MISSION COMMUNE D'INFORMATION  "LA FRANCE ET LES FRANÇAIS FACE A LA CANICULE : LES LEÇONS D'UNE CRISE"

Table des matières




Mardi 2 décembre 2003

- Présidence de M. Jacques Pelletier, président -

Audition de M. Hubert Falco, secrétaire d'État aux personnes âgées

La mission d'information a procédé à l'audition de M. Hubert Falco, secrétaire d'État aux personnes âgées.

M. Jacques Pelletier, président, a rappelé, à titre liminaire, que la mission d'information du Sénat ne s'était pas fixé pour objectif de conduire une « chasse aux sorcières », mais de comprendre les événements de l'été dernier et de formuler des propositions.

M. Hubert Falco, secrétaire d'État aux personnes âgées, a tout d'abord déclaré qu'il s'était senti profondément affecté par le tragique bilan humain de la canicule et qu'il partageait l'émotion des familles et des proches des victimes.

Rappelant que la constitution de la mission commune d'information du Sénat visait à contribuer à ce qu'une telle catastrophe ne se reproduise pas à l'avenir, il a précisé qu'il entendait lui apporter tous les éléments d'information sur l'action qu'il avait menée pendant la crise et lui présenter les dispositions nouvelles prises depuis lors.

M. Hubert Falco a rappelé que le champ de compétences du secrétariat d'État aux personnes âgées couvrait la prise en charge sur le plan social des personnes âgées et que, dès sa prise de fonctions, il avait fait de la prévention l'un des axes majeurs de sa politique. Il a ensuite exposé quelques-unes des actions menées à ce titre en mentionnant la circulaire du 12 juillet 2002, adressée aux directions départementales de l'action sanitaire et sociale (DDASS), qui formulait, avant même la période de canicule, un ensemble de recommandations sur « la qualité de la prise en charge des personnes âgées pendant la période d'été ». Il a précisé que cette circulaire, destinée à tous les directeurs d'établissement pour personnes âgées, insistait précisément sur la nécessité d'assurer « la prévention de la déshydratation », de « rafraîchir les locaux » et de « donner à boire, plusieurs fois par jour, aux personnes âgées ».

Il a fait valoir que ces dispositions avaient ensuite été reprises et renouvelées cette année, dans le cadre de la circulaire du 27 mai 2003, qui attirait l'attention sur le risque d'isolement des personnes âgées durant la période d'été.

M. Hubert Falco a regretté que, dans un grand nombre d'établissements, ces instructions n'aient pas été suivies et a déploré qu'elles aient suscité, au moment de leur annonce, des remarques ironiques de la part de certains médias et de certains gériatres pourtant éminents. Il en a conclu que la culture de la prévention était encore très insuffisante dans notre pays.

Il a observé que le bilan de la canicule s'expliquait aussi, dans une large mesure, par l'absence de soins prodigués aux personnes âgées, ce qui peut être considéré comme une forme particulière de maltraitance, ajoutant qu'au-delà de ces phénomènes d'omission ou d'ignorance, les personnes âgées souffraient aussi souvent de maltraitances physiques, financières ou médicamenteuses et que près de 800.000 personnes dans notre pays étaient susceptibles d'être confrontées à l'une ou l'autre de ces situations.

Il a rappelé à cet égard que la création, le 19 novembre 2002, du Comité national de vigilance contre la maltraitance des personnes âgées, était intervenue dans l'indifférence générale, tout comme d'ailleurs le lancement, en janvier 2003, d'un programme de prévention dans ce domaine.

M. Hubert Falco a noté que, depuis son arrivée au Gouvernement, le signalement des cas de maltraitance en établissement avaient systématiquement fait l'objet d'une enquête, qu'une évaluation d'ensemble de ces phénomènes était en cours, et qu'un système spécifique de recueil et de traitement de ce type d'informations sera mis en place. Il a noté enfin que le programme « Bien vieillir » lancé, avec le Premier ministre le 12 mars 2003, visait précisément à encourager les personnes âgées de plus de 60 ans à se préparer à leur vieillissement, pour rester le plus longtemps possible actifs et en bonne santé.

Il a ensuite détaillé la chronologie des événements de la crise de la canicule.

Il a ainsi rappelé qu'une vague de chaleur exceptionnelle s'était installée en France vers le 2 août mais, comme l'avait d'ailleurs établi la mission d'expertise et d'évaluation confiée à Mme Lalande, inspecteur général des affaires sociales, que rien n'avait été perceptible jusqu'au 6 août 2003. Il a précisé que les premières indications tendant à accréditer l'hypothèse d'une surmortalité importante avaient été signalées par les services du SAMU, ainsi que les urgences hospitalières, à l'occasion d'une augmentation inhabituelle des cas de patients âgés souffrant d'hyperthermie, mais que, pour autant, aucun compte rendu faisant part de décès massifs n'avait été adressé jusqu'au 8 août à la Direction générale de l'action sociale et ce, tant par les DDASS que par les institutions d'hébergement de personnes âgées ou par les associations d'aide à domicile.

M. Hubert Falco a indiqué que le premier appel parvenu le 10 août à la permanence de son cabinet provenait du département des Hauts-de-Seine et faisait état d'un manque de place dans le funérarium de Suresnes. Il a noté qu'une croissance très forte des décès avait ensuite été constatée le lundi 11 août, et surtout le mardi 12 août, date qui avait marqué le paroxysme de la crise, avec un nombre d'hospitalisations cinq fois supérieur à celui de la même période, l'année précédente.

Il a précisé que, dès le 11 août, le conseiller technique de permanence avait pris contact avec les membres du cabinet du ministre de la santé pour leur signaler des cas de surmortalité anormale dans les maisons de retraite et pour entreprendre de coordonner la conduite des actions. Après avoir relevé que ses services avaient appelé plusieurs maisons de retraite pour apprécier la situation, le secrétaire d'État a fait observer qu'il s'était lui-même rendu le lundi 11 août aux urgences de l'hôpital de la ville de Toulon, tandis qu'était publié un communiqué de presse rappelant à la fois les risques encourus et les recommandations à suivre face au risque de déshydratation.

Il a indiqué que, dès le lendemain, un nouveau communiqué de presse avait été diffusé pour, au-delà des seuls professionnels, appeler à mettre en oeuvre une véritable mobilisation collective nationale en faveur des personnes âgées et pour renforcer les conseils et recommandations déjà diffusés.

Après avoir mentionné qu'il s'était rendu le 13 août, avec le ministre de la santé, dans les hôpitaux de Bordeaux et de la Pitié-Salpêtrière à Paris, M. Hubert Falco a noté que la Direction générale de l'action sociale avait demandé, le 14 août, aux DRASS et DDASS une première évaluation quantitative de la mortalité des personnes âgées hébergées en établissement. Il a rappelé qu'il s'était déplacé avec le Premier ministre, le 16 août, à la maison de retraite de Fleurey-sur-Ouche en Côte-d'or et qu'il avait adressé, le même jour, une nouvelle circulaire tendant à sensibiliser les communes et les centres communaux d'action sociale sur l'importance d'un accompagnement des personnes âgées isolées, à l'occasion de leur retour à domicile après la phase d'hospitalisation.

Il a également précisé qu'une réunion avait rassemblé, le 19 août, les membres de son cabinet, ainsi que des représentants des établissements d'hébergement et des services d'aide à domicile, et qu'à cette occasion, il avait été constaté à la fois une très forte disparité des cas de surmortalité dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), ainsi que l'absence d'un système d'alerte sanitaire efficace dans le secteur médico-social.

Au terme de ce rappel chronologique, il a constaté que, dès le début de la canicule, aucune remontée officielle de difficultés n'était venue des DDASS, des conseils généraux, des mairies ou des associations de maintien et de soins à domicile.

Il a considéré que bien que tous les établissements et services aient travaillé au mieux et au maximum des moyens humains disponibles, la réaction des services publics à la crise de la canicule était intervenue avec un réel décalage par rapport aux événements. Il en a conclu que la situation des personnes âgées dans les institutions ou à domicile avait dès lors été fonction de leur état général, du degré d'anticipation et des moyens disponibles de leur environnement immédiat.

M. Hubert Falco a par ailleurs précisé que les dispositifs d'alerte susceptibles de s'appliquer à la prise en charge des personnes âgées dans les établissements d'hébergement différaient sensiblement de celui des établissements hospitaliers.

Il a ainsi constaté, qu'à l'inverse des hôpitaux, la gestion des 10.000 maisons de retraite de notre pays était très décentralisée et, qu'en l'absence d'une organisation pyramidale, les informations ne pouvaient efficacement remonter vers les instances nationales, qu'à la condition qu'existe un partenariat étroit avec l'échelon local. Il a, par ailleurs, insisté sur la grande variété des régimes juridiques des maisons de retraite, certains établissements relevant d'un statut privé, d'autres étant des associations ou des établissements publics communaux ou départementaux, ce qui complique considérablement la remontée des informations.

Il a considéré qu'au moment du drame, aucun mécanisme de prévention et aucun dispositif d'alerte satisfaisant n'existait dans notre pays pour prévenir et faire face à un tel événement. Il a en revanche salué le dévouement et l'efficacité des services de secours et des services d'urgence, qui ont fait face à la situation dans les meilleurs délais.

Il a noté que l'analyse de la crise mettait aussi en évidence la nécessité d'assurer la prévention et la veille sanitaire, en liaison avec les services de Météo France et indiqué qu'un nouveau dispositif, baptisé « plan Vermeil », sera mis en oeuvre à cet effet et adapté, avec les acteurs locaux, aux spécificités de chaque département. Il a précisé que ce plan s'inscrivait dans le cadre de la réforme d'ensemble, annoncée par le Premier ministre le 6 novembre dernier, en faveur des personnes dépendantes.

Il a indiqué que ce plan d'alerte concernera plus particulièrement les personnes très âgées ou atteintes d'une polypathologie, ou qui se trouvent en situation d'isolement. Il a ensuite décrit les trois niveaux d'alerte prévus : la pré-alerte qui interviendra entre 3 et 7 jours avant les événements, lorsqu'il existe un risque de vague de chaleur dans la semaine à venir ; l'alerte proprement dite qui sera donnée lorsqu'une vague de chaleur apparaîtra et enfin l'annonce d'une situation de danger qui sera diffusée lorsqu'un risque sanitaire sera confirmé, notamment en raison de températures minimales élevées ou d'un fort degré de pollution atmosphérique.

M. Hubert Falco a annoncé qu'une chaîne d'alerte entre Météo France, l'Institut national de veille sanitaire (InVS) et le ministère de la santé (direction générale de la santé) sera mise en place et que des référentiels de bonnes pratiques préventives applicables aux risques sanitaires liés à la canicule et à la pollution seront élaborés.

Il a détaillé les trois niveaux de déclenchement et d'organisation de ce plan d'alerte, en soulignant tout d'abord qu'au niveau national, les ministres chargés de la santé et des personnes âgées mobiliseront tout ou partie des préfets de département et des directeurs d'agence régionale d'hospitalisation (ARH) en fonction des différents seuils d'alerte, tandis qu'au niveau départemental, l'autorité du préfet sera renforcée avec le double appui du président du conseil général, responsable de la politique gérontologique dans le département, et du directeur de l'agence régionale de l'hospitalisation, ce qui permettra enfin, au niveau communal ou intercommunal d'engager concrètement les actions de ce plan.

Il a en outre particulièrement insisté sur la nécessité de procéder, à l'avenir, au recensement préalable et au suivi à domicile des personnes âgées fragiles ou se trouvant en situation d'isolement. Rappelant, a contrario, que les personnes âgées, n'ayant plus aucun lien familial et social, et confinées à leur domicile n'avaient pu être sauvées lors de la crise de la canicule, faute précisément de contacts ou de secours appropriés, il a considéré que la première priorité consistait à pouvoir intervenir rapidement auprès d'elles, y compris à titre préventif et ce grâce à la mobilisation des relais de proximité.

M. Hubert Falco a également annoncé que des « plans bleus », qui sont l'équivalent du « plan blanc » pour l'hôpital, seront mis en place dans toutes les institutions accueillant des personnes âgées et que ces dernières signeront aussi obligatoirement une convention avec un établissement de santé. Il a indiqué que ces « plans bleus », qui devront, dans chaque cas, prévoir un mode général d'organisation de l'établissement pour toute situation de crise sanitaire, s'inscrivaient dans le cadre plus vaste de la réforme de la politique en faveur des personnes dépendantes.

Il a remarqué que, pour la première fois, un gouvernement présentait ainsi un plan interministériel global concernant tous les aspects de la vie des personnes âgées et disposant des moyens financiers de ses ambitions dans la mesure où il était doté de 4,1 milliards d'euros au total pour la période de 2004 à 2007.

Au terme de son intervention, il a déclaré que ce plan n'avait rien d'un effet d'annonce mais constituait une mesure structurelle qui sera financée et pérennisée grâce à la création d'une caisse spécifique affectée à la perte d'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées.

M. Jacques Pelletier, président, a remercié M. Hubert Falco pour la précision avec laquelle il avait relaté le déroulement de la crise ainsi que les mesures déjà prises pour que celle-ci ne se renouvelle pas.

Mme Valérie Létard, rapporteur, a tout d'abord salué l'implication personnelle de M. Hubert Falco lors de la crise de la canicule et la priorité qu'il avait accordée, de longue date, au travail de prévention. Elle a également rappelé que 42 % des décès étaient survenus à l'hôpital et 19 % dans les maisons de retraite. Se fondant sur l'exemple d'une maison de retraite visitée lors du déplacement de la mission d'information à Orléans dans laquelle, pour un total de 85 personnes âgées, les effectifs de personnels soignants ne dépassaient pas 6 personnes le matin (5 auxiliaires de garde et une infirmière), 4 personnes l'après-midi (3 auxiliaires de garde et une infirmière) et 2 personnes la nuit (une auxiliaire de garde et une infirmière), elle a souligné la faiblesse des moyens humains dont disposent les maisons de retraite dans notre pays. Elle a également fait référence à l'accueil d'un nombre croissant de personnes âgées de nationalité française dans des structures d'hébergement situées en Belgique, en soulignant que ces dernières semblaient présenter un coût de fonctionnement moindre qu'en France et, en même temps, un taux d'encadrement supérieur en personnel. S'agissant des suites de la crise, elle a demandé à M. Hubert Falco s'il disposait déjà d'informations sur l'évolution de la mortalité dans les semaines et les mois qui ont suivi la période de canicule.

M. Hubert Falco a fait observer que le fort pourcentage de décès survenus dans les maisons de retraite ou à l'hôpital s'expliquait avant tout par la politique consistant à maintenir le plus longtemps possible les personnes âgées à leur domicile, qui implique que les personnes hébergées ou hospitalisées sont le plus souvent très âgées et affaiblies, donc particulièrement vulnérables.

Dépassant ce simple constat, il a reconnu que notre pays souffrait d'un manque de 25.000 à 30.000 lits médicalisés, alors qu'en même temps, 20 % des lits existant actuellement sont inadaptés et que le taux d'encadrement en personnel des personnes âgées était à l'évidence insuffisant. Sur ce dernier point, il a toutefois observé que si la France, avec en moyenne 0,4 personne soignante pour une personne âgée, affichait un retard par rapport à l'Allemagne (1,2), la Finlande (0,6) ou l'Espagne (0,5), notre pays n'occupait pas, pour autant, la dernière place en Europe dans la mesure où le Royaume-Uni et la Belgique présentaient des ratios voisins du nôtre.

Il a constaté, alors qu'une polémique est engagée en France sur l'opportunité de consacrer un jour férié au financement de la dépendance, que l'Allemagne envisageait de supprimer une deuxième journée fériée à cet effet.

M. Hubert Falco a souligné l'ampleur de l'effort engagé dans le cadre du plan dépendance - 480 millions d'euros - pour rattraper le retard français dans les domaines de la médicalisation et de la rénovation des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EPHAD), tout en notant que le système actuel des conventions tripartites entre l'État, la caisse nationale d'assurance maladie et ces EPHAD devrait être à l'avenir revu et simplifié.

S'agissant de l'évolution de la mortalité après le mois d'août, il a indiqué que les données statistiques devraient être disponibles au cours du premier trimestre 2004 et qu'il ne sera pas possible, avant cette date, de confirmer ou d'infirmer l'éventualité d'un « effet retard » chez les personnes fragilisées par la canicule.

M. Alain Gournac a demandé des précisions sur les contours du plan Vermeil, en précisant qu'à ses yeux, ce dernier ne devait pas se limiter à un simple plan chaleur. Il a estimé qu'au-delà des personnes âgées dépendantes, il convenait de prendre en compte l'ensemble des personnes fragiles, les jeunes enfants et les malades à domicile. Faisant référence aux évaluations conduites dans son département, il a observé que les établissements dans lesquels la surmortalité avait été la plus forte n'étaient généralement pas ceux les moins dotés en personnel, ce qui l'a amené à faire état d'autres facteurs, comme la consommation de médicaments, l'absence d'air conditionné et l'organisation des vacances, rendue encore plus difficile avec le passage aux 35 heures. Il a ensuite insisté, d'une façon plus générale, sur la nécessité de tirer toutes les conséquences du vieillissement de la population.

En réponse, M. Hubert Falco a précisé que le « plan Vermeil » concernera les maisons de retraite et viendra ainsi compléter le dispositif du « plan Blanc », qui s'adressait déjà aux hôpitaux. Il a également indiqué que le « plan Vermeil » sera renforcé par un « plan Bleu », spécifique aux personnes âgées, qui permettra de mobiliser le personnel soignant pour faire face aux situations d'urgence, et ce, en fonction des particularités de la situation locale.

M. Alain Gournac est convenu de la complémentarité de ces différents dispositifs et s'est félicité de cette démarche tendant à privilégier les capacités de riposte sanitaire au plus près du terrain.

Mme Sylvie Desmarescaux a souligné l'importance des structures de coordination gérontologique pour faire face aux situations de crise du type de la canicule. Faisant référence à la couverture, par les médias nationaux, de l'encombrement des services d'urgences des hôpitaux franciliens, consécutif à l'épidémie de grippe et de bronchiolite de la semaine dernière, elle s'est interrogée sur les disparités régionales en ce domaine.

M. Hubert Falco a avancé comme élément de réponse le poids particulier de la population de l'Ile-de-France dans notre pays. S'agissant de la coordination gérontologique, il a indiqué qu'il partageait l'analyse de Mme Sylvie Desmarescaux, en indiquant que 22 millions d'euros de financement seront affectés l'année prochaine à la poursuite du développement des centres locaux d'information et de coordination gérontologique (CLIC) .

M. Gilbert Chabroux a déclaré qu'il avait suivi l'exposé de M. Hubert Falco et le fait que le secrétaire d'État inscrivait son action en privilégiant la prise en compte des aspects humains. D'une façon générale, et tout en prenant en compte les explications déjà présentées par d'autres intervenants devant la mission d'information, il s'est étonné de la prise de conscience tardive de la gravité de la crise sanitaire de cet été. Après avoir indiqué qu'il se refusait à entrer dans une démarche polémique, il a réfuté l'argumentation développée par M. Alain Gournac, tendant à imputer à la législation sur les 35 heures une part de responsabilité dans le bilan de la canicule. Après avoir déploré la mise en cause de l'attitude des familles, il a considéré que cette forme de culpabilisation n'était pas fondée et que l'ampleur de la crise de l'été dernier s'expliquait surtout par les dysfonctionnements intervenus au stade de l'alerte.

Affirmant également ne pas vouloir engager de polémique, M. Claude Domeizel s'est interrogé sur la possibilité de gagner du temps en amont de la crise, pour autant que la fiabilité des prévisions météorologiques le permette. Il a également demandé au secrétaire d'État à quel moment ses services ont été alertés par ceux des ministères chargés de la santé et de l'intérieur ou par ceux de Météo France.

M. Hubert Falco a rappelé la brutalité avec laquelle la crise était survenue et le caractère exceptionnel des températures nocturnes relevées entre les 10 et 15 août. Il a déclaré qu'il partageait avec M. Gilbert Chabroux la conviction qu'il convenait de ne pas culpabiliser les familles et que si des cas d'indifférence avaient bien été observés, ils ne constituaient pas un phénomène général.

Il a également observé que la crise de la canicule avait permis plus généralement de prendre conscience de la situation des personnes âgées à la fois dépendantes et malades. Il a déclaré, à ce titre, que la maladie d'Alzheimer, dont souffraient déjà aujourd'hui 730.000 personnes, constituait le « cancer des dix ans à venir » et que notre pays manquait cruellement de structures d'accueil pour y faire face.

M. Jacques Pelletier, président, a remercié M. Hubert Falco pour la précision de son exposé, ainsi que pour l'humanisme avec lequel il s'était exprimé devant la mission d'information. Il s'est félicité des dispositions d'ores et déjà prises, comme le plan « Vermeil », le plan « Blanc », pour améliorer, à l'avenir, les capacités de riposte aux crises sanitaires. Il a souhaité que le vieillissement général de la population soit pris en compte et que les personnes âgées fragiles puissent être plus précisément identifiées.

Mme Valérie Létard, rapporteur, a souligné que les personnes décédées dans les hôpitaux étaient pour la plupart arrivées tardivement aux urgences et dans un état physiologique qui ne permettait déjà plus de les soigner. Elle a jugé qu'une meilleure coordination de l'action gérontologique aurait permis de les recenser plus tôt, avant que la crise ne se déclenche.

Mme Françoise Henneron a relevé que ce type de difficulté concernait surtout les milieux urbains et qu'à l'inverse, dans les zones rurales, l'élan de solidarité spontanée de la population avait permis de remédier efficacement à l'isolement des personnes âgées.

M. Jacques Pelletier, président, a estimé enfin qu'il convenait, pour mieux anticiper les situations de crise, de renforcer les liens entre les services météorologiques et le système de santé de notre pays.

Mercredi 3 décembre 2003

- Présidence de M. Jacques Pelletier, président -

Audition de MM. Denis Hémon et Eric Jougla, directeurs de recherche à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM)

La mission d'information a tout d'abord procédé à l'audition de MM. Denis Hémon et Eric Jougla, directeurs de recherche à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM).

M. Jacques Pelletier, président
, a rappelé que MM. Denis Hémon et Eric Jougla avaient remis, le 25 septembre dernier, un rapport d'étape au ministre de la santé sur l'estimation de la surmortalité liée à la canicule. Il a indiqué que la mission souhaitait connaître les conclusions de ce rapport, non pas dans une perspective de « chasse aux sorcières », mais afin de tirer les enseignements de la canicule de l'été dernier.

Après avoir précisé que M. Eric Jougla était directeur à l'INSERM du centre d'épidémiologie sur les causes médicales de décès et que lui-même y était directeur de l'unité de recherches épidémiologiques et statistiques sur l'environnement et la santé, M. Denis Hémon a indiqué que tous deux avaient été chargés le 20 août dernier, par le ministre de la santé, d'une mission d'expertise tendant à permettre une estimation de la surmortalité du mois d'août 2003 ainsi que de ses principales caractéristiques épidémiologiques. Il a ajouté que cette mission allait poursuivre ses travaux dans les années à venir afin de mieux appréhender les facteurs de la vague de chaleur et de formuler des propositions sur les systèmes d'alerte et d'information.

Il a rappelé qu'une littérature scientifique étrangère avait étudié les vagues de chaleur ayant frappé l'Espagne, la Grèce, les Etats-Unis, la Belgique et l'Allemagne. Il a noté que l'on constatait une hausse des décès liés à la chaleur, par hyperthermie ou déshydratation et, plus généralement, de la mortalité des personnes fragiles lors des vagues de chaleur. Il a observé que, tout comme ces dernières, la canicule du mois d'août 2003 avait été marquée par une augmentation brutale des températures suivie d'une croissance aussi brutale du nombre de décès.

M. Eric Jougla a indiqué que la méthode utilisée pour l'élaboration du rapport avait consisté à comparer les décès constatés en août 2003 par rapport à la moyenne des décès enregistrés pendant la même période, les années précédentes. Après avoir rappelé que les certificats de décès établis par les médecins étaient transmis par des voies différentes à l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) et au centre d'épidémiologie sur les causes médicales de décès de l'INSERM, il a précisé que le système français d'information sur les décès était complexe et recherchait avant tout la qualité des données transmises. Il a ajouté que des instructions données aux préfets pour accélérer provisoirement la procédure de transmission des certificats de décès avaient permis à la mission d'expertise de croiser les données de l'INSEE, de l'INSERM et de l'InVS (Institut national de veille sanitaire) et, ainsi, d'établir dès le 17 septembre un bilan précis de la surmortalité relevée en août 2003.

Il a noté que 56.000 décès avaient été constatés durant cette période contre 40.000 lors d'un mois d'août « ordinaire » et que la canicule avait donc provoqué une forte surmortalité de l'ordre de 15.000 décès.

Il a rappelé qu'une élévation rapide des températures jusqu'à 35°C avait été enregistrée du 1er au 4 août 2003 et que ce niveau élevé s'était maintenu jusqu'au 14 août. Il a ajouté que la durée et l'intensité de cette vague de chaleur étaient exceptionnelles, celles-ci n'ayant jamais été constatées en France depuis la création du service de la météorologie.

Soulignant que 300 décès en excès avaient été constatés pour la journée du 4 août, puis 1.200 et 2.200 décès pour les journées des 8 et 12 août, il a noté que la surmortalité constatée à partir de 45 ans était importante et croissante avec l'âge, avec un excès de 20 % chez les individus âgés de 45 à 54 ans, de 40 % chez les personnes âgées de 55 à 74 ans et de plus de 120 % chez les sujets âgés de 95 ans. Il a insisté sur l'importance de la surmortalité féminine et a indiqué que les causes de ce phénomène devraient être examinées au cours d'études ultérieures.

Après avoir noté que la vague de chaleur avait touché l'ensemble de l'Europe et du territoire national, il a précisé que la surmortalité liée à la chaleur avait été particulièrement importante dans certaines régions au climat plus continental, qui ont connu une hausse brutale des températures et une vague de chaleur de longue durée, à l'exemple des régions Ile-de-France et Centre, où la surmortalité a été respectivement de 130 % et de 100 %.

Il a indiqué que les régions côtières, où les masses d'eau importantes permettent de diminuer les effets de la chaleur, avaient connu une moindre mortalité, y compris dans le sud du pays, où les populations sont habituées aux températures élevées. Il a ajouté que deux régions, la Haute Normandie et la Picardie, avaient enregistré une vague de chaleur en deux phases, du 4 au 6 août et du 8 au 12 août, séparées par une régression partielle et temporaire des températures, et que la surmortalité présentait deux pics synchronisés avec l'évolution de ces températures. Il a précisé que le degré d'urbanisation semblait influer sur la surmortalité, comme en témoigne l'exemple de l'agglomération parisienne et de la région Ile-de-France.

M. Eric Jougla a ensuite rappelé que 42 % des décès constatés étaient survenus dans les hôpitaux contre 35 % à domicile, 19 % dans les maisons de retraite et 3 % en clinique privée, ajoutant que le nombre de décès en maison de retraite et à domicile avait presque doublé par rapport aux étés précédents et que cette première étude descriptive serait complétée par une analyse plus fine de l'origine des personnes décédées.

Concernant les causes médicales des décès, il a indiqué que la mission d'expertise, en raison des délais qui lui avaient été impartis, s'était concentrée sur la région Centre, particulièrement touchée par la surmortalité estivale. Il a constaté que la canicule avait fortement modifié la répartition habituelle des causes de décès, que les augmentations les plus importantes concernaient les décès directement attribuables à la chaleur (coup de chaleur, déshydratation, hyperthermie), les décès dus aux cancers et résultant de mort violente n'ayant pas augmenté pendant la période concernée.

Il a indiqué que la surmortalité de l'été 2003 avait été comparée aux vagues de chaleur ayant frappé la France en 1976 et 1983 à partir des données fournies par Météo France. Il a ainsi noté que la vague de chaleur de 1983 avait provoqué un excès de mortalité dans le sud du pays mais que celle de 1976 présentait des similitudes avec la canicule de l'été dernier dans la dispersion du phénomène sur le territoire national et la répartition des décès par lieu, par âge et par sexe. Il a rappelé en outre que la vague de chaleur de 1976 avait été à l'origine de 6.000 décès supplémentaires.

M. Eric Jougla a fait observer que la remise du rapport au ministre de la santé le 25 septembre dernier avait constitué la première étape du travail de la mission d'expertise avant que celle-ci procède à l'analyse de l'ensemble des certificats de décès constatés au mois d'août 2003 et confirme l'importance de la surmortalité féminine.

Il a précisé que l'examen attentif des décès qui seront constatés en France jusqu'à la fin de l'année est susceptible de révéler une baisse de la mortalité témoignant d'un éventuel « effet de moisson » tendant à accélérer la disparition de personnes fragiles, ou au contraire, une augmentation des décès en raison d'un effet retard de la canicule. Il a indiqué qu'une analyse croisée de la mortalité et des vagues de chaleur et de froid en France sur les trente-cinq dernières années serait également établie.

Il a souligné l'intérêt d'un dispositif de certification électronique des décès, d'ailleurs amorcé par le ministre de la santé pour améliorer l'alerte et la réactivité du système de santé en cas de crise, ajoutant que la rigueur des procédures actuelles, garante de la qualité de la certification, était en revanche source de lenteur et n'assurait pas une confidentialité parfaite des données.

M. Denis Hémon a estimé nécessaire de tirer les leçons de la canicule de l'été dernier pour améliorer les dispositifs d'alerte et préserver l'espérance de vie. Il a précisé que le constat d'une évolution simultanée des températures et de la mortalité devait permettre d'établir une politique de prévention simple lors des épisodes caniculaires. Il a rappelé à ce titre que la ville de Chicago avait été frappée par deux épisodes de vagues de chaleur en 1995 et que les conséquences sanitaires du second avaient été limitées par la mise en oeuvre rapide de mesures de précaution tendant, en particulier, à abriter les personnes fragiles dans des endroits rafraîchis, à les baigner et à les faire boire fréquemment.

Il a indiqué que la fiabilité à soixante-douze heures des prévisions climatiques de Météo France devait être utilisée pour mettre en place des plans de prévention efficaces contre les conséquences sanitaires des variations climatiques. Insistant sur la forte probabilité et sur la fréquence de vagues de chaleur semblables à celle du mois d'août 2003 dans les vingt prochaines années, il a souligné la nécessité d'améliorer la mise en commun des connaissances et la coordination entre scientifiques et autorités publiques en matière de recueil des informations relatives aux décès, de surveillance des températures et de veille sanitaire.

M. Jacques Pelletier, président, a constaté l'absence d'étude scientifique française sur la vague de chaleur de 1976 et a demandé des précisions sur les dispositifs mis en place à Chicago en 1995 entre les deux vagues de chaleur.

M. Eric Jougla a précisé que les travaux du professeur San Marco avaient porté sur l'analyse de la canicule de 1983 à Marseille et que le professeur Jean-Pierre Besancenot de l'Université de Dijon avait élaboré en 2002 une synthèse remarquable des vagues de chaleur.

Concernant la canicule de 1995 à Chicago, M. Denis Hémon a indiqué qu'un recensement des personnes âgées et la diffusion par téléphone de conseils de prévention aux services d'aide à domicile, aux responsables des maisons de retraite et des établissements de soins avaient permis d'anticiper la deuxième vague de chaleur, ajoutant que ces mesures avaient été mises en place à la suite de critiques formulées sur la réponse apportée par les autorités à la première vague de chaleur. Il a ajouté que la fréquence de ces phénomènes climatiques violents aux Etats-Unis avait contribué à la prise de conscience de la population.

M. Jacques Pelletier, président, a fait observer que les premières auditions de la mission semblaient montrer un manque de coordination entre les différents acteurs. Il a précisé qu'en dépit des communiqués de presse des 1er et 8 août de Météo France, permettant de déceler la gravité de la canicule, les services compétents avaient réagi tardivement. Il s'est interrogé sur la forme et le choix des destinataires de tels communiqués afin d'en permettre la plus grande diffusion.

M. Denis Hémon a noté que les spécialistes de Météo France semblaient être conscients de la nécessité du renforcement de leur collaboration avec les services du ministère de la santé et du ministère de l'intérieur, ainsi qu'avec l'Institut national de veille sanitaire (InVS).

M. Hilaire Flandre, rapporteur, a estimé que le niveau élevé des températures nocturnes, empêchant la récupération des organismes, et les habituels congés du mois d'août avaient pu contribuer à l'aggravation des conséquences exceptionnelles de la crise. Insistant sur l'importance de la prévention, il s'est demandé si une version définitive du rapport serait bientôt disponible et a souhaité en connaître les recommandations.

Après avoir souligné que l'organisation actuelle de la transmission des certificats de décès pouvait nuire à l'efficacité de l'alerte, il s'est enquis de l'existence de données sur la mortalité de l'automne qui confirmeraient éventuellement la théorie de l'« effet de moisson » et du rôle de la pollution dans la surmortalité estivale.

M. Denis Hémon a indiqué que les informations du rapport d'étape du 25 septembre pouvaient être considérées comme fiables et qu'elles seraient peu modifiées par les travaux à venir. Après avoir rappelé que 1.300 à 1.400 décès étaient constatés chaque jour, il a confirmé le suivi de la mortalité par la mission d'expertise jusqu'à la fin de l'année 2003 afin de détecter d'éventuelles autres conséquences de la canicule et a indiqué que ses conclusions seraient remises au ministre de la santé au premier semestre 2004.

Il a précisé que le souci de rigueur dans l'analyse des certificats de décès permettait de surveiller les multiples causes de mortalité en France mais qu'il convenait d'améliorer les modalités de contrôle des décès pour réagir rapidement à une crise sanitaire.

Il a noté que la mission ferait également des recommandations plus précises en vue de renforcer la collaboration entre l'Institut de veille sanitaire, l'INSERM et Météo France, d'améliorer la veille à partir de l'activité des urgences médicales ainsi que la surveillance des variations climatiques. Il a ajouté que des études comparatives avec les vagues de chaleur passées allaient être menées.

M. Eric Jougla a également insisté sur la fiabilité des certificats de décès comme indicateurs des causes de mortalité. Il a indiqué que la France était en retard pour la prévention des « morts évitables », liées par exemple à l'alcool ou aux accidents de la route, mais qu'en revanche, l'espérance de vie des personnes âgées de plus de 65 ans était l'une des plus élevées du monde.

Tout en rappelant que la certification électronique des décès imposerait d'importants efforts d'équipement aux médecins, il a souligné l'intérêt de la mise en place progressive d'un tel dispositif, en 2005 pour le système hospitalier et en 2009 pour l'ensemble du corps médical, afin d'améliorer l'efficacité de l'alerte par une accélération des échanges d'informations entre praticiens et services spécialisés. Il a ajouté qu'il aurait souhaité que la future loi sur la santé publique fasse explicitement mention à cette réforme.

Constatant que certains décès, particulièrement de personnes âgées, avaient de multiples causes, M. Eric Jougla a indiqué que l'INSERM intervenait auprès des médecins pour qu'ils mentionnent l'ensemble de ces causes sur les certificats de décès.

M. Serge Lepeltier, rapporteur, a constaté la complexité et la lenteur du dispositif actuel d'information sur les décès et s'est demandé s'il ne pouvait pas être complété par un système statistique simple permettant de détecter rapidement des anomalies en termes de mortalité. Il a constaté que le quotidien « La Nouvelle République » avait, dès le 7 août, annoncé huit décès liés à la canicule, insistant sur l'intérêt d'une remontée instantanée des données locales pour favoriser une prise de conscience et une alerte rapides. Il a également demandé des précisions sur la répartition de la surmortalité entre monde urbain et milieu rural.

M. Denis Hémon a indiqué qu'un délai minimum était nécessaire pour s'assurer de la pertinence des données transmises et que l'Institut de veille sanitaire recevait désormais des renseignements quotidiens sur l'activité des urgences hospitalières, des services d'aide médicale d'urgence (SAMU) et des sapeurs-pompiers.

M. Jacques Pelletier, président, a souligné la nécessité d'une transmission des données des services de pompes funèbres aux organismes en charge de la veille et de l'alerte.

M. Eric Jougla a constaté l'absence de différence notable entre villes et zones rurales quant à la répartition des décès en excès liés à la canicule, tout en insistant sur la situation particulière de la région Ile-de-France, qui a enregistré une surmortalité exceptionnelle.

M. Denis Hémon a indiqué que le rafraîchissement des personnes fragiles dans des locaux climatisés pendant quelques heures pouvait limiter considérablement l'impact sanitaire d'une vague de chaleur. Il a ajouté que l'étude des vagues de chaleur survenues à Athènes avait permis de souligner le rôle de facteur aggravant de la pollution et que l'impact spécifique de cette dernière lors de l'été 2003 serait examiné.

Mme Gisèle Gautier s'est interrogée sur l'importance des décès à domicile en août dernier et sur la réponse apportée par les médecins de ville. Elle a constaté la brutalité et la rapidité de la surmortalité liée à la canicule. Après avoir souligné l'urgence de la mise en place de plans de prévention contre les conséquences sanitaires des vagues de chaleur et des phénomènes climatiques violents, elle a insisté sur la nécessité d'une information en ce sens des personnels en charge des personnes fragiles.

M. Eric Jougla a indiqué que la forte surmortalité constatée à domicile concernait en partie des personnes décédées avant toute intervention médicale, ce qui pose le problème de la détection et du repérage préventif des personnes à risques.

M. Denis Hémon a souligné la nécessité d'avoir à la fois des systèmes d'alerte rapide à partir des données fournies par Météo France et des dispositifs d'alerte permanente, précisant les bonnes pratiques aux personnels en charge des individus fragiles.

M. Jacques Pelletier, président, a constaté à cet égard que les circulaires de juillet 2002 et de mai 2003 diffusées par M. Hubert Falco, secrétaire d'Etat aux personnes âgées, rappelant quelques conseils élémentaires de prudence, n'avaient pas été prises au sérieux par les médias et certains gériatres pourtant éminents. Il a insisté sur la nécessité de recenser les personnes fragiles au niveau local pour améliorer la prévention des risques.

Audition de M. Jean Jouzel, directeur de recherches au laboratoire de sciences du climat et de l'environnement à l'institut Pierre-Simon Laplace (CEA - CNRS)

La mission a enfin procédé à l'audition de M. Jean Jouzel, directeur de recherches au laboratoire de sciences du climat et de l'environnement à l'institut Pierre-Simon Laplace (CEA - CNRS).

M. Jean Jouzel a d'abord précisé qu'il intervenait également au titre de membre du bureau du Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution des climats (GIEC), organisme émanant de l'ONU et qui a publié trois rapports depuis sa création, en 1988.

Il a ensuite fait état des certitudes scientifiques ayant trait au réchauffement climatique, considérant désormais comme avéré le fait que l'homme contribuait à modifier la composition de l'atmosphère (notamment en dioxyde de carbone, en oxyde d'azote et en méthane). Il a, par ailleurs, souligné l'incontestable élévation de la température moyenne depuis le début du siècle dernier, précisant que ce réchauffement était de l'ordre de 0,5 degré sur l'ensemble de la planète et d'un degré sur le territoire national, qu'il était moins important sur les océans que sur les continents, et plus marqué la nuit que le jour.

Il a indiqué que la communauté scientifique avait évolué concernant l'influence de l'action de l'homme sur l'augmentation de la teneur de l'atmosphère en gaz à effet de serre et sur l'élévation de la température moyenne, rappelant que les trois rapports du GIEC avaient eu des approches différentes à cet égard. Si le premier rapport, de 1990, ne s'est pas prononcé sur ce point, en rappelant la variabilité naturelle du climat, le deuxième, publié en 1995, a reconnu que l'activité humaine avait une influence perceptible sur le climat, tandis que le troisième, datant de 2000, a jugé ce lien très probable.

Il a indiqué que la convention climat de l'ONU, signée en 1992, visait à stabiliser l'effet de serre à un niveau permettant d'éviter un réchauffement trop rapide, tout en assurant l'alimentation des populations et en prenant en compte le développement durable. Il a précisé que le volume de gaz carbonique, estimé aujourd'hui à 7 milliards de tonnes équivalent carbone, s'élèverait à 20 milliards d'euros à la fin du siècle si rien n'était fait d'ici là, notant que ce volume se répartissait pour moitié entre l'atmosphère d'une part, les océans et la végétation d'autre part.

Il a souligné les incertitudes concernant l'intensité du réchauffement à venir, celui-ci étant susceptible de varier de 1,5 à 6° en 2100, soit une augmentation jusqu'à cinq fois supérieure à celle enregistrée depuis le début du XXe siècle, ce qu'il a expliqué tant par le manque de précision des modèles scientifiques que par les difficultés de prévoir le volume des rejets futurs de gaz à effet de serre.

Il a estimé qu'une augmentation intermédiaire, de 3° en 2100, serait significative (étant rappelé que le passage de la période glaciaire à la période interglaciaire, il y a 20.000 ans, a été suscité par une augmentation de la température de 6°), affecterait inégalement les continents et les rivages des océans et serait lourde de conséquences (des étés tel que celui de 2003 devenant la norme au cours de la seconde moitié du XXIe siècle).

Il a noté que la stabilisation des rejets de gaz à effet de serre s'accompagnerait cependant, à la fin du siècle, d'une légère augmentation de la température et d'une élévation du niveau des mers de l'ordre de 50 centimètres, en raison de la dilatation des océans plutôt que de la fonte des glaciers alpins.

Un large débat s'est alors instauré.

M. Serge Lepeltier, rapporteur, s'est interrogé successivement sur la réalité du lien entre réchauffement du climat et effet de serre, sur les conséquences climatiques de l'évolution prévisible des courants marins comme le gulf-stream, sur le nombre de pics de chaleur du type de cet été susceptibles de se produire au cours du XXIe siècle et sur la façon dont les médias relaient l'information sur le changement climatique.

M. Jean Jouzel a apporté sur ces faits, les éléments de réponse suivants :

- le réchauffement climatique apparaît inéluctable ;

- les scientifiques considèrent qu'une modification du gulf-stream au cours de ce siècle est improbable : si ce courant devait être perturbé au siècle suivant, cela ralentirait sans doute le réchauffement du continent européen mais ne modifierait pas la tendance au réchauffement de la planète ;

- des pics de chaleur du type de ceux de l'été 2003 sont susceptibles de se reproduire une trentaine de fois au cours de ce siècle ;

- les scientifiques et les responsables politiques, qui entretiennent désormais des relations plus étroites, doivent veiller à ne pas communiquer aux médias des informations excessivement pessimistes et à ne pas se prononcer avec trop d'assurance sur des sujets qui sont encore controversés.

Répondant à M. Hilaire Flandre, rapporteur, qui l'interrogeait sur les implications du protocole de Kyoto, M. Jean Jouzel a rappelé que ce protocole comportait des engagements de réduction des gaz à effet de serre sur la période 2008-2012 pour les seuls pays développés. Il a estimé qu'il ne constituait qu'une étape et qu'il devrait être ratifié par un nombre suffisant d'Etats pour entrer en vigueur et entraîner une véritable prise de conscience. Déplorant que les Etats-Unis aient refusé de le ratifier, il a observé que son entrée en vigueur était subordonnée à sa ratification par la Russie, qu'il a toutefois estimée improbable. Constatant la constitution d'un front commun entre les Etats-Unis et les pays en développement pour la gestion de l'« après Kyoto », il a exprimé la crainte que la réunion prochaine à Milan d'une conférence chargée d'examiner l'application de la convention climat de l'ONU soit essentiellement technique et méthodologique et n'apporte pas d'avancées politiques.

M. Hilaire Flandre, rapporteur, s'est interrogé sur l'augmentation de l'effet de serre qui résulterait d'une plus grande utilisation de la climatisation en période de canicule et sur les effets de la reforestation.

M. Jean Jouzel a indiqué que les climatiseurs provoquaient effectivement une augmentation des rejets de gaz à effet de serre, ajoutant, sur un plan général, qu'il conviendrait de privilégier des énergies ne provoquant pas de tels rejets, d'économiser l'énergie utilisée et de « piéger » le gaz carbonique avant sa diffusion dans l'écosystème.

Il a, par ailleurs, noté que les programmes de reforestation ne faisaient que décaler le problème pour une période de 30 à 50 ans, et qu'il fallait s'interroger sur l'utilisation des forêts devenues adultes.

En réponse à M. Jacques Pelletier, président, qui l'interrogeait sur la pertinence de l'argument selon lequel le réchauffement climatique proviendrait essentiellement d'une variabilité naturelle du climat, M. Jean Jouzel a reconnu qu'une telle variabilité existait mais s'ajoutait à une variabilité d'origine humaine beaucoup plus importante. Relativisant la réalité des mécanismes de compensation, il a également rejeté l'argument, défendu par certains scientifiques, selon lequel le protocole de Kyoto ne servirait à rien, en soulignant que si ce protocole n'aurait effectivement pas d'effets sur l'évolution climatique des 30 prochaines années, sa mise en oeuvre aurait en revanche des conséquences bénéfiques pour la période suivante.

Après avoir fait observer que la moitié environ de la dégradation atmosphérique dépendrait de l'action humaine, Mme Gisèle Gautier a évoqué les effets de la croissance démographique et de l'augmentation de l'espérance de vie, celles-ci induisant des besoins en énergie supplémentaires, notamment dans les pays en développement qui, telle la Chine, vont adopter des modes de vie comparables à ceux des pays occidentaux. Elle a également regretté le manque d'information et de sensibilisation du public sur les avantages des énergies ne produisant pas de gaz carbonique, et notamment l'énergie d'origine nucléaire.

M. Jean Jouzel a reconnu que si l'énergie nucléaire ne produisait pas de gaz à effet de serre, elle suscitait en revanche des oppositions dans l'opinion publique. Observant qu'une partie croissante des élites chinoises prenait désormais conscience des problèmes liés au réchauffement de la planète, il a souligné l'importance de la problématique nord/sud dans la gestion des changements climatiques, tout en considérant que les pays en développement, dont l'économie est fragile, devraient bénéficier de l'aide des pays développés.

Répondant enfin à M. Hilaire Flandre, qui demandait des précisions sur l'élévation du niveau des mers, M. Jean Jouzel a souligné que cette élévation avait été de l'ordre de 15 centimètres au cours du siècle passé et qu'elle devrait être de 50 centimètres à la fin du XXIe siècle et concerner 200 millions d'habitants de la planète. Observant que ce phénomène était irréversible une fois intervenu, du fait de la dilation des océans, il a souligné les incertitudes concernant les conséquences de la fonte des grands glaciers de l'Antarctique.