Mardi 9 mai 2006

- Présidence de M. Alain Vasselle, président -

Dette sociale - Examen du rapport d'information

M. Alain Vasselle, rapporteur, a indiqué que le rapport élaboré en commun avec M. Bernard Cazeau sur la dette sociale est le premier de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss). Il se situe dans le prolongement du rapport Pébereau qui a mis en exergue l'ampleur et la situation préoccupante de l'endettement public global de la France, lequel a atteint 1.100 milliards d'euros à la fin de 2005.

Deux constats préalables peuvent être faits : d'une part, la multiplicité des facettes de la dette sociale qui en rend la consolidation extrêmement délicate, d'autre part, la profonde méconnaissance de plusieurs de ses composantes, alors même qu'elles peuvent se chiffrer en milliards d'euros.

M. Alain Vasselle, rapporteur, a proposé d'adopter une présentation de la dette sociale de la France en quatre parties : la dette « identifiée », portée par la caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) ; la dette « reniée », correspondant au déficit cumulé du fonds de solidarité vieillesse (FSV) et du fonds de financement des prestations sociales des non-salariés agricoles (Ffipsa) ; la dette « cachée », c'est-à-dire les créances des organismes de sécurité sociale sur l'Etat ainsi que, de façon plus marginale mais non négligeable, les reports de charges des hôpitaux publics ; enfin, la dette « virtuelle », liée aux perspectives d'évolution des différentes branches à l'horizon 2009, terme fixé pour le retour à l'équilibre des comptes de l'assurance maladie.

Développant le chapitre de la dette identifiée, M. Alain Vasselle, rapporteur, a indiqué que la dette reprise par la Cades s'élèvera, à la fin de 2006, à près de 110 milliards d'euros, dont plus de 77 milliards resteront à amortir. Il a rappelé les termes de la loi organique du 2 août 2005, relative aux lois de financement de la sécurité sociale, qui prohibe tout nouveau transfert de dettes à la Cades en l'absence de transfert de ressources correspondantes permettant de ne pas rallonger la durée d'amortissement.

Dans sa décision du 29 juillet 2005, le Conseil constitutionnel a explicitement souligné le caractère organique de cette mesure, donnant une légitimité particulière au souci du législateur de ne plus reporter les charges de la solidarité sociale sur les générations futures.

Puis M. Alain Vasselle, rapporteur, a insisté sur la qualité de la gestion de la Cades. Evoquant le récent rapport de la commission des finances présenté par M. Paul Girod, ainsi que les termes de l'article 73 de la loi de finances pour 2006, adopté à l'initiative de la commission des finances du Sénat, autorisant le ministre des finances à emprunter pour le compte de la Caisse, il a estimé qu'il serait, à son avis, contre-productif de dissoudre la dette de la Cades au sein de la dette de l'Etat. De réels obstacles juridiques s'opposent à une consolidation des deux dettes, notamment du fait de l'inscription de la Cades dans la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale. En outre, l'addition des dettes de la sécurité sociale et de l'Etat pourrait entraîner un relèvement du coût de la ressource empruntée par l'agence France Trésor, équivalent au léger surcoût acquitté aujourd'hui par la Cades, ce qui annulerait de facto le gain attendu de ce rapprochement.

M. Alain Vasselle, rapporteur, a conclu son propos liminaire en insistant sur la nécessité d'interdire, à l'avenir, la réouverture de la « boîte » Cades, solution de facilité consistant à reporter sur les générations futures les charges actuellement non financées.

Puis M. Bernard Cazeau, rapporteur, a exposé les déficits cumulés du FSV et du Ffipsa, composant la dette « reniée » par les pouvoirs publics : au 31 décembre 2005, le premier a atteint 3,7 milliards d'euros et le second 4,6 milliards d'euros, soit au total environ 8,3 milliards d'euros. Or, en droit, l'Etat doit assurer l'équilibre budgétaire de ces deux fonds.

Pour l'avenir, les projections laissent apparaître une progression des déficits, la dette du FSV atteignant 8,2 milliards d'euros fin 2009, soit un montant supérieur à la moitié des recettes prévues pour le fonds à cette date. Cette situation déficitaire a des conséquences dommageables pour la branche vieillesse qui en supporte un coût en trésorerie estimé à 150 millions d'euros pour 2006. Elle a également des effets négatifs sur l'évolution du fonds de réserve des retraites (FRR) qui aurait dû être en principe alimenté par les excédents du FSV.

Or, en estimant que la loi lui crée pour seule obligation une information du Parlement sur l'évolution des soldes, le Gouvernement détourne l'esprit de la loi qui fait obligation à l'Etat d'équilibrer les comptes du FSV. Cette interprétation laxiste a été dénoncée tant par la commission que par la Cour des comptes dont le Premier président, M. Philippe Seguin, avait clairement laissé entendre, à l'occasion de sa venue en novembre 2005, qu'elle pourrait en tirer les conséquences en allant jusqu'à refuser de certifier les comptes du FSV.

Décrivant ensuite la situation du Ffipsa, M. Bernard Cazeau, rapporteur, a indiqué que le bilan d'ouverture de ce fonds a fait apparaître d'emblée un déficit de 3,2 milliards d'euros au 1er janvier 2005. Une partie de cette dette, soit 2,5 milliards d'euros, a été reprise par l'Etat au début de 2006. Il n'en demeure pas moins que subsiste une dette de 700 millions d'euros, auxquels s'ajoutent les déficits des exercices 2005 et 2006, soit 3,2 milliards d'euros.

Jusqu'en 2009, les déficits vont continuer à s'accumuler et le solde cumulé négatif du Ffipsa pourrait ainsi atteindre 9,4 milliards d'euros si l'Etat persiste dans son refus d'en assurer l'équilibre en dépit de l'obligation qui lui en a été faite par le législateur.

Le Gouvernement, à qui la commission avait dénoncé cette situation lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006, a répondu par la création d'un groupe de travail sur la compensation. Bien que très imparfaite, cette réponse constituait déjà un premier pas. Il semble toutefois que les travaux, auxquels participent MM. Dominique Leclerc et Claude Domeizel, doivent prochainement conclure au statu quo. Le problème du Ffipsa reste donc entier.

M. Bernard Cazeau, rapporteur, a ensuite développé les éléments relatifs à la « dette cachée », et en premier lieu les créances des organismes sociaux sur l'Etat. L'article 17 de la loi organique de 2005 relative aux lois de financement de la sécurité sociale a instauré l'obligation pour le Gouvernement de communiquer au Parlement la situation semestrielle des sommes restant dues par l'Etat aux régimes obligatoires de base de la sécurité sociale. Le premier état semestriel, qui vient d'être transmis au Parlement, fait ressortir qu'au 31 décembre 2005 l'Etat devait 6,1 milliards d'euros aux organismes de sécurité sociale. Toutefois, après prise en compte d'opérations intervenues dans le courant du mois de janvier 2006, venant en partie apurer ses dettes, sa situation nette s'établit à 4,4 milliards d'euros, ce qui reste une somme assez considérable par rapport aux masses en jeu.

Les charges financières afférentes aux dettes de l'Etat sont estimées en outre à près de 150 millions d'euros pour 2006.

En définitive, l'Etat mauvais payeur s'affiche comme relativement vertueux en matière budgétaire, mais au détriment de la sécurité sociale qui est ainsi conduite à financer la politique de l'emploi en offrant une confortable variable d'ajustement budgétaire.

A la « dette cachée » de l'Etat, M. Bernard Cazeau, rapporteur, a ajouté les reports de charges des hôpitaux publics qui étaient évalués à plus de 500 millions d'euros à la fin de 2004, tant par le conseil de l'hospitalisation que par la Fédération hospitalière de France. La Mecss s'attachera d'ailleurs à approfondir ses investigations sur le sujet lorsque la Cour des comptes aura présenté l'étude précédemment demandée par la commission sur le contrôle de gestion dans les hôpitaux publics.

Reprenant la parole pour achever la présentation du rapport, M. Alain Vasselle, rapporteur, a indiqué qu'il convient d'ajouter aux montants déjà évoqués, une « dette sociale virtuelle » correspondant aux déficits cumulés du régime général prévisibles sur la période allant du 1er janvier 2005 au 31 décembre 2009. Ce déficit atteindrait presque 19 milliards d'euros en l'absence de reprise totale ou partielle par l'Etat ou la Cades. Ce chiffre, préoccupant, montre la nécessité de nouvelles mesures de redressement.

En conclusion de ce tableau, l'addition des quatre composantes de la dette sociale donne pour résultat 105 milliards d'euros environ au 31 décembre 2009, en augmentation de 20 à 25 % par rapport à la fin du dernier exercice connu, soit 2005. Il était urgent que le montant de la dette sociale soit mieux connu afin de susciter un débat au fond et d'engager une réflexion à la fois sur les moyens d'y faire face et sur la meilleure manière d'éviter qu'une nouvelle dette sociale n'apparaisse dans notre pays.

M. Alain Vasselle, rapporteur, a terminé son propos en soulignant le fait que le rapport se veut un diagnostic, avant l'élaboration de propositions. Il doit encore être complété par les constatations de la Cour des comptes, qui remettra prochainement les résultats de son enquête sur le contrôle de gestion des hôpitaux.

En réponse à M. Dominique Leclerc qui souhaitait savoir si les comptes de l'Unedic sont inclus dans l'étude, M. Alain Vasselle, rapporteur, a précisé que la dette sociale s'entend des dettes et des déficits relatifs aux organismes de sécurité sociale, mais ne s'étend pas jusqu'à l'assurance chômage.

M. Gérard Dériot a estimé que le rapport permet de mesurer effectivement le caractère inquiétant de la dette sociale. Il a cependant jugé qu'il existe un risque de banalisation de la notion de déficit dans l'esprit des Français qui finissent par penser que l'existence de déficits persistants des comptes publics ne nuit pas au bon fonctionnement de l'Etat et de la protection sociale. Or, cette banalisation peut constituer une entrave à la mobilisation de nos compatriotes lorsque des efforts d'adaptation leur sont demandés.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe a considéré que le rapport contient un tableau précis et détaillé de la dette sociale qui faisait jusqu'ici défaut. Il a tenu à relativiser son poids au sein des déficits publics, rappelant qu'elle représente environ dix fois moins que la dette de l'Etat et que l'ordre de grandeur du déficit annuel cumulé des branches du régime général est de 10 milliards d'euros contre une quarantaine de milliards d'euros pour le déficit budgétaire. Le retour à l'équilibre des comptes sociaux demeure donc un objectif réalisable pour peu que l'effort soit adapté et bien ciblé. Il conviendrait, dans un premier temps, de mettre un terme à l'accroissement, année après année, des déficits des différentes composantes de la protection sociale.

M. Guy Fischer a souligné le caractère de plus en plus important, chronique, voire structurel, des déficits sociaux, insistant, en particulier, sur celui de la branche vieillesse, alors que la France est entrée dans une période où le nombre des retraités devrait exploser.

Pour autant, il convient de relativiser le tableau sombre dressé par les rapporteurs. La dette sociale représente à peine 10 % de la dette publique et pèserait encore moins si l'Etat respectait ses engagements vis-à-vis des organismes de sécurité sociale. Le budget de la sécurité sociale a ceci, en effet, en commun avec celui des collectivités locales qu'il est devenu la variable d'ajustement des politiques menées par l'Etat.

Prenant acte du caractère très médiatique, à ses yeux, des titres retenus dans le rapport pour qualifier les différentes composantes de la dette sociale (« identifiée », « reniée », « cachée » et « virtuelle »), M. Guy Fischer a jugé que derrière ces formules se lisent les conséquences des politiques menées par l'Etat en matière d'emploi et de croissance. La « panne sèche » qui affecte l'évolution des salaires depuis plusieurs mois et les « tours de vis » imposés à la consommation se traduisent mécaniquement par la stagnation des recettes de la sécurité sociale.

Dans le même temps, le montant des exonérations de cotisations sociales explose, alors que la démonstration de leur efficacité en termes de création d'emplois reste à faire. Les emplois créés, lorsqu'ils le sont, sont en outre des emplois précaires.

Alors que les entreprises du CAC 40 ont battu des records de bénéfices en 2005, il serait regrettable que, à la lumière du constat du présent rapport, l'on établisse des propositions fondées sur la maîtrise comptable, se traduisant par une baisse de la qualité des prestations offertes.

M. Guy Fischer s'est dit de ce point de vue inquiet du recours à l'expertise de la Cour des comptes pour évaluer le contrôle de gestion des hôpitaux. Le risque est grand, en effet, de voir, à l'occasion de la remise du rapport de la Cour, resurgir l'idée selon laquelle l'hôpital est l'une des sources principales des déficits de la branche maladie.

M. Bernard Cazeau, rapporteur, s'est dit peu rassuré par le constat selon lequel le poids relatif de la dette sociale dans les déficits publics est inférieur à 10 %, soulignant le fait que les organismes de sécurité sociale bénéficient de ressources, les cotisations, moins dynamiques que les impôts d'Etat, comme la taxe sur la valeur ajoutée.

La dette sociale a atteint aujourd'hui une dimension structurelle. La solution est donc à rechercher dans l'évolution des structures et non dans des économies de « bouts de chandelle » ou dans des astuces comptables, ce qui suppose une volonté politique forte pour imposer des choix lourds.

M. Alain Vasselle, rapporteur, a globalement approuvé les remarques de M. Gérard Dériot sur la banalisation des déficits et la difficulté concomitante de mobiliser nos concitoyens sur leur réduction. En dépit de l'adoption de deux textes importants, sur les retraites et sur l'assurance maladie, les Français ne semblent pas avoir fait le lien entre le caractère nécessaire des réformes et l'accroissement inéluctable de leur contribution au financement du système de protection sociale. Sans doute convient-il d'attendre une prise de conscience qui interviendra progressivement, comme cela est le cas aujourd'hui pour les générations du baby boom qui ne découvrent le montant de leur pension de retraite qu'au moment où ils quittent leur emploi.

Trois conditions doivent être remplies pour que les Français acceptent d'accroître leur effort : en premier lieu, l'Etat doit apporter la preuve d'une gestion vertueuse. En d'autres termes, il doit mettre fin à la pratique consistant à se servir des lois de financement de la sécurité sociale comme variables d'ajustement de ses propres comptes.

En deuxième lieu, les caisses des différents régimes doivent faire la démonstration qu'elles sont de bonnes gestionnaires, par exemple en évitant de gaspiller les cotisations des assurés par l'utilisation de leurs ressources au financement de déplacements sans rapport avec leur mission.

En dernier lieu, il est indispensable de faire la preuve de la pertinence des mesures déjà mises en place, comme les réseaux médecine de ville-hôpital, en démontrant que la qualité des soins est réelle.

La mobilisation des assurés sociaux est une nécessité, car il ne semble pas qu'il doive y avoir à l'avenir une diminution des dépenses de la protection sociale. La seule solution pour que la dynamique des recettes et celle des dépenses s'équilibrent réside dans l'augmentation de l'effort contributif des cotisants.

En réponse à M. Guy Fischer, M. Alain Vasselle, rapporteur, a proposé que la commission des affaires sociales effectue, peut-être en commun avec les commissions des finances et des affaires économiques, un travail d'évaluation des retombées effectives des exonérations de cotisations sociales en matière de créations d'emplois. Cette étude serait incontestablement justifiée par le coût de ces exonérations pour la collectivité.

Il s'est en revanche montré plus sceptique sur l'effort qui pourrait être demandé aux entreprises du CAC 40 pour annuler les déficits du régime général, soulignant qu'il ne pourrait s'agir que d'un « fusil à un coup » en l'absence de réformes structurelles permettant d'éviter que les dérives ne renaissent au cours des exercices suivants.

En réponse aux propos de M. Jean-Marie Vanlerenberghe, M. Alain Vasselle, rapporteur, a exprimé des doutes sur la possibilité de trouver facilement un nombre réduit de mesures ciblées, susceptibles de réduire significativement les déficits sociaux, quand bien même ceux-ci ne représenteraient qu'une faible part des déficits publics.

Sur l'objectif minimal consistant à empêcher que les déficits ne se creusent encore, il a rappelé la disposition de la loi organique du 2 août 2005 qui interdit dorénavant d'accroître les charges de la Cades sans lui attribuer une ressource équivalente lui permettant de ne pas allonger la durée de l'amortissement de la dette qui lui a été transférée.

Puis les membres de la mission ont adopté le rapport d'information relatif à la dette sociale qui sera présenté devant la commission des affaires sociales afin qu'elle autorise sa publication.