Table des matières




Mardi 16 octobre 2001
- Présidence de M. Jacques Larché, président.-
 

Bureau - Election de deux vice-présidents et d'un secrétaire

La commission a tout d'abord procédé à la désignation de MM. Georges Othily et José Balarello en qualité de vice-présidents, et de M. Philippe Darniche en qualité de secrétaire de la commission spéciale.
 

Déplacement en Corse (10 au 15 septembre 2001) - Compte rendu

Puis la commission spéciale a entendu un compte rendu du déplacement de la délégation qui s'est rendue en Corse, du 10 au 15 septembre 2001.

Présentant les enseignements qui pouvaient être tirés de ce déplacement, M. Jacques Larché, président, a tout d'abord souligné que la visite de la délégation avait suscité de vives attentes.

Evoquant le dialogue qui s'est déroulé dans le cadre du « processus de Matignon », il a déclaré que celui-ci avait parfois un peu trop pris l'aspect de discussions menées entre des parties adverses pour mettre fin à une guerre civile.

Se déclarant persuadé que l'immense majorité de nos compatriotes corses voulaient rester Français, M. Jacques Larché, président, a estimé qu'il faudrait leur donner, sous une forme à définir, l'occasion de l'exprimer.

Il s'est demandé si la violence constatée n'était pas une forme du terrorisme qui devait être combattue avec les dispositions nouvelles dont le Gouvernement s'apprêtait à demander l'adoption par le Parlement.

Il a enfin indiqué que l'éventualité d'une amnistie n'avait jamais été évoquée par les interlocuteurs rencontrés au cours de la mission.

M. Jean-Pierre Bel a noté le sérieux, l'esprit de transparence et la volonté d'entendre tous les points de vue qui avaient inspiré la délégation, avant d'ajouter que les Corses étaient très attentifs aux travaux du Sénat qui pourraient contribuer à mettre fin au drame que vit l'île depuis trente ans.

M. Jean-Patrick Courtois a indiqué que les Corses attendaient que les débats au Sénat se distinguent de ceux de l'Assemblée nationale, par un examen du texte sans passion. Il a relevé que les interlocuteurs de la délégation avaient exprimé des points de vue intéressants dont il faudrait tenir compte. Il a évoqué les réactions, parfois réservées, des interlocuteurs de la délégation face à certains aspects du renforcement de la décentralisation proposé par le texte.

M. Paul Girod, rapporteur, a souligné que la visite de la délégation avait, symboliquement, débuté par le dépôt d'une gerbe à la mémoire du préfet Claude Erignac et s'était conclue par la rencontre d'associations de femmes contre la violence en Corse.

Souscrivant aux propos des précédents orateurs au sujet des attentes manifestées par rapport aux travaux du Sénat, le rapporteur a estimé que le « processus de Matignon » avait provoqué une « polarisation de l'attention », d'autant plus forte qu'étaient grandes la lassitude des Corses face à la violence, et l'aspiration à ne plus être stigmatisés par une fraction de l'opinion publique continentale.

Evoquant le caractère très « émotionnel » du débat sur la Corse, le rapporteur s'est déclaré très soucieux qu'aucun excès de langage ne heurte la sensibilité de nos concitoyens corses.

Après avoir souscrit aux propos du président de la commission spéciale, M. Paul Girod, rapporteur, a estimé que le statut adopté en 1991 avait mal fonctionné, notamment du fait :

- d'une utilisation dévoyée de l'article 26 (car le Gouvernement n'avait, dans un premier temps, pas répondu aux suggestions de l'Assemblée de Corse, laquelle avait, ensuite, émis des suggestions sur des questions parfois très secondaires) ;

- que les offices étaient présidés par des membres du Conseil exécutif de Corse sans que les élus, cependant, détiennent la majorité au sein de leur propre conseil d'administration.

Après avoir déclaré que le développement du tourisme en Corse nécessitait une amélioration des infrastructures existantes, M. José Balarello a indiqué que son sentiment était que la majorité des Corses :

- aspirait à rester Français, au sein de la République ;

- évoquait souvent l'exemple de régions autonomes européennes, telles que le Val d'Aoste ou le Haut-Adige, pour demander une plus forte autonomie ;

- souhaitait que les dispositions de la loi « littoral » ne soient pas modifiées ;

- estimait que le développement de l'île n'avait pas été suffisamment encouragé.

Répondant à une question de M. Daniel Hoeffel, M. Jacques Larché, président, a déclaré que la mission avait pu rencontrer les représentants de toutes les sensibilités existant dans la population corse.

M. Jean-Pierre Bel a estimé que les personnalités rencontrées souhaitaient que le débat au Sénat se déroule dans la dignité et évite des lieux communs sans cesse répétés sur la Corse, une analyse objective s'avérant indispensable.

Souscrivant aux propos du précédent orateur, M. Jacques Larché, président, a constaté que de nombreux interlocuteurs de la délégation avaient fait part du désir que le débat au Sénat ne reproduise pas celui qui s'était déroulé à l'Assemblée nationale.

Après avoir rappelé la gravité du problème corse, qui n'a pas été résolu depuis trente ans, M. Lucien Lanier a souligné la nécessité de l'envisager en fonction des attentes de la population, et non pas du point de vue des clans ou d'intérêts particuliers. Se déclarant inquiet de l'orientation du « processus de Matignon », il s'est interrogé sur la possibilité de consulter les Corses qui vivent hors de l'île, et s'est inquiété du risque que certains Français n'en viennent à souhaiter se « débarrasser » du problème corse s'il s'avérait insoluble. Appelant ses collègues à la prudence, il a souligné la nécessité de parvenir à dégager une solution durable.

M. Marcel Debarge a indiqué que les solutions aux problèmes de la Corse se trouveraient dans le cadre de la République, grâce à une approche constructive, avant de s'interroger sur le silence observé par les 80 % de Corses qui exprimaient dans les sondages d'opinion leur volonté de rester Français et de demander au rapporteur si ce silence était le résultat des craintes éprouvées à l'idée de s'exprimer publiquement.

M. Paul Girod, rapporteur, lui a répondu qu'en effet un certain nombre de nos concitoyens avaient peur.

Se déclarant convaincu qu'il fallait trouver une réponse nuancée aux problèmes posés par le texte, le rapporteur a souligné la nécessité, dans le cas où surviendraient des changements institutionnels, de procéder à une dissolution de l'Assemblée de Corse, afin que les Corses puissent s'exprimer.

M. Jacques Larché, président, a observé que l'une des conséquences de modifications institutionnelles significatives pourrait consister à demander aux Corses de se prononcer sur les changements du statut de l'île.

M. Philippe Marini ayant souligné le risque que constituerait le fait de prendre les Corses « en otages » d'un débat national qui dépasserait l'île, M. Jacques Larché, président, a indiqué qu'il mettrait tout en oeuvre pour prévenir une telle orientation des travaux à venir.

M. Paul Girod, rapporteur, a tenu à souligner qu'il ne pourrait pas conserver sa fonction de rapporteur s'il en allait autrement.

Poursuivant son propos, M. Philippe Marini a souligné l'ancrage de la Corse dans la France. Il a relevé les particularités culturelles et géographiques qui caractérisaient la Corse et qui justifiaient qu'un régime particulier y soit appliqué. Il a estimé que ces spécificités obligeaient le législateur à « prendre de la hauteur » par rapport au texte qui lui était soumis. Il s'est déclaré favorable à une adaptation du pouvoir réglementaire, partout où elle s'avèrerait nécessaire, tout en évitant une révision de la Constitution, par nature très lourde et source d'illusions.

En réponse, M. Jacques Larché, président, a souligné que le cadre institutionnel actuel, s'il permettait des adaptations de portée limitée, interdisait une modification du régime du pouvoir réglementaire déterminé par l'article 21 de la Constitution. Il a noté que le « processus de Matignon » reposait sur l'idée de la succession de deux étapes permettant, le cas échéant, de mener à bien une éventuelle révision constitutionnelle après 2004.

M. Michel Charasse a souhaité que certains malentendus soient dissipés, à l'instar de la confusion qui régnait entre les problèmes propres à la Corse et ceux qui se posaient aussi bien en Corse qu'ailleurs. Il s'est déclaré préoccupé par le fait qu'en Corse on pourrait ne pas distinguer les uns des autres, et refuser l'application de la loi dès lors qu'elle impose des contraintes.

M. Michel Charasse a fait valoir qu'il conviendrait d'examiner et de comparer les moyens que les différents Etats européens consacrent aux diverses régions autonomes de l'Union européenne, ce qui pourrait mettre en évidence qu'une telle comparaison ne joue pas en la défaveur de la Corse.

Il a relevé que la collectivité territoriale de Corse risquait de bénéficier d'un transfert de pouvoirs accompagné de crédits de l'Etat sans majoration. Il a fait observer que la substitution au pouvoir de l'Etat d'un pouvoir local aux règles moins rigoureuses dans leur conception et leur mise en oeuvre pourrait aboutir à ce que les citoyens de Corse réclament, dans quelques années, un renforcement de l'intervention de l'Etat.

M. Michel Charasse s'est par ailleurs demandé s'il ne faudrait pas préciser, à l'article premier du projet de loi, que le pouvoir de proposition en vue d'adaptations législatives ne concernerait que des sujets liés au caractère insulaire de la Corse.

Il a enfin jugé nécessaire d'identifier les « pièges constitutionnels » susceptibles de résulter de ce que le texte avait été rédigé dans la perspective des réformes à intervenir en 2004, alors même que la jurisprudence du Conseil constitutionnel interdisait d'anticiper sur la date d'entrée en vigueur d'une modification de la Constitution, fut-elle adoptée.

En réponse, M. Jacques Larché, président, a observé que le texte du projet de loi initial contenait des dispositions manifestement contraires à la Constitution que l'Assemblée nationale avait tenté de supprimer, et qu'il reviendrait à la commission spéciale d'estimer si le texte transmis ne recelait pas d'autres motifs d'inconstitutionnalité.

M. Paul Girod, rapporteur, s'est déclaré sceptique quant à la comparaison de la Corse avec des îles européennes dotées de statuts autonomes et appartenant à des Etats fédéraux.

Après avoir souligné que, dans leur immense majorité, les Corses voulaient rester Français, Mme Hélène Luc a évoqué les spécificités de l'île et les conséquences des traumatismes ressentis par les Corses, tels que les événements d'Aléria ou les crédits accordés aux Français d'Algérie venus s'installer en Corse. Puis elle a souligné la nécessité d'évoquer la dimension économique du problème corse, non moins que le désir de nombreux Corses d'entreprendre et de vivre sur l'île.

Evoquant la beauté de la Corse, elle a insisté sur la nécessité de mettre en valeur ce territoire grâce à des infrastructures favorisant le développement économique et non pas seulement grâce au tourisme, d'autant, a-t-elle observé, que les Corses souhaitaient protéger le littoral. S'agissant de la langue corse, elle a estimé qu'il convenait de ne pas exagérer ce problème, avant de conclure son propos en indiquant que beaucoup de Corses ne se sentaient pas assez associés aux réformes qui concernaient l'île.

En réponse à la précédente intervention, M. Paul Girod, rapporteur, a, tout d'abord, rappelé le traumatisme qu'avait causé la décolonisation qui avait privé nombre de Corses de débouchés professionnels et souligné l'apparition, dans la société insulaire, d'une nouvelle génération de jeunes entrepreneurs.

Sur ce point, M. Jacques Larché, président, a mentionné les travaux récemment élaborés par l'Université de Corte au sujet du développement économique de l'île, avant que Mme Hélène Luc souligne l'émergence du rôle des femmes en politique.

M. Daniel Hoeffel a approuvé l'esprit dans lequel le président et le rapporteur abordaient ce débat et considéré que la République pouvait accepter les particularités et les spécificités régionales, même s'il fallait, le cas échéant, adapter la Constitution.

M. Maurice Ulrich a fait valoir qu'une modification de la Constitution, de nature à répondre aux spécificités de la Corse, devrait nécessairement s'inscrire dans une perspective plus large prenant en compte l'ensemble des autres régions françaises.

M. José Balarello a enfin souhaité que la commission spéciale souligne l'attachement de la Corse à la France, lequel s'était manifesté à de nombreuses reprises, depuis le « serment de Bastia ». Il a estimé que des enseignements intéressants pouvaient être tirés des statuts applicables dans les autres îles européennes.

A l'issue de ce débat, la commission spéciale a procédé à un échange de vues sur la liste des personnes qu'elle auditionnera au cours de ces prochaines réunions.