Mardi 13 mars 2007

- Présidence de M. Alain Vasselle, président -

Nomination de rapporteurs

La mission a tout d'abord désigné MM. Alain Vasselle et Bernard Cazeau en qualité de rapporteurs sur le rapport relatif aux évolutions du périmètre de la protection sociale.

Evolutions du périmètre de la protection sociale - Audition de M. Frédéric Van Roekeghem, directeur général de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnam), et directeur de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (Uncam)

Puis elle a procédé à l'audition de M. Frédéric Van Roekeghem, directeur général de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnam), et directeur de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (Uncam).

M. Alain Vasselle, rapporteur, a interrogé M. Frédéric Van Roekeghem sur les voies et moyens d'une meilleure approche globale des comptes publics et lui a demandé son sentiment sur la proposition de fusionner projet de loi de finances et projet de loi de financement de la sécurité sociale.

M. Frédéric Van Roekeghem a rappelé qu'en 1996 l'option consistant à créer des « lois de finances sociales » a été délibérément écartée, au même titre qu'une inclusion des dépenses sociales au sein du budget de l'Etat. Le choix du terme de « loi de financement de la sécurité sociale » ne doit rien au hasard.

Quant à la mise au point d'une meilleure approche globale des comptes publics, elle est incontestablement nécessaire. Mais elle ne saurait se réduire au champ combiné des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale. Il convient en effet d'y inclure les régimes complémentaires de retraite, l'assurance chômage, les organismes divers d'administration centrale (Odac), les budgets des collectivités territoriales et ceux des hôpitaux. Pour ces derniers, si les recettes hospitalières sont bien retracées dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, il n'en est pas de même des dépenses.

Des progrès ont été réalisés ces dernières années dans le sens d'une vision plus globale des comptes publics, avec l'institution, dans les deux assemblées, de débats d'orientation budgétaire couvrant tant le budget de l'Etat que les finances sociales, avec également l'obligation de notification à Bruxelles des données entrant dans le champ du pacte de stabilité, enfin avec la mise en place en 2006 du Conseil d'orientation des finances publiques.

La fusion du budget de l'Etat et des lois de financement de la sécurité sociale supposerait un processus de révision de la Constitution. Si la nécessité de mieux articuler les deux textes n'est pas niable, il n'est pas sûr en revanche que leur fusion pure et simple participe à l'objectif de transparence accrue des finances publiques.

D'une part, en effet, cette fusion ne résoudra pas par elle-même la question de la consolidation des comptes publics, dans la mesure où l'addition des deux textes ne couvre pas tout le champ des finances publiques. D'autre part, comme les rapporteurs l'ont souligné, il n'apparaît pas opportun de remettre en cause certaines règles spécifiques observées en loi de financement de la sécurité sociale, contraires aux principes de base applicables en loi de finances : le principe d'affectation des recettes aux dépenses, le caractère non limitatif de la dépense pour laquelle est simplement fixé un objectif, la pluriannualité de la dépense.

Sur ce dernier point, M. Frédéric Van Roekeghem a rappelé que pour la sécurité sociale, le court terme se situe à cinq ans, et le moyen terme, à vingt-cinq ans. Or, notre protection sociale pâtit d'une insuffisance globale de projections à moyen terme.

La mission conjointe de l'inspection générale des finances (IGF) et de l'inspection générale des affaires sociales (Igas), créée pour répondre aux demandes du Conseil d'orientation des finances publiques, a formulé des propositions pour mieux articuler loi de finances et loi de financement de la sécurité sociale. Les calendriers de préparation des deux textes devraient être mieux alignés et les ministres « sociaux » pourraient être mieux associés à l'élaboration des arbitrages et des cadrages. Actuellement, le calendrier d'élaboration de la loi de finances précède celui de l'élaboration du projet de loi de financement, qui est donc tenu par les arbitrages décidés en amont pour le seul budget de l'Etat.

Depuis la mise en place des premières lois de financement, la maturité des gestionnaires sociaux s'est affirmée. Il est aujourd'hui possible de mieux les responsabiliser en les faisant participer aux arbitrages et aux décisions, ce qui plaide pour le maintien de l'outil offert par les lois de financement.

Interrogé sur la nécessité de faire évoluer le rôle des partenaires sociaux dans la gestion des différentes caisses, il a déclaré approuver le souhait du Gouvernement de mieux les associer à l'élaboration des textes à portée sociale. Le principe, posé en 1993, est un usage qu'il faut assurément maintenir.

M. Frédéric Van Roekeghem a fait observer que depuis les lois d'août 2004, la gouvernance de la branche maladie diffère de celle des autres branches. Cette nouvelle gouvernance fonctionne. Elle a permis de mettre en place des objectifs pluriannuels. Une grande partie des travaux du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie a trouvé sa traduction dans la convention d'objectifs et de gestion (Cog) signée avec l'Etat.

Par ailleurs, les profondes modifications apportées aux modalités de financement de la branche maladie avec la montée en puissance de la fiscalisation des ressources ont placé cette branche sous le contrôle accru du Parlement. Les lois d'août 2004 affirment le rôle de l'Etat dans la définition de la politique de santé publique et font de l'assurance maladie un instrument de cette politique, au sein de laquelle elle se trouve ainsi imbriquée. Les relations contractuelles entre l'assurance maladie et les médecins doivent en particulier respecter les objectifs fixés par le Parlement. On peut donc parler d'une gouvernance adaptée pour cette branche universelle.

Au cours des prochaines années, il conviendra de préciser à nouveau le rôle respectif du Gouvernement, du législateur et des partenaires sociaux en ce domaine.

Abordant ensuite le sujet de la fiscalisation grandissante du financement de la protection sociale, M. Frédéric Van Roekeghem a affirmé qu'il n'existe pas, en la matière, d'assiette « miracle », dans la mesure où aucun gouvernement n'a pu définir une assiette large et dynamique croissant à un rythme supérieur à celui de la richesse nationale.

La bonne démarche consiste, en premier lieu, à fixer le champ de la protection sociale obligatoire, ce qui revient à se demander si le financement de notre protection sociale est soutenable sur le long terme. Sur ce point, le débat parlementaire paraît insuffisant.

En second lieu, le principe d'équilibre doit être acquis, y compris l'équilibre intergénérationnel, ce qui suppose de provisionner les retraites en s'assurant de l'alimentation du fonds de réserve et d'équilibrer le solde de la branche maladie. Il convient de préciser les modalités les plus appropriées de financement de cette branche et de définir les leviers dont le Gouvernement se dote pour assurer l'efficience de mécanismes gérés par un monopole et donc non soumis à la régulation spontanée dont bénéficie le secteur concurrentiel.

Le mouvement de fiscalisation du financement est la conséquence de la nécessité d'élargir les assiettes des prélèvements, conformément au caractère universel des branches maladie et famille.

L'objectif de Michel Rocard, lors de la création de la contribution sociale généralisée, en 1991, était de faire participer les retraités au financement de la maladie. Alain Juppé a poursuivi la même logique en élargissant l'assiette de la CSG et en instituant la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS).

M. Frédéric Van Roekeghem a écarté le débat sur la nature d'impôt ou de cotisation sociale de la CSG, soulignant que la seule véritable question est celle de son efficacité.

Interrogé sur sa position dans le débat relatif à l'élargissement de l'assiette des cotisations sociales patronales à la valeur ajoutée, il a jugé plus efficace la taxe à la valeur ajoutée (TVA) que la cotisation sur la valeur ajoutée (CVA), relevant que la TVA a le mérite de taxer les importations et de donner un avantage relatif aux produits fabriqués en France. Quant à la taxation sur le chiffre d'affaires (TCA), elle ne présente un intérêt qu'à petite échelle, seule la TVA permettant d'éviter une taxation en cascade.

En réalité, le vrai sujet porte sur les deux questions suivantes : quelle est l'acceptabilité du prélèvement et quelle est son efficacité en termes économiques ? L'acceptabilité, c'est-à-dire le consentement à l'impôt, implique d'accroître la transparence du prélèvement fiscal aux yeux de nos concitoyens, ainsi que l'efficience de la dépense publique. La réponse de l'assurance maladie à cette exigence a notamment consisté à augmenter les contrôles. A cet égard, une budgétisation des finances sociales ne renforcera pas leur transparence du point de vue des citoyens et il n'est pas sûr qu'une loi unique leur permettra de mieux saisir les enjeux.

Sur la question de l'efficacité, M. Frédéric Van Roeckeghem s'est prononcé contre la fusion de la CSG au sein de l'impôt sur le revenu (IR) préconisée par nombre d'experts, rappelant qu'en leur temps des sénateurs avaient fait un recours auprès du Conseil constitutionnel pour s'opposer à l'introduction d'exonérations qui auraient progressivement « mité » l'assiette de la CSG et créé des niches fiscales à l'image de celles qui affectent l'IR.

Revenant sur le principe de l'instauration d'une TVA sociale, il a souligné qu'au regard du niveau atteint par les dépenses sociales, la solution du financement passe par des prélèvements à assiette la plus large possible. Quant à savoir qui doit financer, en définitive ce sont toujours les ménages qui apparaissent comme les payeurs.

Parmi les prélèvements à assiette large, la TVA apparaît comme la plus acceptable économiquement, si l'on met de côté la CSG. Dans une économie mondialisée, elle présente en effet l'avantage d'une taxation des produits importés et, symétriquement, d'une détaxation des produits exportés. Son mode de prélèvement est, en outre, moins douloureux que ne le serait une ponction directe sur l'assiette des salaires.

Il reste cependant cet obstacle majeur à un relèvement du taux de la TVA, à savoir que toute hausse d'impôt est douloureusement ressentie par le contribuable. Selon le cas, en effet, l'augmentation de la TVA sera payée par l'entreprise si elle ne peut pas la répercuter dans ses prix pour des motifs de concurrence, ou bien elle sera à la charge des ménages si l'entreprise la répercute dans les prix. La TVA présente l'autre défaut majeur de ne pas être progressive, voire d'être un impôt dégressif. Peut-être la solution passe-t-elle par une cote mal taillée, mêlant hausse concomitante des cotisations et de la TVA.

M. Frédéric Van Roekeghem a rappelé que depuis trente ans, la France est confrontée au problème d'un taux de progression des dépenses de santé supérieur de 1,5 point à celui de l'évolution de la richesse nationale. D'où l'urgence d'une réflexion sur le périmètre de la protection sociale.

Interrogé sur la nécessité de favoriser une meilleure perception du coût de la protection sociale par chaque assuré, il a émis des réserves soulignant la possibilité d'effets pervers résultant d'une démarche individualisée de présentation des coûts. En effet, les dépenses de maladie sont concentrées sur un petit nombre de personnes, alors que plus de la moitié des assurés ne perçoivent que quelques centaines d'euros par an. Si l'on n'y prend garde, ces derniers risquent de parvenir à la conclusion qu'il n'est pas légitime de faire des économies en augmentant, par exemple, le recours aux médicaments génériques, dans la mesure où les sommes perçues de l'assurance maladie seront inférieures au montant de leurs cotisations.

En revanche, il est certainement utile de développer une présentation des dépenses par destination permettant de faire ressortir, par exemple, le coût de l'hôpital ou les coûts de gestion de la branche. Cette transparence a ainsi permis à l'assurance maladie de diminuer ses coûts de gestion de 100 millions d'euros.

M. Frédéric Van Roekeghem a répondu par l'affirmative à la question de savoir s'il existe toujours un espace autonome pour la protection sociale au sein des finances publiques. Il s'est en revanche montré plus réservé sur la possibilité de tracer une frontière claire entre le contributif assurantiel d'un côté et les dépenses relevant d'une pure logique de solidarité de l'autre. Dans le cadre de la protection sociale de base, le fondement de l'assurance maladie est la mutualisation. Par essence, elle gère une logique de solidarité au sein du pays. Le partage assurance-solidarité apparaît plus facile à distinguer, en revanche, au sein de la branche vieillesse.

Pour la branche maladie, on relèvera que paradoxalement la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-c) est une prestation de solidarité financée par l'Etat, alors qu'elle se situe dans la sphère assurantielle complémentaire.

Dans le passé, le débat sur le partage entre assurance et solidarité, lancé en 1995, n'a pas abouti et s'est finalement concentré sur les recettes, et non sur la nature des dépenses.

Interrogé sur les pistes à explorer dans le sens d'une simplification et d'une plus grande transparence des relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale, M. Frédéric Van Roekeghem a estimé qu'en dehors d'une modification des règles du corpus organique, il n'existe pas de solution simple. Il a cependant pointé les lacunes du droit, donnant comme exemple l'impossibilité, en l'état actuel des textes, de désigner le payeur qui devra couvrir la créance de 90 millions d'euros détenue par les hôpitaux au titre du financement des soins d'urgence.

Il a insisté une nouvelle fois sur le fait que la mise en cohérence des calendriers d'élaboration des projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale serait un élément majeur d'amélioration de la situation.

Par ailleurs, force est de constater que les mesures nouvelles inscrites en projet de loi de financement de la sécurité sociale ne bénéficient pas d'une très grande transparence. Bien souvent, seuls, les débats au Parlement permettent d'obtenir des éclaircissements sur leur portée réelle.

Puis M. Frédéric Van Roekeghem a souligné les limites de l'objectif de la loi quinquennale de 1993 tendant à enserrer l'évolution des dépenses de l'Etat dans une norme de progression, en l'occurrence les prix. Au-delà d'un affichage vertueux, tous les gouvernements, depuis le début des années quatre-vingt-dix, ont été tentés de contourner l'obstacle en pratiquant des débudgétisations et en accroissant la dépense fiscale.

Il a estimé qu'ainsi une grande partie de la difficulté à gérer le lien Etat-sécurité sociale prend sa source dans l'affichage de normes de progression de dépenses que les pouvoirs publics n'arrivent pas ensuite à tenir. En effet, notre pays omet souvent, lors de l'élaboration de projections pluriannuelles, y compris lors de la réforme de l'assurance maladie en 2004, de mettre en évidence le poids financier des mesures sous-jacentes qui seront nécessaires au respect de la norme fixée.

Au fond, l'enjeu pour les pouvoirs publics est d'accroître l'exercice vérité sur la situation du pays afin de parvenir à un consensus et de développer la maturité de nos concitoyens pour leur permettre d'accepter des mesures, le cas échéant, douloureuses.

Sur les instruments de gouvernance mis en place par la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale d'août 2005, M. Frédéric Van Roekeghem a reconnu le caractère utile de l'annexe B pour l'année n+1, dans la mesure où elle donne une direction à suivre. Il s'est cependant interrogé sur sa crédibilité, relevant le caractère incertain de l'évolution tendancielle (+ 2,5 %) prévue pour les dépenses d'assurance maladie au titre de l'exercice en cours. S'il est indispensable de se fixer des objectifs sur la base de projections, il est tout autant nécessaire de concevoir et de mettre en oeuvre les mesures qui permettront de les tenir. Nos mécanismes paraissent, ici, insuffisants. L'annexe B ne renseigne pas sur l'ampleur des mesures à prendre pour être en cohérence avec les objectifs à atteindre.

De ce point de vue, la solution consisterait à demander, par exemple dans le cadre de la commission des comptes de la sécurité sociale, une clarification de la présentation de l'évolution tendancielle de chaque branche et à mieux encadrer les calculs, quitte à ce que les hypothèses soient affichées sous forme de fourchettes. En d'autres termes, les annexes proposées au Parlement devraient, dans un souci de transparence, souligner les conséquences attachées à l'absence de mesures de redressement et expliquer ensuite le contenu des mesures proposées en indiquant le chiffrage sous-jacent.

Interrogé sur les solutions envisageables pour redresser les situations comptables du fonds de solidarité vieillesse (FSV) et du fonds de financement des prestations sociales des non-salariés agricoles (Ffipsa) ainsi que pour purger la dette cumulée de l'Etat auprès des organismes de protection sociale, M. Frédéric Van Roekeghem a indiqué que cette dette sera, de manière certaine maintenant, inscrite en créance sur l'Etat dans le cadre de la certification des comptes. Il a salué, de ce point de vue, le travail et l'indépendance de la mission conjointe « inspection générale des finances/inspection des affaires sociales », qui a confirmé la qualité des créances. En principe, le remboursement de la dette ne devrait être qu'une simple opération de trésorerie, sans impact sur les comptes de l'Etat.

La question du retour à l'équilibre du FSV et du Ffipsa relève, pour lui, de la loi, et donc du seul Parlement.

Interrogé sur les instruments qui permettraient d'améliorer la gestion de la dépense sociale, M. Frédéric Van Roekeghem a estimé qu'il est indispensable de continuer dans la voie des programmes de qualité et d'efficience (PQE).

D'une façon générale, la question de la gouvernance de la sécurité sociale comporte trois parties. En premier lieu, le Parlement doit débattre du champ de la protection sociale. A ce titre, par exemple, il n'est pas normal que la question du remboursement ou non d'un examen aussi coûteux que l'ostéodensitométrie échappe au contrôle du législateur. En deuxième lieu, le Parlement ne pourra pas non plus éviter un débat sur le mode de financement de la protection sociale. La commission des finances du Sénat s'est d'ailleurs emparée du sujet en lançant la réflexion sur la TVA sociale. Enfin, en troisième lieu, la France doit rattraper son retard dans la mise en place d'indicateurs d'efficience. De ce point de vue, on doit déplorer le faible nombre de programmes d'efficience prévus dans le domaine de la santé, alors qu'il serait nécessaire, par exemple, de passer « à la paille de fer » la carte hospitalière.

A la lumière des exemples étrangers, il faut souligner, qu'en matière de TVA, la France ne possède pas de marge importante de majoration car son taux normal est déjà supérieur à la moyenne européenne, à la différence de l'Allemagne qui était, elle, en dessous de cette moyenne avant le relèvement opéré au 1er janvier dernier.

Puis un débat s'est ouvert auquel ont participé MM. Paul Blanc, Bernard Cazeau, rapporteur, et Alain Vasselle, rapporteur.

M. Frédéric Van Roekeghem a exprimé une nouvelle fois sa préférence pour une TVA sociale en comparaison des autres solutions proposées : la contribution sur la valeur ajoutée (CVA) ne taxe pas les importations et pèse sur l'outil de production situé en France, ce qui n'a pas de sens. Quant à la taxe sur le chiffre d'affaires (TCA) telle qu'elle est préconisée par Serge Dassault, elle ne pourrait pas résister à un taux de prélèvement élevé.

Revenant sur la question de l'efficience des dépenses de santé, M. Frédéric Van Roekeghem a souligné le caractère inopérant, en pratique, des instruments coercitifs, comme le plafond d'avance de trésorerie voté dans la loi de financement de la sécurité sociale, que le Gouvernement est conduit à relever en cas de nécessité. Si la définition d'un objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) est un outil bienvenu, le véritable enjeu de la régulation est la transparence des coûts. Celle-ci existe aujourd'hui en ce qui concerne la médecine de ville. Le taux de progression du revenu des médecins a ainsi été, au cours des dernières années, supérieur de 1 à 1,5 point au taux de progression des prix, permettant aux professions médicales de prendre leur part des fruits de la croissance dans des proportions acceptables.

Il convient désormais de dégager de nouvelles marges en s'attaquant au « dur », c'est-à-dire au prix du médicament.

A titre de comparaison, si la France adoptait en matière d'antibiothérapie un comportement identique à celui de l'Allemagne, elle réaliserait une économie de dépense de l'ordre de 600 millions d'euros. Cette économie serait déjà de 300 millions d'euros avec un simple alignement des pratiques sur la moyenne européenne.

Or, actuellement, le seul instrument utilisé est celui de la conviction, pour un montant d'économies supplémentaires de 30 millions à 40 millions d'euros par an, ce qui implique qu'il faudra dix ans environ pour que le potentiel d'économies réalisables sur les antibiothérapies soit exploité.

Evolutions du périmètre de la protection sociale - Audition de M. Jean-François Chadelat, inspecteur général des affaires sociales, directeur du fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture maladie universelle

La mission a ensuite procédé à l'audition de M. Jean-François Chadelat, inspecteur général des affaires sociales, directeur du fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture maladie universelle.

M. Jean-François Chadelat, en sa qualité de vice-président du comité d'histoire de la sécurité sociale, a d'abord rappelé quelques faits historiques. En 1956, un document d'une dizaine de pages a été élaboré et intitulé « Budget social de la nation », où figurait un certain nombre de chiffres relatifs à la sécurité sociale. Ce document a ensuite été annexé au projet de loi de finances sous la forme d'un jaune budgétaire. Même si, dès cette époque, le budget de la protection sociale était supérieur au budget de l'Etat, il ne faisait pas l'objet d'un vote. La loi du 24 décembre 1974 a modifié l'intitulé de ce document en le transformant en « Effort social de la nation », mais n'a toujours pas prévu de vote sur les montants qu'il contenait. A la fin des années soixante-dix, plusieurs propositions, dont la proposition de loi de Michel d'Ornano, ont eu pour objet la création d'un budget annexe de la protection sociale, analogue au budget annexe des prestations sociales agricoles (Bapsa), mais elles n'ont jamais abouti, le Conseil constitutionnel ayant déclaré inconstitutionnelle la proposition de loi d'Ornano.

Dans le cadre du plan Juppé de 1996, l'évidence selon laquelle la représentation nationale doit se prononcer sur les finances sociales a été inscrite dans la Constitution et a permis la création de la loi de financement de la sécurité sociale. Cette réforme majeure, maintenue à travers les alternances politiques, constitue un progrès considérable car elle a permis d'introduire une transparence, une clarté et une rigueur qui n'existaient pas auparavant dans la gestion des finances sociales. La commission des comptes de la sécurité sociale, qui ne se réunissait autrefois qu'en novembre, se réunit dorénavant en septembre, pour faire un point précis des comptes et interpeller ainsi le Gouvernement avant qu'il n'adopte le projet de loi de financement en Conseil des ministres. La loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale du 2 août 2005 constitue un deuxième progrès indéniable.

Au total, les finances sociales ont aujourd'hui une véritable avance sur le budget de l'Etat puisque d'une part, leur comptabilité s'effectue en droits constatés, d'autre part, elles répondent au principe de la pluriannualité. A cet égard, il est regrettable que les données pluriannuelles futures ne figurent qu'en annexe du projet de loi de financement de la sécurité sociale, car ces données fondamentales mériteraient qu'on leur accorde plus d'importance et que soient mieux justifiées les différentes hypothèses retenues. A titre d'exemple, la projection de l'annexe B du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 qui retient une progression en valeur de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) inférieure à la croissance du produit intérieur brut en volume est une absurdité.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale constitue néanmoins un progrès de la démocratie et du débat public, notamment grâce à la mise en place d'une possibilité de contrôle et de vérification réelle. La certification des comptes sera aussi un élément important d'amélioration de la gestion des finances sociales. Enfin, la création du comité d'alerte par la loi de 2004 sur la réforme de l'assurance maladie est une avancée.

La fusion de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale n'a aucun sens, car elle reviendrait à étatiser la sécurité sociale, à remettre en cause la nature spécifique des dépenses, selon le cas, limitatives ou évaluatives, de chacune de ces lois et à rendre moins transparente la situation générale des finances publiques. De ce point de vue, on doit accorder une confiance restreinte à la direction du budget qui sait transférer des dépenses du budget de l'Etat vers les autres budgets publics mais qui n'a jamais su faire d'économies. Les documents transmis à la commission européenne, dans lesquels figurent aussi bien les finances de l'Etat que celles des organismes de sécurité sociale ou des collectivités territoriales, permettent de répondre à l'exigence d'une approche transparente et globale des finances publiques.

S'agissant du rôle des partenaires sociaux, la réforme de la loi du 13 août 2004 a introduit un changement de méthode considérable dans la gouvernance de la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam). Désormais, les membres du conseil d'administration de la Cnam étudient les dossiers en amont et donnent un mandat explicite au directeur général qui, seul, négocie avec les professionnels de santé. Cette procédure, ajoutée à celle du comité d'alerte, a sans doute abouti à un amoindrissement du rôle des partenaires sociaux. Pour autant, le paritarisme reste la moins mauvaise forme de gouvernance des organismes de sécurité sociale, comme en témoigne, d'ailleurs, le retour du mouvement des entreprises de France (Medef) dans les différentes instances qu'il avait quittées. Le paritarisme fonctionne d'ailleurs très bien là où il est appliqué dans toute sa pureté, c'est-à-dire l'assurance chômage et les régimes complémentaires de retraite.

Puis M. Jean-François Chadelat a souligné que le financement de la protection sociale doit être évidemment différent selon les branches. Pour la vieillesse, le chômage, les accidents du travail et les indemnités journalières de la Cnam, le financement doit se faire par les cotisations, les prestations ayant un lien direct avec le travail. En revanche, pour l'assurance maladie et les prestations familiales, devenues universelles et totalement déconnectées du travail depuis longtemps, il n'est pas nécessaire de maintenir des cotisations liées au travail. La question qui se pose actuellement avec le plus d'acuité est donc celle de la justification du financement par les employeurs des cotisations famille et maladie.

C'est dans ce contexte que le Premier ministre Alain Juppé lui avait commandé, en 1997, un rapport sur les modalités de réforme des cotisations patronales de sécurité sociale. Ce rapport a été remis à Lionel Jospin, devenu entre-temps Premier ministre. Hostile aux conclusions du rapport Chadelat, il a commandé une autre étude à Edmond Malinvaud, chargé d'établir des propositions pour un financement de la sécurité sociale plus favorables à l'emploi. Depuis la remise de ces travaux, la question n'a pas évolué et le problème reste entier. La France, qui a conservé des cotisations patronales assises sur les salaires pour financer des dépenses sans lien avec le travail, est restée paradoxalement plus bismarckienne que l'Allemagne. Le mouvement lancé dans les années quatre-vingt de substitution aux cotisations salariales d'une contribution à assiette très large assise sur l'ensemble de la richesse nationale doit être étendu à la part patronale selon la même logique.

Le mouvement de fiscalisation de la protection sociale, qui n'a aucun lien avec une budgétisation de la protection sociale, résulte de la nécessité de trouver d'autres recettes pour financer les dépenses sociales. Une très longue liste de taxes est actuellement affectée à cet objet. Il est, à cet égard, regrettable que la taxe de 1967 sur les assurances des véhicules à moteur ait été préemptée pour un autre usage et que la taxe sur les boissons sucrées, qu'il avait proposée dans un rapport récent, n'ait pas été créée en faveur du Ffipsa. En tout état de cause, il est important de préserver la CSG telle qu'elle existe aujourd'hui et de ne pas la fusionner avec l'impôt sur le revenu en raison de la très grande différence d'assiette.

M. Jean-François Chadelat a confirmé que les dépenses sociales, qui ont déjà sensiblement augmenté au cours des dernières années, vont continuer à progresser alors que la situation des finances publiques est mauvaise. A l'horizon de vingt ou trente ans, les dépenses vieillesse vont augmenter de trois ou quatre points de PIB et les dépenses d'assurance maladie à un rythme plus rapide que celui de la richesse nationale. Il faut rappeler que 5 % des assurés produisent plus de la moitié des dépenses d'assurance maladie et qu'avec l'augmentation de l'espérance de vie, les six derniers mois de la vie donnent lieu à 10 % de ces dépenses. Si, en 1945, la sécurité sociale offrait des prestations d'une qualité encore limitée, qui s'est néanmoins améliorée avec l'accroissement de la richesse nationale, il en est tout autrement aujourd'hui, ce qui implique d'en tirer les conséquences.

M. Bernard Cazeau, rapporteur, a souhaité savoir si d'autres recettes peuvent être envisagées pour financer la dépendance.

M. Jean-François Chadelat a indiqué que le phénomène nouveau de la dépendance s'ajoute en effet aux cinq à six points supplémentaires de PIB probablement nécessaires pour faire face aux dépenses d'assurance vieillesse et d'assurance maladie au cours des trente prochaines années. Il a regretté la dispersion des moyens de l'allocation personnalisée d'autonomie (Apa) accordée à des personnes jouissant d'une certaine autonomie. Il aurait été préférable de limiter cette prestation à la dépendance lourde, tout en mobilisant d'autres mécanismes pour l'assistance à domicile.

M. Paul Blanc s'est interrogé sur l'utilité de la souscription d'une assurance obligatoire pour la dépendance.

M. Jean-François Chadelat a indiqué que la création d'une nouvelle branche est une véritable question car la dépendance est un besoin nouveau auquel il paraîtrait justifié d'affecter un financement propre et particulier. D'une façon générale, la situation actuelle exige que l'on actualise en permanence les dépenses et les risques pris en charge. Dans ce cadre, la Haute Autorité de santé doit être l'organisme qui procède aux recommandations et arbitrages nécessaires.

En réponse à M. Alain Vasselle, rapporteur, M. Jean-François Chadelat a estimé souhaitable que la coordination entre les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale s'améliore tout en soulignant l'excellent apport des programmes de qualité et d'efficience (PQE). En outre, il est important que la loi de financement reste un texte financier, et non une loi fourre-tout, comme l'a d'ailleurs récemment indiqué le Conseil constitutionnel en supprimant près de vingt articles dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007. Il faudrait revenir à la pratique des textes portant diverses mesures d'ordre social, nécessaires en France où de très nombreuses mesures législatives régissent le secteur social.

M. Alain Vasselle, rapporteur, a souhaité savoir si l'on peut distinguer, au sein des dépenses d'assurance maladie, celles qui relèvent de la solidarité, comme par exemple la CMU-c, et celles qui relèvent de l'assurance.

M. Jean-François Chadelat a indiqué que la distinction entre assurance et solidarité est en grande partie artificielle pour la branche maladie. En revanche, pour la vieillesse, la séparation entre le contributif et le non-contributif a un sens et justifie l'existence du FSV. En effet, on peut assurer un risque mais pas une consommation et, en matière d'assurance maladie, s'il y a bien un risque, il n'en demeure pas moins que l'Etat a le devoir d'assurer cette protection en application des principes inscrits dans le Préambule à la Constitution de 1946. L'exemple américain, qui comporte un système d'assurance pour la majorité de la population et le dispositif Medicare pour les plus pauvres, n'est en tout cas pas transposable à notre pays.

Sur la question particulière de l'équilibre du Ffipsa, il a estimé qu'à défaut de création de taxes nouvelles, le Gouvernement devra verser une subvention budgétaire.

M. Bernard Cazeau, rapporteur, a souhaité savoir si un cinquième risque doit être créé pour la dépendance et comment on organise le maintien à domicile des personnes âgées si l'Apa ne prend en charge que les personnes les plus dépendantes (Gir 1 et 2).

M. Jean-François Chadelat a insisté sur la probable explosion de la question de la dépendance dans les années à venir. L'âge moyen actuel de l'entrée en dépendance est de quatre-vingt-deux ans et même si celui-ci recule, l'accroissement de la durée de vie fera de la dépendance un problème majeur pour les prochaines années. L'assurance ne peut être une réponse suffisante à cette question. Le système actuel de prise en charge apparaît néanmoins trop complexe avec l'intervention de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), de la Cnam et des départements.

M. Paul Blanc a regretté le dévoiement des objectifs initiaux de la CNSA, au départ réservée aux personnes handicapées. Après la canicule, celle-ci a été étendue aux personnes âgées mais il est nécessaire de séparer les modes de financement et de traiter différemment les questions de handicap et de dépendance. En effet, le handicap représente un risque qui n'est pas assurable, contrairement à la dépendance.

M. Jean-François Chadelat a reconnu la différence de problématique entre les deux risques.

M. Guy Fischer a souhaité savoir où en est la réflexion sur la définition du champ de la protection sociale de l'assurance maladie obligatoire, des assurances complémentaires et de la détermination d'un panier de soins.

M. Jean-François Chadelat a estimé indispensable de réglementer les assurances complémentaires en développant en particulier celles qui s'avèrent réellement utiles. C'est d'ailleurs une des idées de la loi du 13 août 2004 et de la mise au point progressive des contrats responsables. Il faut noter que, dans certains secteurs, les assurances complémentaires sont plus efficaces que la sécurité sociale, par exemple dans le domaine dentaire où certains organismes ont passé des conventions avec les professionnels de façon à encadrer leurs pratiques, ce qui est bénéfique aussi bien pour les assureurs que pour les assurés et les professionnels de santé, mais également pour la sécurité sociale.

M. Dominique Leclerc a souhaité savoir pour quelles raisons la définition du panier de soins a été abandonnée.

M. Jean-François Chadelat a précisé que cette notion n'a jamais vraiment existé officiellement, mais il est certainement nécessaire que soit actualisé en permanence ce que la sécurité sociale prend ou non en charge. Le plus important est que cette prise en charge se fasse dans des conditions efficaces en termes de santé publique et efficiente tant sur le plan de la santé que d'un point de vue économique.

Evolutions du périmètre de la protection sociale - Audition de M. Dominique Libault, directeur de la sécurité sociale

La mission a enfin procédé à l'audition de M. Dominique Libault, directeur de la sécurité sociale.

M. Dominique Libault a d'abord estimé fondamental que le Parlement puisse se prononcer sur les finances sociales, car, seule, une appréciation fine du Parlement sur ces dépenses permet d'avoir une véritable vision globale des finances publiques. Si des progrès sont possibles dans l'amélioration de la cohérence de cet ensemble, il est néanmoins nécessaire de garder l'unicité et la spécificité du regard sur la protection sociale au sein des finances publiques.

La sécurité sociale a été créée en 1945 comme l'ensemble des droits objectifs sociaux reconnus à la personne pour la protéger des risques de la vie, de la naissance à la mort. Elle met donc en oeuvre des droits personnels ainsi qu'une redistribution entre ménages, la puissance publique étant l'organisateur de cette redistribution. Cette organisation de la solidarité collective est l'un des grands progrès des sociétés du vingtième siècle.

La spécificité des dépenses sociales se retrouve également dans ses modes de régulation, différents de ceux des dépenses de l'Etat confiées à la seule responsabilité des gestionnaires publics. En modifiant les montants transférés aux ménages, cette régulation nécessite en effet une grande attention et de l'anticipation, notamment celle des mouvements démographiques. Elle résulte avant tout de la décision politique et passe aussi par une modification du comportement des acteurs privés : assurés, prescripteurs, retraités, etc. La nécessité de modes de régulation adaptés à la nature de la dépense sociale et de l'organisation des droits sociaux justifie donc le maintien d'une loi spécifique.

Le service public de la protection sociale a par ailleurs une organisation particulière, homogène selon les risques, avec des caisses de sécurité sociale et une intervention de la puissance publique, grâce aux conventions d'objectifs et de gestion (Cog). Dans ce cadre, la sauvegarde d'une approche globale, cohérente et spécifique des finances sociales revêt un intérêt majeur et justifie un pilotage à la fois par branche et en fonction des soldes, c'est-à-dire par le suivi de l'affectation des recettes aux dépenses. Ces mécanismes sont nécessaires en termes de pédagogie auprès de l'opinion publique et des acteurs concernés, ainsi que pour obtenir l'acceptation sociale et la confiance de tous, dans un contexte de très grande transparence. La situation du régime des retraites a montré l'importance d'un diagnostic partagé. Un pilotage par les soldes n'exclut toutefois pas la définition de normes de dépenses. Dans ces conditions, un document budgétaire unique, qui remettrait en cause ces principes, représenterait une très forte régression.

Le rôle des partenaires sociaux, présents dans l'ensemble des conseils des caisses, est un aspect très important de la démocratie française. Leur apport est réel et indispensable sur les sujets traités. La loi de financement de la sécurité sociale est en effet non seulement une loi de finances publiques, mais également une loi de politiques publiques, avec la détermination de finalités précises pour l'utilisation des importantes masses financières concernées, soit environ 400 milliards d'euros.

M. Alain Vasselle, rapporteur, s'est déclaré en accord avec la philosophie générale du système ainsi défini. Il s'est néanmoins interrogé sur le mouvement de fiscalisation des ressources de la protection sociale, sur la manière de distinguer les dépenses relevant de la solidarité et celles relevant de l'assurance, sur les possibles évolutions en matière d'assiette des cotisations patronales et sur les moyens de faire face à la dynamique des dépenses sociales.

M. Dominique Libault a insisté sur les moyens d'ores et déjà mis en oeuvre pour renforcer la cohérence entre le budget de l'Etat et les finances sociales. La création du conseil d'orientation des finances publiques est à cet égard une avancée, car il constitue un lieu de dialogue et offre une visibilité extrêmement utile. Pour prolonger cette démarche, il pourrait être judicieux de créer, auprès du Premier ministre, un secrétariat général des finances publiques, qui aurait pour mission de veiller à la cohérence des décisions et d'assurer une coordination interministérielle des finances publiques. Enfin, on pourrait imaginer l'élaboration d'une annexe commune Etat-sécurité sociale, permettant une plus grande lisibilité sur l'ensemble des sujets communs aux deux blocs financiers.

Puis il a insisté sur l'absence de parallélisme entre la budgétisation et la fiscalisation de la sécurité sociale. Celle-ci sera en effet amenée à se développer du seul fait que les ressources nouvelles susceptibles d'être créées seront sans doute plutôt d'ordre fiscal. Une telle situation rendra encore plus nécessaire de revoir la définition des frontières entre impôt et cotisation. Pourquoi, par exemple, ne pas décider que, selon un critère de destination, la cotisation pourrait recouvrir tout prélèvement affecté à la sécurité sociale ?

Le débat actuellement engagé sur le financement de la protection sociale est d'un grand intérêt. Plusieurs scénarios sont à l'étude autour des concepts de valeur ajoutée et de TVA sociale. Ces deux questions sont légitimes. D'autres pistes existent néanmoins, comme celle relative aux niches sociales, qui pourrait aboutir à la création d'une cotisation patronale généralisée avec assiette large et taux réduit.

M. Dominique Libault a ensuite rappelé que, spontanément, les dépenses d'assurance maladie et d'assurance vieillesse augmentent plus vite que les recettes qui leur sont dédiées, ce qui explique le caractère déficitaire de ces branches. Aussi apparaît-il essentiel, qu'avant même de considérer le financement de mesures nouvelles, l'on prenne en compte la nécessité de faire face aux évolutions spontanées. La spécificité de la branche maladie est de présenter encore des gains d'efficience potentiellement considérables, en particulier en matière de maîtrise médicalisée des dépenses et dans le domaine hospitalier. Pour la branche vieillesse, les paramètres ne peuvent être modifiés avec la même facilité, mais des ressources supplémentaires seront rapidement nécessaires. Dans les deux cas, une vision pluriannuelle de l'évolution des dépenses est obligatoire et, à cet égard, le rapport présenté par Gilles Carrez devant le Conseil d'orientation des finances publiques portant l'impact du vieillissement de la population sur les finances publiques revêt un grand intérêt.

La question de la distinction entre les dépenses à caractère assurantiel ou solidaire n'est pas pertinente pour la sécurité sociale, car celle-ci recouvre les deux dimensions. Pour l'assurance maladie, les cotisations ne sont pas calculées en fonction du risque, mais en fonction des revenus. De même, pour la branche vieillesse, il existe une dimension solidaire avec la prise en charge des cotisations des chômeurs. Ce mélange d'assurance et de solidarité constitue la caractéristique fondamentale de la sécurité sociale et justifie, notamment, le fait que les règles de la concurrence, en particulier liées au droit communautaire, ne peuvent lui être appliquées.

Un certain nombre d'exemples montre d'ailleurs que la répartition des dépenses sociales entre le budget de l'Etat et le budget de la sécurité sociale n'obéit pas à des critères bien définis. Par exemple, l'assurance maladie couvre, en principe, les dépenses du régime de base des affiliés à la sécurité sociale. Aussi bien l'aide médicale d'Etat, qui ne concerne pas des affiliés, est-elle une dépense de l'Etat, et non de la sécurité sociale. De même, la couverture maladie universelle-complémentaire (CMU-c), qui est une dépense d'assurance complémentaire, relève du budget de l'Etat. La capacité d'édicter une frontière claire s'estompe, en revanche, dès que l'on aborde la question du financement des politiques de santé publique. On pourrait penser que celles-ci doivent être prises en charge par l'Etat, alors que les politiques d'assurance maladie relèvent de la sécurité sociale. Néanmoins, cette dernière ne finance pas seulement des soins, mais également des actions de prévention, comme le dépistage des cancers. Il n'est en effet pas absurde que l'assurance maladie prenne en charge des actes de prévention qui permettront plus tard des économies sur des dépenses de soins. Pour d'autres sujets, tels que la lutte contre le bioterrorisme, la question est moins claire, mais nécessite d'être traitée avec bon sens.

M. Alain Vasselle, rapporteur, a souhaité savoir s'il existe une liste de dépenses indûment mises à la charge de la sécurité sociale.

M. Dominique Libault a indiqué que ses services pouvaient fournir une telle liste, mais que l'important est d'obtenir une stabilité des règles applicables. Par exemple, il est de tradition que les missions d'intérêt général (Mig) dans les hôpitaux soient financées par l'assurance maladie, bien qu'il s'agisse en grande partie d'actions de recherche relevant de la responsabilité de l'Etat. De même, la sécurité sociale finance le fonctionnement de juridictions sociales, ce qui, là aussi, nécessite réflexion.

La principale simplification des relations financières avec l'Etat réside toutefois dans l'élimination des dettes et la construction, aussi sincère que possible, des relations et évaluations financières entre les deux blocs, Etat et sécurité sociale. En effet, non seulement les règles de compensation des exonérations fixées en 1994 ne sont pas toujours respectées, mais encore les anticipations relatives au coût des nouvelles dépenses n'apparaissent pas toujours crédibles, même s'il existe un aléa pour certaines d'entre elles. La différence de mode de comptabilité entre les dépenses de la sécurité sociale - établies en droits constatés - et celles de l'Etat - établies en encaissement-décaissement - crée aussi des décalages préjudiciables à la clarté des relations financières entre les deux entités. En outre, les dettes de l'Etat envers la sécurité sociale ne peuvent être mises en évidence qu'à travers le bilan de l'Etat. Enfin, la fongibilité instituée par la Lolf de 2001, au sein d'un programme comprenant notamment des remboursements à la sécurité sociale, peut inciter son gestionnaire à privilégier les autres dépenses aux dépens de la créance détenue par les organismes sociaux.

Les lois de financement de la sécurité sociale ont permis des progrès dans trois grands domaines : l'instauration d'une pluriannualité, le vote sur les soldes et la présentation de l'Ondam en sous-objectifs. Des marges d'amélioration demeurent néanmoins et les remarques effectuées par la commission des affaires sociales sur l'insuffisante qualité des annexes seront prises en compte dans la préparation du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008.

La résolution des problèmes rencontrés par le fonds de solidarité vieillesse (FSV) et le fonds de financement des prestations sociales des non-salariés agricoles (Ffipsa) tient essentiellement à la question des recettes de ces deux organismes. Aussi, pourrait-il être judicieux de s'interroger sur le transfert à l'Unedic - si la situation de cet organisme continue de s'améliorer - de la charge des cotisations retraite des chômeurs du régime de base, à l'image de ce qui existe déjà pour les régimes complémentaires. Pour le Ffipsa, la solution réside du côté des recettes de l'Etat.

M. Dominique Libault a ensuite constaté que des objectifs de dépenses existent pour toutes les branches de la sécurité sociale, mais que le mécanisme du comité d'alerte, qui fonctionne bien pour l'assurance maladie, car elle dispose de leviers permettant des réactions rapides, ne pourrait fonctionner de la même façon pour les branches vieillesse et famille. Pour ces deux branches, un pilotage préventif et une efficience accrue de la décision publique paraissent en effet plus judicieux que de simples mesures de gestion.

Enfin, seul un nombre limité d'expériences étrangères peut servir de comparaison avec la situation française, tant celle-ci est spécifique et, somme toute, enviable, avec un pilotage relativement correct des dépenses sociales.

M. Bernard Cazeau, rapporteur, a souhaité savoir quelles sont les marges de manoeuvre en matière d'assurance maladie.

M. Dominique Libault a indiqué que la maîtrise des dépenses d'assurance maladie peut agir sur la consommation de médicaments, les indemnités journalières pour lesquelles on constate encore de très grandes disparités selon les départements, la gestion des risques, par exemple en analysant les pratiques des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), ou la gestion des droits avec un contrôle accru de la condition de résidence ainsi que sur l'hôpital, en particulier dans la comparaison des coûts de gestion au sein même des hôpitaux publics.

M. Guy Fischer s'est interrogé sur les conséquences, en termes de santé publique et de solidarité, de l'explosion actuelle de la précarité et du phénomène des travailleurs pauvres.

M. Dominique Libault a estimé que la protection sociale ne peut à elle seule lutter contre la pauvreté, même s'il est vrai que le système de retraite et de prestations familiales français a réellement permis de réduire la pauvreté dans notre pays au cours des dernières décennies. La difficulté actuelle résulte surtout de l'exclusion du marché du travail, en particulier des jeunes, des seniors et des moins qualifiés, ce qui rend nécessaire une réflexion sur la réintégration de ces personnes dans le monde productif.

M. Dominique Leclerc s'est déclaré en accord avec l'analyse selon laquelle de véritables marges existent pour permettre le maintien des droits actuels, mais a rappelé que la responsabilité de cette régulation appartient aujourd'hui aux politiques.

Mercredi 14 mars 2007

- Présidence de M. Alain Vasselle, président -

Evolutions du périmètre de la protection sociale - Audition de M. Philippe Josse, directeur du Budget, sur les évolutions du périmètre de la protection sociale, et M. François Carayon, sous-directeur à la direction du budget

La mission a procédé à l'audition de M. Philippe Josse, directeur du Budget, sur les évolutions du périmètre de la protection sociale, et M. François Carayon, sous-directeur à la direction du budget.

M. Philippe Josse, directeur du budget, a indiqué qu'une approche plus globale des finances publiques constitue le point de départ du raisonnement sur la situation financière actuelle de notre pays. Celle-ci comporte quatre éléments : le déficit public, la dette publique, l'ensemble des prélèvements obligatoires et l'ensemble des dépenses publiques. Ces dernières, d'un montant total de 900 à 950 milliards d'euros, comprennent le budget de l'Etat pour 268 milliards, les dépenses entrant dans le champ du projet de loi de financement de la sécurité sociale, soit environ 400 milliards qui deviennent 430 à 450 milliards pour l'ensemble des organismes sociaux, et les dépenses des collectivités territoriales, soit 200 milliards.

Pour les institutions européennes, comme dans la plupart des pays européens, aucune différence n'est faite en France entre dépenses de l'Etat et dépenses de la sécurité sociale, l'analyse portant sur l'entité unique des finances publiques. Il est donc indispensable de favoriser autant que faire se peut une approche globale.

De ce point de vue, des progrès importants ont été réalisés depuis deux ans. Ainsi, à la suite du rapport Pébereau, une véritable prise de conscience collective sur l'excès d'endettement public de la France est apparue. La mise en place de la conférence nationale des finances publiques et du conseil d'orientation des finances publiques a permis, pour la première fois, de mettre autour d'une table l'ensemble des acteurs de la dépense publique : ministres et représentants du pouvoir exécutif, présidents des caisses de sécurité sociale, représentants des collectivités territoriales et parlementaires. L'organisation conjointe d'un débat d'orientation budgétaire et sur les finances sociales est également un apport important, même si sa caractérisation sociale pourrait être un peu plus prononcée, ainsi que le souhaite, à juste titre, la commission des affaires sociales du Sénat. L'organisation, dans cette seule assemblée pour l'instant, d'un débat sur les prélèvements obligatoires en présence des ministres sociaux et financiers s'inscrit dans la même logique positive. Il en est de même de l'obligation édictée par la Lolf de rendre cohérent le rapport social, économique et financier annexé au projet de loi de finances avec, d'une part, le programme de stabilité, d'autre part, le cadrage du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Enfin, dernière innovation, la lettre de cadrage du Premier ministre envoyée cette année aux ministres prévoit non seulement les grandes lignes d'élaboration du projet de loi de finances, mais encore celles du projet de loi de financement de la sécurité sociale, afin d'en mieux coordonner la préparation.

La question de la fusion du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale est extrêmement complexe et ne peut, en l'état actuel, recevoir de réponse tranchée. Malgré tous les progrès réalisés, on dispose encore d'un système peu satisfaisant. Ainsi, l'existence de deux textes fait que l'on concentre le débat sur les frontières des champs couverts et sur « qui paye quoi », ce qui en restreint la portée et, surtout, ce qui ne répond pas à un intérêt direct des citoyens. Par ailleurs, avec deux textes, on constate une réelle difficulté à définir des stratégies cohérentes, et cela sur des questions aussi essentielles que le volume global des prélèvements obligatoires ou certaines politiques sectorielles, comme la politique familiale. Enfin, il n'y a pas de justification théorique évidente pour l'attribution d'une dépense au budget de l'Etat ou aux caisses de sécurité sociale selon sa nature. En effet, le budget de l'Etat, contrairement à ce que l'on pourrait imaginer, comporte de nombreuses dépenses de guichet, telles que les prestations aux anciens combattants ou les aides aux agriculteurs. A l'inverse, on trouve dans le champ de la loi de financement de la sécurité sociale un certain nombre de dépenses discrétionnaires, comme les dépenses d'action sociale des caisses, notamment de la caisse nationale d'allocations familiales. Aussi bien le besoin d'une coordination aussi poussée que possible entre les deux textes se fait-il sentir avec acuité, comme en témoignent les conclusions du récent rapport Lambert-Migaud.

M. Philippe Josse a ensuite indiqué que pour faire évoluer la situation, quatre schémas théoriques peuvent être envisagés. Le premier, « Amélioration de l'existant », consiste à poursuivre dans la voie frayée depuis deux ans. Cela pourrait se faire à partir de trois actions : élaborer une lettre de cadrage unique, ce qui vient d'être réalisé ; créer un objectif national de dépenses pour la famille afin de permettre un meilleur pilotage de cette branche par la dépense ; anticiper les arbitrages du projet de loi de financement de la sécurité sociale, qui, jusqu'à maintenant, étaient pris à la dernière minute, soit en août-septembre. Pour atteindre ce dernier objectif, il convient de commencer l'élaboration du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale en même temps, d'organiser très en amont les réunions sur les réformes structurelles, d'arrêter l'arbitrage sur le niveau des dépenses avant le débat d'orientation budgétaire de manière à assurer un véritable débat d'orientation des finances sociales, de déconnecter les arbitrages sur les recettes de ceux sur les dépenses avec des décisions dès le mois de juillet, enfin de lancer l'idée d'un comité d'alerte pour les dépenses de la branche famille.

Le deuxième schéma est celui de la « Juxtaposition des textes ». Il consisterait à n'organiser qu'une seule discussion générale avec, en première partie, le budget de l'Etat et, en deuxième partie, le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Le seul gain réel de cette approche serait la mise en cohérence des discussions et du débat politique tout en conservant les deux textes. Cela reviendrait, d'une certaine manière, à étendre le débat actuel du Sénat sur les prélèvements obligatoires à l'Assemblée nationale et à l'appliquer à l'ensemble des dépenses publiques. On pourrait même envisager un vote global sur les grands objectifs de dépenses publiques, dont le détail serait ensuite précisé dans le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Le troisième schéma, « Pot commun de recettes », a pour objet d'organiser, d'un côté, le vote de l'ensemble des recettes publiques, de l'autre, l'examen des dépenses, pour l'Etat selon les règles de la Lolf, en crédits limitatifs, et pour la sécurité sociale, en mode évaluatif. L'avantage principal serait une grande cohérence de la politique des prélèvements obligatoires. L'inconvénient majeur serait la perte de la logique de solde des comptes sociaux et de la responsabilisation par la recette. A cet égard, il faut toutefois souligner le danger d'un pilotage exclusivement par le solde, car il expose à un surcroît de dépenses lorsque la situation des recettes est bonne et à un accroissement des prélèvements obligatoires lorsque la conjoncture est mauvaise. Un pilotage pluri-annuel par la dépense est donc nécessaire, comme le montrent certaines décisions récentes contestables, pour l'Unedic en 2000 ou pour la création de la prestation d'accueil du jeune enfant (Paje), conçue, en fait, afin d'utiliser les excédents de la branche famille.

Le quatrième schéma est celui de la « Fusion pure et simple ». Les dépenses familiales et maladie deviendraient des programmes du budget général, les caisses étant les opérateurs de l'Etat. Ce scénario rejoint les propositions de M. Philippe Marini dans son dernier rapport sur les prélèvements obligatoires. Une telle fusion exclurait néanmoins l'assurance chômage, vrai modèle de gestion par les partenaires sociaux, la vieillesse, tant en ce qui concerne le régime général qu'a fortiori les régimes complémentaires, et les accidents du travail - maladies professionnelles.

L'intégration de la branche famille dans le budget de l'Etat est la plus légitime, même si elle ne repose sur aucune justification théorique liée aux distinctions entre assurance et solidarité, contributif et non contributif, impôts et cotisations. En effet, d'un point de vue pragmatique, il incombe aujourd'hui à l'Etat de gouverner presque entièrement le dispositif, la gestion paritaire étant assez illusoire par différence avec la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam), et l'Etat finance une part considérable des dépenses à travers l'allocation aux adultes handicapés (AAH), l'allocation de parent isolé (API) et les aides personnelles au logement. En outre, la politique fiscale est très présente dans ce domaine, notamment à travers le quotient familial. Enfin, cette fusion aurait le mérite de supprimer les cofinancements dont les effets sont toujours pernicieux, que ce soit par des politiques conjointes, des politiques partagées ou des partages d'impôts.

M. Philippe Josse a ensuite précisé que la direction du budget a actuellement pour mission la seule mise en oeuvre du premier schéma, celui de l'amélioration de l'existant.

Le vrai problème actuel des politiques publiques est celui de leur soutenabilité, notamment par les générations futures, ainsi que celui de leur performance. Il est donc essentiel de s'intéresser à la dépense, avant même de se pencher sur les questions de financement ou de solde.

En effet, les perspectives du vieillissement démographique pourraient avoir un impact de trois points de produit intérieur brut (PIB), soit 60 milliards d'euros, soit encore l'équivalent d'une deuxième contribution sociale généralisée (CSG).

Face à une telle situation, plusieurs voies sont fermées : laisser filer l'endettement public, c'est-à-dire entrer dans la spirale insoutenable de la dette ; augmenter les prélèvements obligatoires, car cela entraînerait des problèmes de compétitivité internationale (le seuil actuel de quarante-quatre points de PIB constitue déjà un niveau de prélèvements obligatoires très élevé), d'acceptabilité par le corps social et d'équité intergénérationnelle. La seule voie possible est donc celle de la maîtrise de la dépense, ce qui nécessitera des réformes structurelles, comme le rendez-vous de 2008 en matière de retraites.

La socialisation des besoins humains est sans doute à son maximum en France mais, aujourd'hui, l'ensemble du système doit être mis sous contrôle.

M. Alain Vasselle a alors souhaité avoir des précisions sur la spécificité des dépenses à caractère social, la manière d'assurer la transparence, la clarté et la lisibilité des dépenses sociales en cas de budgétisation de celles-ci, le rôle des partenaires sociaux, la réflexion en cours sur le financement de la protection sociale, la manière de faire face à la croissance inéluctable des dépenses sociales d'environ 1 à 1,5 point de plus que le PIB, le montant des dépenses de l'Etat supportées par l'assurance maladie, les possibilités d'améliorer les relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale, l'insuffisance du cadrage pluriannuel de l'annexe B du projet de loi de financement de la sécurité sociale, les solutions à apporter aux déficits du fonds de solidarité vieillesse (FSV) et du Fonds de financement des prestations sociales des non-salariés agricoles (Ffipssa), les conditions de détermination de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) et l'existence de modèles étrangers. Ces questions s'inscrivent dans le cadre du souci permanent de la commission des affaires sociales du Sénat d'obtenir l'équilibre des comptes de la sécurité sociale.

M. Philippe Josse a indiqué qu'en matière de dépenses, il ne peut y avoir de distinction absolue entre ce qui relève de l'Etat ou de la sécurité sociale. Les dépenses de vieillesse, d'accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) et de chômage restent essentiellement financées par le travail, conformément aux principes de la sécurité sociale mis en place en 1945. A l'autre extrémité du spectre, de nombreuses prestations relevant de la solidarité, notamment les minima sociaux, peuvent relever à la fois des caisses et de l'Etat. Ainsi, l'AAH et l'API sont versées par la Caisse nationale d'allocations familiales (Cnaf) mais financées par l'Etat, les aides personnelles au logement sont mises en oeuvre par la Cnaf avec un financement mixte et le RMI fait intervenir les caisse d'allocations familiales (Caf) et les départements. Les dépenses d'assurance maladie sont un mélange de solidarité et de logique assurantielle rendant toute distinction difficile. L'imputation des dépenses peut alors se faire selon des critères pragmatiques : qui pilote la dépense ? de quelle logique relève l'affectation des recettes ? Comme exemple de réflexion, on peut évoquer le cas des recettes de la branche famille, qui progressent actuellement de façon plus dynamique que les courbes démographiques.

Le rôle des partenaires sociaux est en France bien plus important que leur seule association à la gestion des caisses. Ils sont en effet consultés, voire associés, aux grandes décisions du Gouvernement, notamment au sein des instances récemment créées que sont le Conseil d'orientation des retraites (Cor), le Conseil d'orientation pour l'emploi (COE), le Haut conseil de l'assurance maladie (HCAM) et le Conseil d'orientation des finances publiques. Cette méthode constitue un grand progrès. Il faut néanmoins observer que, depuis la création du projet de loi de financement de la sécurité sociale, le partage des rôles est de moins en moins clair entre parlementaires et partenaires sociaux.

La distinction entre impôt et cotisation n'a que peu d'intérêt car il s'agit, dans tous les cas, d'un prélèvement obligatoire. Le seul paramètre à prendre en compte est l'efficacité économique du prélèvement. Dans l'ensemble, les pays de l'Union européenne ont un taux de recettes sociales fiscalisées supérieur à celui de la France, dont la protection sociale demeure alimentée à 60 % par des cotisations.

La mise en place d'une TVA sociale est une question complexe et politique. Elle doit se faire à l'aune de plusieurs critères : l'efficacité économique ainsi qu'une plus grande clarté et une plus grande cohérence dans le financement du système. La réforme adoptée en Allemagne ne relève que pour partie de la TVA sociale, puisque la hausse de la TVA n'a pas été équilibrée par une baisse équivalente des prélèvements sociaux. En outre, il faut observer qu'elle a été précédée de très importantes réformes structurelles et qu'elle bénéficie d'une conjoncture désinflationniste.

S'il est vrai qu'avec la TVA sociale, la charge fiscale est répartie différemment entre produits importés et produits nationaux, ses conséquences en termes de prix sont d'abord liées à la situation concurrentielle ou non du secteur, ainsi qu'aux circonstances au moment de sa mise en oeuvre et à l'ampleur des mesures d'accompagnement prévues.

En tout état de cause, il faut se méfier des partages d'impôt, ce qui signifie que toute augmentation de TVA devra être affectée au budget de l'Etat, seules les dépenses faisant, le cas échéant, l'objet d'une nouvelle répartition. La pire des solutions serait d'attribuer un peu de CSG à l'Etat et un peu de TVA à la sécurité sociale.

M. Alain Vasselle a souhaité savoir quelles pourraient être les conséquences d'une augmentation aujourd'hui de la TVA sur la croissance et sur l'emploi.

M. Philippe Josse a insisté sur l'importance du contexte économique et des réformes. Compte tenu de la situation de notre pays, il paraît difficile d'y envisager une transposition parfaite de la réforme allemande.

L'évolution des dépenses sociales suit actuellement une courbe supérieure à celle de la croissance du PIB. Il n'est toutefois pas évident que cette situation se maintienne en l'état. En effet, des comparaisons internationales montrent que, pour l'assurance maladie, le financement public est, en France, de deux points supérieur à la moyenne européenne. Des gains d'efficacité existent, et pas seulement par la suppression de prestations.

La rectification des frontières entre budget de l'Etat et sécurité sociale doit se faire selon la méthode du faisceau d'indices, en particulier dans le champ de la famille. Le réseau des Caf est en effet de plus en plus utilisé comme un guichet de proximité pour toutes sortes de dispositifs, dont le RMI, qui d'ailleurs ne transite pas par les comptes de la Cnaf.

La procédure d'élaboration de l'annexe B de projection pluriannuelle du projet de loi de financement de la sécurité sociale intervient en principe en cohérence et au même moment que celle du rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances.

Sur la manière de prévoir l'évolution de l'Ondam, deux difficultés doivent être soulignées : les fréquents changements de périmètre ainsi que l'absence de justification au premier euro de cet objectif de dépense.

M. François Carayon, sous-directeur à la direction du budget, a précisé que, sur ce point, des améliorations devraient pouvoir intervenir dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 grâce à des progrès sur l'analyse tendancielle et sur l'évaluation de l'impact des mesures nouvelles. Il est important de ne pas limiter l'approche à l'évolution en pourcentage de l'Ondam, mais de se pencher aussi et surtout sur le contenu des dépenses couvertes par l'Ondam.

M. Philippe Josse a ensuite fait observer que la solidarité nationale finance, d'ores et déjà, 88 % des dépenses du Ffipsa. Pour trouver une solution à la situation structurellement déficitaire de ce fonds, trois approches sont possibles : considérer que le Ffipsa est un régime de protection sociale autonome qui, modulo les mécanismes de compensation, doit s'autofinancer, ce qui signifie un retour à l'équilibre par une augmentation des cotisations et une maîtrise des prestations ; estimer que s'agissant d'un régime de protection sociale comme un autre, il revient à l'ensemble des régimes de protection sociale de prendre en charge le déficit du Ffipsa grâce à une décision du législateur financier social en ce sens ; rappeler que le Ffipsa était auparavant un budget annexe équilibré grâce à une subvention budgétaire et que celle-ci, actuellement prévue « le cas échéant », s'impose à l'Etat en raison du caractère particulier du secteur agricole.

Les trois solutions ont leur justification, ce qui signifie que chacune des trois parties identifiées devra faire un effort, la difficulté étant évidemment de paramétrer celui-ci pour chacune.

Puis M. Philippe Josse est revenu sur le dispositif du comité d'alerte qui est une très bonne chose et qui pourrait être étendu, comme l'a annoncé le Premier ministre lors de la dernière conférence des finances publiques. Il permet de concentrer l'attention sur la dépense et d'instruire les débats du Parlement.

Enfin, M. François Carayon a fourni quelques éléments de réflexion sur les exemples étrangers. Dans tous les pays, par exemple au Japon, on observe le souci permanent d'une vision d'ensemble et d'un pilotage global des finances publiques. La comparaison avec les pays étrangers fait partie des points inscrits dans la lettre de la mission actuellement menée par l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et l'Inspection générale des finances (IGF) sur le rapprochement entre budget de l'Etat et finances sociales. Par ailleurs, dans le cadre de l'examen par la Commission européenne des programmes de stabilité, des données globales standardisées existent pour chaque pays membre de l'Union.