MISSION COMMUNE D'INFORMATION  "LA FRANCE ET LES FRANÇAIS FACE A LA CANICULE




Mardi 3 février 2004

- Présidence de M. Jacques Pelletier, président.

Examen du rapport d'information

La mission a procédé à l'examen du rapport d'information de Mme Valérie Létard, M. Hilaire Flandre et M. Serge Lepeltier, rapporteurs.

Après avoir effectué un bref rappel des travaux de la mission et vivement remercié ses membres de leur participation aux auditions et aux déplacements, M. Jacques Pelletier, président, a d'abord souhaité présenter quelques observations générales sur la manière avec laquelle notre pays a réagi au phénomène climatique inédit de l'été dernier.

Sans établir un parallèle, qui serait malvenu, entre les conséquences humaines tragiques de la canicule, et ses incidences relativement réduites en matière économique, énergétique et environnementale, il a constaté que ces dernières avaient été gérées de manière satisfaisante, en raison sans doute d'une meilleure coordination interministérielle, d'une anticipation plus satisfaisante, de procédures d'alerte éprouvées et d'une maîtrise de ces phénomènes extrêmes par des spécialistes expérimentés.

A l'inverse, nos structures sanitaires et sociales, qui sont traditionnellement fragiles et prises de court lorsqu'elles sont confrontées à des phénomènes inédits, comme l'ont montré certaines crises sanitaires dans un passé récent, ont révélé leurs faiblesses, en dépit de la mobilisation exemplaire de leurs personnels.

Il a notamment souligné que le système de veille et d'alerte sanitaire avait montré des défaillances, que la communication en temps de crise restait à inventer, que le cloisonnement des administrations centrales n'avait pas permis de prendre conscience en temps utile de la crise, que l'imbroglio des compétences des différents acteurs au niveau local n'avait pas facilité la synthèse de signaux d'alerte isolés et que le recul de la médecine de proximité par rapport aux urgences avait sans doute contribué à l'engorgement de ces dernières.

Il a estimé que beaucoup restait à faire, notamment pour tenir compte du vieillissement inéluctable de la population.

Il a souhaité que les propositions de la mission, qui s'inscrivent d'ailleurs dans les diverses mesures déjà présentées par le Gouvernement, en les prolongeant, contribuent à ce que les conséquences dramatiques de l'été 2003 ne se reproduisent plus.

Il a enfin rappelé que les conclusions de la mission feraient l'objet d'une conférence de presse et d'un débat en séance publique le 10 février en présence des ministres concernés.

Présentant la partie du rapport consacrée aux aspects météorologiques, climatiques et environnementaux, M. Serge Lepeltier, rapporteur, a tout d'abord insisté sur le fait que la canicule avait constitué un phénomène exceptionnel, caractérisé par une vague de chaleur d'une ampleur inégalée, accompagnée d'une pollution atmosphérique élevée et d'une sécheresse moins importante.

Indiquant que le caractère exceptionnel de la canicule tenait en particulier à l'intensité des températures enregistrées, tant le jour que la nuit, il a précisé que l'été 2003 avait été le plus chaud des 150 dernières années, tant pour les températures maximales que pour les températures minimales, celles-ci s'étant élevées jusqu'à 25,5°C à Paris la nuit. Ajoutant que cette vague de chaleur s'était prolongée de la fin mai jusqu'à la mi-août et que des records absolus de température avaient été enregistrés dans plus de 30 départements, il a constaté que les autres pays européens avaient été moins touchés que la France. Puis il a évoqué les précédents climatiques d'un passé lointain -exposés devant la mission par le Professeur Le Roy Ladurie- mais aussi plus récent -qu'il s'agisse des trois canicules qu'a connues la France en 1976, 1983 (à Marseille) ou 1994, ou des précédents étrangers tels que Chicago en 1995, ainsi qu'Athènes en 1987 et 1988.

Exposant ensuite le phénomène inquiétant de la pollution atmosphérique qui a accompagné la canicule et en a aggravé les effets, il a indiqué que le taux de surmortalité directement lié à cette pollution faisait l'objet d'une étude par l'Institut de veille sanitaire et que certains spécialistes évaluaient d'ores et déjà à environ 10 % le nombre de décès qui lui seraient imputables. Il a par ailleurs insisté sur la réactivité dont a fait preuve le ministère de l'écologie et du développement durable en informant les organes de presse de cette situation de pollution dès la fin du mois de juillet, en diffusant des communiqués de presse au début du mois d'août et en prenant des mesures propres à réduire la pollution.

S'agissant de la sécheresse, il a relevé que l'importance des réserves en eau avait compensé le déficit pluviométrique important enregistré dès le mois d'avril.

Evoquant ensuite les problèmes liés à la communication dans le domaine de la météorologie, il a souligné la nécessité de développer une recherche multidisciplinaire dans les domaines climatiques et biométéorologiques, et d'enrichir les indicateurs de température par des indicateurs de pollution. Déplorant la relative inefficacité des alertes météorologiques qui avaient pourtant bien prévu la canicule et soulignant le souci de Météo France de communiquer sur ce sujet, il a fait état des mesures prises par l'établissement public pour que ses prévisions soient mieux utilisées à l'avenir, précisant que Météo France venait de signer avec l'InVS une convention visant à déterminer des indicateurs biométéorologiques pertinents, sur la base desquels il serait possible de diffuser des alertes canicule.

Faisant état du consensus des scientifiques concernant le réchauffement de la planète, il a caractérisé ce phénomène par une hausse accélérée des températures, des précipitations et du niveau des mers au cours de la dernière décennie. Indiquant qu'il devrait se traduire pour la France par des augmentations de température plus perceptibles qu'en moyenne sur la planète, entre 2,5°C et 10°C d'ici 2100, il s'est inquiété du risque de multiplication des événements climatiques « extrêmes », en soulignant que nous devrions connaître, d'ici à la fin du siècle, une trentaine d'étés plus chauds que celui de 2003, ainsi que la responsabilité des activités humaines dans l'augmentation des gaz à effet de serre.

Evoquant le processus de négociation auquel donne lieu l'application du protocole de Kyoto et le problème de l'inégal engagement des pays dans la lutte contre le réchauffement climatique, il a souhaité que la compatibilité entre les objectifs de lutte contre l'effet de serre et de compétitivité économique soit assurée. Puis, s'interrogeant sur l'adéquation de notre modèle de développement, il a estimé qu'il conviendrait tout à la fois de donner la priorité aux systèmes d'alerte et à des mesures de protection contre les risques, et de mettre en oeuvre des actions collectives à long terme. Soulignant le fait que plus de la moitié du risque était « entre nos mains », aux dires des spécialistes, il a estimé nécessaire de procéder à l'analyse des vulnérabilités sectorielles de notre société et de notre économie, celles-ci correspondant à un climat tempéré et s'avérant de plus en plus « énergétivores ».

Evoquant notamment la nécessité de maîtriser « l'effet climatisation », il a observé que les Français, en climatisant leur voiture et leur logement, risquaient ainsi paradoxalement, en cherchant à se prémunir contre les effets du réchauffement climatique, d'amplifier encore ces derniers du fait de rejets de gaz à effet de serre plus importants. Afin d'éviter cet écueil, il a proposé une série de mesures telles que la fixation de normes pour les équipements -les climatiseurs en particulier-, le renforcement des réglementations relatives à l'isolation thermique des bâtiments ou encore des actions de pédagogie et d'information.

Insistant, d'une façon plus générale, sur le caractère indissociable des politiques économiques, énergétiques, sociales et environnementales, il a estimé que toutes les décisions politiques devraient désormais intégrer les nouvelles exigences du développement durable.

S'agissant de l'impact de la canicule sur l'environnement, il a indiqué que la forêt française avait été profondément affectée, notamment en raison des incendies, tout en ajoutant que la faune et la flore, en particulier dans les zones aquatiques, semblaient avoir été relativement préservées.

Abordant tout d'abord le secteur forestier, il a constaté que le bilan était le plus lourd des 30 dernières années, des feux de forêt ayant touché le sud du pays du 15 juin au 15 septembre, mobilisant les secours sur une période particulièrement longue. Indépendamment des incendies, il a indiqué que les forêts avaient souffert de la canicule et de la sécheresse à divers titres, précisant toutefois qu'il faudrait attendre le printemps prochain pour connaître l'ampleur des dommages.

Considérant que les incendies avaient révélé des insuffisances dans les dispositifs de prévention et de lutte, il a également mis en exergue l'insuffisant respect, par les propriétaires, de leur obligation de débroussaillement, la mise en oeuvre trop lente des plans de prévention des risques naturels prévisibles, la faiblesse des moyens de la sécurité civile et la gestion hésitante des colonnes de renforts de sapeurs pompiers, soulignant toutefois que la mobilisation des secours pendant l'été avait permis de limiter les conséquences dramatiques des incendies et que l'alerte et la coordination des secours avaient correctement fonctionné.

Détaillant ensuite les mesures susceptibles d'être prises, il a évoqué la nécessaire priorité à donner à la reforestation, compte tenu des dommages subis par les plantations. Il a également estimé prioritaire de prévenir l'érosion des sols et d'élaborer des plans spécifiques à chaque massif.

Souhaitant une application plus stricte de l'obligation de débroussaillement, il a rappelé que le Gouvernement avait d'ores et déjà envisagé un dispositif de nature à contraindre les propriétaires à entretenir leurs terrains, précisant que celui-ci pourrait comporter un mécanisme de modulation de la franchise des assurés.

Se déclarant favorable à une généralisation des plans de prévention des risques naturels d'incendies de forêt, il a souhaité que le plan gouvernemental annoncé favorise leur établissement dans les zones les plus sensibles avant l'été prochain et contribue à développer plus généralement une « approche préventive » des risques dans notre pays.

Il a enfin estimé nécessaire de renforcer les dispositifs de lutte contre les feux de forêt (aggravation des sanctions contre les incendiaires, développement de la prévention et mobilisation de la population) et a souhaité une amélioration des capacités opérationnelles qui impliquerait notamment un accroissement des moyens et de la polyvalence de la flotte aérienne de la sécurité civile, ainsi qu'une gestion plus cohérente des colonnes de renforts.

Avant d'exposer la partie du rapport consacrée au volet « économie », M. Hilaire Flandre, rapporteur, a souligné que si l'été 1976 restait dans les mémoires comme celui de l'impôt sécheresse, l'été 2003 serait marqué à jamais par la catastrophe sanitaire et ses 15 000 morts. Tout en reconnaissant que, comparées au secteur sanitaire, les conséquences de la canicule sur l'économie française ont été relativement limitées, il a rappelé que des situations critiques avaient été relevées en matière agricole et que le système énergétique avait évité de peu une catastrophe de grande ampleur.

Evoquant tout d'abord l'impact macroéconomique de la vague de chaleur de l'été dernier, il a indiqué qu'il avait été caractérisé par une perte de croissance de 0,1 à 0,2 point de PIB, représentant une perte de 15 à 30 milliards d'euros, une légère augmentation de l'inflation, due à la hausse du prix des produits agricoles et de l'énergie, et une probable diminution de la consommation des ménages, de l'ordre de 1,7 % par rapport à 2002.

Abordant ensuite le secteur agricole, il a souligné qu'il avait été frappé de plein fouet par la canicule et la sécheresse, les pertes de production ayant oscillé en moyenne entre 20 et 30 %, certaines s'étant même élevées à plus de 50 %.

Soulignant les pertes considérables constatées dans les élevages hors-sol, il a également fait observer que l'alimentation des bovins avait été rendue difficile par la pénurie de fourrages dont ont souffert certains éleveurs dès le mois de juin et qui a rendu nécessaire l'organisation d'un dispositif de transport spécifique.

S'agissant de la production de bois, il a indiqué qu'elle avait été quantitativement et qualitativement décevante, l'important afflux de bois devant être rapidement commercialisé ayant provoqué une chute des prix déstabilisant un marché déjà éprouvé par les conséquences de la tempête de l'hiver 1999.

Relevant que malgré ces pertes substantielles de production, le revenu agricole français avait légèrement augmenté sur l'année 2003, il a expliqué cette évolution par une combinaison de facteurs favorables : la bonne organisation et la solidarité dont a fait preuve un monde rural habitué aux événements climatiques exceptionnels ; l'existence de réserves en eau globalement satisfaisantes dans de nombreuses régions avant le début de l'été ; la forte valorisation des produits agricoles due à une raréfaction de l'offre alliée à une qualité souvent excellente ; l'anticipation et la réactivité dont ont fait preuve les pouvoirs publics en mettant en place des structures chargées de gérer la crise et en prenant des mesures techniques et financières adaptées.

Reconnaissant que la canicule avait été correctement gérée, il a cependant observé qu'elle avait révélé les limites de notre système agricole face à des conditions climatiques extrêmes. Estimant que le dispositif d'indemnisation, créé il y a une quarantaine d'années, n'était plus aujourd'hui adapté, il a appelé à une révision des règles d'éligibilité, de financement et d'indemnisation du Fonds national de garantie des calamités agricoles et au développement des mécanismes d'assurance-récolte avec le soutien de l'Etat. Rappelant, d'autre part, que les acteurs privés et publics du dispositif de transport de fourrage avaient été critiqués, il a considéré qu'il devrait faire l'objet d'un protocole en vue d'une prochaine canicule. Regrettant d'autre part le gaspillage des eaux de pluies, il a préconisé un renforcement des dispositifs de stockage aux fins d'irrigation, indiquant par ailleurs que le recours à des spéculations et des méthodes culturales économes en eau et adaptées aux évolutions climatiques futures devrait être encouragé.

Evoquant ensuite le secteur de l'énergie, il a indiqué que l'équilibre entre offre et demande d'énergie avait failli être rompu suite à un brusque « effet de ciseau » conjuguant une hausse de la consommation d'électricité, notamment dans le secteur industriel, due à la nécessité d'alimenter des appareils de refroidissement, et une diminution des capacités de production en raison à la fois de problèmes de refroidissement des centrales électriques devant respecter des normes environnementales en matière de rejet des eaux, de la situation de maintenance estivale dans laquelle se trouvaient nombre d'entre elles, de la saturation en plusieurs points du réseau de transport et d'une utilisation problématique des sources d'énergie autres que le nucléaire qui soit polluent (fuel, charbon, gaz), soit sont inutilisables en période de forte chaleur (hydraulique, éolien), soit sont encore marginales (solaire).

Se félicitant que la menace d'un délestage généralisé ait finalement pu être évitée, il a souligné que ce dénouement heureux tenait tout à la fois à un retour à des conditions météorologiques normales peu avant le week-end du 15 août précédant habituellement la reprise d'activité de la plupart des entreprises ; à une réaction positive d'EDF et du gestionnaire du réseau de transport de l'électricité, qui n'ont pas hésité à mobiliser au maximum l'ensemble de leurs ressources et à prendre les mesures d'urgence adaptées ; et à une réactivité interministérielle satisfaisante des pouvoirs publics, qui ont mis en place un système de dérogations exceptionnelles de rejet des eaux des centrales et lancé un appel au civisme des Français qui a été entendu.

Reconnaissant que le secteur de l'énergie n'en avait pas moins montré ses limites, il a appelé à une adaptation de notre politique énergétique, précisant que le plan « aléas climatiques extrêmes » présenté par le Gouvernement et les différents opérateurs publics fin novembre dressait plusieurs pistes et propositions en ce sens. Afin de ne pas solliciter excessivement un système de production d'énergie fragilisé en période de canicule, il a plaidé pour un renforcement de la politique d'économie d'énergie, notant que celle-ci aurait par ailleurs des conséquences positives d'un point de vue environnemental.

Estimant en outre que le « mix énergétique » français pourrait faire l'objet d'une redéfinition afin de franchir, en respectant autant que possible l'environnement, les « pics de besoins » ressentis en période climatique exceptionnelle, il a suggéré que les modalités de maintenance des centrales électriques soient réexaminées, et que des énergies fossiles « propres » et des sources d'énergie renouvelable insensibles à la canicule (solaire thermique et photovoltaïque notamment) soient encouragées grâce à des efforts de recherche et de financement publics.

Il a également jugé nécessaire la révision du système d'approvisionnement énergétique afin de consolider le réseau de transport et de distribution national, de développer les interconnexions et les procédures de secours mutuel avec l'étranger, de responsabiliser les fournisseurs d'énergie de sorte qu'ils ne mettent pas en péril le système de production en cas de crise ou encore d'actualiser et de développer les plans de délestage.

S'agissant des autres secteurs économiques, il a relevé qu'ils avaient été moins affectés par la canicule du fait que l'activité économique était alors relativement faible. Il a indiqué toutefois qu'un certain nombre de contraintes inhabituelles, voire d'incidents, avaient été enregistrés, attestant de l'inadaptation générale de notre modèle économique à un climat autre que tempéré. Il a observé que les transports ferroviaires avaient souffert d'une dilatation des rails ayant provoqué d'importants retards. Remarquant que le commerce et la distribution avaient été inégalement affectés par la canicule, il a constaté que certaines activités en avaient largement profité, tandis que d'autres avaient été touchées de manière non négligeable. Il a enfin évoqué les conséquences très diverses de la canicule sur le tourisme.

Après avoir rappelé que la vague de chaleur caniculaire de l'été 2003 avait été à l'origine de la plus grande catastrophe sanitaire depuis la fin de la seconde guerre mondiale, Mme Valérie Létard, rapporteur, a souligné, à titre liminaire, que le bilan provisoire des quelque 15.000 victimes avait été perçu par l'opinion comme un choc, une tragédie et aussi une grande surprise. Elle s'est étonnée que notre pays ait mal réagi à ce « séisme thermique », alors que le rapport de l'Organisation mondiale de la santé pour l'année 2000 avait attribué au système de santé français la première place dans son classement.

Elle a précisé que la mission d'information s'était attachée à appréhender les facteurs de la crise sanitaire, le profil des victimes de la canicule, les raisons pour lesquelles le système d'alerte sanitaire avait failli, l'importance des cloisonnements administratifs mis en cause dans le « rapport Lalande » et les causes d'une riposte insuffisante, inadaptée et désordonnée.

Soulignant qu'à l'occasion de ses auditions et de ses déplacements, la mission avait découvert une réalité complexe qui ne saurait se prêter à une lecture partisane, elle a rappelé que toute logique de « chasse aux sorcières » avait été écartée, et qu'à l'inverse avait été retenue une démarche fondée sur la compréhension des événements et sur la formulation de propositions concrètes, destinées à tirer pour l'avenir les enseignements de ce drame.

Elle a ensuite évoqué les principales caractéristiques de la vague de chaleur caniculaire de l'été 2003.

Après avoir rappelé que le rapport de MM. Hémon et Jougla, évaluant la surmortalité attribuable à la canicule à 14 802 victimes, n'était qu'une estimation pour la période du 1er au 20 août, elle a précisé que le bilan définitif de la crise, et donc l'éventualité d'un « effet retard », ne pourront être établis avant la publication, au printemps 2004, du nombre réel des décès survenus en France en 2003.

Elle a indiqué les principales caractéristiques de cette surmortalité : les personnes âgées de plus de 75 ans ont représenté 82 % du total des victimes ; la répartition géographique des décès a fait apparaître de très forts contrastes régionaux, une nette surmortalité en milieu urbain et une sur-représentation manifeste de l'Ile-de-France. S'agissant du lieu de décès des victimes, elle a également observé que 42 % des décès étaient survenus dans les hôpitaux, 35 % à domicile, 19 % en maisons de retraite, et 3 % dans les cliniques privées.

Elle a fait observer que le caractère extrême des températures, le jour et surtout la nuit, ainsi que l'écart avec les niveaux moyens avaient bien constitué la cause principale du « séisme thermique » observé au mois d'août 2003. Parmi les autres facteurs secondaires ayant eu une influence probable, elle a cité la pollution, la consommation de certains médicaments, comme les diurétiques et les psychotropes, le mode de logement ainsi que l'isolement médical, social ou familial des victimes.

Elle a observé que la canicule s'était développée sur une période de temps très brève, de seulement 19 jours et avec une rapidité fulgurante, comme le montre l'évolution du nombre quotidien de victimes : 286 décès le 4 août, 1 202 le 8 août et 2 197 pour la seule journée du 12 août, qui a marqué le paroxysme de la crise.

Elle a indiqué que la France n'avait pas été le seul pays touché en Europe, dans la mesure où les premières estimations rendues publiques faisaient état de 6.200 morts supplémentaires en Espagne, 7.659 en Italie du Nord, 1.400 au Portugal comme aux Pays-Bas et entre 3.000 et 7.000 victimes en Allemagne.

Après avoir estimé que les pouvoirs publics avaient été pris de court par le phénomène, elle a noté que leur riposte avait été insuffisante, désordonnée et tardive.

Elle a ainsi regretté que l'absence de prise en compte des précédents, et même du danger de la chaleur, ait rendu, dès le départ, la catastrophe quasiment inévitable, alors même, comme l'avait relevé le professeur San Marco, qu'une bonne gestion de la canicule aurait imposé à l'inverse une réaction rapide, dans un délai de 48 à 72 heures.

Elle a constaté qu'après la faillite du système d'alerte, autour de l'Institut de veille sanitaire, la gestion d'ensemble de la crise n'avait pas permis de coordonner les efforts d'acteurs multiples, tant au niveau national et qu'au niveau local.

A l'inverse, elle a rendu un hommage tout particulier à la mobilisation exceptionnelle des acteurs de terrain, comme les services d'urgence et les sapeurs pompiers, qui se sont retrouvés en première ligne au plus fort de la crise. Reprenant les termes employés par le professeur Carli, directeur du SAMU de Paris, pour qui l'ensemble des personnels hospitaliers avait constitué « le dernier recours », elle s'est félicitée des multiples exemples de dévouement observés durant cette crise, et notamment des nombreux cas de personnes rentrées spontanément de congés.

S'agissant de la présence des médecins libéraux, elle a relevé que les interrogations du rapport Lalande sur « la proportion de médecins partis en congé » et sur la « réalité de leur participation à la permanence des soins » avaient fait l'objet d'études complémentaires, tant par la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés que par l'Inspection générale des affaires sociales, qui avaient débouché sur un constat nuancé.

Sur la question de l'implication des familles vis-à-vis des personnes âgées de leur entourage, elle a observé que les témoignages recueillis par la mission d'information avaient témoigné du caractère exceptionnel des cas « d'abandon ». Elle a indiqué toutefois, que si près des deux tiers des victimes vivaient en institution ou se trouvaient à l'hôpital au moment de leur décès, il avait bien été constaté, en Ile-de-France notamment, que des personnes isolées, vivant dans un logement sans contact avec l'extérieur, étaient décédées sans que personne ne s'en rende compte. Reprenant les propos du président de l'Union nationale des familles de France, lors de son audition, elle a considéré que la canicule avait ainsi fait redécouvrir aux Français qu'il existait des personnes très âgées devenues « sans famille » après le décès de tous leurs proches.

Elle a jugé que parmi les défaillances de notre système sanitaire mises en évidence lors de la crise, il convenait particulièrement de noter l'absence de remontées d'informations, la lenteur du traitement des certificats de décès, ainsi que l'impact négatif des cloisonnements administratifs. Sur ce dernier point, elle a fait référence à la confrontation des récits de la crise faits à l'occasion de leurs auditions respectives par M. Abenhaïm, alors directeur général de la santé, par M. Brücker, directeur général de l'InVS et par le médecin urgentiste Patrick Pelloux, en soulignant le décalage entre la situation vécue sur le terrain et la perception qu'en avaient les administrations centrales et les services rattachés.

Après avoir estimé que l'InVS et la Direction générale de la santé (DGS) s'étaient mobilisés avec lenteur alors que la crise se développait très rapidement, elle s'est étonnée de l'absence d'impact des initiatives prises pendant la crise et du manque d'habitude à « fonctionner en réseau » de la direction générale de la santé, la direction générale de l'action sociale et de la direction de l'hospitalisation et de l'offre de soins.

Observant que la crise de la canicule avait été vécue, à juste titre, comme un véritable drame national, Mme Valérie Létard, rapporteur, a jugé que toutes les leçons devaient en être tirées et a rappelé que de nombreuses mesures avaient déjà été prises depuis le mois d'août dernier, certaines étant déjà entrées en vigueur.

Elle a rappelé, à cet égard, que le plan « vieillissement et solidarités », visait précisément, d'ici à 2008, à accélérer la médicalisation des maisons de retraite, à développer l'accueil temporaire et à faire bénéficier 100.000 personnes supplémentaires des services de soins infirmiers à domicile (SSIAD). Elle a précisé que cet effort était rendu possible avec de nouveaux financements, dans le cadre d'une caisse nationale de solidarité pour l'autonomie et l'institution d'une journée de travail non rémunérée accompagnée d'une contribution de 0,3 % à la charge des employeurs publics et privés.

Outre ce dispositif, elle a également relevé l'importance du « plan d'urgence » du ministre de la santé qui permettra, pendant les cinq prochaines années, de créer 10.000 postes et d'ouvrir 15.000 lits supplémentaires, de la mise oeuvre prochaine, pour les établissements d'hébergement des personnes âgées, d'un « plan bleu » sur le modèle du « plan blanc » des établissements hospitaliers, et enfin des initiatives de la préfecture de police de Paris pour renforcer le dispositif opérationnel de la sécurité civile en Ile-de-France. Elle a en outre remarqué que le projet de loi de santé publique prévoyait la redéfinition de l'organisation du système d'alerte et des missions de l'InVS, l'informatisation et la réforme du circuit des certificats de décès, et le renforcement du dispositif du plan blanc.

Après avoir indiqué que les propositions formulées par la mission commune d'information se voulaient complémentaires des actions déjà engagées, Mme Valérie Létard, rapporteur, a exposé les sept priorités préconisées dans le domaine sanitaire.

Elle a tout d'abord présenté la première recommandation consistant, grâce à des mesures simples et pratiques, à promouvoir l'effort de prévention en direction du grand public : il s'agit de diffuser à l'ensemble des hôpitaux et maisons de retraite un protocole simple de prévention des risques d'hyperthermie, de conduire une campagne de communication à l'attention du grand public chaque été, de former le personnel médical au risque d'hyperthermie, et de climatiser une pièce minimum par établissement accueillant des personnes âgées.

Elle s'est prononcée, en second lieu, en faveur d'une remise à plat du système d'alerte. Elle précisé que la réalisation de cette recommandation supposait d'utiliser la télévision aux heures de grande écoute par les personnes âgées, de créer un véritable système de permanence de garde à l'InVS, de rendre opérationnel le réseau d'information « DGS urgent » et de mettre en place un système d'alerte analogue entre la direction générale de l'action sociale et les 10 000 maisons de retraite de France.

Elle a ensuite proposé à la mission de retenir, comme troisième axe de réflexion, la définition précise des responsabilités respectives des acteurs au niveau local, en cas de crise sanitaire. Elle a considéré que pour éviter que ne se reproduise à l'avenir la confusion de l'été dernier, il convenait tout à la fois d' affirmer le rôle coordonnateur du préfet, de confier aux centres communaux d'action sociale la mission de recenser les personnes âgées fragiles, isolées ou dépendantes, et de poursuivre le développement des centres locaux d'information et de coordination (CLIC), dont l'utilité a été soulignée par tous les acteurs rencontrés.

Elle a estimé, en quatrième lieu, qu'il convenait de mettre en oeuvre une véritable coordination des services au niveau national, en décloisonnant les administrations centrales et en créant un conseil national de sécurité sanitaire, sur la base des propositions développées en 1998 par M. Claude Huriet.

Elle a ensuite indiqué que le cinquième axe retenu consistait à revoir l'organisation interne de l'hôpital pour pouvoir répondre à un afflux brutal de nombreux patients âgés ou fragiles. Elle a précisé que cette action impliquait de « désengorger » les urgences, en créant, dans l'enceinte même de l'hôpital, des maisons de garde animées par des médecins généralistes prenant en charge les patients relevant de la médecine de ville ; de moduler l'application des 35 heures et d'assouplir les règles internes de gestion des ressources humaines pour permettre des transferts temporaires de personnel entre services pendant les périodes de vacances ; de créer des services de gériatrie aiguë dans tous les centres hospitaliers universitaires et régionaux, et les établissements disposant d'un service d'urgence.

Elle a indiqué, en sixième lieu, qu'il convenait de proscrire les grands espaces vitrés dans les nouvelles maisons de retraite, écoles, maternités et les nouveaux hôpitaux.

Enfin, elle a considéré qu'il était indispensable de tirer toutes les conséquences du vieillissement de la population, ce qui impliquait à la fois de développer les structures de lits d'aval, de procéder d'ici 3 ans à un bilan de l'efficacité du nouveau système de garde des médecins libéraux, de renforcer la médicalisation des maisons de retraite et d'encourager le maintien à domicile des personnes âgées en poursuivant le développement des services de soins infirmiers à domicile.

Mme Valérie Létard, rapporteur, a ainsi estimé, qu' à l'instar d'Athènes en 1987 et de Chicago en 1991, la France avait été prise au dépourvu, en août 2003, par une catastrophe sanitaire d'un type nouveau. Elle a précisé qu'il convenait désormais, comme ces deux villes avaient su le faire, de tirer les leçons de ces événements tragiques pour faire face à la crise suivante, laquelle ne manquera pas de se produire.

Elle a ajouté que la menace sanitaire n'avait pas touché les seules personnes âgées, mais avait concerné une population beaucoup plus large, d'environ un million de personnes, constituée de nombreuses personnes malades ou particulièrement fragiles.

Soulignant que la crise de la canicule avait suscité une prise de conscience des risques sanitaires de l'hyperthermie, de l'isolement d'une partie des personnes âgées, et plus encore de l'importance de l'effort que la nation devra fournir pour faire face aux défis du vieillissement, elle a relevé que le nombre des personnes âgées de plus de 85 ans devrait passer dans notre pays, entre 2000 et 2050, de 1,2 à 4,5 millions. Elle a indiqué que cette évolution apparaissait d'autant plus importante que l'âge de 85 ans constituait souvent un seuil critique en termes d'isolement et de prise en charge de la dépendance.

Revenant sur les déclarations, lors de son audition, de M. Hubert Falco, secrétaire d'Etat aux personnes âgées, relatives au manque de 25.000 à 30.000 lits médicalisés au niveau national et au caractère inadapté d'environ 20 % du parc des maisons de retraite, elle a jugé que l'effort collectif à engager constituait une oeuvre de longue haleine faisant appel à l'esprit de solidarité des Français.

Un large débat s'est alors instauré.

M. Alain Gournac a estimé que le rapport constituait une bonne synthèse de l'épisode de la canicule et a vivement félicité le président pour la convivialité qu'il avait su entretenir pendant toute la durée des travaux de la mission.

M. Paul Girod a adressé ses félicitations au président et aux rapporteurs, qui ne se sont pas bornés à travailler sur ce qui avait fait scandale. Il a souligné que la surmortalité liée à la canicule était difficile à appréhender, dans la mesure où 50.000 décès environ survenaient chaque mois, puis il a estimé que les Français ne se prémunissaient pas suffisamment contre les risques. Il a souligné l'intérêt du rapport de la mission, qui rapprochait les différents aspects de la crise et a fait part de la difficulté de maîtriser l'évolution climatique.

M. Serge Lepeltier, rapporteur, a rappelé que notre planète avait déjà connu les températures atteintes aujourd'hui, mais a souligné qu'un réchauffement d'une telle ampleur en deux siècles ne s'était jamais produit. Il a précisé que la température du globe devrait croître de 1,5 à 6 degrés d'ici 2100 et que la France connaîtrait une évolution plus forte, comprise entre 2,5 et 10 degrés. Il a noté que la différence de température entre une période de glaciation et une période de réchauffement climatique s'établissait à 4 degrés, en rappelant que des périodes habituelles de changement climatique intervenaient tous les 8.000 ans, et que des périodes d'évolution plus forte, comme celle que nous connaissions, ne se produisaient que tous les 200.000 ans.

Mme Monique Papon a noté l'intérêt des conclusions de la mission d'information et a souhaité qu'un résumé soit mis à la disposition de ses membres.

M. Daniel Eckenspieller a estimé que le rapport de la mission avait permis, dans un temps relativement court, de faire ressortir des éléments permettant de tirer les leçons de la canicule et que ce travail devait servir à interpeller les différents acteurs.

Mme Evelyne Didier a fait observer que la crise avait mis en évidence un problème de communication et s'est demandé s'il n'y avait pas eu une volonté des pouvoirs publics de minimiser l'ampleur de la crise. Elle a noté que le secteur agricole avait su faire face aux aléas et souhaité que les autres acteurs se montrent à l'avenir aussi réactifs.

Elle a estimé que les administrations avaient peut-être plus le souci de protéger l'Etat que le citoyen. Notant que le développement des maisons de retraite était entravé par des problèmes de financement, elle a fait part de sa crainte de voir les départements supporter le coût de l'effort collectif en ce domaine.

M. Jacques Pelletier, président, est convenu, en sa qualité d'ancien médiateur de la République, que l'administration avait parfois tendance à ouvrir le « parapluie ». Il a cependant estimé que, à l'exception du préfet de police de Paris, les acteurs concernés par la crise n'avaient pas cherché à minimiser la gravité de la situation.

M. Alain Gournac a également souhaité qu'un résumé du rapport soit établi et a reconnu la faiblesse des actions menées en faveur des maisons de retraite pendant de nombreuses années. Il a par ailleurs souligné que la climatisation de ces établissements ne devait pas constituer la seule réponse. Convenant enfin que le communiqué de la direction générale de la santé du 8 août était particulièrement peu mobilisateur, il a souhaité que la communication soit mieux prise en compte à l'avenir.

Mme Valérie Létard, rapporteur, a indiqué que les autorités réagissaient de manière plus efficace lorsqu'elles avaient l'expérience d'un phénomène.

M. Jacques Pelletier, président, a noté que la climatisation d'une pièce dans chaque maison de retraite permettrait aux personnes âgées de récupérer. Il s'est également interrogé sur les réponses que les maisons de retraite et les services de soins infirmiers à domicile pourront apporter au problème du vieillissement de la population et a souligné que la France n'anticipait pas suffisamment cette évolution.

Mme Valérie Létard, rapporteur, a également souligné le problème d'adaptation du parc des maisons de retraite.

M. Louis Grillot a fait observer que les effets de la canicule ne pourraient s'apprécier qu'à plus long terme.

A l'issue de ce débat, la mission a adopté les conclusions du rapport, le groupe communiste, républicain et citoyen s'abstenant.