Mardi 26 septembre 2006

- Présidence de M. Alain Vasselle, président -

Sécurité sociale - Compensation démographique - Audition de M. Dominique Libault, directeur de la sécurité sociale

La mission a procédé à l'audition de M. Dominique Libault, directeur de la sécurité sociale.

En introduction, M. Alain Vasselle, président, a rappelé que le débat sur l'avenir de la compensation se développe sur fond de crise des régimes sociaux, en particulier du fonds de financement des prestations sociales agricoles (Ffipsa).

M. Dominique Leclerc, rapporteur, a souligné le fait qu'il a participé avec M. Claude Domeizel aux travaux du groupe de travail relatif au déficit du Ffipsa présidé par M. Jean-François Chadelat. Les activités de ce groupe ont révélé qu'il est difficile de faire évoluer la compensation, car la plupart des régimes de sécurité sociale sont aujourd'hui en déficit. Le caractère réformable des mécanismes de compensation est source d'interrogations.

Il a ajouté que le fonctionnement actuel de la compensation pose également une question d'équité, dans la mesure où son mode de calcul ne tient compte ni des cotisations effectivement versées par les assurés sociaux des différents régimes, ni des prestations réellement perçues.

M. Claude Domeizel, rapporteur, s'est interrogé sur la viabilité à terme de la compensation, dans la mesure où la plupart des régimes se trouveront tous dans quelques années en déficit. Il a rappelé que lorsque la décision a été prise en 1945 de maintenir les régimes spéciaux au détriment de l'unification de la sécurité sociale, la question de leur équilibre financier ne se posait pas. Ce n'est qu'à partir du début des années 1970, avec l'apparition des premières difficultés financières, que des solutions ont dû être trouvées, la compensation étant alors conçue comme une alternative à l'unification de l'ensemble des régimes.

En réponse, M. Dominique Libault a souligné le fait que la compensation n'est qu'un mécanisme de transfert entre régimes de sécurité sociale et n'a pas vocation à apporter une solution à la question des déficits des régimes de retraite. Le système peut continuer à fonctionner, alors même que l'ensemble des régimes se trouve en situation financière difficile.

Sur la question du caractère réformable ou non des mécanismes de compensation, il a estimé que les règles du jeu ont, en définitive, été relativement peu modifiées depuis 1974, tout en convenant que les quelques modifications intervenues ont répondu à des objectifs de « bouclage » budgétaire étrangers à l'objet de la compensation. Il est incontestable que les changements imposés dans les règles de transfert brouillent les esprits et que le trouble ainsi créé ne contribue pas à la responsabilisation des acteurs.

Or il n'est pas possible d'entamer une réforme de la compensation sans volonté de transparence et sans désir de faire oeuvre pédagogique, seuls gages d'une réforme réussie. Les règles du jeu ne doivent donc être touchées qu'à bon escient.

De ce point de vue, l'une des principales limites du rapport Normand-Pelé sur la compensation est la multiplicité des propositions de réformes qu'il contient en conclusion. Chaque représentant des régimes concernés est ainsi incité à reprendre les mesures qui lui conviennent en ignorant les autres et, comme l'ont prouvé les débats au sein de la commission de compensation, il ne peut pas exister de consensus sur les aménagements à adopter.

M. Dominique Libault a convenu qu'il est plus difficile de faire vivre aujourd'hui la compensation qu'à l'époque où la plupart des régimes présentaient des résultats excédentaires. Il a suggéré à titre de solution un plafonnement des transferts de compensation.

Il a estimé toutefois qu'il convient de distinguer les compensations de la branche maladie et celles de la branche vieillesse.

La compensation est en effet un pis-aller par rapport aux ambitions du législateur qui étaient de parvenir à un régime unique de sécurité sociale. Cette impossibilité d'une réunification des régimes est-elle toujours aussi marquée en 2006 ? M. Dominique Libault a estimé qu'il doit être possible, à terme, de regrouper en une seule structure financière les différents régimes de la branche maladie. On peut se demander en effet si l'autonomie financière des caisses maladie ne vit pas ses derniers jours, quitte à maintenir leur autonomie administrative. La montée en puissance de la contribution sociale généralisée (CSG) a pour résultat qu'aujourd'hui plus aucun régime ne s'équilibre entièrement grâce aux cotisations de ses actifs, à l'exception du Ffipsa, lequel de toute façon ne pourra pas revenir à l'équilibre en sollicitant davantage ses cotisants. L'harmonisation des prestations dont bénéficient les malades mise en place depuis 1999 pour tous les régimes est un autre élément qui plaide en faveur d'une unification.

Pour les régimes de retraite, en revanche, la diversité est bien plus forte et il faudra encore vivre longtemps avec la compensation, même s'il est indispensable d'en éviter l'instrumentalisation.

MM. Claude Domeizel, rapporteur, et Jean-Marie Vanlerenberghe ont demandé à M. Dominique Libault de communiquer à la Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) les taux de cotisations et les niveaux de prestations de la totalité des régimes d'assurance maladie et d'assurance vieillesse.

M. Claude Domeizel, rapporteur, a ensuite évoqué la question de la compensation spécifique entre régimes de salariés, dite « surcompensation », et a insisté sur la perspective de la création d'un régime unique y compris au sein de la branche vieillesse.

M. Dominique Libault a rappelé que le Gouvernement a pris l'engagement, au travers de la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites, de procéder à l'extinction de la « surcompensation » à l'horizon 2012.

Il a estimé qu'il n'est ni raisonnable ni souhaitable de prévoir une réunification des régimes d'assurance vieillesse, mais qu'il est en revanche tout à fait nécessaire de les rapprocher en faisant converger les efforts contributifs et les niveaux de prestations octroyés.

Evoquant la réforme des retraites de 2003, M. Dominique Leclerc, rapporteur, a rappelé que ce texte a prévu de donner un poids plus important à la commission de compensation. Or, en absence de décret d'application, il n'est pas certain que le rôle de la commission s'accroisse effectivement au cours des prochaines années.

M. Dominique Libault a reconnu qu'en 2003 il était sceptique sur les possibilités d'une réforme de la compensation. Pour autant, le décret évoqué par M. Dominique Leclerc est en instance de parution. L'enjeu est important, puisqu'il doit permettre à la commission de jouer un rôle plus actif dans la fiabilisation des données servant au calcul de la compensation.

Puis M. Bernard Cazeau a abordé la question de l'équilibre du Ffipsa, rappelant la responsabilité de l'Etat dans le dégagement des ressources nécessaires à cet équilibre.

En réponse, M. Dominique Libault a reconnu que le Ffipsa est « mal né ». En effet, ainsi que l'a souligné la Cour des comptes, l'équilibre de la structure ayant précédé le Ffipsa, à savoir le Budget annexe des prestations sociales agricoles (Bapsa), devait impérativement, en application de la loi, être assuré par l'Etat. Or, à sa suppression, le Bapsa présentait un déficit qui n'a pas été comblé par le budget général et a été transféré tel quel au Ffipsa. En outre, dès la création du Ffipsa, celui-ci a présenté un déficit structurel du fait de l'insuffisance des ressources qui lui ont été affectées au regard de ses charges. De ce fait, l'équilibre du Ffipsa relève donc bien de la responsabilité de l'Etat et les autres régimes de sécurité sociale n'ont pas à se substituer à l'Etat défaillant par le biais d'une compensation démographique accrue.

M. André Lardeux a retiré des propos de M. Dominique Libault que celui-ci reconnaît implicitement le dévoiement des mécanismes de compensation démographique au fil du temps et suggère en définitive que ces mécanismes ne sont pas réformables.

Il a insisté sur le fait que le fonctionnement de la compensation revient en quelque sorte à demander au contribuable local, via la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL), de financer ce qui devrait relever en principe de la solidarité nationale.

M. Dominique Libault a contesté cette interprétation de ses propos. Si, en effet, quelques « coups de canif » ont été apportés au système, celui-ci vit tout à fait normalement et, sur le principe, la solidarité démographique n'est pas contestable, même si l'Etat doit assurer ses responsabilités.

Revenant sur la possibilité de faire appel à la solidarité nationale plutôt qu'aux mécanismes de compensation démographique, il s'est montré sceptique au sujet de la possibilité de trouver de nouvelles ressources, rappelant que les travaux engagés en début d'année 2006 à la demande du Président de la République pour trouver des pistes alternatives à l'assiette des prélèvements sociaux actuellement en vigueur n'avaient pas permis de dégager des idées véritablement innovantes. En outre, il ne paraît pas très opportun de vouloir modifier les règles en 2007, alors qu'il est prévu une clause de rendez-vous sur les retraites en 2008.

M. Bernard Cazeau a rappelé que les Allemands n'ont pas hésité à recourir largement à la ressource fiscale pour financer leurs régimes de retraite.

M. Alain Vasselle, président, s'est interrogé sur le caractère équitable de la compensation démographique vieillesse, soulignant le fait qu'elle a conduit à mettre en difficulté financière des régimes pourtant excédentaires et que la mesure des efforts contributifs consentis par les ressortissants des différents régimes ne parait pas toujours correctement établie.

En conclusion, sur la question de l'équité des règles, M. Dominique Libault a cité un extrait du rapport établi par M. Jean-François Chadelat en sa qualité de président du groupe de travail relatif au déficit du Ffipsa : « La question que l'on doit se poser n'est pas de retenir une modification des règles de la compensation en fonction d'une simulation financière, mais de savoir s'il y a une raison objective de modifier ces règles et si cette modification est techniquement et statistiquement possible ».