Table des matières


Mardi 23 octobre 2001

- Présidence de M. Jacques Larché, président.-

Audition de M. Jérôme Polverini, maire de Piannottoli-Caldarello, conseiller exécutif de Corse, président de l'office de l'environnement de la Corse, président de l'association des communes du littoral

La commission spéciale a procédé à l'audition de M. Jérôme Polverini, maire de Piannottoli-Caldarello, conseiller exécutif de Corse, président de l'office de l'environnement de la Corse, président de l'association des communes du littoral et de Mlle Pascaline Castellani, maire de Piana, trésorière de l'Association des communes littorales.

M. Jérôme Polverini
a indiqué que l'association qu'il préside, déclarée depuis le 18 octobre 2001 et regroupant 68 communes, avait consacré sa première réunion, tenue en novembre 1999, aux possibilités de modifications de la loi « littoral ». Cette association, a-t-il précisé, a adopté le 12 septembre 2001 une résolution en faveur des dispositions de l'article 12 du projet de loi relatif à la Corse, et insistant sur le rôle privilégié des maires en matière d'édiction des documents d'urbanisme.

M. Jérôme Polverini a considéré que la notion d'adaptation des règles nationales aux particularités géographiques locales avait été initiée par l'article 4 de la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire du 4 février 1995, relatif aux directives territoriales d'aménagement, avant de souligner qu'un rapport commandé par M. Bernard Pons, alors ministre de l'équipement, avait souligné l'impossibilité d'appliquer les mêmes règles à l'ensemble des littoraux du territoire métropolitain. En septembre 1999, a-t-il ajouté, le Premier ministre a évoqué la possibilité de permettre des adaptations de la loi «littoral» et de la loi montagne, au besoin par la voie législative. Il a mis en avant les précédents constitués par les modifications apportées à la loi « montagne » par la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU).

M. Jérôme Polverini a indiqué qu'entre 1997 et 1999, la construction avait progressé de 30 % sur le continent et diminué de 50 % en Corse et que, pour mille kilomètres de côtes, 46.170 permis de construire avaient été accordés sur le continent, contre 1.680 en Corse.

Il a insisté sur les effets pervers de la loi «littoral», qui encourageait la construction là où l'urbanisation était déjà forte et l'interdit sur le littoral non urbanisé.

Evoquant les dispositions du projet de loi relatif à la Corse, M. Jérôme Polverini s'est félicité de la création du plan de développement d'aménagement durable, qui s'accompagne d'un assouplissement de la tutelle de fait de l'Etat sur les collectivités locales exercée lors de l'élaboration de schémas précédents. Tout en soulignant leur faible portée, il s'est également félicité des modifications apportées à la loi «littoral», dont les principes fondamentaux ne seraient pas mis en cause.

Il a jugé que pour l'élaboration de la liste des espaces remarquables, l'Assemblée de Corse aurait une compétence quasiment liée. Il a expliqué que les possibilités de construire des paillotes dans la bande de 100 mètres, ouverte par l'adoption d'un amendement à l'Assemblée nationale, était en retrait par rapport aux dispositions introduites dans la loi SRU par un amendement présenté par M. Gaïa. Il a souligné que le projet de texte relatif à la Corse était caractérisé par un grand nombre de précautions.

M. Jérôme Polverini s'est félicité des dérogations aux principes d'urbanisation en continuité des zones urbanisées ou par création de hameaux nouveaux, tout en considérant que le texte de l'Assemblée nationale était souvent confus, et parfois redondant ou inapplicable. Il a notamment jugé essentiel d'autoriser les maires à fixer une superficie de construction minimale afin de mettre en oeuvre les dispositions relatives aux transferts de coefficient d'occupation des sols (COS).

M. Jérôme Polverini a relativisé les critiques adressées au projet d'article 12 en soulignant que le Conservatoire du littoral, qui était déjà propriétaire de 20 % du linéaire côtier, s'apprêtait à acquérir 10 % supplémentaires et que, compte tenu des différents dispositifs de protection, 80 % du littoral corse était ou allait être protégé.

M. Paul Girod, rapporteur, a demandé si, en l'état actuel des textes, il restait des zones constructibles en Corse.

M. Jérôme Polverini s'est déclaré dans l'incapacité de répondre en raison des appréciations fluctuantes émanant de l'administration. Il a ajouté que les règles de la loi «littoral», et notamment le régime des hameaux nouveaux, ne permettant qu'une urbanisation réalisée par des promoteurs, exposaient ainsi les élus corses à la critique d'encourager la spéculation immobilière.

Après avoir entendu Mlle Pascaline Castellani, maire de Piana, trésorière de l'Association des communes littorales, présenter les documents d'urbanisme de sa commune, le rapporteur a constaté les incohérences entre les différents documents existants, les élus locaux n'étant par ailleurs pas toujours forcément informés de l'évolution de l'interprétation qu'en faisaient les services déconcentrés de l'Etat.

Mlle Pascaline Castellani a insisté sur le fait que les maires ne revendiquaient pas la possibilité de construire dans la bande des cent mètres ou de restreindre l'accès à la plage, mais souhaitaient pouvoir aménager les espaces proches du rivage, situés au-delà de la bande des cent mètres.

M. Jérôme Polverini s'est étonné que douze ans après l'entrée en vigueur du décret d'application de la loi «littoral», l'Etat ait estimé urgent d'établir la liste des espaces remarquables situés en Corse, alors même que le texte du projet de loi relatif à la Corse, adopté en première lecture par l'Assemblée nationale, proposait le transfert de la compétence d'édiction de cette liste à l'Assemblée de Corse.

Confirmant les chiffres avancés par M. Jérôme Polverini relatifs à la part des zones protégées dans le littoral corse, M. Louis Le Pensec a jugé que la loi «littoral» n'était pas « immuable ». Il s'est cependant interrogé sur l'opportunité de permettre à l'Assemblée de Corse de retirer certains sites de la liste des espaces protégés, et s'est déclaré favorable à l'octroi à l'Assemblée de Corse de la faculté d'ajouter des sites à cette liste. Après avoir constaté que, jusqu'ici, les élus corses s'étaient montrés responsables en matière d'attribution de permis de construire, il s'est néanmoins interrogé sur l'opportunité d'autoriser les constructions sans continuité par rapport aux espaces urbanisés.

En revanche, M. Louis Le Pensec ne s'est pas déclaré hostile à la possibilité de réaliser des aménagements légers et temporaires dans la bande des cent mètres. Il a demandé à M. Jérôme Polverini si l'Assemblée de Corse avait pu établir, même à titre officieux, une contre-proposition à la liste des espaces remarquables dressée par l'Etat.

En réponse, M. Jérôme Polverini a souligné que les travaux de l'Etat étaient très récents et estimé que l'établissement de la liste des espaces remarquables constituerait pour l'assemblée de Corse une compétence liée.

Mme Hélène Luc s'est interrogée sur la précipitation du préfet pour l'édiction de la liste des espaces remarquables alors que cette question était au coeur des débats parlementaires et n'avait pas encore été tranchée. Elle a souhaité connaître la valeur juridique du document établi par l'Etat.

M. Lucien Lanier a partagé l'interrogation de Mme Hélène Luc.

En réponse, M. Jacques Larché, président, a précisé que le document qui avait été communiqué à la mission d'information n'avait pas de valeur réglementaire.

Contrairement à M. Jérôme Polverini, M. Patrice Gélard a estimé que les dispositions de la loi SRU ne s'opposaient pas à ce qu'un plan local d'urbanisme (PLU) définisse des coefficients d'occupation des sols.

M. Paul Girod, rapporteur, a déploré que le Parlement débatte de manière rapprochée et parfois concurrente de mêmes sujets, et que les solutions apportées à un même problème diffèrent parfois selon les textes.

M. Louis Le Pensec a considéré que les difficultés juridiques soulevées par M. Jérôme Polverini le conduisaient, pour sa part, à préconiser un examen plus approfondi de la question de l'aménagement de la loi « littoral ». Il ne s'est cependant pas déclaré opposé, de manière générale, à la possibilité pour les régions de procéder à des adaptations de la réglementation.

M. Jérôme Polverini s'est interrogé sur les raisons qui poussaient certains à refuser à la Corse des aménagements à la loi « littoral » comparables à ceux consentis en zone de montagne sous la forme d'aménagements apportés à la loi « montagne » prévus par la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains.

M. Louis Semidei, maire de Talasani, secrétaire général de l'Association des communes littorales, a estimé que le projet de loi relatif à la Corse ne pouvait être examiné sans avoir à l'esprit des considérations d'ordre économique. Il a rappelé que l'ensemble de l'île ne comportait que 26.000 lits hôteliers, dont seulement 500 à Bastia. Il a regretté que la Corse soit considérée comme spécifique dans tous les domaines sauf dans celui pour lequel elle l'était vraiment, à savoir son caractère insulaire. Il a jugé qu'un refus d'accroître les possibilités de construction en Corse devrait s'accompagner de la mise en oeuvre d'un dispositif péréquateur, entre communes « bâties » et communes « non bâties » de France métropolitaine.

M. Jean-Paul Virapoullé a considéré que la rigidité de la législation constituait une source de malaise dans les zones insulaires. Puis il a rappelé les problèmes posés aux régions de Martinique et de Guadeloupe par les règles d'urbanisation du littoral, avant de déclarer comprendre la position des élus corses et d'estimer que la confusion constatée dans l'île s'agissant de l'information des élus locaux était nettement plus grande que dans les départements d'outre-mer.

Audition de M. Guy Carcassonne, professeur à l'Université de Paris X

Puis, la commission spéciale a entendu M. Guy Carcassonne, professeur à l'Université de Paris X.

M. Guy Carcassonne, professeur à l'université de Paris X,
a indiqué que la question majeure soulevée par le texte adopté par l'Assemblée nationale était celle du partage des compétences entre le législateur, le pouvoir réglementaire national et la collectivité territoriale de Corse. Rappelant que le Conseil constitutionnel avait déjà admis qu'une catégorie de collectivité territoriale comporte un exemplaire unique, il a souligné que la question n'était plus celle de la singularité du statut, mais celle de son contenu. Or, il a mis en évidence que les interrogations actuelles provenaient du fait que ni la Constitution, ni la jurisprudence du Conseil constitutionnel, ne déterminaient précisément ce qu'était une « disposition législative ».

M. Guy Carcassonne a ainsi fait valoir que la Constitution ne définissait que les matières dans lesquelles le législateur seul pouvait intervenir, en soulignant qu'il avait alors l'obligation de le faire, sous peine d'encourir une censure du Conseil constitutionnel pour incompétence négative. Pour toutes les autres matières, il a estimé que le partage des compétences était aléatoire et subordonné à la volonté du législateur, et non à celle du constituant. En d'autres termes, il a énoncé que, dans ces domaines, le législateur pouvait fixer lui-même les règles applicables, sans pour autant être tenu de le faire, ou au contraire renvoyer au pouvoir réglementaire la fixation de ces règles.

Notant que le pouvoir conféré à la collectivité territoriale de Corse d'adapter des mesures réglementaires et législatives à la situation spécifique de la Corse était encadré dans des conditions fixées par la loi, M. Guy Carcassone a jugé que ce dispositif offrait toutes les garanties nécessaires de conformité à la Constitution, ajoutant que la qualification de « législatif » ou de « réglementaire » utilisée dans le projet de loi était purement formelle, puisque le législateur était maître de la répartition des compétences pour tout ce qui ne concernait pas le « noyau dur » du domaine de la loi tel qu'il était inscrit dans la Constitution.

Il a estimé que, dans ces conditions, la référence faite à la jurisprudence du Conseil constitutionnel de 1993 relative aux expérimentations menées par les établissements publics était intéressante mais superflue.

M. Jacques Larché, président, s'est interrogé sur l'interprétation qu'il convenait de faire du second alinéa de l'article 37 de la Constitution, estimant que cette disposition tendait à reconnaître que, si un texte avait une forme législative, la disposition qu'il contenait avait une valeur législative, sauf si le Gouvernement en demandait le déclassement par le Conseil constitutionnel.

M. Guy Carcassonne a observé que l'article 37 alinéa 2 était appliqué dans les limites posées par la décision du Conseil constitutionnel du 29 juillet 1982, c'est-à-dire comme un critère d'irrecevabilité, et non comme un motif d'inconstitutionnalité de la disposition concernée. Il a ajouté que le texte même de la Constitution reconnaissait qu'un texte de forme législative pouvait avoir une valeur réglementaire, confirmant par là la porosité entre domaine de la loi et domaine du règlement, au-delà des matières prévues à l'article 34.

M. Patrice Gélard a estimé qu'il fallait distinguer la pratique des institutions, du texte même de la Constitution. Il a noté que l'éventuel accord politique entre le Gouvernement et le Parlement pour s'affranchir des contraintes de l'article 34 de la Constitution ne pouvait lier que les organes centraux du pouvoir, et excluait les collectivités locales.

Interrogé par le rapporteur sur le partage entre le pouvoir réglementaire national prévu à l'article 21 de la Constitution et le pouvoir réglementaire propre de la collectivité territoriale de Corse, M. Guy Carcassonne a répondu que le partage s'effectuerait d'une part dans les conditions fixées par le législateur, d'autre part avec bon sens et expérience : bon sens, parce que le législateur fixerait les limites du pouvoir réglementaire confié à la collectivité territoriale de Corse comme il déterminait actuellement les limites du pouvoir réglementaire quand il renvoyait à un décret en Conseil d'Etat le soin de préciser les modalités d'application d'une loi ; expérience, parce qu'il existait déjà des pouvoirs réglementaires concurrents de ceux du Premier ministre, résiduels mais significatifs, au premier rang desquels le pouvoir normatif du Conseil supérieur de l'audiovisuel et de l'Autorité de régulation des télécommunications.

M. Jacques Larché, président, a attiré l'attention de l'intervenant sur les modalités d'application de l'article premier, l'interrogeant en particulier sur la possibilité d'expérimentations en matière législative et sur l'évaluation de ces expérimentations.

M. Guy Carcassonne a répondu qu'il existait des précédents, faisant observer qu'à l'automne 1974, la loi relative à l'interruption volontaire de grossesse avait été envisagée à titre provisoire, pour une durée de cinq ans, la loi devant ensuite être confirmée pour continuer à produire ses effets.

M. Patrice Gélard a souligné la différence entre la situation dans laquelle la loi prévoyait sa propre révision, le législateur conservant dans ce cas la plénitude de ses fonctions, et celle dans laquelle le législateur se dessaisirait en déléguant son pouvoir à une collectivité locale qui pourrait adapter les termes mêmes de la loi, à titre expérimental.

M. Guy Carcassonne a au contraire estimé qu'il ne s'agirait pas d'une délégation, le législateur gardant l'entière maîtrise du dispositif. Il a ajouté que les expérimentations, banales dans d'autres domaines, méritaient d'être prévues dans l'exercice du pouvoir législatif.

M. Paul Girod, rapporteur, a estimé que l'article premier du projet de loi s'apparentait à l'article 38 de la Constitution, par lequel, au moyen d'une loi d'habilitation, le législateur se dessaisissait temporairement des compétences qui lui étaient dévolues par la Constitution.

M. Guy Carcassonne a considéré que le législateur n'abandonnerait pas le « noyau dur » de ses compétences, qu'il ne se déferait que du pouvoir qu'il a le droit d'exercer sans être tenu de le faire, et qu'en conséquence il ne s'agissait pas d'une délégation du pouvoir législatif.

M. Louis Le Pensec a rappelé que le Chef de l'Etat avait lui-même évoqué le droit à l'expérimentation des collectivités locales, et que le projet de loi relatif à la démocratie de proximité confiait aux régions la gestion des ports de première catégorie, à titre expérimental, pour une durée de trois ans.

M. Jean-Paul Virapoullé a estimé que la décision du Conseil constitutionnel relative aux établissements publics de l'Etat, soumis au principe de spécialité, ne pouvait être transposée aux collectivités locales, lesquelles intervenaient dans un champ de compétences très vaste.

M. Guy Carcassonne a répondu que les collectivités locales avaient, elles aussi, une spécialité géographique. Il a estimé que si, parmi les trois catégories de personnes morales de droit public, l'Etat et ses établissements publics avaient un pouvoir d'expérimentation reconnu par le Conseil constitutionnel, il n'y avait aucune raison d'exclure cette même possibilité pour la troisième catégorie, à savoir les collectivités locales.

Audition de M. Jean Magni, président, et M. Guy Pacini, porte-parole de l'association « Unione Corsa »

La commission spéciale a ensuite entendu M. Jean Magni, président, et M. Guy Pacini, porte-parole de l'association « Unione Corsa ».

M. Jean Magni
a d'abord rappelé que les Corses vivant dans les départements de la France continentale étaient deux fois plus nombreux que les habitants de l'île, lesquels n'étaient d'ailleurs pas tous d'origine corse. Il a exprimé leur souhait de pouvoir régulièrement revenir dans l'île pour y faire vivre une tradition et une culture qu'il a jugé menacées.

M. Guy Pacini a exprimé l'intérêt des Corses vivant hors de l'île pour la discussion de ce projet de loi et ses conséquences sur l'avenir de la Corse. Il a déploré que celui-ci fasse plus appel à l'intelligible qu'au sensible, et que ses dispositions apparaissent souvent plaquées sur une réalité corse, dont elles n'ont pas pris en compte toutes les composantes. Il a souhaité l'avènement d'une forme de démocratie participative qui permettrait aux Corses de l'extérieur de se faire entendre, sans envisager toutefois une révision des listes électorales.

Après avoir rappelé l'attachement de son association à l'accessibilité du territoire corse à toutes les composantes de la communauté corse, ainsi qu'au devenir de son patrimoine, il a formulé un certain nombre de propositions.

Il a d'abord souhaité que le projet de loi permette à la collectivité territoriale de Corse d'intervenir en dehors de son territoire pour soutenir matériellement et financièrement des initiatives et des projets concourant à l'apprentissage et à la diffusion de la langue et de la culture corses.

Rappelant que, plus encore que les habitants de l'île, les Corses de l'extérieur possèdent des droits indivis sur le patrimoine foncier corse, il a exprimé le souci de voir ce dernier bénéficier d'une meilleure protection.

Il a ensuite déploré l'approche du projet de loi en matière de transports, qu'il a jugée très unidirectionnelle, dans la mesure où elle lui paraît privilégier l'intérêt des personnes se rendant de Corse vers le continent. Il a souhaité qu'une nouvelle rédaction de l'article 14, assise sur des critères objectifs, permette de restaurer la symétrie.

Il a regretté que l'article 19 relatif à l'agrément et au classement des équipements et organismes de tourisme n'évoque pas les villages de vacances, alors que ceux-ci sont cependant créateurs d'emplois.

Il a également souhaité que l'article 45 relatif aux droits de succession prenne mieux en compte les difficultés qui peuvent surgir à l'occasion du traitement des indivisions.

En réponse à une question de M. Maurice Ulrich, M. Guy Pacini a précisé qu'il souhaitait que cet article ne s'applique pas en matière de licitation ou de rachat des droits indivis par un indivisaire d'origine.

Il a rappelé que son association avait souhaité la mise en place d'une commission territoriale de coordination pour proposer des solutions au problème de l'indivision, et a regretté que les questions afférentes au patrimoine foncier et immobilier ne figurent pas parmi les attributions de la conférence de coordination des collectivités territoriales créée à l'article 47.

Rappelant que les Français établis hors de France disposent au Sénat d'une représentation, il a souhaité que les Corses de l'extérieur puissent également être représentés à la collectivité territoriale de Corse, ne serait-ce qu'à titre consultatif.

En réponse à M. Jacques Larché, président, qui l'interrogeait sur le nombre des adhérents à son association, il a précisé que celle-ci regroupait 267 familles, mais bénéficiait d'une audience plus large.

M. Jean Magni a ensuite apporté à MM. Jacques Larché, président, Paul Girod, rapporteur, et à MM. Lucien Lanier et Jean-François Picheral les précisions suivantes :

- la loi « littoral », qui n'a pas empêché la bétonnisation des côtes continentales, doit être remplacée par des dispositions spécifiques à la Corse qui garantissent la préservation de son littoral, tout en permettant le développement d'une économie locale et traditionnelle ;

- la défense de la langue corse n'est pas l'apanage des nationalistes ; son enseignement intéresse déjà, en pratique, des continentaux propriétaires de résidences dans l'île ; il conviendrait de le rendre obligatoire, en Corse.

M. Guy Pacini a jugé important de compléter la généralisation de l'enseignement de la langue corse dans l'île, par un effort en faveur de son rayonnement en dehors de Corse.

Mercredi 24 octobre 2001

- Présidence de M. Jacques Larché, président.

Audition de M. Jean Baggioni, président du conseil exécutif de Corse

La commission spéciale a tout d'abord procédé à l'audition de M. Jean Baggioni, président du conseil exécutif de Corse.

Après s'être déclaré « politiquement hostile aux aventures et profondément attaché au respect des principes républicains », M. Jean Baggioni a indiqué que son premier mouvement, face au processus de Matignon, avait été empreint de scepticisme et de rejet. Il a rappelé que lors de la visite du Premier ministre en Corse, au mois de septembre 1999, il avait été le seul élu à souligner qu'il revenait au Gouvernement de déterminer et de conduire la politique de la Nation. Cependant, a-t-il précisé, il a assisté aux travaux du groupe de travail réuni par le Gouvernement en qualité de président du Conseil exécutif, dans le respect de ses engagements républicains.

Evoquant l'éventuelle dévolution d'un pouvoir législatif à la Corse, M. Jean Baggioni a fait part de ses plus expresses réserves, avant de regretter que d'aucuns mettent en cause la volonté des Corses de rester Français. Il convient, a-t-il ajouté, de ne pas s'interroger sur l'attachement des Corses à la France, rappelant que les Corses avaient à maintes reprises manifesté cet attachement et jugeant humiliant que la question puisse être posée.

Evoquant la mise en oeuvre du statut de 1991, M. Jean Baggioni a estimé que les gouvernements successifs avaient témoigné d'une grande ignorance du contenu de celui-ci et n'avaient pas publié plusieurs des textes d'application nécessaires à son entrée en vigueur. Aussi a-t-il souhaité qu'une évaluation des résultats obtenus dans le cadre de ce statut soit réalisée. Il a regretté de ne pas avoir été entendu lorsque, dénonçant l'inadaptation des textes en vigueur, il déplorait également l'insuffisance voire même l'absence totale des moyens financiers et humains nécessaires à leur pleine application.

Abordant le projet de loi soumis à l'examen du Sénat, M. Jean Baggioni a estimé que si l'esprit de ce texte était conforme à ses attentes, sa lettre laissait gravement à désirer. Cet état de fait provient, a-t-il estimé, de ce que ce projet a été conçu pour satisfaire l'ensemble des partenaires élus et non pas pour favoriser le développement de la Corse au sein de la République. Il a, en outre, regretté que le texte n'évoque :

- ni les contraintes qui résultent du droit communautaire (le projet faisant l'impasse sur le contenu du memorandum actuellement négocié avec la Commission européenne) ;

-  ni le contenu du plan exceptionnel d'investissement (PEI), notamment en ce qui concerne la durée et le montant de celui-ci (la signature d'une convention-cadre signée après l'adoption de la loi n'offrant pas de garanties suffisantes à ses yeux).

Précisant sa pensée au sujet du PEI, il s'est déclaré préoccupé par l'éventualité que l'Etat inclue dans ce programme des dépenses correspondant à des investissements qu'il aurait dû faire antérieurement ou qui relèvent de sa seule compétence à l'instar de la rénovation d'une préfecture.

En ce qui concerne les transferts de compétences, M. Jean Baggioni a regretté que rien, dans le projet de loi, ne corrigeait les dysfonctionnements antérieurs, notamment s'agissant des agences et offices, qui constituaient des « Etats dans l'Etat », et consommaient plus de la moitié du budget d'investissement de la collectivité territoriale de Corse.

Déplorant l'inertie des services de l'Etat en matière d'éducation nationale, de culture, de jeunesse et de sport, le président du conseil exécutif de Corse a souligné que la collectivité territoriale n'avait pas reçu les moyens afférents aux compétences qui lui avaient été transférées.

Il a ajouté que tout en ne voyant aucun inconvénient à ce qu'une réforme institutionnelle d'ensemble modifie le régime applicable aux régions françaises, cette réforme ne saurait en rien négliger les spécificités évidentes de la Corse.

En concluant, M. Jean Baggioni a exposé la souffrance ressentie du fait de la violence et a espéré que la représentation nationale écouterait et comprendrait les préoccupations qui étaient les siennes, afin de ne pas être contrainte, dans quelques années, d'engager une nouvelle révision du statut de la Corse. Sans que nul ne puisse préjuger de l'incidence de l'adoption du texte sur la cessation de la violence en Corse, il est souhaitable, a-t-il précisé, que ce qui sera fait soit bien fait, faute de quoi, mieux vaudrait ne rien entreprendre.

Après avoir rappelé le « serment de Bastia », M. Jacques Larché, président, a souligné que l'on ne pouvait mettre en doute les sentiments français et républicains de la très grande majorité de nos concitoyens de Corse, et a rappelé que certains nationalistes avaient déclaré, devant la mission d'information, qu'ils se rendraient au verdict de la majorité des citoyens résidant en Corse si une consultation était organisée. Il n'est, a-t-il ajouté, pas envisageable que la France abandonne la Corse.

Répondant aux questions de M. Paul Girod, rapporteur, sur l'éventualité d'une « expérimentation législative », M. Jean Baggioni a souligné qu'il n'avait jamais revendiqué cette réforme, laquelle figurait dans le relevé de conclusions soumis, en juillet 2000, à l'Assemblée de Corse, et qu'il n'avait pu amender ce document. Il a souhaité que les transferts de compétences, soient assortis de transferts du pouvoir réglementaire appropriés, dans les conditions qu'il appartient au législateur de déterminer.

A une seconde question du rapporteur qui l'interrogeait sur l'article 12 du projet de loi, M. Jean Baggioni a répondu que le développement économique de la Corse était conditionné par un accroissement de la démographie de l'île, dont la densité moyenne actuelle ne dépassait pas trente habitants par kilomètre carré. Ce développement, a-t-il estimé, ne saurait survenir si un aménagement des zones littorales n'est pas réalisé. Il a ajouté qu'à l'évidence il n'existait pas de surdensité urbaine sur le littoral corse qui n'avait pas été « bradé ».

M. Maurice Ulrich a relevé les préoccupations de M. Jean Baggioni en ce qui concerne la divergence entre les compétences -qui sont considérables- et les moyens dont le transfert est envisagé par le texte. Evoquant l'article 46 du projet de loi qui prévoyait que la mise en oeuvre du PEI serait soumise à l'élaboration préalable du plan d'aménagement et du développement durable de la Corse, il a estimé que cette disposition était susceptible d'interdire la mise en oeuvre du PEI.

Répondant au précédent orateur, M. Jean Baggioni a déploré :

- que les crédits afférents à la compensation des charges transférées soient calculés en fonction de la moyenne des dotations octroyées par l'Etat au cours des cinq dernières années, lesquelles étaient particulièrement faibles ;

- que les collectivités locales étaient constamment appelées à suppléer les carences de l'Etat, à l'instar de la collectivité territoriale de Corse qui devrait, selon le Gouvernement, verser 30 % des crédits mobilisés par le PEI, l'Etat en attribuant 70 % ;

- que les moyens humains n'aient pas suivi les transferts de compétences.

Il a jugé nécessaire que le montant total engagé au titre du PEI figure explicitement dans le projet de loi.

Après s'être interrogé sur le retrait de certains interlocuteurs du processus de Matignon, M. Jean-Pierre Bel a questionné le président du conseil exécutif de Corse sur l'éventualité du recours à un texte plus général, susceptible de régler, outre les questions spécifiques à la Corse, celles intéressant d'autres régions françaises.

En réponse, M. Jean Baggioni a souligné que, tout en se déclarant sensible à l'idée d'une modernisation du fonctionnement de l'Etat, il constatait que les pouvoirs publics n'avaient pas répondu aux attentes qu'il avait publiquement exprimées au sujet du fonctionnement des offices, ce qui avait, indirectement, donné lieu aux critiques formulées par la chambre régionale des comptes à l'encontre du fonctionnement de ces entités. Il s'est déclaré préoccupé que le législateur refuse de prendre, en 2001, par faiblesse, les dispositions de nature à remédier aux insuffisances du statut de 1991.

A M. Paul Girod qui l'interrogeait sur l'article 15 du projet de loi, et après l'intervention de M. Paul Natali, M. Jean Baggioni a souhaité qu'un audit détermine l'état des ports et des aéroports avant que ceux-ci soient transférés à la collectivité territoriale de Corse.

Audition de M. Camille de Rocca Serra, vice-président de l'Assemblée de Corse

Puis la commission spéciale a procédé à l'audition de M. Camille de Rocca Serra, vice-président de l'Assemblée de Corse.

M. Camille de Rocca Serra a rappelé qu'en dépit d'un produit intérieur brut ne lui permettant plus de bénéficier des aides de l'Union européenne au titre de « l'objectif 1 », la Corse cumulait de nombreux handicaps, qu'il s'agisse de son insularité, de son caractère montagneux ou encore de la fragilité de son économie.

Faisant valoir que l'unité de la République n'était pas synonyme d'uniformité, M. Camille de Rocca Serra a évoqué tout à la fois l'attachement de la grande majorité des Corses à la France et la nécessité d'adapter le statut actuel de la collectivité territoriale, dont les réformes successives sont toujours restées à mi-parcours.

S'élevant contre la tentation de stigmatiser les Corses et de les tenir collectivement pour responsables, par exemple, de l'assassinat du préfet Claude Erignac ou de blanchiment d'argent, il a appelé l'Etat à jouer son rôle de garant de l'ordre public et a indiqué que la paix civile ne pouvait se négocier.

M. Camille de Rocca Serra a estimé que le projet de loi déposé par le Gouvernement ne correspondait pas aux accords conclus à l'issue du processus de Matignon et que sa portée avait encore été affaiblie par l'Assemblée nationale en première lecture. Il a souhaité que l'on donne à la collectivité territoriale de Corse les moyens d'assurer le développement économique local, sans lequel il ne pourra y avoir de progrès social.

Rappelant que les arrêtés Miot avaient été pris au XIXe siècle pour tenir compte de la pauvreté de l'île et de l'indivision des propriétés, M. Camille de Rocca Serra a estimé que la réforme des droits de successions contenue dans le projet de loi suscitait un sentiment de spoliation et d'hostilité de la population corse, risquait de provoquer une crise sociale et identitaire et d'avoir pour effet pervers de favoriser le blanchiment des capitaux. Il a jugé à tout le moins indispensable de prévoir une entrée en vigueur progressive du dispositif, sur quinze ans, avec l'institution d'une réfaction de 80 % de la base fiscale imposable.

M. Camille de Rocca Serra a indiqué que l'institution d'un crédit d'impôt ne pouvait être efficace qu'à la condition d'être maintenue pendant quinze ans et qu'elle devait être accompagnée à la fois d'un dispositif de sortie de la zone franche « en sifflet » et d'une exonération de charges sociales et de taxe professionnelle. Il a envisagé de subordonner le bénéfice du mécanisme à un double agrément du ministre des finances et de la collectivité territoriale de Corse.

M. Camille de Rocca Serra a par ailleurs dénoncé le manque d'entretien par l'Etat des infrastructures dont il a la charge et indiqué que la collectivité territoriale de Corse ne pourrait investir qu'à la condition de disposer de ressources suffisantes. Il a noté que le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale devrait se traduire par l'octroi de ressources inférieures de 350 millions de francs par rapport à l'enveloppe de 1,5 milliard qui avait été envisagée. Il a en outre souligné que la collectivité territoriale de Corse devrait pouvoir bénéficier de concours en matière d'ingénierie et avoir l'assurance de la venue d'investisseurs privés.

Après avoir déploré que les règles d'urbanisme soient actuellement fixées, dans une large mesure, par le juge administratif, M. Camille de Rocca Serra a approuvé les dispositions contenues dans l'article 12 du projet de loi, qui permettront d'étendre l'urbanisation sans créer nécessairement des hameaux nouveaux, contrairement à ce que prévoit la loi « littoral ». Il a rappelé qu'à peine 15 % des rivages de la Corse étaient urbanisés et souligné que l'intégration des constructions dans le paysage revêtait une importance bien plus grande que la décision de construire ou de ne pas construire.

En conclusion, M. Camille de Rocca Serra a considéré que le tourisme constituait le moteur incontournable du développement de la Corse, exerçant un effet d'entraînement sur les autres activités -artisanales et agricoles notamment- mais que son développement exigeait d'augmenter sensiblement les capacités hôtelières de l'île -estimées à 20.000 lits actuellement- en particulier de haut de gamme.

M. Jacques Larché, président, s'est interrogé sur la nécessité de confier un pouvoir d'adaptation législatif et réglementaire à la collectivité territoriale de Corse pour promouvoir le développement économique de l'île.

M. Camille de Rocca Serra a indiqué que l'Assemblée de Corse avait toujours envisagé la mise en place d'un nouveau statut de la collectivité territoriale comme un processus en deux étapes, dont la première n'aurait pas dû comporter des dispositions contraires à la Constitution. Après avoir rappelé que la vingtaine de demandes de l'Assemblée de Corse, formulées en application de l'article 26 de la loi du 13 mai 1991, n'avaient jamais reçu de réponses de la part du Gouvernement, il a jugé que la dévolution d'un pouvoir réglementaire à la collectivité territoriale de Corse n'était pas une question prioritaire.

M. Alain Joyandet a considéré que nombre de départements ruraux du continent étaient confrontés à des difficultés comparables à celles de la Corse, sans pour autant bénéficier d'aides équivalentes ni des ressources du tourisme. Après s'être s'interrogé sur les contradictions qui entourent certaines revendications tendant à obtenir à la fois davantage d'aides et une autonomie accrue, il a souhaité savoir si la mise en place d'un nouveau statut permettrait le rétablissement de la paix civile en Corse.

M. Robert Bret s'est étonné du soutien apporté par M. de Rocca Serra à l'article 12 du projet de loi, alors qu'il en avait demandé la suppression devant la mission d'information venue en Corse au mois de septembre 2001.

M. Patrice Gélard a indiqué que l'application de la loi « littoral », plus contraignante que la loi « montagne », engendrait des difficultés dans l'ensemble des communes dont le territoire était situé le long des côtes françaises, mais qu'elle avait été assouplie par la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains. Il a souligné que des arrêts récents du Conseil d'Etat et des cours administratives d'appel tendaient à tempérer et à harmoniser la jurisprudence des tribunaux administratifs en matière d'urbanisme. Enfin, il a souhaité connaître les raisons de l'opposition de M. Camille de Rocca Serra à la construction de hameaux nouveaux.

M. Lucien Lanier a déploré que les réflexions sur la Corse traduisent et encouragent un repli de l'île sur elle-même et ne traitent pas ses problèmes dans le cadre d'une approche nationale. Il a également exprimé son regret que la population corse n'ait pu être consultée lors de l'élaboration de ce nouveau statut. Enfin, il a souhaité connaître la position actuelle des différents groupes de l'Assemblée de Corse à l'égard du processus de Matignon et du projet de loi.

En réponse à ces questions, M. Camille de Rocca Serra s'est opposé à toute dérive de la Corse vers l'indépendance et a préconisé l'octroi aux élus locaux de moyens et de responsabilités accrus, afin qu'ils puissent assurer le développement de l'île. Il a indiqué qu'il appartenait à l'Etat de mettre fin à la violence et d'assurer la sécurité des biens et des personnes. Il a formé le souhait que les Français du continent viennent en plus grand nombre s'installer en Corse, afin de lutter contre le déclin démographique et de contribuer au développement économique de l'île. Après avoir rappelé qu'aucune région française ne présentait concomitamment des caractéristiques insulaires et montagneuses, mais également un littoral si peu urbanisé, il a indiqué que sa position à l'égard de l'article 12 du projet de loi avait, certes, évolué favorablement, mais qu'il continuait de considérer certaines de ses dispositions comme source d'insécurité juridique.

En conclusion, M. Camille de Rocca Serra a mis en exergue la nécessité de procéder à des évaluations des politiques conduites dans l'île et a appelé de ses voeux une réforme du mode de scrutin applicable à l'élection de l'Assemblée de Corse, qui a pour effet d'imposer des compromis permanents avec les « groupes périphériques ».

Audition de Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget

La commission spéciale a ensuite entendu Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget.

Mme Florence Parly a constaté que nombreux aspects du projet de loi relatif à la Corse avaient fait l'objet de plus de commentaires que les mesures relatives au développement économique, et qu'il était utile de replacer ces dernières au premier plan. Elle a jugé que les mesures fiscales proposées par le projet de loi avaient de bonnes chances de succès car elles avaient en grande partie été proposées par les élus corses. Elle a indiqué qu'était proposé un dispositif d'aide à l'investissement pour remplacer celui de la zone franche, dont le bilan était mitigé. Elle a expliqué que ce nouveau dispositif était fondé sur l'encouragement de l'élément le plus dynamique de la vie d'une entreprise, c'est-à-dire l'investissement. Elle a jugé fondamental d'encourager le développement de l'offre, qui créait les conditions d'un développement de l'emploi.

La secrétaire d'Etat chargée du budget a indiqué que le principal volet de ce dispositif d'aide à l'investissement était la création d'un crédit d'impôt, représentant 20 % du montant d'un investissement et réservé aux entreprises exerçant leur activité dans les secteurs d'activité jugés prioritaires par les élus de Corse. Elle a contesté l'idée selon laquelle le crédit d'impôt serait moins favorable que l'exonération prévue par la zone franche du fait de son caractère ciblé. Elle a rappelé qu'il s'agissait d'un choix des élus corses et que la sortie du régime de la zone franche serait progressive et pourrait s'étaler jusqu'en 2006.

Elle a également réfuté l'idée selon laquelle le dispositif proposé serait trop concentré sur certains secteurs d'activité et fait valoir, au contraire, qu'il encourageait les secteurs les plus dynamiques de l'île. Elle a rappelé que le bénéfice du crédit d'impôt était étendu aux entreprises de commerce et d'artisanat dans les zones rurales, lesquelles couvraient 80 % du territoire de la Corse. Elle ajouté qu'en outre était prévue une mesure d'exonération de la taxe professionnelle, générale et calibrée pour représenter 10 % du coût d'un investissement sur cinq ans.

Evoquant le coût fiscal des nouvelles mesures, Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget, a souhaité que celui-ci puisse être équivalent au coût de la zone franche, à la condition que cette dépense soit véritablement utile. Elle a estimé que la création d'un dispositif fiscal reposait toujours sur un pari quant à son caractère incitatif, spécialement en matière d'investissement.

La secrétaire d'Etat chargée du budget a mis en avant deux limites à prendre en compte. Elle a indiqué que les règles communautaires imposaient l'exclusion de certains secteurs d'activité et que les discussions en cours sur ce point avec la Commission européenne n'avaient toujours pas abouti. Elle a insisté sur la nécessité d'inscrire le dispositif dans une perspective de justice fiscale, en le proportionnant à l'objectif recherché et en tenant compte des caractéristiques propres à la Corse.

Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget, a jugé le volet fiscal du projet de loi équilibré et a illustré son propos en évoquant les mesures proposées en matière de droits de succession. Elle a rappelé les particularités de la fiscalité des successions en Corse et a indiqué qu'à la lumière des débats parlementaires tenus ces dernières années, le Gouvernement avait proposé des modalités appropriées pour un retour progressif de la Corse dans le droit commun. Elle a relevé que, de son point de vue, la Corse n'avait jamais été une zone de non-droit sur le plan fiscal.

La secrétaire d'Etat chargée du budget a ensuite évoqué le programme exceptionnel d'investissement dont elle a estimé qu'il permettrait de résorber le déficit de la Corse en équipements routiers et ferroviaires. Elle a précisé que le contenu de ce programme serait élaboré en concertation avec la collectivité territoriale de Corse.

En conclusion, elle a rappelé que le contrat de plan permettait déjà un effort financier de l'Etat par habitant en Corse trois fois et demi supérieur à la moyenne nationale, mais qu'il convenait moins de se focaliser sur les chiffres que d'analyser l'utilité de la dépense publique.

M. Jacques Larché, président, a précisé que la commission spéciale n'avait pas pour objet de juger les performances d'un Gouvernement par rapport à celles de ses prédécesseurs, mais de se prononcer sur la pertinence des mesures proposées par le projet de loi relatif à la Corse.

M. Paul Girod, rapporteur, a noté l'hommage rendu par la ministre aux élus corses pour leur rôle dans l'élaboration du dispositif d'aide à l'investissement et leur choix en faveur des aides ciblées. A cet égard, il s'est demandé pourquoi le secteur de la restauration n'avait pas été retenu pour l'éligibilité au crédit d'impôt. Il a demandé quel volume d'investissement serait nécessaire, sachant que le taux du crédit d'impôt était de 20 %, pour engendrer une dépense fiscale équivalente à celle provoquée par l'exonération prévue par la zone franche. Il s'est demandé si des règles communautaires imposaient le retour au droit commun en matière de fiscalité des successions et si la collectivité territoriale de Corse serait en mesure d'assumer sa part du financement du programme exceptionnel d'investissement.

M. Jacques Larché, président, a observé qu'il n'existait pas de consensus s'agissant de la disparition des spécificités corses en matière de droits de succession. Il a estimé que le Gouvernement ferait preuve d'ouverture s'il acceptait un allongement de la période transitoire.

Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget, a indiqué qu'aucune règle communautaire n'imposait le retour au droit commun en matière de successions, mais qu'en revanche il existait des raisons tenant à l'équité et au développement économique de la Corse. S'agissant de la période transitoire, elle a rappelé que le Gouvernement avait proposé une période d'exonération totale de dix ans, et d'exonération de moitié pendant cinq ans. Elle a noté que l'Assemblée nationale, suivant en cela une recommandation formulée par le Conseil d'Etat avait choisi de porter ces durées respectivement à huit et quatre ans.

S'agissant du coût du crédit d'impôt, la secrétaire d'Etat chargée du budget a précisé que l'estimation du Gouvernement avait été élaborée à partir de données datant de 1998 de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) évaluant à 1,2 milliard de francs par an les investissements des entreprises de moins de 250 salariés, et que les investissements réalisés par les entreprises exerçant dans les secteurs non éligibles avaient été défalqués de ce total. A l'inverse, les investissements réalisés depuis 1998 avaient été ajoutés. Elle a affirmé qu'il était inexact de laisser entendre que cette estimation tiendrait compte des investissements réalisés par des entreprises de grande taille. Elle a cependant observé que le chiffrage d'une mesure telle que le crédit d'impôt était plus délicat que celui d'une mesure générale, telle que l'exonération de taxe professionnelle, car l'effet incitatif du crédit d'impôt constituait une inconnue difficile à résoudre. Elle a souligné que le Gouvernement n'avait pas cherché à réduire la charge pour les finances publiques résultant du statut fiscal de la Corse, et a considéré probable que les deux dispositifs auraient un coût comparable « en régime de croisière ».

Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget, a expliqué que la restauration n'avait pas été retenue pour l'éligibilité au crédit d'impôt, car ce secteur faisait déjà preuve d'un dynamisme économique certain.

M. Robert Bret a approuvé les mesures présentées par la ministre, et en particulier le programme exceptionnel d'investissements, mais s'est néanmoins demandé si les avantages fiscaux et financiers qui résulteraient de l'entrée en vigueur du projet de loi n'étaient pas susceptibles d'être en partie « captés » par des organisations mafieuses.

Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget, a jugé que ce problème était susceptible de se présenter sur tout le territoire national et que sa prévention nécessitait la vigilance de l'ensemble des services de l'Etat, et en particulier des services fiscaux, dont elle a souligné qu'ils avaient réinvesti le champ du contrôle fiscal.

M. Michel Mercier s'est demandé si l'état actuel des entreprises corses permettrait à celles-ci de réaliser les investissements nécessaires pour bénéficier du crédit d'impôt. Il a approuvé la mise en place d'un dispositif sélectif qui lui est apparu de nature à permettre une transformation des spécificités de la Corse en atouts pour l'île. Il a regretté que le Gouvernement ne propose pas de mesures de nature à susciter chez les entreprises corses le besoin d'investir.

Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget, a rappelé que le crédit d'impôt avait été proposé par les élus de Corse. Elle a expliqué que le bilan de la zone franche réalisé en 1999 faisait apparaître que celle-ci avait permis de préserver des entreprises et des emplois, mais qu'il était difficile de distinguer entre l'effet de la zone franche elle-même et l'impact de la bonne conjoncture économique. Elle a souligné que la croissance en Corse avait été de 25 % entre 1995 et 2000 contre 19 % pour l'ensemble de la France, et que l'écart en termes de produit intérieur brut par habitant s'était résorbé. Elle a considéré que le projet de loi constituait une occasion de passer d'un système de confortation des entreprises à un système, complémentaire du précédent, d'encouragement du développement des entreprises. Elle a souligné qu'il était impossible de conjuguer les deux dispositifs, car le maintien d'une exonération générale réduirait le caractère incitatif du crédit d'impôt. Elle a insisté sur les limites de la comparaison entre les mesures proposées pour la sortie du régime des zones franches urbaines avec celles proposées s'agissant de la zone franche de Corse.

Répondant à M. Patrice Gélard qui s'inquiétait notamment de la compatibilité du dispositif proposé avec les dispositions organiques relatives au vote des lois de finances, Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget, a indiqué que les compétences transférées par le projet de loi seraient compensées dans les conditions du droit commun en matière de transfert de compétences.

M. Paul Natali a douté de l'intérêt pour les entreprises continentales de venir investir en Corse du fait de la menace que constituait pour ces dernières le racket par les organisations nationalistes. Dans ces conditions, il a jugé que le développement de la Corse ne pourrait être assuré que par les entreprises locales. Il a insisté sur la nécessité d'aider les entreprises afin que la Corse ne vive plus uniquement grâce à l'argent public, et que les jeunes diplômés ne soient plus prioritairement attirés par les emplois publics. Il a regretté que le secteur du BTP ait été exclu alors même qu'il constituait la seule activité en Corse pouvant être considérée comme industrielle.

M. Paul Natali a estimé que la sortie de la zone franche sans mesure d'accompagnement serait très défavorable à la santé financière des entreprises. Il a regretté que les membres de l'assemblée de Corse n'aient pas proposé un dispositif fiscal moins frileux.

Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget, a justifié l'exclusion du BTP en raison des contraintes résultant du droit communautaire. Elle a fait valoir que le dispositif constituait un pari collectif sur la réussite. Elle a par ailleurs rappelé que l'exonération de taxe professionnelle proposée par le projet de loi était une exonération générale, qui n'était pas réservée à certains secteurs d'activité.

Audition de M. Jack Lang, ministre de l'éducation nationale

Puis la commission spéciale a procédé à l'audition de M. Jack Lang, ministre de l'éducation nationale.

M. Jack Lang a tout d'abord déclaré que la politique nationale des langues et cultures régionales et la politique menée en Corse en faveur de la langue et de la culture corses s'inscrivaient dans une démarche qui remontait à deux décennies et avait fait l'objet d'un plan d'ensemble. Ce plan, qui tend à reconnaître le droit d'apprendre ces langues dans toutes les régions de France, de la Bretagne à l'Alsace, s'accompagne de la conclusion d'accords financiers avec les collectivités locales qui apportent des financements importants pour sa mise en oeuvre. Cette politique, a-t-il ajouté, procède de la volonté d'encourager la diversité linguistique, y compris grâce à l'enseignement des langues anciennes.

Evoquant la situation de l'enseignement en Corse, le ministre de l'éducation nationale a rappelé que, dans l'île, le nombre des élèves du premier degré s'élevait à 25.000, que ceux du second degré étaient 22.000, tandis que le total des étudiants atteignait 3.900.

En ce qui concerne l'enseignement de la langue corse à l'école primaire, a-t-il précisé, il est prévu de le généraliser à l'ensemble des 240 classes, afin que chacune bénéficie d'un horaire minimum d'une heure et demie par semaine. Compte tenu du manque d'enseignants, a déclaré le ministre, on a procédé au recrutement de 20 équivalents temps plein correspondant à des emplois de contractuels. Des actions seront également menées dans le cadre de la formation des maîtres et un concours spécial de professeurs des écoles sera organisé en 2002, afin de disposer d'un « vivier » d'enseignants qualifiés.

Dans le secondaire, l'enseignement du corse sera étendu aux classes de quatrième, dans les collèges où il est d'ores et déjà enseigné en cinquième et en sixième, l'objectif étant, à terme, qu'il existe un site d'enseignement bilingue dans chaque circonscription de collège.

La politique volontariste de reconnaissance des langues régionales est, a déclaré le ministre, parfaitement compatible avec l'enseignement du Français qui constitue « l'épine dorsale et la clé de voûte » du système éducatif français. Il ne saurait, a-t-il souligné, y avoir de malentendus sur la priorité que constitue l'enseignement de la langue nationale. A ce titre, a ajouté M. Jack Lang, diverses initiatives sont prises pour faire face aux difficultés rencontrées par les enfants, dès l'école maternelle, dans l'apprentissage du français.

Evoquant les modalités de l'enseignement du corse prévu par le texte de loi, le ministre a souligné qu'il n'était pas question d'imposer celui-ci à qui que ce soit, la liberté de choix de l'apprentissage d'une langue devant prévaloir en Corse comme sur le reste du territoire national, tout en observant que les enfants étaient dotés de possibilités immenses au plan linguistique, que des travaux scientifiques ont mises en évidence.

Répondant à une question de M. Jacques Larché, président, sur les modalités de l'enseignement dans les écoles bilingues, M. Jack Lang a déclaré que celui-ci consistait en un enseignement renforcé dans une langue autre que le Français, qui peut être une langue étrangère ou régionale, et dans l'enseignement de certaines disciplines dans ces langues.

M. Jacques Larché, président, s'est interrogé sur l'utilité d'instituer un enseignement de la langue corse dans les écoles où, à l'instar d'un établissement visité par la délégation qui s'est rendue en Corse en septembre dernier, nul ne la réclame. Puis il a constaté que la formulation retenue par l'Assemblée nationale, s'agissant de l'enseignement de la langue corse, était plus contraignante que celle refusée par le Conseil d'Etat.

M. Paul Girod, rapporteur, a fait part des questions que lui inspirait :

- l'article 7 dont l'utilité n'était pas démontrée, qui, bien qu'il ait fait l'objet d'un avis défavorable du Conseil d'Etat, renforçait le caractère contraignant de l'enseignement du corse et qui nécessiterait d'être explicité par le Conseil constitutionnel ;

- le manque de professeurs de langue corse (d'autant qu'il semblait que cette langue ne soit pas totalement unifiée).

M. Patrice Gélard a demandé au ministre si l'enseignement du corse s'ajouterait à l'horaire normal d'enseignement du primaire et s'il se substituerait à celui d'une langue étrangère.

Souscrivant au dessein de sauvegarder la diversité des cultures régionales qui fonde l'unité nationale, M. Lucien Lanier s'est interrogé sur l'unicité de la langue corse avant de souligner la nécessité de préserver la liberté de choix des parents dans l'île, d'autant que la langue pourrait être utilement apprise au sein des familles.

Approuvant la politique de préservation de la diversité linguistique, Mme Hélène Luc a souligné que l'apprentissage du corse à l'école n'empêchait nullement celui d'autres langues et qu'il complétait l'utilisation de cette langue au sein des familles. Puis elle s'est interrogée sur la nécessité de légiférer sur ce sujet.

M. Jean-Paul Virapoullé a fait part des observations que lui inspirait le texte. Il s'est en particulier interrogé sur :

- la situation de l'intégration des jeunes de Corse dans le système éducatif (notamment en ce qui concerne les efforts pour prévenir l'échec scolaire dès l'école maternelle, et pour dispenser un « enseignement personnalisé » qui limite l'absentéisme au collège) ;

- la diversification des formations offertes aux étudiants diplômés en Corse ;

- l'existence d'un éventuel conflit entre une « culture de l'identité » et la liberté de choix des familles, observant qu'à La Réunion, une majorité d'entre elles refusait la généralisation de l'enseignement du créole à l'école et faisant valoir que ce serait néanmoins une faute de ne pas le proposer car il constituait un facteur d'intégration ;

- le fait que la liberté de choix n'était pas garantie par le texte adopté par l'Assemblée nationale.

Répondant à M. Jacques Larché, président, qui s'interrogeait sur l'intérêt de l'enseignement du corse et sur l'opportunité d'une disposition législative contraignante, M. Jack Lang a estimé que l'enseignement de la langue corse s'intégrait dans la volonté de préserver les langues romanes, telles que l'occitan, le catalan, l'italien ou le latin, en en pérennisant l'enseignement. Il a estimé que l'enseignement d'une langue régionale constituait une source d'enrichissement.

En ce qui concerne les professeurs des écoles qui choisiraient de passer les épreuves de langue corse du concours, il a souligné que rien ne les empêcherait d'exercer ultérieurement leur activité sur le continent.

Répondant à une autre question de M. Jacques Larché, président, qui s'inquiétait du contenu des épreuves du certificat d'aptitude à l'enseignement secondaire (CAPES) de langue corse, organisées exclusivement dans cette langue, le ministre est convenu qu'il était souhaitable de s'interroger sur le contenu de ces épreuves.

Evoquant enfin l'opportunité d'inscrire le principe de l'enseignement du corse dans la loi, le ministre a observé que la démarche en cours montrait que l'on pourrait, certes, se passer d'une autorisation législative, mais qu'une telle disposition attesterait la reconnaissance, par le Parlement, de la langue et de la culture corses, la loi ayant, sur ce point, valeur de proclamation. Il a ajouté que le refus d'une telle solution constituerait une faute psychologique et politique.

Audition de M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur

La commission spéciale a enfin procédé à l'audition de M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur.

Le ministre a rappelé qu'il avait déjà eu l'occasion l'année précédente d'exposer devant la commission des lois les grandes lignes du projet de loi qui était alors en préparation et s'est félicité de pouvoir confirmer les deux constats qu'il avait alors pu présenter : la situation économique et sociale de la Corse s'améliore malgré la persistance de freins et de handicaps structurels ; l'action des services de l'Etat en Corse pour assurer l'application de la loi républicaine ne se relâche pas. Il a insisté à ce propos sur le caractère complémentaire de l'application de la loi et de l'octroi de nouvelles responsabilités aux élus de Corse, qui sont les deux versants du processus de Matignon.

M. Daniel Vaillant a ensuite rappelé les différentes étapes de l'élaboration du projet de loi dont il a souligné le caractère très positif : soutien très majoritaire apporté par l'Assemblée de Corse, le 8 décembre 2000, aux orientations du texte ; finalisation par le Gouvernement d'un dispositif soucieux du respect de ses engagements et des impératifs constitutionnels ; adoption du projet de loi par l'Assemblée nationale en première lecture par un vote qui a rassemblé au-delà de la seule majorité gouvernementale ; enfin dépôt de ce texte devant le Sénat dont il a salué la volonté d'aborder le texte au fond et d'appréhender la question corse dans tous ses aspects en déléguant une mission d'information qui s'est rendue sur place pour rencontrer les différents acteurs.

Puis M. Daniel Vaillant a souhaité présenter le point de vue du Gouvernement sur l'évolution récente du contexte et plus particulièrement sur la question de la violence, les déclarations de certains mouvements et la perception qu'il a des attentes des élus de Corse et des Corses.

Estimant que les chiffres des attentats, homicides et tentatives n'étaient plus ceux que l'on a connus au cours des 25 dernières années, il a cependant reconnu que la violence n'avait cependant pas cessé.

Il a relevé que les enquêtes abouties établissaient que l'essentiel des homicides et attentats commis ces derniers mois relevaient du banditisme de droit commun, alors que les enquêtes en cours ne permettaient pas encore de qualifier les assassinats les plus récents.

Il a affirmé que l'Etat ne restait pas inerte face à cette situation et que les services chargés de la sécurité dans l'île avaient pour seule consigne de présenter à la justice toutes les personnes que celle-ci recherchait. Il s'est félicité de ce que, dans des conditions d'enquêtes parfois difficiles, les services de l'Etat pouvaient faire valoir des résultats en amélioration et des taux d'élucidation qui progressaient. Il a souligné que ces services travaillaient maintenant en Corse dans une cohésion et une confiance réciproque qui avaient souvent manqué dans le passé et que les rapports qu'ils entretenaient avec la justice étaient marqués d'une même évolution positive.

Il a rappelé l'attachement du Premier ministre et du Gouvernement à faire prévaloir la légalité républicaine en Corse, jugeant particulièrement inadmissible la violence qui s'en prend aux fonctionnaires de l'Etat, auxquels il a témoigné le plus total soutien du Gouvernement. Contrairement à ceux qui voient dans la persistance de cette violence une raison pour interrompre la démarche en cours, il a estimé que le processus n'avait jamais garanti le retour de la paix civile, mais avait tracé une perspective pour mettre fin à la violence politique et faire prévaloir le débat politique par les seules voies démocratiques.

Le ministre a ensuite rappelé que certains, dans la mouvance nationaliste, avaient suspendu leur soutien au processus, sans pour autant en demander l'interruption.

Tout en se déclarant attentif à ces déclarations, il a rappelé que pour le Gouvernement, l'Assemblée de Corse était l'instance privilégiée pour ce dialogue engagé maintenant depuis bientôt deux ans.

Soucieux de maintenir celui-ci, il a indiqué qu'il se rendrait en Corse en fin de semaine pour confirmer la détermination du Gouvernement à mener cette démarche à son terme, et pour faire préciser par les élus l'état de leurs réflexions et de leurs attentes.

Abordant ensuite le projet de loi, M. Daniel Vaillant a indiqué qu'il répondait à une triple préoccupation directement tirée du relevé de conclusions du 20 juillet : mieux prendre en compte les spécificités de la Corse dans la République et les enseignements tirés de l'application de son statut particulier, clarifier les responsabilités dans la gestion des affaires de l'île, favoriser son développement économique et social.

Il a estimé que les dispositions relatives au régime juridique des actes de l'Assemblée de Corse se situaient dans le prolongement de spécificités déjà reconnues dans le statut de 1991 et que les articles 1 et 2 du projet de loi devaient être appréciés au regard des engagements du Gouvernement et dans le cadre constitutionnel existant, comme le savent les élus de Corse, depuis l'engagement des discussions.

M. Daniel Vaillant indiqué que reprenant en partie les dispositions de l'article 26 de la loi de 1991, l'article premier s'attachait à renforcer les compétences de la collectivité dans l'adaptation des normes, dans le double respect des compétences réglementaires du Premier ministre et du rôle souverain du Parlement pour faire la loi.

Evoquant le problème de la modification et de l'adaptation des normes réglementaires, il a rappelé qu'il appartenait au législateur de fixer, au cas par cas, le partage entre le renvoi à des mesures d'application prises par le Gouvernement et des mesures d'application décentralisées, dans le respect des prérogatives du Premier ministre.

Il a estimé que le projet de loi, en étendant, dans plusieurs articles, les compétences de la collectivité territoriale, élargissait par là-même, comme pour toute collectivité régie par les dispositions de l'article 72 de la Constitution, son pouvoir de fixer les règles nécessaires à l'exercice de cette compétence.

Le ministre a ajouté que certains articles du projet de loi, comme les articles 12 relatif à l'urbanisme, et 17 relatif à l'aide au développement économique, conféraient cette compétence, sans que la loi prévoie l'intervention préalable d'un décret, en s'inspirant du précédent de l'article L. 4424-20 du code général des collectivités territoriales relatif aux aides économique, le Conseil d'Etat ayant jugé alors inutile l'intervention préalable d'un décret.

Enfin, il a noté que l'article 1er permettait à la collectivité territoriale de solliciter l'extension ultérieure de ses compétences et de sa compétence réglementaire.

Passant à l'examen du problème posé par l'adaptation de dispositions législatives, M. Daniel Vaillant a souligné que le projet de loi n'avait pas pour objet d'octroyer une compétence législative à l'Assemblée de Corse, mais de définir une procédure qui permettrait de mettre en oeuvre une expérimentation autorisée par le seul Parlement, sous son contrôle et dans les formes qu'il aurait fixées : ainsi, le Parlement demeurera-t-il maître de sa décision comme l'a rappelé le Conseil Constitutionnel dans sa décision de juillet 1993, dont le projet de loi reprend les termes mêmes. Il a jugé que seule une réforme de la Constitution permettrait une évolution plus notable.

Le ministre a ensuite examiné les compétences de la collectivité territoriale. Il a indiqué que les articles 4 à 29 avaient pour objet soit de préciser et clarifier des compétences que la collectivité exerce depuis 1991 soit, plus souvent, de compléter le champ des compétences qui lui sont attribuées, dans le souci de renforcer le statut particulier de la collectivité territoriale et de clarifier l'exercice des responsabilités dans la gestion des affaires de l'île.

M. Daniel Vaillant a estimé que l'article 7 relatif à la langue corse était maintenant bien compris comme proposant une offre généralisée de l'enseignement de la langue corse et non un apprentissage obligatoire pour chacun des élèves.

Il l'a jugé particulièrement nécessaire, moins au regard de sa portée normative que par sa valeur de reconnaissance d'un engagement clair pris par l'Etat sur un sujet qui recueille le soutien unanime de tous les élus de Corse.

Il a ensuite reconnu que l'article 12 relatif à l'aménagement de l'espace, à l'urbanisme et à l'adaptation de la loi littoral suscitait des débats en Corse même, ce qu'il a jugé naturel compte tenu de l'intérêt des questions d'urbanisme.

Même si une lecture attentive de ce texte montre qu'il interdit tout excès, il a cependant indiqué que le Gouvernement restait toujours disposé, dans le souci de conforter une attitude consensuelle, à accepter des adaptations ou des modifications lors du débat au Sénat.

Evoquant l'esprit du dispositif fiscal, M. Daniel Vaillant a indiqué qu'il avait pour objet de réorienter le soutien à l'investissement, tout en ménageant une transition indispensable pour ne pas fragiliser un tissu d'entreprises encore fragiles ; et d'assurer un retour au droit commun de la fiscalité des successions dans des conditions techniquement aménagées.

Il a rappelé que la durée du dispositif transitoire prévue pour ce retour au droit commun, ramenée par l'Assemblée nationale à 12 années, avait pour objectif de permettre la sortie d'une situation vieille de deux siècles sans prendre le risque de susciter l'incompréhension de la population de Corse.

Abordant pour finir le programme exceptionnel d'investissement, M. Daniel Vaillant a rappelé que le projet de loi n'en posait que le principe, laissant ainsi de la marge à la concertation avec l'ensemble des collectivités concernées. Il a insisté sur le fait que celui-ci devait ne retenir que les opérations les plus structurantes et s'attacher à définir les conditions de sa réalisation effective.

Enfin, le ministre a exprimé l'engagement du Gouvernement à mettre en adéquation les transferts de moyens et de ressources avec le transfert de compétences, et à en rendre compte chaque année au Parlement.

Il a déclaré que le Gouvernement restait disponible pour améliorer ce texte, tout en souhaitant que son examen soit achevé, autant que possible, avant la fin de l'année.

M. Paul Girod, rapporteur, a interrogé le ministre sur les raisons qui conduisaient le Gouvernement à inscrire dans le projet de loi un pouvoir d'adaptation des lois au bénéfice de la collectivité territoriale de Corse, alors qu'il n'avait donné qu'un avis de sagesse à l'adoption de la proposition de loi constitutionnelle tendant à introduire, dans la Constitution, un droit à l'expérimentation pour les collectivités territoriales. Rappelant les bornes étroites que la jurisprudence du Conseil constitutionnel posait à l'habilitation donnée par le législateur à des autorités autres que le Premier ministre en matière de fixation des normes, il s'est inquiété de la segmentation du pouvoir réglementaire auquel se livrait le projet de loi. Il a également regretté les interférences provoquées par la discussion prochaine du projet de loi sur la démocratie de proximité.

Le rapporteur a douté que la rédaction actuelle de l'article 7, relatif à la langue corse, soit dépourvue d'ambiguïtés, estimant que le caractère facultatif de cet enseignement était subordonné à la confirmation qu'en donnerait le cas échéant, le Conseil constitutionnel. Enfin, il a souligné les difficultés soulevées par la rédaction de l'article 12 relatif à l'aménagement de l'espace, à l'urbanisme et l'adaptation de la loi littoral.

M. Patrice Gélard a qualifié le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale de magnifique exercice de réflexion juridique, qui, partant d'un texte anticonstitutionnel, était parvenu à un dispositif intéressant, mais peu convaincant. Il a rappelé que, si le législateur pouvait être dégagé d'une part de sa responsabilité en matière législative, cela ne pouvait être que dans les cas prévus par les articles 38 et 16 de la Constitution ; quant au Premier ministre, il ne peut déléguer son pouvoir réglementaire que sous le contrôle du Conseil d'Etat et dans des bornes étroites.

Il a rapproché le dispositif prévu par le paragraphe V de l'article 1er aux dispositifs en vigueur en Nouvelle-Calédonie ou en Polynésie, qui sont des collectivités particulières, rattachées à la République par des liens de nature quasi-fédérale, et qui ne sauraient servir de modèle pour la Corse.

M. Adrien Gouteyron a interrogé le ministre sur l'origine de cette disposition, souhaitant savoir si elle provenait d'une demande formulée par l'Assemblée de Corse ou d'une initiative gouvernementale et estimant qu'elle contribuait à charger inutilement le texte.

M. Lucien Lanier a regretté que le projet de loi n'ait abordé le problème corse qu'intrinsèquement, et sans le situer dans le contexte global de la Nation, au risque d'engendrer de nombreuses équivoques dont il a craint qu'elles ne conduisent, au rebours des intentions affichées par le projet de loi, à isoler la Corse sur elle-même et à la replier sur sa langue et sur ses problèmes. Regrettant que le Gouvernement ait préféré consulter les élus, pour se dispenser de consulter la population corse, il a noté cependant qu'au sein même des élus commençaient à apparaître des divergences de vues. Il s'est en outre déclaré convaincu que le projet de loi produirait des interférences avec les tensions existant dans d'autres régions.

M. Jean-Paul Virapoullé a estimé que le projet de loi constituait un texte de compromis, élaboré dans une situation conflictuelle. Partisan d'une autre approche, celle du rétablissement de l'Etat de droit, il a souhaité que l'alternative puisse être présentée aux Corses, à l'occasion d'une consultation. Il a exprimé la crainte que, de dérives en dérives, le remède proposé n'empire encore le mal.

M. Jacques Larché, président, a rappelé que le Sénat était à l'origine des lois de pays, inventées à l'intention de la Nouvelle-Calédonie, mais qui n'étaient pas transposables au cas de la Corse. Il a néanmoins fait valoir que les collectivités locales devaient pouvoir disposer des moyens juridiques d'exercer leurs compétences.

M. Patrice Gélard a remarqué que si les lois de décentralisation ont opéré des transferts de compétences, elles n'ont, en revanche, pas transféré le pouvoir réglementaire.

M. Jacques Larché, président, a estimé que l'Assemblée nationale avait pris conscience du caractère anticonstitutionnel du dispositif qui lui était proposé et avait accompli un important effort pour parvenir à un dispositif d'une constitutionnalité acceptable. Il a cependant noté que le dispositif consentait à l'Assemblée de Corse, sur habilitation du Parlement, un pouvoir normatif d'une portée très générale, que l'on ne pouvait comparer à aucun des dispositifs déjà examinés par le Conseil constitutionnel.

M. Maurice Ulrich a considéré que l'article premier constituait non le prolongement, mais plutôt une rupture par rapport à l'article 26 du précédent statut, dans la mesure où il se traduisait par des innovations constitutionnelles importantes, par la dévolution de compétences en matière réglementaire, et par un pouvoir de proposition en matière d'adaptation des lois et règlements. Il a indiqué qu'il avait retiré des auditions le sentiment que personne ne tenait plus véritablement à ce dispositif, et s'est interrogé sur l'opportunité d'engager des innovations de cette nature à l'occasion de la discussion du projet de loi sur la Corse, alors qu'elles méritaient d'être traitées d'une façon plus générale.

M. Michel Mercier a demandé des précisions sur le sens et la portée du paragraphe II et IV de l'article premier, prévoyant respectivement un pouvoir d'adaptation réglementaire et législative.

M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur, a donné aux différents intervenants les éclaircissements suivants :

- le projet de loi répond d'abord à une démarche politique, conduite dans un contexte particulier, que le Gouvernement n'avait pas sollicité ;

- la proposition de loi constitutionnelle déposée par M. Pierre Méhaignerie va beaucoup plus loin que le projet de loi sur la Corse qui, lui, reste dans le cadre actuel de la Constitution ;

- la concomitance de la discussion du projet de loi sur la démocratie de proximité entraînera inévitablement des influences mutuelles, mais il convient de ne pas perdre de vue la spécificité de la Corse, et de ne pas la considérer comme un laboratoire de réformes que l'on pourrait ensuite généraliser ;

- suivant la recommandation formulée par le Conseil d'Etat, c'est à l'occasion de chaque transfert de compétences qu'il est prévu un pouvoir réglementaire de la collectivité territoriale de Corse ;

- la décision rendue par le Conseil constitutionnel sur la loi relative aux établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel, a tracé la voie de l'expérimentation législative, et c'est sur le fondement de cette décision que le Gouvernement a rédigé le paragraphe IV de l'article premier ;

- le Parlement peut, sur le fondement de l'article 72 de la Constitution, conférer aux collectivités locales un pouvoir réglementaire pour l'exercice de leurs compétences ;

- les discussions avec les élus de l'Assemblée de Corse ont été menées dans la transparence, et le projet de loi reprend les suggestions du relevé de conclusions qui a été approuvé par 44 voix sur 51 ; c'est le cas, en particulier, de la disposition de l'article 7 relative à la langue corse ;

- l'objet du projet de loi n'est pas d'enfermer la Corse sur elle-même, mais de l'enraciner dans la République ;

- l'article premier se situe dans l'esprit de l'article 26 du précédent statut et maintient un contrôle du Parlement ; il fait partie d'un texte de décentralisation dont l'objet est de permettre l'exercice des responsabilités, sur place, par les élus du suffrage universel responsables devant leurs électeurs, et qui constitue un tout difficile à morceler.

Jeudi 25 octobre 2001

- Présidence de M. Jacques Larché, président.

Audition de M. Jean-Claude Guazzelli, président de l'agence de développement économique de la Corse (ADEC)

La commission spéciale a procédé à l'audition de M. Jean-Claude Guazzelli, président de l'agence de développement économique de la Corse (ADEC).

M. Jean-Claude Guazzelli a considéré que les aspects les plus importants du projet de loi relatif à la Corse étaient les aspects ayant trait au développement économique, dont l'entrée en vigueur est prévue pour 2002. Il a estimé que les dispositions relatives au renforcement des pouvoirs de la collectivité territoriale de Corse permettraient, dans une deuxième étape, de consolider le processus de développement.

M. Jean-Claude Guazzelli a jugé qu'il n'existait pas véritablement d'économie en Corse, celle-ci n'étant pas en mesure de résister aux périodes de ralentissement de l'activité et de profiter des améliorations de la conjoncture. Il a indiqué que la moitié des entreprises corses n'avaient aucun salarié et que 96 % avaient moins de 10 salariés. Il a souligné la forte densité artisanale du tissu économique de l'île, avec 236 artisans pour 10.000 habitants, contre 138 en moyenne nationale. Il a ajouté qu'il y avait en Corse deux fois plus d'entreprises de plus de 10 salariés que dans la moyenne nationale et que l'industrie représentait 7 % de la valeur ajoutée produite, contre 22 % en moyenne nationale.

Il a insisté sur la nécessité de créer les conditions d'un développement économique qui ne profiterait pas au seul littoral de la Corse, afin de ne pas accroître l'écart déjà important avec les régions de l'intérieur. Il a jugé nécessaire de valoriser les atouts du milieu rural.

M. Jean-Claude Guazzelli a expliqué que le processus dit « de Matignon » avait commencé alors que la collectivité territoriale de Corse mettait déjà en oeuvre une politique de réévaluation et de réorientation de ses moyens, caractérisée par l'adoption d'une logique de projet en matière d'interventions économiques, de soutien au milieu rural, de développement des nouvelles technologies dans une perspective d'aménagement du territoire, et de mise en place de partenariats pour faciliter le financement de l'économie.

M. Jean-Claude Guazzelli a évoqué le dispositif proposé par le projet de loi relatif à la Corse en matière de fiscalité des successions pour le juger satisfaisant, et pour préciser qu'il était nécessaire, en cette matière, de prendre garde aux risques constitutionnels qui résulteraient d'un éventuel maintien de la situation actuelle. Il a signalé que l'avenir de la fiscalité indirecte en Corse dépendait surtout des négociations entre le Gouvernement et la Commission européenne.

Abordant les dispositions du projet de loi relatif à la Corse concernant l'aide fiscale à l'investissement, il a déclaré que les élus corses avaient proposé dès l'origine au Gouvernement de passer d'un régime de soutien à l'entreprise à celui d'un soutien à l'investissement. Il s'est dit déçu du texte proposé par le projet de loi en cette matière.

M. Jean-Claude Guazzelli a estimé que l'éligibilité au crédit d'impôt ne devait pas être réservée à certains secteurs privilégiés, mais accordée à l'ensemble des secteurs d'activité, les secteurs privilégiés se voyant attribuer un régime plus favorable que les autres. Il a préconisé de porter le taux du crédit d'impôt à 25 ou 30 % pour les secteurs privilégiés, et de l'instituer à 15 ou 20 % pour les autres secteurs.

Il a estimé que le mécanisme prévu n'était pas réellement un crédit d'impôt car le remboursement de la créance sur le Trésor public ne pouvait intervenir qu'après dix années. Il s'est en revanche déclaré favorable au plafonnement du montant du remboursement à 300.000 euros et à 50 % du montant du crédit d'impôt. Il a proposé de ramener le délai de remboursement à cinq ans, afin de permettre aux entreprises de renforcer leur fonds propres.

M. Jean-Claude Guazzelli a jugé que l'éligibilité au crédit d'impôt du seul secteur de l'hôtellerie n'était pas susceptible d'encourager le secteur du tourisme. Il a estimé indispensable de rendre le secteur des bâtiments et travaux publics éligible, afin de permettre aux entreprises corses d'avoir accès aux marchés qui résulteront de la mise en oeuvre du programme exceptionnel d'investissement. Il a ajouté qu'il était nécessaire d'aider également les services d'ingénierie.

M. Jean-Claude Guazzelli a regretté que le dispositif de sortie de la zone franche ne concerne que la taxe professionnelle, et écarte l'impôt sur les sociétés, l'impôt sur le revenu et les charges sociales.

Il n'a pas jugé pertinent de limiter à cinq années l'exonération de taxe professionnelle et a proposé d'aligner sa durée sur celle du crédit d'impôt, c'est-à-dire dix ans.

Il a considéré que les ajustements au projet de loi qu'il proposait étaient limités qualitativement, en ce qu'ils ne remettaient pas en cause la logique du dispositif, et quantitativement, considérant que le coût du dispositif serait limité au cours de ses premières années d'application.

M. Jacques Larché, président, a estimé que l'approche développée par M. Jean-Claude Guazzelli, centrée sur le développement économique, était pertinente et qu'elle pouvait susciter des modifications de nature à améliorer le dispositif proposé.

M. Paul Girod, rapporteur, a demandé s'il était exact que, compte tenu de la réglementation communautaire, il n'était pas possible d'aller au delà du taux de 20 % proposé pour le crédit d'impôt. Il s'est interrogé sur la possibilité, pour le tissu économique corse, d'absorber la dépense publique qui résultera de la mise en oeuvre du programme exceptionnel d'investissement.

M. Philippe Marini, a approuvé la logique du crédit d'impôt, qui fait appel à l'esprit de responsabilité des entrepreneurs. Il a estimé que le régime de la zone franche était plus lisible que celui du crédit d'impôt, et que seuls des systèmes simples étaient susceptibles d'attirer les chefs d'entreprise. Il a demandé quels étaient les aspects du projet de loi à modifier prioritairement.

M. Jean-Claude Guazzelli a reconnu que les contraintes communautaires l'avaient conduit à renoncer à demander un taux de crédit d'impôt de 50 %. Il a cependant considéré qu'une négociation avec les autorités communautaires pourrait permettre de retenir un taux de 30 %. Il a ajouté que, en admettant que le taux de 20 % doive être considéré comme un taux plafond, cela n'enlevait rien à l'utilité de mettre en place un taux réduit pour l'ensemble des secteurs d'activité. Il a expliqué que la position consistant à réserver l'avantage aux entreprises qui investissent ne devait pas s'accompagner d'une réduction trop importante du champ des entreprises éligibles.

Il a constaté que le tissu économique corse était limité en matière d'entreprises susceptibles de bénéficier des retombées du crédit d'impôt. Il a jugé essentiel de revenir sur le délai de dix ans pour le remboursement du crédit d'impôt et de prévoir des modalités convenables pour la sortie du régime de la zone franche.

Répondant à M. Maurice Ulrich qui l'interrogeait sur l'opportunité de supprimer les offices, M. Jean-Claude Guazzelli a regretté l'absence de définition d'un pouvoir de tutelle sur ces établissement publics et un régime juridique qui leur conférait une autonomie presque totale avec notamment des conseils d'administration composés à parité avec les représentants socio-professionnels. Il a considéré qu'il convenait d'identifier les offices dont l'existence répondait à un besoin, n'écartant pas la possibilité de supprimer les autres, l'office des transports par exemple.

Il a jugé indispensable de parier sur la capacité de l'assemblée de Corse à supprimer certains offices et d'en assumer la responsabilité politique.

M. Jean-François Picheral a demandé si M. Jean-Claude Guazzelli était prêt à accepter un contrôle politique renforcé sur les offices.

M. Jean-Claude Guazzelli a considéré qu'il était regrettable que le président du conseil exécutif de Corse n'ait pas la possibilité de s'opposer à une délibération du conseil d'administration d'un office. Il ne s'est pas opposé à l'inscription dans la loi d'un tel pouvoir, mais a estimé que l'Assemblée de Corse devait être en mesure de supprimer un office, de le conserver ou de changer son statut juridique. Il a souligné que le statut d'établissement public industriel et commercial était particulièrement mal adapté.

Audition de Mme Marie-Dominique Roustan-Lanfranchi, présidente, MM. Ange-Marie Coltelloni, délégué régional à Paris, et Jérôme Pozzo di Borgo, responsable de la « section jeunes » de l'Association pour la défense des droits de la Corse dans la République

Puis la commission spéciale a entendu Mme Marie-Dominique Roustan-Lanfranchi, présidente, MM. Ange-Marie Coltelloni, délégué régional à Paris, et Jérôme Pozzo di Borgo, responsable de la « section jeunes » de l'Association pour la défense des droits de la Corse dans la République.

Mme Marie-Dominique Roustan-Lanfranchi a remercié la commission spéciale du Sénat d'avoir accepté de recevoir des représentants de l'Association pour la défense des droits de la Corse dans la République, regrettant de ne pas avoir pu s'exprimer devant la commission des lois de l'Assemblée nationale, sans doute en raison de l'opposition de l'association au processus de Matignon.

Elle a indiqué que l'Association pour la défense des droits de la Corse dans la République jugeait inacceptables trois dispositions du projet de loi relatif à la Corse, le transfert du pouvoir législatif, le transfert du pouvoir réglementaire et l'obligation d'enseigner la langue corse à l'école, car elles constituaient les prémisses d'une évolution vers l'indépendance de l'île.

Mme Marie-Dominique Roustan-Lanfranchi a estimé que le problème majeur de la Corse, c'est-à-dire la violence, ne trouverait pas de solution dans l'élaboration d'un troisième statut, mais dans l'application des lois de la République.

Elle a observé que nul n'était en mesure de faire état d'une autre spécificité de la Corse que son insularité. Elle a estimé que cette dernière ne nécessitait pas d'autre réponse que des mesures destinées à assurer la continuité territoriale, c'est-à-dire la possibilité de faire les trajets entre le continent et l'île à un coût supportable, et à favoriser le développement économique local. A cet égard, elle s'est interrogée sur l'utilisation des fonds publics faite en Corse qu'avait déjà critiquée le rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale présidée par M. Jean Glavany.

Mme Marie-Dominique Roustan-Lanfranchi a dénoncé tout à la fois le climat de terreur qui régnait actuellement dans l'île, le sentiment de lassitude et d'abandon de la population, renforcés par l'impunité dont bénéficiaient les fauteurs de troubles en raison, notamment, des différentes lois d'amnistie, ainsi que la gangrène de la presse locale par les idées nationalistes.

Après avoir souligné que l'Assemblée territoriale de Corse n'avait aucun mandat pour négocier une réforme institutionnelle, elle s'est opposée à tout transfert supplémentaire de responsabilités à des élus locaux, qui n'avaient pas su assurer le développement de l'île et qui, en définitive, servaient les intérêts de groupes politiques qui ne constituaient que la vitrine légale de mouvements armés clandestins.

Mme Marie-Dominique Roustan-Lanfranchi a exprimé la crainte que le processus de Matignon, en cédant aux revendications exprimées par la violence, n'encourage les mouvements séparatistes présents dans les autres régions françaises et n'ouvre la voie à un éclatement de l'unité nationale.

M. Ange-Marie Coltelloni a lui aussi insisté sur le sentiment de peur qui régnait actuellement en Corse, en soulignant que les gens n'acceptaient désormais de parler librement qu'en petit comité.

M. Ange-Marie Coltelloni s'est opposé à l'adoption de l'article premier du projet de loi relatif à la Corse, qui constituerait un premier pas vers l'indépendance de l'île.

Citant des déclarations parues dans la presse,Mme Marie-Dominique Roustan-Lanfranchi a indiqué que l'adoption de ce projet de loi n'aurait pour seul effet que de provoquer une surenchère de la part des mouvements nationalistes. Elle a proposé que soit insérée dans le projet de loi une « clause » aux termes de laquelle le droit commun des régions serait appliqué en cas de maintien de la violence en Corse.

M. Ange-Marie Coltelloni s'est opposé à l'enseignement obligatoire de la langue corse, en soulignant qu'elle ne constituait qu'un sous-dialecte du toscan, différent selon les régions de l'île et écrit depuis un siècle seulement, et qu'elle avait toujours été transmise oralement dans les familles, et non à l'école. A cet égard, il a réfuté les propos tenus par M. Jack Lang selon qui 70 % des parents parleraient à leurs enfants en corse, alors que cette proportion n'excèderait sans doute pas 25 %.

M. Jérôme Pozzo di Borgo a précisé que l'obligation d'enseigner le corse à l'école constituerait le premier pas vers la reconnaissance de son caractère de langue officielle et administrative. Il a souligné que cette obligation tendait à la « corsisation » des emplois.

M. Jacques Larché, président, a souhaité savoir si l'Association pour la défense des droits de la Corse dans la République attendait du Sénat qu'il rejette purement et simplement le projet de loi relatif à la Corse.

Mme Marie-Dominique Roustan-Lanfranchi lui a répondu que l'association s'en réjouirait, dans la mesure où elle s'oppose catégoriquement aux évolutions institutionnelles envisagées dans le projet de loi et s'interroge sur les conditions d'un nouveau transfert de fonds publics. Elle a plaidé pour une éradication de la violence, l'application des lois de la République et un contrôle de l'utilisation des fonds publics.

En réponse à M. Jean-François Picheral, Mme Marie-Dominique Roustan-Lanfranchi a précisé que l'association qu'elle préside comptait 3.000 adhérents.

M. Ange-Marie Coltelloni a de nouveau dénoncé le climat de peur existant en Corse et réaffirmé l'attachement profond des Corses à la France.

M. Jérôme Pozzo di Borgo a souligné que le rejet du projet de loi était indispensable non seulement pour la Corse mais aussi pour la France dans son ensemble, jugeant indispensable de ne pas donner une prime à la violence.

Audition l'audition de M. Louis Favoreu, professeur à l'université d'Aix-Marseille III, co-directeur de la Revue française de droit constitutionnel

La commission spéciale a enfin procédé à l'audition de M. Louis Favoreu, professeur à l'université d'Aix-Marseille III, co-directeur de la Revue française de droit constitutionnel.

M. Louis Favoreu a fait part de ses réserves sur l'article premier du projet de loi, relatif à l'exercice du pouvoir normatif par la collectivité territoriale de Corse.

Après avoir relevé que le texte ne précisait pas quels organes de la collectivité territoriale de Corse exerceraient ce pouvoir, il a rappelé que, à la différence des IIIème et IVème Républiques, le législateur sous la Vème République, n'ayant plus « la compétence de sa compétence », ne pouvait disposer à son gré de la répartition des compétences entre lui-même et le pouvoir réglementaire. Il a rappelé que tant la compétence du pouvoir législatif que celle du pouvoir réglementaire étaient définies par la Constitution, telle qu'interprétée par le Conseil constitutionnel.

M. Louis Favoreu a souligné que cela se marquait tout d'abord par la jurisprudence sur « les incompétences négatives », selon laquelle le législateur doit utiliser ses compétences et ne peut faire varier le degré d'intensité de ses interventions. Il a ajouté que la lecture unitaire de l'article 34, faite par le Conseil constitutionnel, confirmait qu'il n'existe pas de matières plus législatives que d'autres.

Il a ajouté que cela avait été marqué ensuite par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 9 mai 1991 relative à la Corse selon laquelle la possibilité pour le législateur de déroger aux règles de répartition des compétences entre la loi et le règlement n'est applicable que dans les territoires d'outre-mer (considérant n° 18). Il en a conclu que le premier alinéa du paragraphe II de l'article L. 4424-2 du code général des collectivités territoriales proposé par l'article premier du projet de loi, affirmant le pouvoir réglementaire de la collectivité territoriale de Corse, n'était pas conforme à la Constitution.

Concernant le second alinéa du paragraphe II de l'article premier, M. Louis Favoreu a soulevé deux objections.

En premier lieu, il a indiqué que le législateur ne pouvait procéder à des habilitations à fixer des règles d'application des lois. Il a estimé que cette disposition, permettant « l'adaptation » de mesures réglementaires par la collectivité territoriale de Corse, était trop générale pour être admise et revenait à transposer l'article 73 de la Constitution à la Corse. En outre, il a rappelé que, même pour les DOM, seules les autorités normatives nationales avaient compétence pour procéder à de telles adaptations.

Il a ajouté que, si l'attribution aux régions du pouvoir réglementaire d'application des lois existait en Italie, elle résultait des termes mêmes de l'article 117 de la Constitution italienne. Il a en revanche noté que le Conseil constitutionnel français ne reconnaissait le pouvoir réglementaire local que de façon résiduelle et dans des domaines très limités, relevant essentiellement de l'organisation des structures locales.

En second lieu, le fait de doter d'un pouvoir normatif la Corse seule, à l'exclusion des autres collectivités locales hors outre-mer, lui a paru contraire au principe d'égalité, dès lors que ce pouvoir excédait le champ des structures locales.

M. Louis Favoreu a ensuite estimé que le paragraphe IV du texte proposé par l'article premier du projet de loi, tendant à habiliter la collectivité territoriale de Corse à modifier des textes de forme législative, appelait trois objections.

Tout d'abord, il a rappelé que la modification d'un texte de forme législative par un acte réglementaire ne pouvait être effectuée que par le Premier ministre, détenteur du pouvoir réglementaire, et à l'issue de la procédure de « délégalisation » prévue par le second alinéa de l'article 37 de la Constitution.

Ensuite, il a noté que cela pouvait être fait de manière exceptionnelle et au profit du seul Premier ministre, en utilisant la procédure de l'article 38 de la Constitution.

Enfin, M. Louis Favoreu a relevé que l'article 74 de la Constitution permettait aux assemblées territoriales des territoires d'outre-mer, à titre exceptionnel et sous réserve de l'application uniforme des libertés fondamentales, de modifier les législations existantes, alors même qu'elles sont des autorités administratives. A cet égard, il a marqué sa préférence pour l'expression « atteinte à des libertés fondamentales », retenue dans la loi du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions administratives, plutôt que celle, équivoque, d'atteinte à « une liberté individuelle ou un droit fondamental », utilisée par l'Assemblée nationale.

Il a rappelé que le rapport de M. Portelli au nom de l'Institut de la décentralisation avait établi la nécessité d'une révision de la Constitution pour modifier la répartition du pouvoir réglementaire d'application des lois et reconnaître dans l'article 21 de la Constitution un pouvoir réglementaire local, sur le fondement de l'article 72 de la Constitution.

S'agissant des « expérimentations » évoquées par le paragraphe IV, M. Louis Favoreu a souligné qu'aucun précédent n'existait à ce jour. Il a noté que la décision du Conseil constitutionnel du 28 juillet 1993 ne pouvait être invoquée comme précédent car elle traitait d'une situation différente à un double titre. Il a en effet mis en évidence que le projet de loi concernait une collectivité territoriale et non un établissement public, et proposait de déroger à la Constitution et non à une simple loi comme en 1993. De même, il a considéré que la loi Veil relative à l'interruption volontaire de grossesse et la loi Pasqua relative à l'aménagement du territoire avaient bien prévu une période d'expérimentation, mais que seul le législateur était amené à se prononcer dans ce cadre. Il a mis en évidence la référence faite à la procédure de ratification des ordonnances prévue à l'article 38 de la Constitution, et ajouté que seule la Constitution pouvait prévoir une telle habilitation.

Rappelant qu'une proposition de loi socialiste présentée en 1980 prévoyait un pouvoir réglementaire local, mais sous réserve d'une révision préalable de l'article 34 de la Constitution, il a estimé que le législateur était déjà allé au bout de ce que permettait la Constitution en matière de décentralisation, et qu'aller plus loin nécessitait une révision constitutionnelle.

M. Jacques Larché, président, a fait observer que le paragraphe II de l'article premier revenait à reconnaître que le transfert de compétences réalisé au bénéfice de la collectivité territoriale de Corse entraînait le transfert d'un pouvoir normatif pour l'exercice de ces compétences, c'est-à-dire la reconnaissance d'un pouvoir réglementaire. Il a par ailleurs relevé que le pouvoir réglementaire était en principe confié à une autorité déterminée.

M. Michel Charasse a souhaité distinguer deux façons pour une collectivité locale d'exercer sa compétence. Prenant l'exemple du tourisme, il a indiqué que la collectivité territoriale de Corse pouvait financer des actions, mais que le projet de loi lui reconnaissait aussi la faculté d'édicter les règles de classement des hôtels, qui sur le continent continueront à relever du pouvoir réglementaire national.

Admettant la première, il s'est déclaré opposé à la seconde, considérant qu'elle aboutirait d'une part au démembrement du pouvoir réglementaire du Premier ministre, d'autre part à la négation du principe d'égalité, par exemple dans la mesure où le classement des hôtels ouvrait droit à certains avantages fiscaux pour les établissements. En conséquence, il s'est déclaré opposé à la possibilité pour la collectivité territoriale de Corse de prendre des mesures réglementaires dans ses domaines de compétences, lorsque ces mesures ont une incidence sur l'application en Corse de dispositions nationales.

M. Jacques Larché, président, a fait observer qu'en application des dispositions du projet de loi, un même domaine serait régi par des actes réglementaires du Premier ministre sur le continent mais pas en Corse.

M. Louis Favoreu a souligné que l'article premier du projet de loi, de portée générale, raisonnait en termes de pouvoir normatif, et non en termes de compétences.

M. Maurice Ulrich a mis en évidence que de nombreux articles du projet de loi, transférant des compétences à la collectivité territoriale de Corse, transféraient également, de manière insidieuse, un pouvoir réglementaire.

M. Louis Favoreu a souligné la différence existant entre les « attributions » d'une collectivité et ses « compétences », le lien entre le transfert d'une attribution et le transfert de la compétence normative pour adapter les normes nationales aux conditions locales n'allant pas de soi. Il a souligné qu'actuellement, les réformes en matière de décentralisation revenaient à transférer de nouvelles attributions aux collectivités locales, sans pour autant leur transférer la compétence réglementaire.

M. Michel Charasse a estimé que l'article premier du projet de loi ne faisait que reconnaître à l'assemblée de Corse le pouvoir d'émettre des voeux. Le jugeant inopérant, il s'est demandé s'il méritait une censure, citant la jurisprudence du Conseil constitutionnel du 27 juillet 1982 sur la loi de planification.

M. Louis Favoreu a répondu qu'en tout état de cause, si le Gouvernement souscrivait aux voeux de l'assemblée de Corse, il y aurait inconstitutionnalité.

M. Michel Charasse a estimé que la loi, expression de la volonté générale, ne pouvait être l'expression de la volonté locale, et que le législateur ne pouvait démembrer le pouvoir législatif. Il a ajouté que la révision constitutionnelle envisagée dans une seconde étape du processus de Matignon n'était même pas possible, puisqu'elle reviendrait à réviser la République elle-même. Enfin il s'est élevé contre la rédaction selon laquelle l'assemblée de Corse règlerait par ses délibérations « les affaires de Corse », laissant entendre que l'assemblée de Corse serait souveraine dans tous les domaines.

Mme Hélène Luc s'est interrogée sur les spécificités de la Corse, justifiant un traitement différent des autres régions.

M. Louis Favoreu a répondu qu'en visant la spécificité corse, l'article premier ne pouvait être étendu aux autres régions. Il a mis en évidence la différence entre le statut de 1991, essentiellement relatif aux structures de la collectivité territoriale de Corse, et le présent projet de loi, permettant à la collectivité territoriale de Corse d'édicter des règles ayant des conséquences directes sur les individus.

M. Paul Girod, rapporteur, s'est inscrit en faux contre l'idée que l'article premier serait inopérant, soulignant que l'article 25, s'appuyant justement sur la reconnaissance du pouvoir réglementaire local, conférait à la collectivité territoriale de Corse, par une délibération, le pouvoir de fixer la représentation de l'Etat dans le comité de massif, chargé de l'application de la loi « montagne ». Il a ajouté que de nombreux autres articles procédaient de la même démarche.

M. Maurice Ulrich a souscrit à cette observation, jugeant que dès à présent, l'article premier ouvrait une brèche dans la souveraineté nationale, et que celle-ci allait être aggravée en 2004. Il s'est déclaré très réservé sur ces dispositions.

M. Lucien Lanier a mis en garde contre le risque de conflits ouvert par l'article premier.

M. Philippe Marini s'est déclaré opposé au vote de dispositions de pur affichage dans la loi.

M. Louis Favoreu a estimé que l'article premier du projet de loi s'apparentait à un article de la Constitution dans la mesure où il définirait les obligations du législateur et du pouvoir réglementaire pour l'avenir. Il a émis l'hypothèse que le Conseil constitutionnel ne le censure pas, mais forme d'importantes réserves d'interprétation, et censure ultérieurement les lois qui seraient prises en application de cet article.

M. Michel Charasse a estimé que le pouvoir réglementaire reconnu par le Conseil constitutionnel aux autorités administratives indépendantes n'était pas comparable à celui que le projet de loi se proposait de reconnaître à la collectivité territoriale de Corse, dans la mesure où ces autorités avaient compétence sur l'ensemble du territoire national.

M. Jacques Larché, président, a déploré que le Gouvernement ait délibérément élaboré un texte inconstitutionnel, ouvrant la perspective d'une censure par le Conseil constitutionnel.

Abordant les dispositions de l'article 7 relatives à l'enseignement de la langue corse, M. Louis Favoreu a rappelé que le Conseil constitutionnel s'était déjà prononcé, à l'occasion du statut de la Polynésie française sur les termes « matière enseignée dans le cadre de l'horaire normal des écoles ». Il a noté que le Conseil avait émis deux réserves d'interprétation, selon lesquelles un tel enseignement ne saurait, sans méconnaître le principe d'égalité, revêtir un caractère obligatoire pour les élèves, ni avoir pour objet de soustraire les élèves scolarisés aux droits et obligations applicables à l'ensemble des usagers. Il a estimé que la loi, actuellement en discussion, pourrait reproduire ces deux réserves.

M. Maurice Ulrich s'est prononcé pour la formule selon laquelle la langue corse serait une matière « proposée » dans le cadre de l'horaire normal.

M. Paul Girod, rapporteur, a évoqué l'idée d'une matière facultative, offerte dans tous les établissements.

M. Louis Favoreu a rappelé qu'en matière de libertés, une rédaction négative (« sauf avis contraire des parents ») serait inconstitutionnelle. Il a émis une préférence pour l'idée que la langue corse soit une matière enseignée, aux élèves qui le souhaitent, dans le cadre de l'horaire normal.