MISSION COMMUNE D'INFORMATION  "LA FRANCE ET LES FRANÇAIS FACE A LA CANICULE


Table des matières




Mardi 13 janvier 2004

- Présidence de M. Jacques Pelletier, président

Audition de M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales

La commission a d'abord procédé à l'audition de M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.

Rappelant que la canicule avait constitué un événement d'une ampleur exceptionnelle, il a indiqué, en se référant à un certain nombre de cartes, que la France avait connu une très faible pluviométrie au sud d'une diagonale sud est - nord ouest, que les réserves en eau des sols étaient presque partout inférieures à la normale et que d'importants déficits de production fourragère avaient été enregistrés.

Soulignant que les pouvoirs publics s'étaient fortement mobilisés dans un souci d'anticipation, il a présenté la chronologie des principales mesures et décisions prises au cours des derniers mois :

- mi-avril : alerte et entrée en veille du réseau des directions départementales et régionales des affaires rurales et de la forêt (DDAF - DRAF), s'accompagnant de nombreuses visites du ministre dans les départements les plus touchés ;

- mai : répit climatique ;

- début juin : confirmation de la sécheresse et proposition par l'administration centrale au ministre d'un premier dispositif ;

- 24 juin : saisine de la Commission européenne pour obtenir l'autorisation du pâturage des « jachères-PAC », une première demande orale effectuée à la mi-juin ayant été refusée ;

- 3 juillet : délivrance par la Commission de cette autorisation ;

- 8 juillet : réunion au ministère des organisations professionnelles agricoles, afin de procéder à un bilan des conséquences du gel et de la sécheresse ;

- 21 juillet : annonce des premières décisions concernant la sécheresse à l'issue du Conseil des ministres ;

- 22 juillet : envoi d'instructions aux DDAF pour la mise en oeuvre de la procédure « calamités agricoles » selon des modalités accélérées, prévoyant notamment un dispositif d'indemnisation rapide par acompte et la mise en place d'une cellule nationale sécheresse se réunissant selon un rythme hebdomadaire ;

- 25 juillet : réunion interministérielle ayant pour objet de faire un premier point sur les mesures déjà mises en oeuvre et sur celles envisageables, puis annonce du déblocage d'une enveloppe de 34 millions d'euros destinée au transport de fourrage, complétée par la suite à hauteur de 50 millions d'euros ;

- 31 juillet : instructions aux DDAF sur le transport de fourrage ;

- 13 août : réunion interministérielle précisant les autres mesures agricoles à mettre en place et leur financement ;

- 14 août : accord communautaire sur le versement anticipé des aides européennes à la surface et de la prime herbagère, et autorisation d'utiliser les céréales mises à l'intervention ;

- 22 août : réunion des professionnels agricoles à Matignon et prise rapide par le Gouvernement d'une série de mesures adaptées ;

- 29 août : première « réunion sécheresse » de la Commission nationale des calamités agricoles (CNCA) ;

- 9 septembre : suite à l'avis de la commission, signature des arrêtés interministériels d'indemnisation par acompte pour 49 départements ;

- 16 septembre : instruction aux DDAF pour la mise en place de mesures bancaires exceptionnelles en faveur des exploitants sinistrés ;

- 17 septembre : annonce par le ministre d'une enveloppe exceptionnelle de 5 millions d'euros pour les élevages hors-sol, qui ne sont pas éligibles au dispositif d'indemnisation des calamités agricoles ;

- 30 septembre : deuxième « réunion sécheresse » de la CNCA ;

- 12 novembre : suite à cette réunion, signature des arrêtés interministériels d'indemnisation par acompte pour 19 nouveaux départements ;

- 18 novembre : troisième « réunion sécheresse » de la CNCA ;

- janvier 2004 : suite à cette réunion, signature des arrêtés interministériels d'indemnisation par acompte pour 10 nouveaux départements.

M. Hervé Gaymard a ensuite présenté la procédure « calamités agricoles », précisant qu'elle se déroulait en trois grandes étapes, dont les deuxième et troisième avaient été fusionnées :

- prise d'un arrêté interministériel de reconnaissance, suite aux missions d'enquête des comités départementaux d'expertise (phase locale), au contrôle et à l'instruction des demandes de reconnaissance par le bureau des calamités agricoles de la direction des affaires rurales et de la forêt, ainsi qu'à l'avis de la CNCA sur la reconnaissance (phase centrale) ;

- prise d'un arrêté interministériel d'indemnisation, après le dépôt et l'instruction des demandes d'indemnisation par les DDAF (phase locale) et l'avis de la CNCA sur l'indemnisation (phase centrale) ;

- indemnisations individuelles, suite à la mise en place des crédits d'indemnisation dans les départements.

Evoquant l'indemnisation des conséquences de la sécheresse sur les fourrages, il a souligné que la procédure avait été accélérée par la fusion précitée des phases de reconnaissance et d'indemnisation, que la date de la première réunion de la CNCA avait été avancée, que trois réunions successives de la commission s'en étaient suivi (29 août, 30 septembre et 18 novembre), qu'avaient été mis en place des crédits d'acomptes évalués à 70 % des besoins estimés après chaque commission, que le versement du solde restant aurait lieu au début de cette année et que la totalité des indemnisations serait donc versée moins de six mois après la fin de la sécheresse.

Insistant sur l'effort de solidarité nationale considérable qui avait été consenti, il a indiqué que le total des pertes fourragères indemnisables s'élevait à 1,8 milliard d'euros, que la réglementation communautaire limitait l'indemnisation à 50 % du montant total des pertes et qu'en conséquence, le total des mesures prises, qu'il a détaillées, s'était élevé à 957,4 millions d'euros :

- indemnisation par le Fonds national de garantie des calamités agricoles (pertes de fourrages reconnues lors des trois réunions de la CNCA) : 509,4 millions d'euros ;

- prêts calamités à 1,5 % ou 2,5 % (coût total de bonification en subvention équivalente) : 150 millions d'euros ;

- prêts de consolidation à 1,5 % ou 2,5 % (coût total de bonification en subvention équivalente) : 28 millions d'euros ;

- Fonds d'allègement des charges (FAC) (prise en charge d'intérêts) : 20 millions d'euros ;

- aide au transport de fourrage (aide directe octroyée sur facture) : 50 millions d'euros, mandatés durant une première phase en été et une seconde en automne qui se poursuivra jusqu'au 31 mars, à travers des enveloppes ajustées selon les besoins réels de chaque département ;

- exonération de la taxe sur le foncier non bâti (TFNB) (exonération d'impôt) : 200 millions d'euros ;

- report de cotisations sociales (coût financier des reports), avancement du paiement d'aides communautaires (coût financier de l'avance) et échéanciers de paiements d'impôts (coût financier des reports) : coût non évalué.

Précisant, s'agissant du bilan du transport de fourrages, que 1,5 million de tonnes avait été acheminé jusqu'en décembre par la SNCF (76 trains complets), l'armée (8 convois spéciaux) et les transporteurs routiers, il a déclaré que son ministère maintenait sa vigilance en s'apprêtant à prendre de nouvelles mesures ;

- réunion de la CNCA le 27 janvier, ayant pour objet l'indemnisation des pertes non fourragères, le versement du solde de l'indemnisation des pertes fourragères et le recalibrage des enveloppes départementales selon les besoins ;

- poursuite des travaux du comité de suivi « sécheresse » avec la profession agricole à un rythme bi-hebdomadaire et de la CNCA ;

- publication prochaine du rapport confié par le Premier ministre au député Christian Ménard sur les conditions d'indemnisation liées aux dégâts consécutifs aux variations climatiques exceptionnelles, qui permettra d'effectuer un débat sur le retour d'expérience et de toiletter éventuellement le dispositif d'indemnisation des calamités agricoles mis en place en 1964 ;

- élaboration en mai d'un bilan consolidé des mesures mises en oeuvre.

Un large débat s'est alors instauré.

M. Hilaire Flandre, rapporteur, s'est interrogé sur l'écart existant entre les prévisions pessimistes en termes de revenu agricole pour l'année 2003 suite à la canicule et les premières estimations faisant état de résultats satisfaisants, sur l'opportunité de rénover le Fonds national de garantie des calamités agricoles (FNGCA) en ce qui concerne son financement et son régime d'indemnisation, sur les critiques émises à l'encontre du transport de fourrages, ainsi que sur la position du ministère à l'égard d'une éventuelle extension du système d'assurance-récolte. Il a également demandé des précisions sur la façon dont ont réagi à la canicule les autres pays européens et l'existence d'une concertation à ce sujet, ainsi que sur les variétés de plants et les pratiques agricoles, notamment en matière d'irrigation, qu'il serait opportun de privilégier afin de réduire les conséquences d'une nouvelle sécheresse sur les cultures.

En réponse à ces questions, M. Hervé Gaymard a apporté les précisions suivantes :

- les statistiques sur le revenu agricole 2003, dont on peut certes se féliciter au regard des conditions météorologiques difficiles, cachent de fortes disparités et ne sont donc qu'un témoignage imparfait de la réalité. Si la situation de certains exploitants agricoles est aujourd'hui difficile, l'action du Gouvernement, en concertation avec les organisations professionnelles, leur a cependant permis de traverser la crise aussi convenablement que possible ;

- le FNGCA, créé il y a 40 ans, a fonctionné de façon satisfaisante lors des derniers accidents climatiques (inondations du sud-est à l'automne 2002, gel du printemps 2003, sécheresse de l'été 2003 et nouvelles inondations à l'automne 2003). Couplé avec le Fonds d'allègement des charges (FAC), le dispositif d'aide aux agriculteurs en difficulté (AGRIDIF) et les aides au redémarrage de trésorerie inaugurées en septembre 2002, il offre une panoplie réactive de gestion des calamités agricoles. Il sera cependant nécessaire, en concertation avec les organisations professionnelles agricoles et le Parlement, de rénover le système, en s'inspirant du rapport rendu prochainement par le député Christian Ménard. L'automaticité de l'exonération du foncier bâti pourrait notamment être examinée, du fait que tous les propriétaires ne répercutent pas ce dégrèvement auprès des locataires et que ce dispositif mobilise un important volume financier pour lequel d'autres affectations pourraient être envisagées ;

- les difficultés du transport de fourrages, très médiatisées, doivent être relativisées dans la mesure où aucun cheptel n'a souffert de malnutrition, l'acheminement de la paille s'étant effectué à un rythme acceptable grâce au concours des organisations professionnelles agricoles, du ministre des transports et de M. Louis Gallois, président de la SNCF. Si des problèmes logistiques sont effectivement apparus, du fait de l'organisation du fret, de la fermeture de nombreuses gares en milieu rural ou encore de l'inadaptation des wagons, il conviendra de les régler au vu du retour d'expérience, sans toutefois envisager de recourir à la réquisition, laquelle relève d'une économie de guerre ;

- il n'y a pas eu de coordination au niveau européen entre les Etats membres, sachant toutefois que les ministres de l'agriculture se rencontrent régulièrement et que la Commission européenne doit être systématiquement consultée afin de vérifier que les dispositifs d'aide publics ne portent pas atteinte au principe de libre concurrence. La France a été particulièrement touchée car ses régions d'agriculture non irriguée ont relativement plus souffert que celles irriguées, phénomène également constaté au niveau européen où la France et l'Italie du Nord, par exemple, ont été davantage exposées que l'Espagne ou le Portugal. Il pourra être utile d'examiner l'expérience de certains Etats membres qui, telle l'Espagne en matière d'assurance récolte, possèdent une réelle avance sur notre pays ;

- les problématiques liées à l'hydraulique agricole, délaissées depuis une quarantaine d'années après avoir été largement débattues, sont à nouveau d'actualité avec la multiplication des épisodes de sécheresse et d'inondation révélant la déficience des réseaux d'irrigation. Elles devront être réexaminées en concertation avec le ministère de l'écologie et du développement durable ;

- la faiblesse des stocks de fourrage avant l'épisode de canicule, s'expliquant à la fois par une surconsommation due à l'abattage massif de cohortes résultant de l'épidémie d'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), par une économie à flux tendus et par des trésoreries délicates, rendra peut-être nécessaire la constitution de stocks-tampons s'accompagnant d'une gestion financière adaptée.

M. Hilaire Flandre, rapporteur, a estimé qu'il aurait mieux valu protéger les stocks de paille des intempéries plutôt que de les transporter aussi rapidement que possible, avant de s'interroger sur l'utilité qu'il y aurait à privilégier des espèces végétales consommant moins d'eau et sur la surmortalité résultant de la concentration des animaux dans les élevages hors-sol.

En réponse à ces questions, M. Hervé Gaymard a tout d'abord reconnu qu'il était important de développer des programmes de recherche sur les plantes et leurs besoins en eau. Puis, relatant un déplacement qu'il avait effectué au mois d'août dans le Finistère et dans le Morbihan, il a expliqué comment un éleveur de poulets, dont l'exploitation répondait pourtant aux normes européennes, avait perdu le tiers de son élevage, malgré l'intervention des pompiers, du fait de la température qui avait excédé un certain seuil durant 1h30. Remarquant que de telles situations étaient exceptionnelles, il a cependant indiqué que la question serait étudiée dans le cadre du retour d'expérience.

M. Jacques Pelletier, président, a insisté sur l'importance des problématiques liées à l'hydraulique et à l'irrigation. Rappelant que les experts en climatologie auditionnés par la mission d'information s'étaient montrés pessimistes, en prévoyant que les épisodes de canicule se reproduiraient fréquemment durant le siècle à venir, il s'est interrogé sur la réponse à apporter aux demandes d'irrigation des agriculteurs situés dans des zones non irriguées.

Reconnaissant que le sujet était délicat, M. Hervé Gaymard a indiqué avoir étudié la question avec les organisations professionnelles agricoles et les élus locaux lors d'un déplacement dans le Gers au mois d'août. Il a déclaré avoir demandé aux DRAF de coordonner les actions menées en ce domaine, précisant par ailleurs qu'une mission sur ce sujet avait été initiée au sein de son ministère et que ce thème serait largement débattu lors de l'examen prochain du projet de loi sur l'eau.

Après avoir rendu hommage au ministre pour sa réactivité face à la canicule, M. Daniel Eckenspieller l'a interrogé sur ses interlocuteurs durant la crise, sur l'existence d'un effet retard sur les récoltes et sur le niveau des nappes phréatiques.

En réponse à ces questions, M. Hervé Gaymard a apporté les précisions suivantes :

- l'observation et l'alerte en cas d'événement exceptionnel ont été le fait des services déconcentrés, et notamment du département de santé des forêts, qui ont dès le mois d'avril sensibilisé l'administration centrale, en liaison avec les services de Météo France, au phénomène de sécheresse. Les actions proprement dites ont été gérées par la direction des affaires financières, dont dépend le secrétariat national du CNCA, tandis que trois ingénieurs généraux du génie rural, assurant chacun successivement les fonctions de « Monsieur sécheresse », ont été chargés de coordonner les différents intervenants ;

- l'existence d'un effet retard est relativement incertaine, même si l'on sait aujourd'hui que les forêts ont été gravement affectées par les incendies, que certaines des productions végétales et arboricoles pourraient être détruites entièrement du fait de la succession des épisodes de gel et de sécheresse, et que les mesures portant sur les fourrages auront des incidences jusqu'au premier trimestre de cette année au moins ;

- les nappes phréatiques ont connu des situations contrastées selon les régions et selon les périodes, étant précisé que la sécheresse de l'année 2003 a été beaucoup moins importante que celle de l'année 1976.

M. Hilaire Flandre, rapporteur, a ajouté que si les réserves d'eau connaissaient un niveau satisfaisant avant l'épisode de canicule, elles n'étaient pas encore reconstituées à l'heure actuelle. Observant qu'il pleuvait en moyenne 20 m3 d'eau par habitant et par jour, il a estimé qu'un tel niveau de précipitation était largement suffisant pour satisfaire les besoins de l'agriculture, à condition d'aménager des systèmes de retenue et de stockage des eaux appropriés.

Remerciant le ministre d'être venu témoigner devant la mission d'information, M. Jacques Pelletier, président, l'a félicité pour la rapidité avec laquelle il avait procédé aux indemnisations.

Audition de M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité

La mission a ensuite procédé à l'audition de M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.

A titre liminaire M. Jacques Pelletier, président, a souligné que la mission commune d'information du Sénat avait souhaité examiner l'ensemble des aspects de la crise de la canicule. Il a également noté que les experts scientifiques avaient insisté sur la perspective d'une poursuite du réchauffement de l'atmosphère, rendant probable que les phénomènes de canicule se reproduisent fréquemment à l'avenir. Après avoir estimé que la mission d'information devrait formuler, à l'issue de ses travaux, des propositions concrètes, il a invité M. François Fillon à présenter son récit de la crise et à exposer les enseignements qui devraient, à ses yeux, en être tirés.

M. François Fillon a tout d'abord précisé qu'il souhaitait organiser son intervention autour de trois thèmes : un rappel de la répartition des compétences au sein du Gouvernement sur les questions relatives à la prise en charge des personnes âgées ; une analyse de la crise de la canicule au niveau du ministère des affaires sociales et une présentation des initiatives déjà prises pour éviter que de tels événements tragiques ne se renouvellent à l'avenir, avec au premier chef le plan « vieillissement et solidarités ».

Il a rappelé que son ministère avait la responsabilité de l'ensemble des questions sociales touchant les personnes âgées, tandis que le ministère de la santé, de la famille et des personnes handicapées était compétent sur le plan des soins à leur apporter. Il a par ailleurs estimé que la répartition, au sein même de son ministère, entre la compétence générale qui est la sienne, et celle du secrétaire d'Etat aux personnes âgées, M. Hubert Falco, pour ce qui concerne la mise en oeuvre de cette politique, s'était avérée à l'expérience très satisfaisante et avait permis d'éviter les chevauchements de compétences.

S'agissant du déroulement de la crise de la canicule, il a considéré que si les dispositions qui avaient été prises avant la crise s'étaient révélées de toute évidence insuffisantes, il convenait pour autant de signaler que des initiatives utiles avaient néanmoins été prises, comme l'attestent les circulaires du secrétariat d'Etat aux personnes âgées des 12 juillet 2002 et 27 mai 2003 visant à prévenir respectivement les risques de déshydratation et d'isolement des personnes âgées. Il a regretté toutefois que ces préconisations soient restées largement ignorées ou inappliquées.

Revenant au récit chronologique des événements de l'été dernier, il a noté que le début de la vague de chaleur exceptionnelle traversée par notre pays datait du 2 août, mais que, comme l'avait d'ailleurs relevé le rapport Lalande, la crise n'avait pas été perceptible avant le 8 août, c'est-à-dire lorsque les services d'urgence ont commencé à enregistrer une hausse des admissions et des demandes de secours. Il a par ailleurs observé que le premier appel émanant d'une maison de retraite de Suresnes n'avait été reçu par la Direction générale de l'action sociale (DGAS) que le 10 août, c'est-à-dire juste avant que la crise sanitaire n'atteigne son paroxysme les 11 et 12 août. Il a précisé que ses services s'étaient alors mobilisés pleinement, avaient diffusé deux communiqués de presse et publié plusieurs circulaires destinées à permettre aux services déconcentrés, les directions régionales (DRASS) et les directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS), de faire face aux événements.

Il a observé que ni les DRASS, ni les DDASS, ni les services de soins infirmiers à domicile (SSIAD), ni les maisons de retraite n'avaient alerté les administrations centrales de la survenance brutale d'une situation anormale et tragique. Evoquant les raisons d'un tel constat, a priori surprenant, il a avancé plusieurs explications possibles : il a ainsi estimé que les acteurs de terrain avaient eu le sentiment justifié de faire le maximum, de devoir d'abord faire face à la crise à leur niveau avant de rendre compte des difficultés rencontrées, tandis que bon nombre des décès survenaient au domicile des personnes âgées alors qu'au retard initial au niveau de l'alerte s'ajoutait, dans la gestion de la crise elle-même, un décalage permanent par rapport à la réalité. Il en a conclu que la situation des personnes âgées, sur le plan individuel, avait dès lors été fonction de leur état général, des moyens disponibles et de la faculté d'anticipation des structures dans lesquelles elles se trouvaient.

S'agissant des initiatives qui ont d'ores et déjà été prises depuis la crise et des leçons qui ont été tirées de ce drame, M. François Fillon a tout d'abord rappelé qu'une l'enveloppe exceptionnelle de 40 millions d'euros avait été dégagée le 15 septembre 2003 pour compenser les heures supplémentaires effectuées, lors de la crise, par les personnels ayant la charge des personnes âgées.

D'une façon plus générale, il a observé que le travail de réflexion engagé à partir du 2 septembre avec la constitution de six groupes de travail spécialisés, avait abouti à la présentation par le Premier ministre, le 6 novembre dernier, du plan « vieillissement et solidarités » visant à réduire la coupure existant entre le secteur médical et le secteur social, à assurer une meilleure coordination des différents intervenants et à promouvoir l'autonomie des personnes âgées. Il a insisté sur l'importance des financements nouveaux, 860 millions d'euros par an, qui devront permettre d'accélérer la médicalisation des maisons de retraite, de développer l'accueil temporaire et de créer 100 000 nouvelles places dans les SSIAD d'ici à l'année 2008. Il a par ailleurs considéré que la mise en oeuvre de la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie et l'institution d'une journée de travail non rémunérée, accompagnée d'une contribution de 0,3 % à la charge des employeurs publics et privés, assureront la pérennité de l'ensemble du dispositif.

M. François Fillon a toutefois estimé que l'analyse de la crise de la canicule conduisait à aller au-delà et à traiter les autres problèmes mis en évidence à cette occasion : le retard au niveau de l'alerte, l'insuffisance de la coordination gérontologique - sujet sur lequel une mission d'information a été récemment confiée à l'Inspection générale des affaires sociales - et la fragmentation du partage des compétences entre les différents intervenants. Sur ce dernier point, il a constaté que les communes intervenaient par le biais du centre communal d'action sociale, les départements dans le cadre de leurs politiques sociales et de l'Allocation personnalisée d'autonomie, l'Etat avec les DDASS et les DRASS mais aussi l'assurance maladie et l'assurance vieillesse. Il a considéré que cette situation rendait impossible une coordination efficace et un pilotage de proximité, ce qui avait conduit, dans le cadre du projet de loi relatif aux responsabilités locales, à confier au département la responsabilité d'élaborer le schéma départemental d'organisation sociale et médico-sociale.

Un large débat s'est alors instauré.

Tout en relevant l'ampleur de l'effort financier déployé dans le cadre du plan « vieillissement et solidarités », M. Hilaire Flandre, rapporteur, a demandé à M. François Fillon quelle était sa réaction à la prise de position de l'Association des directeurs d'établissement d'hébergement pour personnes âgées (Adehpa) faisant état de sommes beaucoup plus importantes, pouvant aller jusqu'à 7 milliards d'euros, pour moderniser le « parc » français de maisons de retraite. Il s'est également interrogé sur les moyens de renforcer le taux d'encadrement des structures d'hébergement accueillant des personnes âgées ainsi que sur le fait que certaines catégories sociales seront exemptées de la contribution de 0,3 %.

M. François Fillon a déclaré que l'action en faveur des personnes âgées dépendantes ne serait probablement jamais totalement suffisante, mais que les 850 millions d'euros annoncés viendront s'ajouter aux 400 millions d'euros supplémentaires consacrés à l'APA, ce qui constituait un effort d'ensemble très important, correspondant à une augmentation de 20 % des moyens financiers et humains.

Il a estimé que les craintes exprimées par le rapporteur quant à l'insuffisante attractivité des métiers de cette filière étaient fondées, tout en jugeant qu'une action volontariste, grâce notamment aux nouvelles possibilités offertes par la validation des acquis de l'expérience, devrait permettre d'améliorer la situation.

S'agissant de la réaction négative des quatre présidents de caisse nationale de sécurité sociale sur le schéma retenu pour le plan vieillissement et solidarités, il a réaffirmé que le Gouvernement n'entendait pas créer un cinquième risque, à côté de l'édifice traditionnel de la sécurité sociale, et il a considéré que la mission de réflexion récemment confiée à MM. Raoul Briet et Pierre Jamet sur ce sujet devrait permettre d'apaiser ces malentendus.

Il a reconnu que trois catégories sociales, les agriculteurs travaillant sur leur exploitation, les professions indépendantes et les retraités, ne feraient pas l'objet du prélèvement de 0,3 % et il a justifié ces exceptions par le fait qu'il était impossible dans leurs cas de compenser cette contribution supplémentaire par la création d'une journée de travail supplémentaire.

Mme Françoise Henneron a évoqué le sort des personnes âgées qui, pendant la crise de la canicule, sont décédées dans les services d'urgence, après y avoir été transportées tardivement de leur domicile dans un état trop souvent désespéré.

M. François Fillon a indiqué que les études réalisées depuis l'été dernier sur les maisons de retraite avaient montré l'absence de lien entre l'importance des moyens et le nombre des décès, tout en soulignant par ailleurs qu'il était normal que les structures d'hébergement les mieux dotées accueillent les personnes les plus fragiles avec l'espérance de vie la plus faible.

Evoquant le récent déplacement en Belgique de la mission commune d'information, Mme Françoise Henneron a relevé que la durée légale du travail pour le personnel des maisons de retraite dans ce pays, fixée à 38 heures par semaine, représentait un écart significatif par rapport à la France et pourrait expliquer nos difficultés à accroître le taux d'encadrement des établissements accueillant des personnes âgées.

Mme Monique Papon a jugé que la catastrophe de l'été dernier devrait pour le moins contribuer à l'indispensable prise en compte de la nécessité de tirer toutes les conséquences du vieillissement de la population française et de mettre fin, par là même, à un véritable tabou. Elle a également insisté sur le rôle des centres locaux d'information et de coordination (CLIC), sur l'importance de la formation des auxiliaires de vie et sur la nécessité de revaloriser l'ensemble des métiers de la filière gérontologique. Elle s'est également interrogée sur la possibilité de remédier au problème de l'enchevêtrement des compétences des différents acteurs de la politique menée en faveur des personnes âgées.

M. François Fillon a confirmé que la gestion des crises reposait, d'une part, sur le préfet, s'appuyant pour cela sur les moyens opérationnels des DDASS et, d'autre part, sur le président du conseil général qui est chargé d'élaborer leschéma départemental d'organisation sociale et médico-sociale. Dans cet esprit, il a également réaffirmé sa conviction de l'efficacité des CLIC et de la nécessité de promouvoir le maintien à domicile des personnes âgées. S'agissant du niveau d'encadrement des maisons de retraite, il a estimé qu'il convenait d'évaluer avec prudence les données relatives aux pays étrangers qui sont loin d'être homogènes. Il a également précisé, à ce titre, que l'augmentation du nombre des places d'infirmières et d'aides-soignantes, évaluée respectivement à 12 000 et 5 000 par rapport à la période 2001/2002, devrait permettre d'améliorer la situation.

M. Jacques Pelletier, président, a indiqué que, malgré les explications formulées à l'occasion des différentes auditions de la mission commune d'information, il était toujours difficile de concevoir qu'aucune structure et institution, au plan tant national que local, n'ait perçu qu'une catastrophe de cette ampleur était en passe de se produire, et ce alors même que les prévisions établies par les services de Météo France s'étaient avérées exactes. Il a noté qu'aucun décideur public n'avait pensé à interroger les entreprises funéraires avant que n'apparaisse le besoin de réaliser, en catastrophe, une première évaluation du nombre des victimes. Il a insisté sur le fait que, contrairement à la ville de Chicago qui, après avoir connu une première crise sanitaire liée à la canicule en 1991, avait su faire face à la situation lorsque celle-ci s'est reproduite quatre ans plus tard, la France n'avait tiré aucun enseignement de l'expérience de l'année 1976. Il a également observé qu'une meilleure coordination des acteurs de la politique en faveur des personnes âgées supposait à la fois d'approfondir les mouvements de décentralisation et de déconcentration.

M. François Fillon a déclaré qu'il était exact qu'une crise de cette ampleur et de cette nature n'avait jamais été préalablement envisagée et que, contrairement par exemple au « plan grand froid », le risque d'hyperthermie n'était tout simplement pas répertorié. Rappelant que le drame s'était noué en seulement quatre jours, il a précisé que les ARH avaient pour seules compétences l'organisation des restructurations hospitalières, la répartition des moyens et la planification des investissements, et il a confirmé que les préfets se trouvaient bien en charge des situations de crise. Il a estimé qu'il ne convenait pas de remettre en cause cette architecture, sauf transformation des agences régionales d'hospitalisation en agences régionales de santé.

Après avoir considéré qu'il conviendrait vraisemblablement de prévoir la mise en place d'une pièce climatisée dans chaque hôpital et dans chaque maison de retraite, M. Jacques Pelletier, président, a observé que la situation des personnes âgées isolées en milieu rural posait souvent problème.

M. François Fillon a précisé que si la coordination gérontologique relevait des départements, la mise en oeuvre des actions de proximité était du ressort des Centres communaux d'action sociale (CCAS). Il a également insisté sur la nécessité de concilier l'impératif de recenser les personnes âgées fragiles avec le respect de la liberté individuelle et il a fait référence, sur ce point, à l'avis émis récemment par le Conseil d'Etat sur le projet de loi relatif au « dispositif de solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées ».

M. Paul Girod a souhaité qu'une campagne d'information soit organisée avant l'été prochain pour sensibiliser les familles aux problèmes des personnes âgées. Il a en outre fait observer que le tragique bilan de la canicule devait également être évalué par rapport au nombre moyen mensuel de décès enregistré en France qui est de l'ordre de 50 000.

Mme Françoise Henneron a insisté sur l'importance de la formation des aides-soignantes.

Revenant sur le déplacement de la mission commune d'information en Belgique, M. Jacques Pelletier, président, a fait part de sa perplexité quant aux tarifs réclamés aux pensionnaires des maisons de retraite, lesquels semblent être nettement inférieurs à ceux pratiqués en France.

M. François Fillon a indiqué que ses services devraient conduire une étude détaillée sur cette question. 

Mercredi 14 janvier 2004

- Présidence de M. Jacques Pelletier, président.

Audition de MM. André Merlin, directeur de Réseau de Transport d'Electricité (RTE) et Pierre Bornard, directeur de la division « systèmes électriques »

La mission a d'abord procédé à l'audition de MM. André Merlin, directeur de Réseau de Transport d'Electricité (RTE) et Pierre Bornard, directeur de la division « systèmes électriques ».

M.  Jacques Pelletier, président, a demandé à M. André Merlin de rappeler les missions de RTE, puis de présenter les conséquences de la canicule de l'été dernier pour son secteur et les enseignements qui sont susceptibles d'en être tirés pour l'avenir.

Après avoir rappelé qu'il avait pris ses fonctions depuis la création de RTE le 1er juillet 2000, M. André Merlin a indiqué que son entreprise avait la responsabilité de la gestion des flux et du réseau de transport d'électricité à haute et très haute tension. Il a précisé qu'en application de la loi du 10 février 2000, RTE était indépendante d'Electricité de France (EDF) sur les plans comptable, financier et sur celui du management, mais que son indépendance juridique devrait être réalisée d'ici au 1er juillet 2004, en application d'une directive européenne de juin 2003. Il a ensuite indiqué que la fréquence des canicules pourrait désormais passer à un rythme décennal et que les gestionnaires de réseaux de transport d'électricité européens devront modifier en conséquence leur mode de gestion du système électrique.

M. Pierre Bornard a ensuite présenté le retour d'expérience de RTE suite à la crise de l'été 2003. Il a indiqué qu'en raison de la situation climatique exceptionnelle, l'entreprise avait rencontré certaines difficultés pour assurer l'équilibre entre l'offre électrique et la demande des consommateurs, en raison des contraintes importantes ayant affecté les moyens de production, tant français que de nos voisins européens, lesquelles se sont traduites par une réduction de la production électrique. Il a souligné l'augmentation, dans le même temps, de la demande d'électricité liée à la canicule et donc à l'utilisation accrue de la climatisation, sachant que toute hausse de la température d'un degré, au-delà de 25°C, représente 250 à 300 mégawatts (MW) de consommation supplémentaire, ce qui correspond à la consommation d'une ville comme Nantes.

Retraçant la chronologie des événements, il a indiqué que la gestion du réseau de transport d'électricité au mois de juillet avait été marquée par plusieurs contraintes, notamment dans le sud-est, rendant nécessaire le maintien d'une production minimale par les centrales de Tricastin et de Golfech. Il a ajouté que, compte tenu de la faiblesse de la production hydro-électrique et éolienne, y compris en Allemagne et aux Pays-Bas, les marchés électriques européens se sont quasiment tous trouvés en même temps dans une situation tendue, cette situation ayant pesé sur les prix. Il a précisé que l'Allemagne n'avait pu compter que sur une faible part de sa capacité de production d'électricité d'origine éolienne, ce taux étant évalué à 15 % en France pendant la période de canicule, en raison de sa situation climatique plus contrastée.

M. Pierre Bornard a ensuite indiqué que le risque d'un important déséquilibre entre l'offre et la demande d'électricité, apparu dès le 4 août du fait de la réduction de la production et de la perspective de la reprise de l'activité économique à partir du 18 août était susceptible d'entraîner des délestages, c'est-à-dire des coupures de courant maîtrisées et avait conduit RTE à alerter les pouvoirs publics le 7 août. Il a ajouté qu'en étroite concertation avec EDF et RTE, les pouvoirs publics avaient pris, le 12 août, des arrêtés dérogatoires concernant les rejets des centrales thermiques dans les cours d'eau et que la reprise de l'activité économique après le 15 août était opportunément intervenue en même temps que la baisse des températures.

M. Pierre Bornard a observé que RTE avait pu assurer pleinement son rôle d'alerte et sa responsabilité en matière de sûreté de fonctionnement du système électrique et a souligné l'importance de la coordination et la réactivité de l'ensemble des acteurs concernés. Outre la réduction de consommation négociée par EDF avec certains clients industriels, il a précisé que celle des consommateurs domestiques à la suite d'un appel à la modération lancé par les pouvoirs publics, s'était traduite, pour la journée du 14 août, par une moindre consommation de 300 MW.

Il a ensuite exposé les orientations du plan d'action de RTE :

- amélioration des prévisions en matière de consommation, sachant que le développement des équipements en climatisation entraînera un accroissement plus important de la consommation électrique en cas de fortes chaleurs ;

- renforcement du dispositif d'alerte et poursuite des études concernant les prévisions à moyen terme, en coordination avec Météo France ;

- modification du calendrier de maintenance des installations qui se déroule traditionnellement pendant l'été, et information d'EDF et des autres producteurs pour que leur programme d'entretien des centrales ne risque pas de compromettre la production d'électricité en période de canicule ;

- clarification des responsabilités et des obligations des différents acteurs du marché, de façon à éviter que certains fournisseurs soient tentés de privilégier des arbitrages financiers et commerciaux au détriment du respect de leurs engagements de fourniture à leurs clients, mettant RTE dans l'incapacité d'assurer l'équilibre en temps réel du système et dans l'obligation de procéder à des délestages. La loi du 10 février 2000 laisse place à interprétation sur ce point et mériterait d'être précisée ;

- recherche d'une gestion opérationnelle de crise plus efficace et clarification des dispositions de l'arrêté ministériel de 1990 fixant les modalités de délestage. Les plans de délestage actuels étant établis sur la base d'enquêtes annuelles réalisées en hiver, il convient de prévoir un volet « été », en liaison avec les gestionnaires du réseau de distribution, et de contractualiser avec ces derniers les modalités de mise en oeuvre des délestages, qu'il s'agisse de leur ampleur, de leur localisation, ou des clients concernés ;

- mise en place au sein de RTE d'une cellule de crise regroupant les producteurs, les distributeurs, les commerciaux et organisation d'exercices de crise ;

- mise en place d'un système d'information et d'alerte du public et des clients de RTE sur les risques de délestage ;

- établissement de contrats de secours mutuel entre les gestionnaires des réseaux de transport européens et développement des interconnexions avec les pays voisins, en particulier l'Espagne, la Belgique et l'Italie.

Un large débat s'est ensuite instauré.

Soulignant le caractère exhaustif de ces deux interventions, M. Serge Lepeltier, rapporteur, a rappelé que notre pays avait été à la limite du délestage, pendant quelques jours, et s'est interrogé sur les conséquences d'une canicule plus longue, sachant que d'après les scientifiques, la France pourrait connaître au cours du siècle ce type d'événement climatique extrême en moyenne une fois tous les trois ans. Il s'est demandé si notre réseau avait été épargné par les difficultés rencontrées par nos voisins, par chance ou en raison de sa qualité. Il a ensuite évoqué la répartition des sources de production électrique et a suggéré, compte tenu de l'obligation de la France d'augmenter de 5 % la part des énergies renouvelables dans son bilan énergétique, le développement des moyens de production d'électricité d'origine solaire, les éoliennes ayant été de peu de secours au cours de l'été. Il a demandé s'il était possible d'évaluer l'impact du développement de la climatisation sur l'évolution de la demande d'électricité. Il s'est enfin interrogé sur les conséquences de l'ouverture du marché électrique à la concurrence dans la gestion des périodes de crise et a jugé que le marché ne pouvait à lui seul permettre de faire face à ces dernières.

M. André Merlin a estimé que les coupures de courant auraient pu être évitées en cas de prolongation d'une semaine de la canicule, grâce aux dérogations accordées aux centrales concernant leurs rejets dans les cours d'eau. Il a jugé toutefois nécessaire de réviser les modalités de maintenance des moyens de production, précisant que 14 des 18 tranches nucléaires des centrales situées en bord de mer étaient à l'arrêt l'été dernier. Il a souhaité que la gestion de notre système électrique prenne mieux en compte les risques.

Il a ensuite indiqué que la France, comme les autres pays, n'était pas à l'abri d'une panne, mais que tous les moyens étaient mis en oeuvre pour l'éviter. Il a indiqué que des plans de délestage adaptés aux périodes d'été seraient prochainement adoptés.

Il a rappelé que la loi du 10 février 2000 avait chargé RTE de fournir régulièrement un bilan prévisionnel sur l'offre et la demande d'électricité à l'horizon de cinq et dix ans. Le bilan, établi en 2003 avant la canicule, montre la nécessité de prévoir de nouveaux moyens de production, d'ici 2008, afin de faire face aux demandes de pointe. Ces moyens, en particulier les énergies renouvelables et le nouveau réacteur EPR (European Pressurized Reactor), devraient être développés prioritairement dans les régions fragiles en bout de réseau, notamment la Bretagne et le sud-est.

Notant que la consommation d'électricité avait enregistré une hausse de 4 % en 2003, il a estimé que le développement des équipements de climatisation entraînerait une explosion de la demande d'électricité en période estivale, qui resterait cependant très inférieure aux pointes hivernales de consommation.

Il a enfin souhaité que la future loi qui organisera l'indépendance juridique de RTE à l'égard d'EDF reconnaisse les missions de service public assurées par le gestionnaire du réseau de transport.

M. Hilaire Flandre, rapporteur, s'est enquis du type de moyens de production de pointe pouvant être mis en place dans le court délai évoqué. Il a suggéré une aggravation des sanctions financières en cas de non-respect par un fournisseur de ses obligations de livraison d'électricité.

M. André Merlin a répondu que l'installation de petites turbines à gaz (entre 100 et 200 MW) permettrait de renforcer la sécurité d'approvisionnement dans les zones les plus fragiles, y compris en région parisienne. En effet, les stations de pompage, qui ont pour avantage de pouvoir être mises en oeuvre seulement quelques centaines d'heures par an afin de faire face aux pointes de consommation, sont très coûteuses et les sites les plus appropriés sont déjà équipés.

Il a indiqué que les mécanismes de marché permettaient déjà de sanctionner financièrement le non-respect par un fournisseur de ses engagements mais que ceux-ci pouvaient se révéler insuffisants. Il a souhaité que la prochaine loi transposant la nouvelle directive européenne clarifie les responsabilités entre les différents acteurs.

M. Alain Gournac s'est enquis de l'existence éventuelle d'un plan canicule, avant cet été, et s'est interrogé sur la mise à jour du plan de délestage, compte tenu de l'évolution des besoins spécifiques, liés en particulier au développement de l'hospitalisation à domicile. Il a demandé quelles seraient les conséquences d'un hiver très rigoureux sur le réseau de transport et s'est inquiété de l'impact d'un développement futur des équipements de refroidissement dans notre pays.

M. André Merlin a précisé à M. Alain Gournac qu'aucun plan de délestage n'était jusqu'à maintenant prévu pour la période estivale, mais qu'un tel plan était aujourd'hui envisagé, en concertation avec les gestionnaires des réseaux de distribution.

Il a indiqué que les moyens de production, qui devront être installés avant 2008, devaient être dimensionnés afin de prendre en compte le niveau élevé des pointes de consommation enregistrées en période hivernale. Il a noté que la forte hausse de consommation entraînée par la baisse des températures hivernales (1.600 MW par degré), conduira, comme pour les autres activités industrielles, à accepter une probabilité de défaillance en cas de situation exceptionnelle, compte tenu d'un nécessaire compromis entre investissement et risques de coupures. Il a estimé que le réseau était aujourd'hui dimensionné de manière satisfaisante pour faire face aux aléas climatiques courants mais qu'une température exceptionnelle de l'ordre de - 30°C entraînerait inéluctablement de telles coupures.

Distinguant ensuite les réseaux de transport et de distribution, il a indiqué que le maillage du réseau de transport permettait, en cas de panne, d'utiliser un ouvrage voisin et de faire face à des aléas climatiques. Il a rappelé à cet égard qu'en dépit de la mise hors service de 40 ouvrages lors de la tempête de décembre 1999, l'écroulement complet du réseau avait pu être évité.

Evoquant le coût élevé des importations d'électricité pendant la canicule, Mme Gisèle Gautier a préconisé l'établissement en amont de conventions avec des pays voisins, afin de s'assurer de prix moins élevés. Elle s'est, par ailleurs, interrogée sur les possibilités de secours mutuel en cas de crises affectant en même temps l'ensemble des pays producteurs.

M. André Merlin a insisté sur la nécessité de construire de nouvelles lignes électriques afin de développer les interconnexions avec les pays voisins, pour permettre un secours mutuel. Il a noté qu'un événement climatique n'affectait généralement qu'une partie des pays européens. En sa qualité de président des gestionnaires des réseaux européens de transport d'électricité, il a toutefois souhaité qu'un bilan prévisionnel soit établi au niveau européen, afin de révéler les risques de fragilité des réseaux.

Il a indiqué que le prix « spot » très élevé de l'électricité (1.000 euros par KW) constaté au coeur de la crise d'août 2003 traduisait, pour le marché, le prix du risque d'une coupure de courant.

M. Jacques Pelletier, président, a souligné l'intérêt des deux interventions et a souhaité disposer d'informations complémentaires sur les difficultés d'interprétation de la loi du 10 février 2000.

Audition du professeur Jean-Louis San Marco, chef de service à l'hôpital de la Timone, professeur de santé publique à l'université de Marseille

La mission a ensuite procédé à l'audition du professeur Jean-Louis San Marco, chef de service à l'hôpital de la Timone, professeur de santé publique à l'université de Marseille.

Après avoir rappelé que l'objectif de la mission d'information commune du Sénat consistait, non pas à conduire une « chasse aux sorcières », mais à comprendre ce qui s'était passé lors de la canicule et à en dégager des conclusions pour l'avenir, M. Jacques Pelletier, président, a invité le professeur à présenter son récit de la crise et à exposer les enseignements qui devraient, à ses yeux, en être tirés.

Le professeur Jean-Louis San Marco a indiqué qu'il fallait s'interroger sur les raisons pour lesquelles notre société avait été en retard d'une bataille au cours de cette crise. Il a estimé que la première raison tenait au fait que la chaleur n'était pas considérée comme dangereuse et jouissait d'une bonne image. Il a ajouté que le seuil à partir duquel la chaleur devenait dangereuse était difficile à déterminer et variait selon de nombreux paramètres.

Il a indiqué que la seconde raison tenait au fait que la population concernée n'était pas clairement définie. Il a relevé que la plupart des décès constituaient des morts naturelles - le nombre de décès n'étant en revanche pas naturel - ce qui explique que les urgences et les pompes funèbres aient été les premiers acteurs à prendre la mesure de l'événement. Il a ajouté que, si quelques « morts de chaleur » avaient été constatés, l'essentiel des décès étaient « liés à la chaleur ».

Concernant la gestion de la crise, il a fait valoir que si l'on attendait les décès ou l'apparition de pathologies, on était toujours en retard d'une guerre et qu'il fallait travailler en amont et trouver comment se défendre contre la chaleur. Il a indiqué que la transpiration constituait le seul système de protection de l'organisme et qu'un danger existait si le corps transpire de manière excessive, ce qui est le cas des très jeunes enfants ou des adultes conservant une activité physique intense, ou s'il ne transpire pas suffisamment, ce qui est le cas des personnes âgées. Il a indiqué, que pour ces dernières, si le sujet ne parvenait pas à récupérer, notamment au cours de nuits plus fraîches, il risquait d'être « carbonisé » et de décéder.

Pour faire face à la canicule, il a fait observer qu'il était possible soit de supprimer l'agression, par la climatisation ou le passage temporaire dans des lieux plus frais, soit de se défendre contre la chaleur, en hydratant les enfants et les adultes et en humidifiant l'épiderme des personnes âgées, par exemple à l'aide de brumisateurs.

Concernant la crise de cet été, il a indiqué qu'il y avait eu moins de morts dans le département des Bouches-du-Rhône que dans les départements voisins. Rappelant que la vague de chaleur de 1983 avait provoqué entre 300 et 500 décès à Marseille et que des actions avaient été entreprises depuis pour en tirer les leçons, il a ajouté que cette vague de chaleur de 1983 avait été considérée comme exotique. Il a relevé que des conseils avaient été adressés à la population et au corps médical et que les hôpitaux des Bouches-du-Rhône avaient enregistré une augmentation de 2 % de l'affluence contre 70 % à Nice.

Il a noté que la sous-déclaration des décès liés à la chaleur était la règle et a rappelé que les 6.000 décès en surnombre survenus en 1976 étaient passés inaperçus et que la vague de chaleur de 1983 avait entraîné 4.700 décès au total.

Un large débat s'est alors instauré.

Mme Valérie Létard, rapporteur, s'est interrogée sur la politique d'anticipation susceptible d'être mise en place au niveau national comme au niveau territorial et a souhaité connaître les préconisations du professeur San Marco en ce domaine.

Le professeur Jean-Louis San Marco a indiqué que l'échelon régional était le plus pertinent, dans la mesure où une vague de chaleur n'est jamais uniforme sur l'ensemble du pays.

Il a noté qu'un dispositif de veille météorologique avait été mis en place à Marseille, ajoutant que la connaissance des prévisions météorologiques laissait deux ou trois jours pour agir et donner l'alerte. Il a toutefois précisé qu'il fallait adopter des mesures permanentes et diffuser des informations tout au long de l'année, sauf à rendre l'alerte inaudible. Il a noté qu'il fallait se garder de toute banalisation de l'alerte et que le seuil de déclenchement de celle-ci devait être différent selon les régions et les objectifs fixés.

Mme Valérie Létard, rapporteur, a souhaité savoir si la formation des personnels était adaptée et quels moyens de repérage des personnes âgées les plus fragiles et isolées, étaient envisageables.

Le professeur Jean-Louis San Marco a relevé la très grande disparité existant entre les maisons de retraite et estimé que la formation des personnels soignants devait être généralisée. Concernant le repérage des personnes isolées, il a indiqué que, sur Marseille, en croisant les différentes listes existantes, 25.000 personnes au minimum échappaient à tout recensement.

Faisant part de son expérience de la vague de chaleur de 1983, il a regretté que les médecins aient témoigné d'une indifférence à cette question pendant des années. Il a relevé que nombre de personnes avaient intégré les réflexes simples pour se protéger de la chaleur et a précisé que ses préconisations avaient été essentiellement, et difficilement, relayées par la presse.

M. Alain Gournac a observé que la ville de Marseille avait l'habitude de la chaleur et s'est interrogé sur la nécessité d'interrompre la prise de certains médicaments en période de canicule. Il a également souhaité savoir s'il ne fallait pas habituer les personnes âgées à boire et a fait part de la visite de la mission dans une maison de retraite belge qui proposait à ses pensionnaires de l'eau colorée afin de les inciter à boire davantage.

Le professeur Jean-Louis San Marco a indiqué que les psychotropes et les diurétiques pouvaient constituer un danger mais que des consignes générales en ce domaine seraient inopportunes.

Il a noté que Marseille connaissait des années plus ou moins chaudes et que cette ville avait connu d'autres vagues de chaleur que celle de 1983. Il a indiqué que certains établissements marseillais proposaient de l'eau gélifiée colorée aux personnes âgées, afin que cette boisson soit plus attractive. Il a, par ailleurs, noté que toute alerte météorologique devait être graduée.

Répondant à M. Hilaire Flandre, rapporteur, qui s'était enquis de la proportion de « morts de chaleur » et de décès « liés à la chaleur », le professeur Jean-Louis San Marco a indiqué qu'il était difficile de connaître cette proportion, réaffirmant que le nombre de « morts de chaleur » était certainement très réduit.

M. Hilaire Flandre, rapporteur, a souhaité savoir si le surcroît de décès de l'été pouvait se traduire par une sous-mortalité au cours des mois suivants.

Le professeur Jean-Louis San Marco a observé qu'un tel phénomène n'avait pas été enregistré en 1983.

Mme Gisèle Gautier a demandé à quelle date le professeur San Marco avait pris conscience que quelque chose d'anormal se passait au niveau national et s'il avait eu la possibilité de donner l'alerte.

Le professeur Jean-Louis San Marco a indiqué qu'il avait pris conscience qu'un phénomène anormal se produisait entre le 3 et le 4 août et qu'il avait essayé d'alerter certaines autorités. Il a précisé que, en qualité de président du conseil d'administration de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES), il avait alerté le directeur général de cet Institut, qui avait lui-même contacté la direction générale de la santé (DGS). Il a noté que la DGS avait répondu être au courant et que la situation était sous contrôle. Précisant que, compte tenu de ces réponses, il avait décidé, après une longue réflexion, de ne pas appeler son ancien confrère marseillais, M. Jean-François Mattei, il a indiqué qu'il avait ensuite tenté de faire passer des messages dans les médias mais que ces derniers ne s'étaient pas intéressés à ce thème jusqu'à l'intervention du Dr Pelloux.

Il a observé que le communiqué de presse émis par la DGS le 8 août était certes formellement parfait mais qu'il était « nul » en termes de communication. Il s'est toutefois demandé si un communiqué plus adapté aurait servi à quelque chose et a remarqué que les communiqués transmis en 1983 n'avaient servi à rien, car la population n'était pas préparée à les recevoir.

Mme Gisèle Gautier a relevé qu'un « coup de gueule » d'un médecin urgentiste avait été plus efficace que les mises en garde des spécialistes de santé publique.

Le professeur Jean-Louis San Marco a indiqué que les médias avaient consacré peu de place aux problèmes de santé publique en août pour privilégier la polémique politique et une chasse aux sorcières.

M. Jacques Pelletier, président, a remercié le professeur Jean-Louis San Marco pour la qualité de son intervention et a souligné l'importance de tirer, pour l'avenir, tous les enseignements de la crise de la canicule.

Audition du Dr Michel Ducloux, Président du Conseil national de l'ordre des médecins et du Dr M. Patrick Bouet, membre du Conseil national de l'ordre des médecins

La mission a enfin procédé à l'audition du Dr Michel Ducloux, Président du Conseil national de l'ordre des médecins et du Dr Patrick Bouet, membre du Conseil national de l'ordre des médecins.

A titre liminaire M. Jacques Pelletier, président, a rappelé que la mission commune d'information du Sénat s'était fixée pour objectif d'analyser ce qui s'était passé lors de la canicule de l'été 2003, de comprendre pourquoi la crise avait été perçue avec retard et d'en dégager des conclusions pour l'avenir. Il a souligné que l'audition du Conseil de l'ordre apparaissait particulièrement importante, dans la mesure où les médecins libéraux avaient fait l'objet d'une vive polémique portant sur leur absence supposée au plus fort de la crise, pour cause de départs en congés massifs.

Le Dr Michel Ducloux a tout d'abord rappelé que les médecins, comme l'ensemble des Français, avaient été surpris à la fois par l'ampleur et par la durée de la vague de chaleur caniculaire de l'été dernier. Il a déclaré que leur mise en cause lui paraissait profondément injuste, qu'à aucun moment l'organisation des vacances n'avait réellement posé problème et que les médecins avaient bien été présents, mais sans être pour autant particulièrement sollicités pour lutter contre la canicule. Rappelant l'exemple du département du Rhône, où seul l'un des 53 secteurs de garde avait connu des difficultés transitoires, il a mis en garde contre la généralisation de cas isolés, tout en soulignant que ces derniers avaient été réglés par les conseils départementaux de l'ordre.

Il a considéré que la crise de la canicule avait, en revanche, mis en évidence le manque de coordination entre la médecine libérale et les organismes et institutions en charge de la santé publique, tout comme le manque de médecins libéraux dans certaines parties du territoire touchées, par l'exode rural, et l'attente préjudiciable de la publication des nouveaux décrets réorganisant la permanence des soins, finalement intervenue au mois de septembre dernier.

Il a également observé avec satisfaction que le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales consacré à la question de « la continuité et de la permanence des soins libéraux pendant l'été 2003 », publié en décembre 2003, avait très largement témoigné de la présence de la médecine libérale lors de la crise.

Le Dr Patrick Bouet a considéré que là où les personnes âgées s'étaient trouvées en contact avec des infirmières et des médecins libéraux, la crise avait été circonscrite, mais que là où elles étaient demeurées isolées la situation avait souvent pris un tour dramatique. Il a préconisé, pour assurer une meilleure connaissance et un plus grand maillage du territoire, que chaque médecin établisse, avant de partir en vacances, à l'attention de son remplaçant, une liste des personnes fragiles parmi l'ensemble de ses patients.

Un large débat s'est alors instauré.

Mme Valérie Létard, rapporteur, s'est interrogée sur les compétences du Conseil national de l'ordre des médecins et sur les relations qu'il entretient avec le ministère de la santé en cas de crise. Elle a rappelé que le rapport précité de l'IGAS avait également mis en avant l'insuffisante intégration des médecins libéraux dans les réseaux d'alerte et la nécessité de mettre en oeuvre les principes d'organisation de la permanence des soins.

Le Dr Michel Ducloux a constaté que, dans la mesure où le déclenchement de la crise avait été perçu d'une façon générale avec retard, les conseils départementaux de l'ordre des médecins s'étaient mobilisés avant les instances nationales. S'agissant de la problématique des permanence des soins, il a déclaré partager le sentiment de Mme Valérie Létard quant à la nécessité de créer, à l'intérieur même des enceintes hospitalières, des structures « ad hoc » accueillant des médecins généralistes, de façon à soulager l'encombrement des services d'urgence.

Le Dr Patrick Bouet a considéré que si l'institution ordinale n'avait pas été partie prenante au niveau de l'alerte, elle avait pris de nombreuses initiatives, ce qui rendait impossible de formuler un constat de carence. A ce titre, il a cité les exemples du Rhône et de la Seine-Saint-Denis, où les conseils départementaux de l'ordre étaient intervenus dès le 16 août pour prendre les dispositions imposées par la crise, tandis que le conseil national se saisissait de la question trois jours plus tard.

Il a déclaré, par ailleurs, que le travail mené au quotidien par chacun des médecins libéraux avait au total permis de sauver plus de vies que l'action des services hospitaliers. Sur la question de l'opportunité de créer des postes avancés accueillant des médecins généralistes au sein des hôpitaux, il a considéré qu'il s'agissait d'une solution intéressante mais qui ne pouvait pas constituer la seule réponse au problème de l'engorgement des urgences.

M. Hilaire Flandre, rapporteur, a relevé que nombre de patients se rendaient directement aux urgences et s'est demandé si la création de services d'accueil et d'orientation à côté des urgences constituerait une réponse adaptée.

Le Dr Michel Ducloux a indiqué que les urgences n'étaient pas faites pour accueillir tous les patients et que les médecins généralistes jouaient un rôle de sentinelle. Il a précisé qu'une régulation, pouvant notamment passer par le centre 15, était nécessaire.

M. Jacques Pelletier, président, s'est interrogé sur les raisons pour lesquelles les patients se rendent directement aux urgences et a noté le manque de médecins ainsi que leur souhait légitime de mener une vie normale.

Le Dr Michel Ducloux a relevé que les médecins voulaient davantage concilier vie familiale et vie professionnelle et que la féminisation du corps médical devait être prise en compte. Il a ajouté que les patients se rendaient à l'hôpital en raison du caractère très complet de l'éventail des soins qu'ils peuvent y trouver. Il a toutefois précisé que, depuis la grève des gardes, les patients avaient pris conscience du rôle indispensable des médecins de famille qui avaient retrouvé toute leur confiance. Il a estimé que la tendance à se rendre directement vers les urgences n'était pas irréversible.

M. Hilaire Flandre, rapporteur, a estimé qu'il serait difficile de changer cette pratique.

M. Alain Gournac a souhaité obtenir des précisions sur la responsabilité du Conseil de l'ordre pour ce qui concerne la permanence des soins. Il a relevé que, dans son département, nombre de médecins était théoriquement de garde, mais qu'en pratique, certains répondeurs renvoyaient vers SOS Médecins, et il a souhaité savoir s'il existait une obligation de trouver un remplaçant. Il s'est ensuite interrogé sur la possibilité de mieux gérer les départs en vacances des médecins et a estimé que ces derniers pouvaient aider à détecter les personnes les plus faibles.

M. Hilaire Flandre, rapporteur, a rappelé que le médecin de famille avait une connaissance irremplaçable des malades et souhaité savoir comment fidéliser les patients.

Le Dr Patrick Bouet a indiqué que le rôle du Conseil de l'ordre avait été modifié par les décrets du 15 septembre 2003. Il a précisé qu'avant cette date, le Conseil de l'ordre avait la responsabilité de l'organisation du tableau départemental de permanence des soins. Il a indiqué que, depuis le mouvement de grève et les décrets du 15 septembre 2003, la permanence des soins était fondée sur le volontariat, mais que ses modalités n'en étaient pas connues. Il a précisé que le Conseil n'était plus depuis cette date l'organisateur de premier niveau, mais avait un rôle d'incitateur et d'organisateur de deuxième niveau si le tableau de permanences était incomplet. Il a ensuite indiqué qu'il n'y avait pas de plan de vacances des médecins. Concernant l'évolution de la démographie médicale, il a estimé que des difficultés se poseraient dans les années à venir et relevé la féminisation du corps médical, le recul de l'âge moyen d'installation et que 50 % des médecins auraient plus de 50 ans en 2012. Il a ajouté que l'augmentation du numerus clausus ne produirait d'effet qu'à long terme. Concernant la possibilité de participer à un réseau d'alerte, il a indiqué que les médecins avaient leur propre système d'alerte, mais que la mise en place d'un tel système sur le plan collectif était malaisée, notamment en raison de la règle du secret médical.

M. Jacques Pelletier, président, a estimé nécessaire de mettre en place une liste d'alerte, mais a souligné les difficultés de sa mise en place.

Mme Valérie Létard, rapporteur, a souhaité savoir comment associer les médecins libéraux à la coordination des acteurs au niveau local.

M. Hilaire Flandre, rapporteur, a rapporté les propos du professeur San Marco, lequel a indiqué à la mission d'information que, même en croisant tous les fichiers disponibles, on estimait à environ 25.000 le nombre de personnes fragiles ne pouvant être recensées à Marseille. Il a souhaité connaître les causes du retard d'installation des médecins constaté depuis plus d'une décennie et s'est interrogé sur l'absence de plan de vacances.

Le Dr Patrick Bouet a indiqué qu'il n'y avait pas de plan de ce type mais une action permanente pour s'assurer que les médecins sont présents pour répondre aux besoins de la population. Il a précisé que les médecins étaient en place mais qu'ils n'avaient pas été sollicités. Il a expliqué que le retard d'installation découlait de l'allongement de la durée des études de médecine. Concernant le repérage des personnes fragiles, il a indiqué que de nombreux systèmes existaient déjà mais qu'il n'y avait pas de regroupement de ces différentes sources d'information.

M. Alain Gournac a souligné le rôle indispensable des médecins en ce domaine.

Le Dr Michel Ducloux a indiqué que les médecins étaient partagés entre les impératifs de santé publique et la nécessaire prise en compte de la liberté individuelle de leurs patients.

M. Jacques Pelletier, président, a remercié les intervenants pour leurs propos, en soulignant leur importance pour le rapport que la mission commune d'information présentera prochainement.