau étant exigé d'eux et un contrôle étant réalisé en cas d'accident avec un véhicule. Il a jugé nécessaire une gestion au niveau national, le cadre départemental étant dépassé et s'est enfin étonné qu'aucune information ne soit remontée des états-majors de zone, comme c'est le cas, par exemple, pour les noyades.

M. Paul Girod s'est proposé de communiquer à la mission d'information le Livre blanc du Haut comité français de la défense civile relatif à la coordination interministérielle. Il a souligné qu'en l'absence de moyens, l'article 17 de l'ordonnance de 1959 sur l'organisation de la sécurité civile, placée sous l'égide du ministère de l'intérieur, n'était pas appliqué et que les problèmes de coordination entre les administrations concernées résultaient pour l'essentiel d'un manque de concertation.

M. Paul Girod a, par ailleurs confirmé la faiblesse des moyens dont disposent les préfectures pour assurer leur mission de coordination transversale. Il a, enfin, regretté la rupture du lien sociétal et familial ainsi que l'absence de culture du risque des Français.

M. Hilaire Flandre, rapporteur, a dénoncé les conflits de compétences entre services publics dans le domaine du transport sanitaire, et le manque de coordination notamment lors des accidents de la route.

Le colonel Richard Vignon a jugé effectivement nécessaire de clarifier les missions des différents acteurs concernés, l'imbroglio actuel ayant un coût en termes humain et financier. Dans l'hypothèse où le secteur privé et les structures hospitalières ne sont pas en mesure de répondre à l'ensemble des besoins dans le domaine du transport sanitaire, il conviendrait alors, selon lui, de demander clairement au service public de la sécurité civile de combler ces carences et d'en assumer les conséquences, notamment en adaptant ses moyens humains, matériels et financiers.

Il a, par ailleurs, préconisé le développement d'une culture du risque au sein de la population ainsi que l'organisation d'exercices de sécurité civile et d'évacuation en grandeur réelle, comme c'est le cas à l'étranger. De tels exercices auraient le mérite de mettre les problèmes en lumière, inciteraient à la clarification des missions et compétences des différents acteurs, et permettraient par conséquent des économies de moyens.

Il a insisté sur la nécessité d'envisager une approche économique globale de la sécurité civile, avec un changement de culture privilégiant la prévention, à l'instar des pays anglo-saxons qui y consacrent les deux tiers de leur budget, contre environ un tiers pour la France, un tel changement ne devant pas entraîner de coût supplémentaire.

M. Hilaire Flandre, rapporteur, a demandé si, en cas d'incendie de forêts, l'aide de brigades de sapeurs-pompiers d'autres départements pouvait être sollicitée sans autorisation de l'administration centrale.

Le médecin colonel Jean-Yves Bassetti lui a précisé que, le caractère national de la gestion des moyens et de l'organisation en zones, n'autorisait que des partenariats entre départements d'une même région.

M. Jacques Pelletier, président, a souhaité qu'une meilleure coordination soit organisée entre les départements et entre les régions, les crises dépassant généralement l'échelle d'un département. Evoquant ensuite le soutien volontaire apporté l'été dernier aux personnes âgées par les sapeurs-pompiers, il a demandé si ces derniers pourraient disposer de listes des personnes à risque afin de pouvoir les aider efficacement dans une situation de crise.

Le médecin colonel Jean-Yves Bassetti a indiqué que de nombreux acteurs étaient présents dans les départements, tels que la Croix-Rouge qui dispose de moyens importants. Il a regretté qu'en l'absence de remontée d'informations et de relations transversales entre administrations, les sapeurs-pompiers de Paris n'aient pas sollicité ceux de départements voisins, qui auraient pu mettre des moyens à leur disposition. Il a estimé possible de développer au niveau des départements et des agglomérations, des plans d'action couvrant les différents risques majeurs.

Audition de M. Pascal Coste, secrétaire général adjoint de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA)

La mission a ensuite procédé à l'audition de M. Pascal Coste, secrétaire général adjoint de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA). Après s'être félicité de la création, par le Sénat, d'une mission commune d'information prenant en compte les effets de la canicule sur le secteur agricole, il a remarqué que celle-ci avait été bien appréhendée par le monde rural, animé de valeurs fortes liées à la famille et à la solidarité. Observant que l'agriculture était plus sensible à la sécheresse qu'à la canicule et que l'année précédente avait déjà été marquée, dans certaines régions, par un manque de précipitations ayant réduit les ressources en eau, il a ensuite insisté sur le manque de fourrages ressenti durant l'été, qu'il a attribué notamment aux conséquences de la crise récente de l'ESB.

Indiquant que la sécheresse et la canicule, exceptionnelles par leur durée, leur intensité et leur couverture territoriale, avaient lourdement affecté l'agriculture au cours de cet été, il a rappelé que les pertes étaient estimées à 4 milliards d'euros pour le monde agricole, précisant que les pertes les plus importantes concernaient le déficit en fourrages (1,5 milliard d'euros) et en rendements de céréales (1 milliard d'euros). Indiquant que la production de blé avait reculé de 21% en volume par rapport à celle de 2002, contre 29% pour celle de maïs, il a observé que la production de fruits et de légumes avait été également très affectée, tout comme les élevages hors-sol, qui ont perdu 4 millions d'animaux.

Il a ensuite évoqué le dispositif d'aide mis en place en faveur des victimes de la sécheresse. S'agissant du Fonds national de garantie des calamités agricoles (FNGCA), il a déploré que l'Etat n'ait pas versé sa quote-part durant les cinq dernières années et qu'il n'ait pas prévu de le doter dans le projet de loi de finances pour 2004, alors qu'il connaît cette année un déficit de financement de l'ordre de 30% de son budget. Il a estimé qu'il faudrait envisager, en conséquence, de faire appel à la solidarité nationale les années où des besoins se feraient sentir.

Concernant l'aide au transport de fourrages, il a estimé que le ministère avait bien réagi en débloquant une enveloppe de plus de 50 millions d'euros, déplorant toutefois l'absence de relations satisfaisantes entre les agriculteurs et les transporteurs, ainsi que la très faible réactivité de la SNCF et de l'armée : il a regretté à cet égard que la fermeture de nombreuses petites gares en milieu rural ait compliqué l'acheminement du fourrage.

S'agissant du Fonds d'allègement des charges (FAC), il a indiqué qu'il était doté de 20 millions d'euros, estimant ces crédits insuffisants, au regard notamment des pertes importantes de la filière élevage.

Après avoir insisté sur l'importance pour la politique agricole nationale de posséder des corps intermédiaires forts et rappelé à cet égard que la FNSEA avait organisé le transport de 350 000 tonnes de paille, il a exposé les stratégies à mettre en oeuvre à l'avenir. Abordant le thème des ressources en eau et évoquant la création de nouvelles retenues collinaires, il a reconnu que le milieu agricole suscitait une certaine incompréhension de l'opinion publique lorsqu'il recourait à une abondante irrigation en période de canicule, alors qu'étaient édictées des restrictions d'eau, tout en observant que le secteur industriel devrait également être inclus dans une réflexion plus large sur la gestion de l'eau.

Jugeant que le mécanisme de l'assurance récolte, dont il a rappelé qu'il faisait l'objet d'une gestion tripartite associant l'Etat aux agriculteurs et aux assureurs, devrait être étendu à toutes les productions et à toutes les régions afin de mutualiser les risques et de gérer ainsi tous les aléas, il a également insisté sur la nécessité de renforcer l'aide aux personnes âgées en milieu rural, en décloisonnant notamment l'intervention des divers acteurs et en réexaminant leur statut et leur formation.

Convenant que la solidarité jouait plus fortement en milieu rural qu'en milieu urbain, M. Jacques Pelletier, président, a fait observer que les campagnes avaient bénéficié de températures nocturnes plus fraîches que les villes durant la canicule.

M. Hilaire Flandre, rapporteur, s'est demandé dans quelle mesure l'expérience des sécheresses précédentes avait été utile et quels enseignements pourraient être tirés des mesures prises par les principaux pays agricoles européens. Il s'est également interrogé sur les inconvénients potentiels du mécanisme de l'assurance récolte, occasionnant des frais de gestion bancaires et susceptible de déresponsabiliser les exploitants agricoles, ainsi que sur le premier bilan qui pouvait être tiré du mécanisme de la « provision pour aléas ». Il a enfin évoqué la possibilité de recourir à des spéculations, des techniques de production et des méthodes de culture et d'irrigation plus économes en eau.

En réponse, M. Pascal Coste a apporté les précisions suivantes :

- répétant que les exploitants agricoles ne possédaient pas de réserves de fourrage suffisantes du fait des conséquences de la crise de l'ESB, il a évoqué l'idée de constituer des stocks dans les régions céréalières tout en veillant à en contrôler les prix ;

- s'agissant des méthodes de production, il a critiqué l'évolution de la politique agricole commune (PAC), estimant qu'elle avait conduit les paysans à abandonner contre leur gré la polyculture élevage, laquelle aurait permis d'échanger de la paille au niveau local, pour les contraindre à se spécialiser de manière excessive. Reconnaissant que les élevages intensifs pouvaient parfaitement être « extensifiés », il a toutefois mis en garde contre les risques de délocalisation de la production susceptibles d'en résulter, et s'est demandé dans quelle mesure le consommateur serait prêt à payer davantage pour bénéficier de produits d'une plus grande qualité ;

- concernant l'assurance récolte, il a évoqué l'idée d'utiliser une faible part des 40 milliards d'aides européennes à l'agriculture pour mettre en place un dispositif d'assurance revenu qui ne couvrirait qu'une partie du chiffre d'affaires de l'agriculteur et requerrait un financement suffisant de sa part, afin de prévenir toute déresponsabilisation ;

- observant que 80% des agriculteurs ne pouvaient profiter du mécanisme de la provision pour aléas en raison de leur régime fiscal, il a également souligné que les exploitants ayant des niveaux de revenus suffisamment élevés pour en bénéficier n'appartenaient pas aux zones d'élevage, qui en avaient le plus besoin ;

- enfin, s'agissant des enseignements tirés des dernières sécheresses, il a considéré qu'ils avaient permis d'augmenter les ressources en eau et de mieux maîtriser les techniques d'irrigation, même si des problèmes liés à la sécheresse subsistaient dans le nord, mais pas d'améliorer les pratiques agricoles

M. Jacques Pelletier, président, a fait observer que la résistance des semences aux conditions climatiques extrêmes avait enregistré de gros progrès depuis la sécheresse de 1976. Il a par ailleurs regretté que les meules de paille constituées dans son département dès le début de la canicule n'aient été acheminées que vers la fin du mois d'octobre, après avoir été exposées aux diverses intempéries.

Partageant ce constat, M. Pascal Coste a déploré que le transport de paille ne soit pas plus rapide, ce qu'il a expliqué par divers facteurs tels que l'insuffisance de rames de trains disponibles, le nombre important de ruptures de charge ou encore les contraintes de service des personnels de la SNCF.

Répondant ensuite à M. Alain Gournac, qui s'était interrogé sur une éventuelle relation entre la canicule et la hausse du prix des fruits et légumes, ainsi que sur l'existence d'une réflexion globale sur la gestion des personnes âgées en milieu rural, M. Pascal Coste a indiqué :

- que la canicule et les pertes de récolte en résultant n'avaient joué qu'un rôle accessoire dans l'augmentation du prix des fruits et légumes, laquelle procédait principalement d'une hausse des marges des distributeurs ;

- que si son département avait mené une action globale et concertée pour venir en aide aux personnes âgées en milieu rural, une telle réaction était demeurée exceptionnelle à l'échelle du pays, les différents acteurs concernés n'ayant pas suffisamment assumé leurs responsabilités.

S'est alors engagée une discussion sur la nécessité d'établir un protocole d'action, tant au niveau national qu'au niveau local, destiné à gérer des crises de ce type. M. Alain Gournac a fait observer que si la constitution d'une « check list » destinée à alerter et à informer était souhaitable, il faudrait éviter qu'elle ne se traduise par des normes excessivement contraignantes et prévoir son application aux épisodes de grands froids. M. Pascal Coste a souligné que des actions de bon sens (prévoir, par exemple, qu'un groupe électrogène puisse être branché sur le réseau électrique de chaque village pour l'alimenter en cas de rupture) vaudraient mieux que de vastes plans difficilement applicables. Enfin, tirant les enseignements du déficit d'alerte et des carences en termes de sécurité dont elle avait été victime dans sa commune suite à un problème de pollution des eaux, Mme Gisèle Gautier a souligné que l'établissement d'un protocole à appliquer en cas de grave crise climatique devrait nécessairement s'accompagner de son actualisation régulière.

Audition de MM. Christian de Lavernée, directeur de la défense et de la sécurité civiles au ministère de l'intérieur, Didier Montchamp, sous-directeur de l'organisation des secours et de la coopération civilo-militaire, et André Ducat, lieutenant-colonel, responsable du centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC)

La mission a enfin entendu MM. Christian de Lavernée, directeur de la défense et de la sécurité civiles au ministère de l'intérieur, Didier Montchamp, sous-directeur de l'organisation des secours et de la coopération civilo-militaire, et André Ducat, lieutenant-colonel, responsable du centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC).

M. Christian de Lavernée
a présenté successivement les conséquences de la canicule de l'été dernier dans les domaines sanitaire, des feux de forêt, de la sécurité électrique, du patrimoine bâti et de l'agriculture.

S'agissant du volet sanitaire, il s'est demandé s'il aurait été possible de mieux prévenir, prévoir et atténuer les effets d'une vague de chaleur d'une ampleur et d'une intensité aussi exceptionnelles. Il a indiqué que le système de centralisation des informations par sa direction était alimenté par le réseau des préfectures, mais que les décès ayant été enregistrés par divers types de structures, aucune mesure exhaustive de l'ampleur de la surmortalité n'avait été effectuée ni, par conséquent, d'alerte précoce. Il a précisé qu'une forte proportion des décès était survenue dans des maisons de retraite ou des hôpitaux et que les sapeurs-pompiers n'intervenaient pas dans ce cadre. Il a regretté, par ailleurs, l'absence de systèmes d'observation, même par sondage, l'Institut national de veille sanitaire n'ayant pas recensé dans ses listes des risques épidémiologiques ceux liés à la grande chaleur.

Il a relevé la faiblesse des travaux scientifiques sur ce sujet, citant un seul article paru dans une revue médicale en 1992, à la suite de la canicule enregistrée à Marseille en 1982. Il a estimé que l'absence de préparation collective à ce risque de surmortalité constituait le plus grand enseignement de cette crise et que la population attendait une prise en charge collective plus organisée.

M. Christian de Lavernée a évoqué une réunion entre sa direction et des représentants du « Center for Disease Control » d'Atlanta, ville qui a connu de fréquentes vagues de chaleur et qui a mis en place -ainsi qu'une vingtaine d'autres grandes villes américaines- un plan « canicule » prévoyant notamment l'établissement de listes des personnes vulnérables et leur transport vers des lieux climatisés.

Il a ensuite évoqué deux mesures, en cours d'élaboration, destinées à tirer les leçons de la crise de l'été dernier :

- une nouvelle convention signée avec Météo France, à l'instigation du ministère de la santé, tendant à mettre en oeuvre, dans une quarantaine d'agglomérations, des plans « grand froid » et « grande chaleur », et à prévoir des formes de vigilance météo qui, au-delà de la description des phénomènes climatiques, préciseraient leur caractère plus ou moins supportable pour l'organisme, en fonction de paramètres tels que le vent ou le degré d'humidité ;

- l'élaboration de plans visant plus spécifiquement les personnes vulnérables, en cas de canicule, de grand froid ou de rupture dans la fourniture d'électricité.

M. Christian de Lavernée a ensuite estimé qu'en dépit des dommages provoqués l'été dernier par les feux de forêt, la campagne de lutte contre ces incendies s'était correctement déroulée, compte tenu du caractère exceptionnel des conditions climatiques, et qu'une catastrophe -du type de celles qu'ont connues le Portugal, les Etats-Unis et le Canada- avait été évitée.

Il a précisé qu'une carte de vigilance avait été établie dès le mois de juin et que des enseignements devaient néanmoins être tirés de cette crise : nécessité de renforcer le potentiel d'intervention aérienne (avec le remplacement de deux avions gros porteurs), meilleure application de la réglementation en matière de débroussaillement. Pourrait également être envisagé, dans le projet de loi sur la sécurité civile, un mécanisme qui inciterait les propriétaires fonciers à modifier leur comportement en matière de débroussaillement, en autorisant les compagnies d'assurances à imposer une lourde franchise ou des pénalités en cas de sinistre, dans l'hypothèse où le propriétaire concerné n'aurait pas respecté ses obligations dans ce domaine.

Il a préconisé, par ailleurs, un aménagement des procédures concernant les colonnes de renfort permettant de définir le positionnement des colonnes supplémentaires en fonction de cartes de prévision des risques à 48 heures et d'assurer une prise en charge financière de ces opérations par l'Etat.

M. Christian de Lavernée, a ensuite indiqué que notre pays avait frôlé une crise électrique majeure en août dernier, qui avait suscité des opérations de délestage entraînant des coupures de certaines lignes, et que le COGIC n'avait pas eu à intervenir du fait de la baisse des températures.

Il a ensuite évoqué les conséquences de la sécheresse sur le patrimoine bâti ainsi que le problème du classement en « catastrophe naturelle » de nombreux départements aux sous-sols argileux. Il a indiqué que les critères retenus pour cette reconnaissance ne s'appliquaient pas à la crise de l'été dernier, puisqu'elle suppose un déficit hydrique manifeste pendant un an, et que sa direction travaillait avec le ministère de l'environnement et du développement durable et le ministère des finances à une redéfinition de ces critères.

Evoquant enfin les conséquences de la canicule sur l'agriculture, ila indiqué que le transport de fourrage avait été assuré à l'initiative des ministères en charge de l'agriculture et des transports, et que le problème de l'assurance des élevages hors-sol avait fait l'objet d'un examen attentif.

Evoquant les communiqués de presse de Météo France sur la canicule ainsi que l'alerte donnée par la direction départementale de l'action sanitaire et sociale (DDASS) du Morbihan sur des décès suspects, M. Jacques Pelletier, président, a indiqué que les premières auditions de la mission semblaient montrer une réaction tardive des différents acteurs. Il a invité M. Christian de Lavernée à préciser à quel moment la direction de la défense et de sa sécurité civiles a pris conscience de la gravité de la canicule et s'est interrogé sur les relations de cette direction avec l'institut de veille sanitaire (IVS) et les services des pompes funèbres.

Rejoignant les propos de M. Jacques Pelletier, Mme Valérie Létard, rapporteur, s'est interrogée sur les dispositifs de veille de la sécurité civile pour faire face à une telle catastrophe naturelle et sur l'incidence des congés d'été sur l'organisation des services pendant la crise. Elle a noté que certaines personnalités auditionnées par la mission, à l'exemple de Mme Lalande ou de M. Brücker, avaient insisté sur le « cloisonnement » des administrations des ministères de la santé et de l'intérieur et sur la difficulté de diffusion des informations entre elles. Elle a demandé des précisions sur le rôle du centre opérationnel de gestion interministériel des crises (COGIC) et s'est enquise des moyens d'améliorer la coordination des différents acteurs concernés et le travail de prévention, au niveau national comme territorial.

M. Hilaire Flandre, rapporteur, a rappelé que l'ampleur des conséquences sanitaires de la canicule n'avait pas été perçue par les services compétents du 4 au 12 août et s'est interrogé sur les moyens de mieux anticiper de tels phénomènes climatiques.

M. Christian de Lavernée a constaté que la prise de conscience de la sécurité civile avait été sans doute tardive, précisant qu'elle avait été provoquée par l'alerte donnée par les urgences médicales des hôpitaux et notamment par le docteur Pelloux quant à l'éventuelle saturation des services concernés.

Il a noté que ce dernier risque avait été évoqué lors d'une réunion interministérielle le 14 août, au cours de laquelle le Premier ministre a décidé la généralisation du « plan blanc », permettant un rappel des personnels hospitaliers en vacances et leur redéploiement pour répondre à l'urgence.

Il a constaté que la deuxième alerte sur l'importance de la crise avait résulté de l'encombrement des services de pompes funèbres qui avait nécessité la fourniture de groupes électrogènes et de lits ainsi que la réquisition de locaux supplémentaires pour entreposer les corps, ajoutant que la direction de la défense et de la sécurité civiles était alors bien informée et réactive sans pour autant appréhender totalement l'ampleur du phénomène caniculaire. Il a relevé que, même en période de vacances, la veille était permanente dans les services de la sécurité civile et que ceux-ci étaient animés par une culture de la disponibilité.

M. Didier Montchamp a indiqué que le ministère de la santé était entré en relation avec la direction de la défense et de la sécurité civiles le 11 août au matin, en vue d'obtenir des informations sur l'appréciation des conséquences sanitaires de la canicule et sur la surmortalité constatée. Il a ajouté que les préfets de zone avaient été sollicités par la direction et que les premières données fournies par eux le 12 août n'avaient pas permis d'appréhender la gravité de la situation.

M. Christian de Lavernée a souligné que si l'alerte avait été tardive, il n'y avait pas eu, en revanche, de défaut de coordination entre les différents acteurs compétents et que la gestion de la crise avait été ultérieurement satisfaisante, insistant sur l'installation en urgence par la préfecture de police de Paris de centres d'appel pour informer les personnes fragiles et la mise en place de patrouilles mixtes, composées de policiers et de secouristes, afin de leur venir en aide.

Evoquant ses contacts avec des responsables de maisons de retraite, il a reconnu que la faiblesse des administrations concernées avait été de ne pas évaluer correctement la vulnérabilité des personnes âgées et qu'il convenait d'améliorer la prévision et la planification à l'avenir.

M. Alain Gournac a noté le décalage entre ces propos et la perception de la population et des élus « sur le terrain ».

Il a constaté que les messages d'alerte lancés par le docteur Pelloux n'avaient pas été immédiatement pris en compte par les administrations concernées. Remarquant qu'il ne semblait pas y avoir de liens entre l'importance des effectifs dans les établissements spécialisés et le nombre de morts constatés dans son département, il a souligné l'efficacité de la mise en oeuvre du « plan blanc ». Il s'est demandé si une actualisation des plans de délestage d'électricité avait été entreprise depuis l'été dernier pour prendre en compte les besoins des maisons de retraite et des personnes sous assistance respiratoire.

Tout en prenant acte des propos de M. Christian de Lavernée sur la disponibilité des personnels de la sécurité civile, il a souligné que l'absence de médecins et les fermetures massives de lits dans les hôpitaux avaient été constatées pendant la canicule. Il a noté que l'absence de consignes aux sapeurs-pompiers, qui avaient arrosé les toits des maisons de retraite de sa commune sur sa seule initiative, ou la diffusion de statistiques contradictoires entre les préfectures et les pompes funèbres sur le nombre de morts liées à la chaleur pendant la crise ne donnaient pas l'impression d'une maîtrise de la situation par les services compétents.

Il a ajouté que la politique tendant à permettre aux personnes âgées de demeurer à domicile était certes fondée, mais qu'elle avait posé des difficultés importantes lors de la canicule, ces personnes étant la plupart du temps isolées et fragiles. Il a enfin souligné la nécessité d'une réflexion urgente sur l'adaptation de dispositifs existants d'anticipation et de prévention des risques aux conséquences prévisibles de phénomènes climatiques extrêmes.

Mme Gisèle Gautier a constaté que les auditions de la mission d'information avaient mis en évidence un manque d'alerte, d'information et de coordination, mais aussi un défaut de décisions face à l'urgence, celles-ci étant reportées en raison de l'absence des principaux responsables pendant la canicule pour cause de vacances.

Rappelant que la plupart des décès liés à la chaleur avaient eu lieu sur une période de quelques jours, elle a souligné que ces dysfonctionnements avaient contribué au caractère tardif de certaines réponses apportées aux conséquences sanitaires de la canicule. Elle a demandé à M. Christian de Lavernée si une liste des personnels présents dans les services concernés pendant la période de canicule pouvait être fournie à la mission d'information. Elle a estimé qu'une réflexion sur l'étalement des vacances des personnels des administrations essentielles en cas de crise était souhaitable. Elle a ajouté qu'un changement de mentalité était nécessaire afin que les départs en vacances de la période du mois d'août ne paralysent pas l'action administrative.

M. Paul Girod s'est enquis de la pertinence des propos tenus par M. Bassetti, indiquant à la mission d'information que certaines colonnes de sapeurs-pompiers envoyées en renfort dans le sud du pays pour lutter contre les feux de forêt de l'été, avaient été momentanément bloquées dans la vallée du Rhône pour des raisons budgétaires.

M. Hilaire Flandre, rapporteur, a estimé que les adjoints des responsables partis en vacances devaient être en mesure de prendre les décisions nécessaires à la bonne marche du service et a fait observer que la présence de l'ensemble des décideurs lors de la crise estivale n'aurait probablement pas permis de limiter la surmortalité liée à la chaleur.

M. Christian de Lavernée a indiqué que la bonne coopération entre les administrations du ministère de la santé et du ministère de l'intérieur avait été renforcée depuis la canicule avec des rencontres plus fréquentes entre leurs experts respectifs dans divers domaines. Il a rappelé que la direction de la défense et de la sécurité civiles avait un rôle de mobilisation et de coordination interministérielle en cas de crise et qu'elle ne pouvait se substituer aux administrations sanitaires.

Concernant le délestage de l'électricité, il a indiqué qu'aucun document de synthèse n'était disponible et qu'un travail d'adaptation des dispositifs existants était actuellement en cours, ajoutant qu'une collecte des bonnes pratiques pour faire face à la canicule avait été aussi engagée.

Il a souligné que la crise de l'été dernier avait permis de compléter le projet de loi relatif à la modernisation de la sécurité civile, présenté prochainement au Parlement, qui prévoit la création d'un Conseil national de la sécurité civile constituant un lieu d'échange et d'actualisation des connaissances sur les risques. Il a ajouté que l'ensemble des risques prévisibles en France et à l'étranger seraient recensés par cette instance qui sera en outre chargée de fixer les mesures appropriées de prévention et d'organisation des secours.

Il a confirmé un certain « grippage » dans la gestion des colonnes de secours appelées en renfort pour relever les sapeurs-pompiers luttant contre les incendies de l'été dernier et a indiqué qu'une réflexion avait été entreprise pour améliorer les dispositions en vigueur. Il a ajouté que la sécurité civile, tout comme les présidents de conseils généraux dans la gestion des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS), devaient tenir compte des contraintes budgétaires.

Il a insisté sur l'obligation de continuité du service des personnels du ministère de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales attachés à la direction de la défense et de la sécurité civiles, celle-ci se traduisant notamment par la présence permanente d'un membre du corps préfectoral dans les préfectures pour faire face à une crise éventuelle.

Mme Gisèle Gautier a nuancé cette affirmation en rappelant, à titre d'anecdote, la pollution d'un château d'eau dans sa commune, il y a dix ans, et les difficultés qui s'ensuivirent pour contacter la personne compétente à la préfecture du département.

M. Jacques Pelletier, président, a remercié M. Christian de Lavernée pour son intervention et souligné l'intérêt d'un recensement des personnes fragiles afin d'anticiper les conséquences sanitaires probables des variations climatiques. Il a précisé que la mission d'information avait pour objectif de faire la lumière sur la gestion de la crise estivale pour en tirer les leçons et permettre à notre pays de répondre plus efficacement à de telles catastrophes à l'avenir.