Mardi 27 mars 2007

- Présidence de M. Alain Vasselle, président -

Evolutions du périmètre de la protection sociale - Audition de M. Philippe Mills, directeur général adjoint du Centre d'analyse stratégique

Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la mission a procédé à l'audition de M. Philippe Mills, directeur général adjoint du Centre d'analyse stratégique.

M. Alain Vasselle, président, a indiqué que les travaux engagés par la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) sur la problématique du financement de la protection sociale traduisent des préoccupations anciennes, régulièrement exprimées par la commission des affaires sociales, notamment lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007. L'idée a, par exemple, été avancée de fusionner la loi de financement de la sécurité sociale et la loi de finances initiale, soit intégralement, soit pour la seule branche famille, mais on peut craindre, en définitive, que la présentation des comptes de la protection sociale en soit rendue encore plus obscure qu'elle ne l'est aujourd'hui. La mise en oeuvre de cette réforme nécessiterait, en outre, l'adoption d'une réforme constitutionnelle.

Puis il a invité M. Philippe Mills à s'exprimer sur le débat ouvert par le président de la République en janvier 2006 autour de l'idée d'un élargissement de l'assiette des cotisations sociales à la valeur ajoutée. Le rapport de synthèse réalisé par le groupe de travail « ad hoc » constitué sur cette question a d'ailleurs fourni des éléments d'analyse utiles à ce sujet.

A titre liminaire, M. Philippe Mills a souligné que si le conseil d'analyse stratégique (CAS), contrairement à la direction de la sécurité sociale et à la direction du budget, n'exerce aucun rôle opérationnel dans le suivi et la gestion des finances publiques, il a néanmoins engagé une réflexion approfondie sur les questions sociales. Ces travaux ont revêtu une double orientation. Le CAS s'est intéressé en premier lieu aux nouveaux risques sociaux et a remis récemment au Gouvernement deux rapports à ce sujet, l'un consacré à la dépendance, l'autre à la notion de service public de la petite enfance. Le conseil a travaillé, en second lieu, sur la dimension sociale de la construction européenne, ainsi que sur la stratégie dite de Lisbonne destinée à promouvoir la compétitivité des pays de l'Union et à accroître le taux d'emploi de la population active.

En ce qui concerne plus particulièrement la question du financement de la protection sociale, la spécificité française tend progressivement à s'atténuer : au début des années quatre-vingt-dix, la part des cotisations sociales représentait encore les quatre cinquièmes des recettes, supérieure à la moyenne des deux tiers observée dans l'Union européenne à quinze. Aujourd'hui, les niveaux respectifs ne sont plus que des deux tiers pour la France et de 60 % pour ses voisins. L'écart s'est donc réduit de moitié en quinze ans.

En revanche, la France se singularise toujours par un niveau très élevé de dépenses sociales, qui la classe au troisième rang européen après la Suède et le Danemark. Compte tenu du taux élevé du chômage, cette caractéristique suscite très régulièrement de vives polémiques sur le niveau des coûts salariaux. En définitive, l'enjeu de ces débats porte sur la « soutenabilité » même du financement de l'Etat providence, aujourd'hui en cause.

M. Alain Vasselle, président, s'est interrogé sur les actions qu'il conviendrait d'engager pour permettre une approche plus globale des comptes publics, tout en conservant un niveau de détail suffisant sur la nature et le mode d'évolution des différentes catégories de dépenses.

Après s'être félicité des progrès intervenus dans ce domaine, en particulier l'obligation pour les pouvoirs publics français de transmettre chaque année un programme de stabilité aux instances communautaires, M. Philippe Mills a jugé indispensable de poursuivre ces efforts. Il conviendrait pour cela de porter de trois à cinq ans l'horizon des prévisions, de prévoir la nécessité pour tout nouveau gouvernement de prendre, à l'occasion d'un débat parlementaire au début de chaque législature, des engagements précis sur les niveaux des soldes intermédiaires des prélèvements obligatoires, mais aussi plus simplement d'améliorer la fiabilité des informations statistiques. Sur ce dernier point, la création de la conférence nationale des finances publiques a permis d'enregistrer des améliorations appréciables, mais il existe encore des facteurs de progrès, notamment pour les données des branches famille et retraites ainsi que pour les finances locales. En définitive, il ne paraît pas nécessaire de fusionner loi de finances et loi de financement, la priorité devant être donnée à la poursuite de l'amélioration de la transparence des comptes publics.

Pour l'avenir, M. Philippe Mills a estimé que le financement de la protection sociale serait probablement de plus en plus largement assuré par l'impôt : de nombreuses dépenses, comme la dépendance ou les affections de longue durée relèvent en effet essentiellement de la solidarité nationale. A cela s'ajoute l'impact prévisible de la concurrence fiscale entre les pays de l'Union européenne qui exerce une pression à la baisse sur les coûts salariaux. Les Etats membres se trouvent par là même incités à réduire les cotisations sociales et à recourir de préférence à la TVA ou à des recettes nouvelles, comme la contribution sociale généralisée (CSG).

En ce qui concerne la forme que pourrait revêtir un schéma théorique optimal de répartition des dépenses en fonction des risques concernés, M. Philippe Mills a indiqué qu'un tel processus de clarification pourrait prendre cinq, voire dix ans. Sous cette réserve, il s'est prononcé en faveur de l'établissement d'une distinction entre trois ensembles distincts : les dépenses de solidarité (branche famille, couverture maladie universelle, minima sociaux, politique du handicap, partie non contributive des prestations vieillesse) qui devraient idéalement être assurées par l'impôt ; les revenus différés, à l'instar des retraites, qui demeurent intimement associés à la notion d'effort contributif et donc aux cotisations sociales ; enfin, les prestations à caractère mixte, comme l'assurance maladie ou l'assurance chômage. Dans ce dernier cas, il est possible, en effet, de moduler les aspects assurance et solidarité nationale et donc d'opter en faveur d'un mode de financement intermédiaire. Par exemple, aux Etats-Unis, les cotisations chômage sont déterminées en fonction d'un système de bonus/malus dépendant du comportement individuel des entreprises.

Or, si la France se situe au dessus de la moyenne européenne en ce qui concerne le montant des dépenses sociales, les performances relatives de notre système apparaissent moins bonnes que celles des pays d'Europe du Nord auxquels on la compare souvent. Cela conduit, d'une part, à renforcer la nécessité de maîtriser les dépenses, d'autre part, à examiner la question de l'assiette optimale de cotisation. A ce titre, il a noté que sur longue période, la TVA et la CSG évoluent au même rythme que le PIB.

Revenant sur les travaux réalisés en 2006, après que le président de la République a lancé un vaste débat sur l'idée d'un élargissement de l'assiette des cotisations sociales à la valeur ajoutée, M. Philippe Mills a jugé que les échanges intervenus à cette occasion ont mis en évidence les principaux problèmes de cette approche : malgré la technicité du sujet, cette concertation a permis d'associer à la réflexion des experts tous les acteurs du dossier, y compris les partenaires sociaux. D'une façon générale, il a par ailleurs considéré que la protection sociale occupe un espace autonome au sein des finances publiques, ne serait-ce qu'en raison de leur nature : contrairement aux dépenses régaliennes, comme la défense ou la diplomatie, les dépenses sociales sont individualisables.

La France pourrait utilement s'inspirer de l'exemple des Pays-Bas pour améliorer la transparence de ses comptes publics : outre l'établissement régulier de prévisions sur un horizon de cinq ans, ainsi que la définition d'engagements détaillés pris par tout nouveau gouvernement devant le Parlement au début de chaque nouvelle législature, tant sur le niveau que sur la répartition des prélèvements obligatoires, le choix des hypothèses macroéconomiques relève, dans ce pays, d'un comité d'experts qui évalue, en toute indépendance, la marge de manoeuvre dont disposera le nouveau gouvernement.

M. Alain Vasselle, président, s'est interrogé sur l'opportunité de modifier le rôle des partenaires sociaux dans la gestion des caisses et, plus généralement encore, sur le mode de gouvernance du système de protection sociale.

Après avoir rappelé les limites des pouvoirs des gestionnaires des caisses ainsi que celles de la volonté d'implication des organisations syndicales dans ces institutions, M. Philippe Mills a fait valoir que les notions de concertation, de négociation et d'élaboration d'un diagnostic partagé sont pleinement mises en oeuvre dans le cadre du dialogue social. Les débats de l'année 2006 sur l'avenir de la protection sociale ont fourni la preuve de leur utilité, dans la mesure où certaines confédérations ont considérablement modifié leur point de vue à la lumière des échanges intervenus à cette occasion.

M. Alain Vasselle, président, s'est demandé si, à l'instar du plan Biotox, il ne serait pas possible de définir des clefs de répartition précises entre l'Etat et la sécurité sociale pour les dépenses faisant l'objet de contestation ou situées aux confins des finances publiques et des finances sociales.

Après avoir indiqué que le CAS n'a pas engagé d'étude approfondie à ce sujet, M. Philippe Mills a considéré qu'une telle approche serait envisageable, à condition toutefois de raisonner financement par financement. Cela pourrait être effectivement le cas chaque année, à l'occasion de l'examen des mesures nouvelles par le Parlement. Les perspectives de succès d'une telle démarche seraient toutefois meilleures si les pouvoirs publics parvenaient au préalable à améliorer le mode de régulation de notre système de protection sociale.

M. André Lardeux s'est interrogé sur l'opportunité, d'une part, de maintenir la dispersion actuelle entre une multitude d'acteurs institutionnels différents dans la conduite de la politique en faveur des personnes dépendantes, d'autre part, de transférer carrément à des assurances privées certaines dépenses, à commencer par l'exemple bien connu du remboursement des cures thermales.

Sur ce dernier point, M. Philippe Mills a indiqué que le CAS s'est abstenu de prendre l'initiative de travailler sur une question qui apparaît spontanément relever du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie. En ce qui concerne le dossier de la dépendance, il est, à son sens, évident qu'une partie des dépenses continuera à relever, quoi qu'il arrive, de la solidarité nationale, dans la mesure où tout n'est pas assurable par des opérateurs privés.

M. Pierre Bernard-Reymond a souhaité savoir pourquoi les données statistiques sur les finances locales posent un problème pour déterminer le solde des comptes publics.

M. Philippe Mills a indiqué qu'il convient de distinguer les grandes villes, d'une part, des petites communes, des départements et des régions, d'autre part. Pour ce dernier groupe de collectivités territoriales, les remontées d'informations sont trop tardives, ce qui conduit à raisonner sur la base de simples hypothèses. En outre, ce travail n'est effectué que par une poignée d'experts au ministère des finances, au ministère de l'intérieur et grâce aux concours des services du crédit local de France.

M. Pierre Bernard-Reymond en a conclu qu'il s'agit essentiellement d'un problème de moyens et que la responsabilité de ces insuffisances n'incombe donc pas aux collectivités territoriales.

Partageant ce jugement, M. Philippe Mills a toutefois réaffirmé qu'il conviendra à l'avenir d'améliorer le calendrier de remontée de ces données statistiques. D'autres pays que la France, et en particulier l'Allemagne avec ses Länder, connaissent des difficultés similaires. Mais rien ne permet de penser que les autorités communautaires continueront durablement à faire preuve de mansuétude pour l'établissement des programmes nationaux de stabilité.

Evolutions du périmètre de la protection sociale - Audition de M. Robert Baconnier, président de l'Association nationale des sociétés par actions

Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la mission a procédé à l'audition de M. Robert Baconnier, président de l'Association nationale des sociétés par actions.

M. Alain Vasselle, président, a indiqué que la Mecss a souhaité disposer de l'expertise de M. Robert Baconnier sur la question de l'avenir du financement de la protection sociale, et ce en sa qualité de membre du conseil des prélèvements obligatoires. Il est en effet parfois évoqué l'idée d'une éventuelle fusion entre loi de finances et loi de financement de la sécurité sociale, ce qui appelle de sa part une expertise approfondie.

En se plaçant tout d'abord sur un plan théorique et conceptuel, M. Robert Baconnier a estimé séduisante l'idée d'une fusion des deux lois financières, dans la mesure où l'addition des finances publiques et des finances sociales constitue effectivement les prélèvements obligatoires et que l'on pourrait en attendre davantage de clarté dans la présentation de l'ensemble des comptes publics. Mais d'un point de vue pratique, ce projet de réforme pourrait s'avérer être une mauvaise idée compte tenu des besoins de financement à venir de la protection sociale, d'une part, en raison de la nature fondamentalement assurantielle de nombreuses prestations, d'autre part. Une expertise approfondie de ces questions complexes apparaît, quoi qu'il en soit, indispensable. Les travaux de la Mecss sur ce point seront d'autant plus utiles que d'autres problèmes méritent aussi réflexion, notamment la question de l'assiette des recettes de la protection sociale et celle des relations entre la CSG et l'impôt sur le revenu. A cela s'ajoute la prise en compte de la divergence d'appréciation sur la nature de la CSG apparue entre le Conseil constitutionnel, pour lequel il s'agit d'un impôt, et la Cour de justice des communautés européennes, qui l'assimile à l'inverse à une cotisation de sécurité sociale. Sans doute la CSG présente-t-elle d'ailleurs effectivement cette nature duale.

Après avoir jugé indispensable de promouvoir une approche globale des comptes publics, M. Robert Baconnier a fait part de ses interrogations sur l'opportunité de modifier le rôle des partenaires sociaux dans la gestion des différentes caisses. Se fondant sur sa propre expérience de personne qualifiée au sein des instances dirigeantes de l'agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), il a regretté que le fonctionnement du paritarisme se traduise par la perte de beaucoup de temps, en raison de l'exposition préalable des positions de principe de chacune des organisations syndicales. Trouver des solutions et dégager un compromis n'est ainsi pas toujours facile à réaliser. Par ailleurs, la mise en oeuvre de l'exigence de « démocratie sociale », exposée dans le Préambule de la constitution de 1946, apparaît déjà dans les faits largement effective, dans la mesure où la consultation et la négociation avec les syndicats sont de toute façon indispensables.

S'agissant plus particulièrement de la tendance à long terme à la fiscalisation croissante des recettes de la protection sociale, une assiette essentiellement fondée sur les revenus du travail demeure, à son avis, justifiée pour le financement de l'assurance chômage, et celui des prestations contributives d'une façon générale. La question est posée, en revanche, pour les dépenses de solidarité. Il s'est par ailleurs prononcé en faveur de la CSG, tout en estimant qu'il n'y a pas d'assiette miracle ou unique et qu'il est parfaitement concevable de combiner entre eux plusieurs modes de financement différents.

L'invention de la CSG en 1990 a constitué, au même titre que la généralisation de la TVA en 1966, une réforme fondatrice. A l'origine, la CSG était essentiellement assise sur les revenus du travail et se substituait largement à des cotisations maladie. Mais elle a ensuite été étendue aux revenus du capital, ce qui permet désormais à notre pays de disposer, à l'instar de ses partenaires européens, d'un outil de financement moderne et dynamique compensant les défauts de l'impôt sur le revenu des personnes physiques, notamment son excessive personnalisation.

Si la tendance à la fiscalisation de la protection sociale est probablement inéluctable, l'idée d'une budgétisation de son mode de financement apparaît quant à elle beaucoup plus contestable : compte tenu de la logique assurantielle de nombreuses prestations versées, il ne semble pas opportun de confier au budget général l'ensemble des transferts sociaux.

S'agissant plus particulièrement du débat lancé en janvier 2006 par le Président de la République sur l'élargissement à la valeur ajoutée de l'assiette des cotisations patronales, M. Robert Baconnier a souligné, d'une part, que cette idée ancienne avait été formulée dès 1974, d'autre part, que le rapport publié par le conseil d'analyse stratégique est apparu assez réservé sur une telle perspective. Cette notion peut certes sembler séduisante en première analyse, car elle vise à mieux répartir la charge de l'Etat providence et à réduire les coûts salariaux. Mais le risque d'une pénalisation des investissements n'est pas négligeable et on peut craindre des transferts de charges massifs entre les assurés sociaux : il conviendrait donc de faire preuve de beaucoup de prudence. Pour autant, ce débat lancé par l'actuel président de la République ne sera pas sans conséquence sur la prochaine législature et de nombreuses études ont été récemment publiées à ce sujet.

Ce dossier est extrêmement complexe, y compris sur le plan juridique. La Cour de justice des communautés européennes instruit en effet actuellement un recours formulé contre un impôt régional sur la valeur ajoutée créé au bénéfice des régions italiennes. Le débat français sur le financement de la protection sociale comporte donc nécessairement une dimension européenne, d'autant plus qu'en l'absence d'unanimité des vingt-sept pays membres sur les questions fiscales, le rôle du juge communautaire est ici décisif.

Invité par le président à développer sa vision de l'avenir du système français de protection sociale, M. Robert Baconnier a estimé qu'il ne sera pas possible d'accroître indéfiniment les prélèvements obligatoires et qu'à échéance de dix ou quinze ans, les mécanismes personnels d'assurance auront certainement tendance à se développer. On constate déjà l'impossibilité d'une généralisation de la prise en charge du coût de la dépendance sur des fonds publics et l'intérêt d'un développement complémentaire des assurances privées.

Il a également exprimé son hostilité à la proposition de M. François Hollande de financer les retraites par la CSG, le recours à l'impôt ne devant, à ses yeux, être opéré que pour le minimum vieillesse, c'est-à-dire le financement de la solidarité.

Le projet de fusion de l'impôt sur le revenu et de la CSG est certes séduisant, mais aussi dangereux, dans la mesure où la « mauvaise assiette » risque de chasser la « bonne ». Il convient de préserver, en effet, la simplicité de la CSG face à un impôt sur le revenu mité par les « niches fiscales ».

Considérant à son tour qu'il n'existe pas d'assiette miracle pour financer la protection sociale, M. André Lardeux s'est demandé s'il ne serait pas grand temps de faire des choix et de définir des priorités pour les risques couverts par la collectivité nationale, quitte à transférer certaines dépenses à des assurances privées. Faisant référence à la crise de l'Etat providence qu'a connue la Suède au milieu des années quatre-vingt-dix, il s'est inquiété de la perspective de voir, en France aussi, la politique familiale devenir à terme la principale variable d'ajustement en cas de graves difficultés financières.

M. Pierre-Bernard Reymond s'est interrogé sur la compatibilité de la TVA sociale avec les règles de l'organisation mondiale du commerce, car il s'agit de mettre à contribution les importations pour financer l'Etat providence.

M. Robert Baconnier a estimé que, dans la mesure où cette réforme se limiterait à la France, le risque d'une telle contestation apparaîtrait singulièrement limité.

Evolutions du périmètre de la protection sociale - Audition de M. Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales

La commission a ensuite entendu M. Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales.

M. Alain Vasselle a précisé que la Mecss a souhaité engager une réflexion sur l'intérêt éventuel d'une fusion entre loi de finances et loi de financement de la sécurité sociale, hypothèse évoquée par certains.

M. Pierre-Louis Bras a estimé au préalable que la distinction traditionnelle entre l'Etat, assurant des services publics financés par l'impôt, et la sécurité sociale, distribuant des prestations en contrepartie de cotisations, n'apparaît plus guère opérationnelle. Pour ne prendre que deux exemples, force est ainsi de constater que l'assurance maladie prend naturellement en compte les impératifs de la politique de santé publique, tandis que les allocations familiales obéissent également à des considérations sociales.

Cette relative confusion sur le plan conceptuel n'implique pas pour autant la nécessité d'un bouleversement institutionnel par la fusion de la loi de finances initiale et de la loi de financement. Ce refus de principe tient à plusieurs raisons de fond, à commencer par l'attachement persistant des grands acteurs sociaux à cette distinction. A cela s'ajoute l'utilisation par les instances européennes de la notion de comptes de la protection sociale, qui vise précisément à englober l'ensemble des transferts sociaux, y compris, contrairement à la France, l'indemnisation du chômage, ainsi que les dépenses d'aide sociale. En définitive, les finances sociales présentent une réelle spécificité et disposent d'une puissante légitimité. Il serait tout aussi inopportun de retirer au ministère des affaires sociales la mission de contrôler les comptes de la sécurité sociale, ce qui aboutirait à le transformer en une structure centrale purement dépensière.

Cela étant, le cadre institutionnel actuel présente effectivement de graves défauts et alimente de nombreuses querelles stériles sur la question de la définition du champ respectif des finances publiques et des finances sociales. Les responsables politiques et administratifs des ministères des finances et des affaires sociales consacrent ainsi une grande énergie à chercher à transférer les déficits existants sur la partie adverse, ce qui est regrettable.

M. Pierre-Louis Bras a ensuite suggéré plusieurs pistes de réflexion pour améliorer la transparence et la gestion des finances publiques et des finances sociales. On constate, par exemple, la multiplication des sous-totaux partiels, correspondant aux comptes des grandes catégories de personnes publiques et à chacune des branches de la protection sociale, ce qui nuit à la lisibilité de l'ensemble et exerce par là même un effet « anesthésiant » sur les pouvoirs publics. Pour l'éviter, il faudrait que le Parlement vote le solde global cumulé de la loi de finances, de la loi de financement, ainsi que des fonds sociaux comme le fonds de financement de la protection sociale (Ffipsa) et le fonds de solidarité vieillesse (FSV). Ne resteraient plus à l'écart de cette présentation globalisée que les chiffres de l'assurance chômage, des retraites complémentaires et les budgets des collectivités locales, ce qui représenterait déjà un progrès considérable.

En outre, rien ne justifie que la dette de la sécurité sociale fasse l'objet d'une gestion distincte de celle de l'Etat, dans le cadre de la caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades).

En ce qui concerne les polémiques récurrentes sur la porosité des finances sociales à l'égard du budget de l'Etat, ainsi que sur les transferts de charges indues dont pâtissent régulièrement les comptes sociaux, il est heureux que le législateur organique de 2005 ait décidé la création d'une nouvelle annexe spécifique au PLFSS relative à l'évolution des périmètres d'intervention entre l'Etat, la sécurité sociale et les collectivités publiques. Cette initiative est utile mais insuffisante car mal connue et généralement ignorée des médias. Il conviendrait donc de compléter cette démarche par la mise en place d'un comité d'experts indépendants, chargé de se prononcer sur la pertinence de ces transferts. Ce point revêt d'ailleurs une importance toute particulière dans le cas des exonérations de charges sociales. Plutôt qu'une compensation stricte à l'euro près, l'Etat procède en effet de plus en plus souvent par le biais de l'affectation au coup par coup d'une ressource nouvelle aux finances sociales. Or, une fois cette opération réalisée, on ne dispose d'aucune garantie sur le dynamisme de la recette transférée... Certes, ce mode de compensation s'explique par l'obligation faite dorénavant au budget de l'Etat de respecter la norme de progression des dépenses. Mais il serait préférable d'en revenir à un système de compensation, quitte à ce que celle-ci ne soit plus calculée à l'euro près, partant du principe que la sécurité sociale peut bien supporter une partie de la charge de l'exonération, dans la mesure où celle-ci est, à terme, créatrice d'emplois et donc de ressources nouvelles pour la sécurité sociale.

M. Pierre-Louis Bras a par ailleurs regretté la différence de normes applicables entre les comptes de l'Etat, qui demeurent établis en encaissements/décaissements, et ceux de la sécurité sociale, qui respectent depuis plusieurs années les contraintes de la règle des droits constatés. Cette distorsion est précisément de nature à faciliter les opérations de débudgétisation.

Puis il a évoqué l'idée de ne fondre, dans un premier temps au moins, que les comptes de la branche famille dans le budget de l'Etat : l'équilibre structurel de la caisse nationale d'allocations familiales pousse effectivement les associations et les acteurs institutionnels à réclamer sans cesse des mesures nouvelles. Or, il serait sans doute utile de réfléchir à la meilleure façon de redéployer les marges de manoeuvres disponibles en fonction des nouveaux besoins de la population. Au-delà, le problème principal est ailleurs : la fragilisation du PLFSS trouve essentiellement son origine dans l'importance des déficits accumulés, soit 12 milliards d'euros en moyenne par an au cours des quatre dernières années. En dehors de toute considération polémique, jamais les comptes sociaux n'ont atteint un tel niveau de déséquilibre sur une aussi longue durée. Cela justifierait, à ses yeux, de rétablir l'effectivité du principe d'équilibre des branches de la sécurité sociale, notamment en élevant cette exigence au niveau organique.

M. Pierre Bernard-Reymond a souhaité savoir comment les débats sur ces questions sont perçus par les instances européennes.

M. Pierre-Louis Bras a indiqué que les comptables d'Eurostat parviennent sans difficulté à déterminer les soldes des comptes publics de la France. Ainsi, paradoxalement, les polémiques récurrentes auxquelles donne lieu dans notre pays l'opacité de la frontière entre la sécurité sociale et l'Etat semblent ne trouver aucun écho à Bruxelles.

M. Alain Vasselle, président, a souhaité connaître l'opinion de M. Pierre-Louis Bras sur le rôle joué par les partenaires sociaux dans la gestion des caisses, d'une part, sur la question de la recette qui permettrait le mieux de faire face à la dynamique des dépenses sociales, d'autre part. Sur ce dernier point, il s'est félicité au passage des progrès accomplis dans le domaine de la maîtrise des soins de ville, tout en observant qu'une reprise de la tendance inflationniste antérieure ne saurait être totalement écartée dans un avenir plus ou moins proche.

M. Pierre-Louis Bras a considéré au préalable que la gestion paritaire des organismes de protection sociale ne constitue plus aujourd'hui qu'une fiction juridique. C'était déjà le cas depuis longtemps à la Cnav, à la Cnaf et à l'Acoss. Seule la Cnam faisait exception, mais le pouvoir de signer les conventions avec les partenaires du monde de la santé a été transféré en 2004 au directeur de l'Uncam.

Ni le conseil d'administration de la Cnav, ni celui de la Cnaf n'ont joué un rôle actif à l'occasion des grandes réformes de la législature, à commencer par celle des retraites et la création de la prestation d'accueil du jeune enfant (Paje). Les partenaires sociaux ont en effet respecté les prérogatives du pouvoir politique. Ils continuent en revanche à exercer un réel pouvoir décisionnel dans deux domaines directement issus de la négociation collective : la gestion de l'assurance chômage et celle des organismes de retraite complémentaire.

Ces appréciations réalistes ne constituent nullement une remise en cause du rôle des partenaires sociaux et il est peu probable que ceux-ci manifestent l'intention d'être plus fortement impliqués dans le fonctionnement de la protection sociale. Cela ne signifie pas que les organisations syndicales ne doivent pas être informées et consultées sur les projets de réforme, au contraire. Mais le processus institutionnel visant à déboucher sur un diagnostic partagé avec les confédérations syndicales intervient dans le cadre du conseil d'orientation des retraites et dans celui du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie.

En ce qui concerne la meilleure façon de faire face à la dynamique des dépenses de protection sociale, il n'y a pas de recette miracle et l'idée d'une contribution sur la valeur ajoutée ne constitue pas la panacée. De fait, ce concept repose sur des données techniques à la fois complexes et contestées : le partage entre les salaires et la valeur ajoutée est d'ailleurs stable depuis la fin des années quatre-vingt suivant un rapport deux tiers-un tiers. Cela conduit à s'interroger sur le dynamisme supposé de cette nouvelle ressource. A cela s'ajoute une dimension idéologique - l'idée de faire payer le capital et les importations - qui ne facilite pas la sérénité des débats.

Evolutions du périmètre de la protection sociale - Audition de M. Roger Guesnerie, professeur au Collège de France et membre du Conseil d'analyse économique

Puis la commission a procédé à l'audition de M. Roger Guesnerie, professeur au Collège de France et membre du Conseil d'analyse économique (CAE).

M. Roger Guesnerie a d'abord indiqué qu'il ne pouvait s'exprimer qu'au titre de l'avis donné par le CAE sur le projet de cotisation sur la valeur ajoutée, n'étant pas lui-même spécialiste des questions sociales, de la sécurité sociale ou des finances publiques.

Il est très rare que le CAE soit saisi de questions d'actualité avec un délai d'examen extrêmement bref. Dans le cas précis, la lettre de saisine du Premier ministre était datée du 30 mai 2006 et l'avis a été rendu le 15 juillet. Ces circonstances ont justifié une procédure de travail inhabituelle : le président délégué du CAE, M. Christian de Boissieu, a demandé de courtes notes aux économistes du conseil puis une synthèse de ces travaux a été réalisée. L'avis du CAE représente ainsi l'opinion majoritaire en son sein.

Cet avis s'est appuyé, d'une part, sur le travail très approfondi du rapport préalable réalisé par le ministère des finances, d'autre part, sur l'ensemble des travaux antérieurs du CAE relatifs à des sujets proches. Ainsi, toutes les pistes du rapport préalable ont été envisagées : la cotisation sur la valeur ajoutée (CVA), la modulation des cotisations patronales en fonction de la valeur ajoutée, la TVA sociale, le coefficient emploi-activité, la cotisation patronale généralisée ainsi que la piste de la CSG.

D'une façon générale, la synthèse des opinions émises au sein du CAE témoigne d'un grand scepticisme sur les diverses variantes de la CVA, en dépit d'opinions assez variées malgré tout. Le premier constat est une réelle crainte sur la complexité de la formule et les difficultés de sa mise en oeuvre. En effet, si la poursuite de la fiscalisation du financement de la sécurité sociale, amorcée depuis assez longtemps, est inéluctable, la question de la création d'un nouvel impôt est sujette à réflexion. Certains y voient un avantage car cela permettrait de sanctuariser la dépense et donc d'en assurer un meilleur contrôle. Mais, pour la plupart des économistes du CAE, les diverses formules envisagées apparaissent trop complexes et manquent de lisibilité, en particulier sur leur impact en fonction des secteurs économiques. En tout état de cause, la CVA ne devrait être applicable qu'à la valeur ajoutée nette car il conviendrait de ne pas taxer l'amortissement. Dans cette hypothèse, la CVA nette et la cotisation patronale généralisée seraient deux formules assez voisines. Au passage, le CAE a fait le constat qu'il existe beaucoup de niches dans la structure actuelle des prélèvements sociaux et qu'il conviendrait d'analyser de façon plus approfondie leur légitimité.

Puis M. Roger Guesnerie est revenu sur l'instauration d'une CVA nette qui pourrait presque s'apparenter à une augmentation de l'impôt sur les sociétés. Or, dans le contexte actuel, le taux de l'impôt sur les sociétés français est déjà supérieur à la moyenne européenne, même si certains estiment qu'il existe une légère marge d'augmentation. En fait, le débat reste ouvert entre trois impôts existants : l'impôt sur les sociétés, la CSG et la TVA sociale. Au sein du CAE, les opinions sont très diverses sur le recours à ces différents impôts. Elles tiennent à une analyse plus générale de l'« optimalité » du système fiscal.

M. Alain Vasselle, président, a souhaité savoir quels sont, pour les membres du CAE, les avantages et les inconvénients de chacun de ces trois impôts et si ceux-ci sont équilibrés. En effet, l'absence de choix du CAE est-elle justifiée par des raisons économiques ou bien par le transfert de la responsabilité au pouvoir politique ?

M. Roger Guesnerie a indiqué que, dans les rapports spécifiques des membres du CAE, des choix précis sont proposés et justifiés. Seul l'avis sur la CVA fait l'objet d'un consensus plutôt négatif. Les autres solutions ont été évoquées mais non débattues de façon approfondie. Sur la TVA sociale, un risque d'incompatibilité avec le niveau de TVA de nos principaux partenaires européens a été souligné. Par ailleurs, si un effet positif indéniable apparaît à court terme sur les exportations détaxées, l'avantage semble moins évident, à moyen terme, puisqu'une partie du pouvoir d'achat supplémentaire est reprise. La piste de la TVA sociale mériterait un rapport beaucoup plus approfondi du CAE.

M. Roger Guesnerie a également présenté les quelques observations du CAE sur l'architecture globale de nos prélèvements sociaux. En effet, la logique initiale de 1945 a été assez profondément modifiée. Aujourd'hui, le principe du salaire différé ne vaut que pour les retraites. L'assurance chômage offre un salaire de remplacement et s'apparente réellement à une assurance. En revanche, l'assurance maladie relève d'une logique très différente, le financement du service public de la santé n'étant ni de l'assurance ni du salaire différé. Dans ces conditions, la question de la différence entre son mode de financement et celui d'autres services publics, comme celui de l'éducation, doit être posée, l'assurance maladie évoluant vers une toujours plus grande universalité.

Dans un rapport récent sur l'assurance chômage, le CAE a proposé de réformer le système en associant une logique de mutualisation et une logique de responsabilisation, en s'inspirant de l'expérience américaine. D'une façon générale, il paraît justifié de modifier les règles antérieures dès lors qu'elles n'apparaissent plus adaptées à la spécificité des différentes branches de la protection sociale. Cela signifie qu'il convient aujourd'hui de repenser l'architecture de notre sécurité sociale dont certains aspects ne sont plus adaptés ou ont mal vieilli.

M. Alain Vasselle, président, s'est interrogé sur l'élément déclencheur d'une telle réforme : l'évolution de la nature des dépenses ou bien le constat de la dynamique de ces dépenses ?

M. Roger Guesnerie a estimé que la réponse doit être cherchée dans une dialectique entre la logique financière et la logique intrinsèque du système.

Mercredi 28 mars 2007

- Présidence de M. Alain Vasselle, président -

Evolutions du périmètre de la protection sociale - Audition de Mme Marguerite Bérard, inspecteur des finances, MM. David Lubek, inspecteur des finances, Michel Duraffourg, inspecteur général des affaires sociales, et Thomas Wanecq, inspecteur des affaires sociales

Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la mission a procédé à l'audition de Mme Marguerite Bérard, inspecteur des finances, MM. David Lubek, inspecteur des finances, Michel Duraffourg, inspecteur général des affaires sociales, et Thomas Wanecq, inspecteur des affaires sociales.

Mme Marguerite Bérard a indiqué que le rapport de la mission commune Inspection générale des affaires sociales - Inspection générale des finances (Igas-IGF) sur l'articulation entre les finances de l'Etat et celles de la sécurité sociale a été remis au Premier ministre il y a une semaine. L'objet de la mission était de se pencher sur l'enjeu essentiel du rapprochement des deux sphères au regard des engagements européens de la France, de la nécessaire coordination des décisions sur les prélèvements obligatoires et de l'existence d'un certain nombre de politiques cofinancées par les différentes branches des finances publiques. La mission a fait un constat en trois temps : sur les enjeux de la gouvernance d'ensemble des finances publiques, sur la coordination entre les administrations chargées de l'élaboration des projets de loi financiers et la procédure parlementaire de leur examen, enfin sur la répartition des charges et des ressources entre les deux secteurs.

M. David Lubek a exposé le constat de la mission sur les enjeux de la gouvernance de l'ensemble des finances publiques en partant du principe selon lequel le déficit global public au sens de Maastricht est le point de référence pour la défense de la stratégie des finances publiques françaises à Bruxelles. Or, il existe actuellement en France deux textes, préparés par deux ministères, selon deux procédures différentes. Le budget de l'Etat est en effet construit dans le cadre d'une norme de dépenses limitées tandis que la loi de financement de la sécurité sociale s'inscrit dans des objectifs de solde. Les difficultés proviennent donc d'un calendrier structurellement décalé et d'une absence de conception cohérente de la politique des prélèvements obligatoires, puisque les recettes de la sécurité sociale ne sont mesurées qu'en fin de parcours et que la politique fiscale est construite indépendamment des dépenses de l'Etat. Par ailleurs, des problèmes récurrents de frontières existent entre les deux sphères. On peut notamment citer les difficultés tenant aux exonérations de charges sociales, au transfert de recettes et à la dette de l'Etat envers la sécurité sociale, elle-même liée à des modes de comptabilité de l'Etat et de la sécurité sociale différents.

Mme Marguerite Bérard a ensuite présenté les observations de la mission sur la coordination dans la préparation et le vote de la loi de finances et de la loi de financement. Du côté des administrations, d'importants progrès ont été enregistrés depuis 2005, date d'un précédent rapport conjoint de l'Igas-IGF sur le sujet. Les directions de la sécurité sociale, du budget et du trésor et de la politique économique ont renforcé leurs travaux communs notamment pour l'élaboration de tendanciels techniquement validés et pour l'élaboration commune d'un certain nombre de mesures nouvelles. Toutefois, la phase d'arbitrage interministériel de l'été reste très insatisfaisante et est donc perfectible. En ce qui concerne la phase parlementaire, il n'est pas dans le rôle des corps d'inspection de l'Etat de faire des propositions. Néanmoins, la mission s'est fait l'écho des observations recueillies. Il en résulte qu'un certain nombre de progrès sont possibles, en particulier dans le travail en commun des commissions des finances et des affaires sociales des deux assemblées. En outre, les débats sur les enjeux plus globaux des finances publiques sont trop rares et sans conséquence puisqu'ils ne donnent pas lieu à des votes. Enfin, il apparaît qu'un certain nombre de documents annexés aux projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale pourraient être améliorés.

M. Thomas Wanecq a ensuite présenté les conclusions de la mission sur l'analyse de la répartition entre les deux sphères des finances de l'Etat. Au total, cette répartition apparaît à la fois complexe, fluctuante et finalement très contingente. Pourtant, le financeur est presque toujours le même, c'est-à-dire le contribuable ou le cotisant, et le destinataire final aussi. L'important est donc de dépasser cette discussion sur les frontières entre les finances de l'Etat et celles de la sécurité sociale afin de centrer le débat sur les véritables enjeux des finances publiques.

Puis Mme Marguerite Bérard a présenté les principales propositions faites par la mission qui s'orientent autour de trois axes : l'évolution des modes de gouvernance, sans doute la plus facile à mettre en oeuvre, la clarification de la ligne frontière entre l'Etat et la sécurité sociale, même si ce travail peut conduire assez vite à une impasse, enfin, des solutions sur certains points précis comme la budgétisation de la branche famille.

M. David Lubek a ainsi souligné la nécessité de rapprocher les modes d'élaboration des projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale. L'idée serait de partir de la trajectoire nationale de désendettement en fixant des objectifs pluriannuels pour les administrations centrales, les administrations locales et la sécurité sociale. Ces objectifs pluriannuels seraient ensuite déclinés de façon annuelle avec la définition d'objectifs de dépenses précis pour l'Etat, l'assurance maladie, la famille, etc. Dans ce cadre, il serait judicieux d'étendre les compétences du comité d'alerte à la famille avec un objectif national de dépenses consacré à cette branche.

Une deuxième série de propositions concerne les arbitrages interministériels et prône un arbitrage préalable sur les dépenses dès la fin du mois de juin et un arbitrage sur les recettes à la fin de l'été. En assurant une meilleure cohérence entre les évolutions des dépenses et des recettes de l'Etat et de la sécurité sociale, on devrait limiter les problèmes de frontières entre les deux sphères et les incitations aux transferts. Cela permettra aussi une discussion consolidée de la politique fiscale. Enfin, afin d'éviter la constitution de dettes de l'Etat vis-à-vis de la sécurité sociale, plusieurs mesures sont proposées : l'avance des versements de prestations aux caisses, la définition de montants d'autorisations d'engagement dans le budget de l'Etat compatibles avec ceux figurant dans les conventions passées avec les caisses, enfin, la fixation d'une norme de dépenses de l'Etat élargie à la dette de la sécurité sociale.

Mme Marguerite Bérard a ensuite présenté les deux pistes principales pour l'amélioration de la phase parlementaire d'examen des deux projets de loi financiers : un renforcement du travail en commun des commissions, par exemple sur le modèle des commissions élargies de l'Assemblée nationale dans le cadre du projet de loi de finances, ainsi qu'une normalisation du contenu des annexes notamment du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

M. Thomas Wanecq a fait valoir que les propositions de la mission en matière de clarification des lignes frontières entre l'Etat et la sécurité sociale répondent avant tout au souci d'éviter un examen polémique des très nombreux sujets concernés, compte tenu du nombre des politiques publiques pour lesquelles existent des cofinancements. L'idée est de fixer des règles pragmatiques afin de minimiser les risques de conflit et de responsabiliser les gestionnaires. Dans ce cadre, plusieurs scénarii types ont été élaborés, avec leurs avantages et leurs inconvénients. A titre d'exemple, sur les trois allocations logement actuellement en vigueur, deux sont cofinancées par l'Etat et la sécurité sociale. Or, aujourd'hui, la question du financeur paraît très secondaire par rapport à la réforme du dispositif d'allocation lui-même, que plusieurs rapports suggèrent de simplifier. Une autre difficulté majeure résulte de la multiplication des exonérations spécifiques de cotisations sociales qui a pour effet de complexifier le droit de la sécurité sociale, alors même que l'efficacité de ces dispositions est rarement mesurée en raison de la quasi-absence d'études d'impact. En outre, malgré la loi organique du 2 août 2005, certaines mesures d'exonération non compensées ont été récemment décidées, dans la loi sur le volontariat associatif par exemple. De ce point de vue, la piste la plus intéressante, qui nécessite cependant une analyse juridique plus détaillée, pourrait être de modifier la loi organique afin de donner un rôle obligatoire et décisif aux lois de financement de la sécurité sociale pour la création de niches sociales. Le même principe pourrait être retenu pour les lois de finances, mais cela nécessite l'accord du Conseil constitutionnel sur la conformité d'une telle procédure à l'article 34 de la Constitution.

M. David Lubek a ensuite évoqué plusieurs scénarii de budgétisation examinés par la mission en particulier du point de vue de leurs incidences financières. S'agissant de l'assurance maladie, la budgétisation ne semble être une option réaliste pour personne dans le cadre actuel. Pour la famille, la budgétisation paraît être en revanche justifiée, à la fois pour les dépenses et pour les recettes. En effet, pour la famille, l'affectation des recettes aux dépenses limite les arbitrages et conduit à un effet pervers sur l'utilisation des excédents de recettes. L'idée sous-jacente de la budgétisation est que la branche famille recouvre des prestations universelles, ce qui rend son financement par les salaires contestable tant en terme d'équité que d'efficacité. Le transfert à l'Etat de 40 milliards d'euros de dépenses serait dès lors financé par le « rapatriement » du panier de recettes transféré au titre de la compensation des exonérations de charges et par une légère augmentation de la TVA en contrepartie d'une baisse des cotisations patronales. La budgétisation n'est cependant pas impérative ; un changement de mode de gouvernance permettrait aussi d'atteindre ces objectifs. En tout état de cause, il convient de mettre en cohérence l'ensemble de la politique familiale, par exemple à travers un « jaune budgétaire » qui fournirait une vision cohérente et transversale de cette politique en incluant notamment le quotient familial et les allocations familiales.

M. Alain Vasselle, président, a souhaité savoir si la constitution de la dette de l'Etat à l'égard de la sécurité sociale est uniquement imputable à une différence de comptabilité entre les deux sphères. Sur la proposition d'une réforme des allocations logement préalable à la définition d'une ligne de partage sur le financeur de ces allocations, il a craint que cela ne conduise en définitive seulement à reporter des décisions pourtant nécessaires. Il s'est enfin interrogé sur le scénario de transfert à l'Etat de 40 milliards d'euros de la branche famille alors que celle-ci engage 50 milliards de dépenses aujourd'hui : il en résulterait une augmentation importante de la TVA, de l'ordre de trois points.

M. André Lardeux s'est déclaré favorable à l'idée d'une budgétisation de la branche famille puisque les objectifs de la politique familiale relèvent d'une politique régalienne de l'Etat mais, au-delà de la question des ressources, se pose le problème de la gouvernance et de l'association des partenaires sociaux et associatifs aux décisions relatives à la famille.

M. Guy Fischer a constaté que la budgétisation de la branche famille entraînerait une diminution voire une suppression des cotisations patronales qui lui sont liées.

M. David Lubek a précisé que la constitution de la dette de l'Etat à l'égard de la sécurité sociale est facilitée par l'existence de la différence de comptabilité entre l'Etat, qui pratique le principe des encaissements-décaissements, et la sécurité sociale, qui a une comptabilité en droits constatés. Toutefois, d'autres raisons expliquent aussi la progression de cette dette.

M. Guy Fischer a souligné que dans ce domaine de la dette comme sur d'autres sujets, la loi de financement de la sécurité sociale est une variable d'ajustement du budget de l'Etat.

M. David Lubek a rappelé que cette dette de l'Etat sera néanmoins constatée en loi de règlement.

M. Alain Vasselle, président, a également fait valoir que si les comptes de la sécurité sociale ne sont pas dégradés par cette pratique de l'Etat, sa trésorerie en revanche l'est.

M. David Lubek a reconnu la possibilité d'une forte optimisation budgétaire pour l'Etat puisque même la prise en charge des frais financiers par celui-ci ne représente qu'environ 4 % du montant de la dette. C'est pourquoi la mission a proposé que la norme de progression des dépenses de l'Etat soit dorénavant élargie à sa dette vis-à-vis de la sécurité sociale.

Mme Marguerite Bérard a noté que la mission avait fait des propositions pour éviter la constitution de cette dette, mais, qu'en tout état de cause, cette difficulté n'a aucun impact sur la situation générale des finances publiques au regard des critères de Maastricht.

M. Thomas Wanecq a souligné que la définition de lignes frontières entre les deux sphères de l'Etat et de la sécurité sociale doit répondre plus à des choix de politique publique qu'à des choix théoriques. Pour les aides au logement, deux scénarii sont proposés : le premier avec deux aides, l'une destinée aux familles et financée par la branche famille, la seconde pour les autres publics et financée par l'Etat. Le deuxième scénario prévoit une seule aide au logement, la décision de savoir qui doit la financer, de l'Etat ou de la sécurité sociale, étant assez arbitraire et finalement non fondamentale. En revanche, l'important est d'éviter une multiplication des règles du jeu et surtout de ne pas les changer car l'incertitude a un effet démotivant pour les responsables. Aussi, la création d'une structure destinée à examiner, voire arbitrer, ces transferts de charges pourrait être judicieuse. Un autre exemple peut être cité : celui de l'aide médicale d'Etat (AME), de la couverture maladie universelle (CMU) et de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-c). Le plus cohérent serait d'attribuer l'AME à l'Etat, puisque la politique migratoire est une mission régalienne sur laquelle la sécurité sociale n'a aucun moyen de contrôle, mais de confier à la sécurité sociale la CMU et la CMU-c pour des raisons essentiellement pragmatiques. Cela modifierait la ligne de partage actuelle puisque la CMU-c est financée par le budget de l'Etat.

M. Michel Duraffourg a insisté sur le fait que la création de la CMU-c étant avant tout un choix de politique publique, la mission s'est contentée d'examiner cette politique cofinancée et les voies d'amélioration possibles. De même, pour la branche famille, le scénario étudié par la mission est avant tout un scénario financier dont les conséquences sur le réseau et l'organisation des caisses n'ont pas été mesurées.

M. Alain Vasselle, président, a reconnu la cohérence de la proposition consistant à transférer la CMU-c à la sécurité sociale. Néanmoins, si l'arbitrage est fait en ce sens, il devra être tenu et les recettes correspondantes nécessaires dûment transférées.

M. David Lubek a ensuite précisé que les dépenses de la branche famille s'élèvent bien à 50 milliards d'euros mais que si l'on en soustrait les dépenses financées par l'Etat, soit 6,7 milliards, et les transferts à la Cnav et au fonds de solidarité vieillesse, il n'en reste plus que 40 milliards. L'équilibre en recettes de la budgétisation de cette somme peut être obtenu de plusieurs façons, en particulier par le recours à la contribution sociale de solidarité sur les sociétés qui serait rapprochée de l'impôt sur les sociétés ou encore par l'utilisation du reliquat disponible des droits sur le tabac. Il est évident que la compatibilité de ce scénario avec les fonctions remplies par les caisses d'allocations familiales devra être regardée de près, même si l'on doit bien constater que l'Etat décide aujourd'hui de la plupart des missions de ces caisses.

M. Thomas Wanecq a observé qu'il n'existe aucune nécessité à baisser les cotisations patronales ou à les transformer en CSG ou en TVA pour mettre en oeuvre la budgétisation de la branche famille. Il a noté, par ailleurs, la forte croissance des allégements de charges sociales entre 2005 et 2006, plus de 10 %, essentiellement liée à l'augmentation du Smic. Or, aucune recette ne peut être assez dynamique pour faire face à de telles augmentations.

M. André Lardeux a souhaité savoir si l'application des préconisations de la mission permettait de dégager des marges de manoeuvre et donc d'améliorer les comptes publics.

Mme Marguerite Bérard a rappelé que la lettre de mission avait un double objet : d'une part, pacifier les relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale, d'autre part, favoriser la vision d'ensemble des finances publiques pour permettre les meilleurs arbitrages en dépenses comme en recettes. En effet, une vision consolidée entraînerait une réelle amélioration sur deux points : en rapprochant les diverses catégories de dépenses sur une politique donnée, comme la politique familiale, et en évitant l'effet pervers inflationniste que peut avoir un mécanisme de recettes affectées. Dans le passé, on a en effet constaté un surcroît de dépenses au titre des excédents enregistrés dans la branche famille.

M. Alain Vasselle, président, a insisté sur l'exigence de lisibilité et de transparence des dépenses pour chacune des branches de la sécurité sociale.

M. Thomas Wanecq a indiqué que le rapport de la mission n'a pas pour objet de créer des marges de manoeuvre mais de permettre de les identifier, ainsi que de clarifier les arbitrages à rendre.

Evolutions du périmètre de la protection sociale - Audition de M. Jean-Luc Tavernier, directeur général de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale et vice-président du Conseil d'orientation pour l'emploi

Puis la mission a procédé à l'audition de M. Jean-Luc Tavernier, directeur général de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale et vice-président du Conseil d'orientation pour l'emploi.

M. Jean-Luc Tavernier a jugé essentielle une meilleure approche globale des comptes publics pour deux motifs : le pacte de stabilité européen, d'une part, l'existence de transferts entre l'Etat et la sécurité sociale, d'autre part, qui obligent à garantir une présentation consolidée de l'ensemble des finances publiques. La comptabilité nationale permet d'avoir cette approche globale qui se retrouve dans le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances. Or, ce document apparaît moins détaillé dans le projet de loi de finances pour 2007 que dans celui pour 2006 et ne semble pas être suffisamment exploité par les parlementaires. En particulier, le rapport économique, social et financier contient des prévisions de croissance, puis les réalisations effectives l'année suivante. Or, personne ne relève les différences qui peuvent apparaître d'une année sur l'autre entre les prévisions et leur réalisation. Ainsi, la croissance des dépenses publiques effectivement constatées pour 2005 s'est révélée finalement beaucoup plus élevée en réalisation (+ 2,4 % telle qu'elle apparaît dans le rapport de septembre 2006) qu'en prévision (+1,7 % telle qu'elle figurait dans le rapport transmis au Parlement en septembre 2005, donc avant la fin de l'exercice). Il serait pourtant utile d'établir les raisons du dérapage constaté.

Par ailleurs, s'il existe un rapport sur les prélèvements obligatoires, il est tout à fait regrettable que la représentation nationale ne dispose pas d'un rapport sur la dépense publique.

En conclusion sur ce point, M. Jean-Luc Tavernier a estimé qu'il serait possible, sur la base des chiffres disponibles, de poser plus de questions et d'engager des débats plus approfondis.

Il s'est ensuite déclaré très surpris de la renaissance du débat sur la fusion possible du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale, sans comprendre les arguments avancés pour la justifier.

Premièrement, la loi de financement de la sécurité sociale constitue un immense progrès en ce qu'elle a permis de lier les politiques sociales et leur financement et d'entraîner une plus grande responsabilisation des ministres concernés, santé et protection sociale.

Deuxièmement, il est faux de vouloir inférer du taux de croissance plus rapide des dépenses sociales une quelconque supériorité de la gouvernance de l'Etat par rapport à la gouvernance de la sécurité sociale. Les dépenses de ces deux entités sont de nature différente : elles sont limitatives pour les dépenses de l'Etat, alors qu'elles constituent un droit de tirage pour la sécurité sociale. Du reste, la supériorité supposée de la gouvernance de l'Etat est battue en brèche par le constat que lorsque l'Etat gère, par dérogation avec le partage précédemment énoncé, des dépenses qui constituent des droits de tirage, par exemple l'allocation adulte handicapé ou le RMI, sa maîtrise de la dépense n'est pas mieux assurée que par les organismes de sécurité sociale. A l'inverse, les dépenses administratives des caisses de sécurité sociale qui ont, elles, un caractère limitatif, sont aussi bien tenues, voire mieux, que les dépenses administratives de l'Etat.

Troisièmement, il existe aujourd'hui une logique forte qui ne saurait être remise en cause dans le fait de financer les risques professionnels et les salaires différés, comme les indemnités journalières et les retraites, par des cotisations sociales assises sur le travail.

Enfin, quatrièmement, si la fusion est justifiée par le souci esthétique de mettre à disposition un seul document couvrant l'ensemble des finances publiques, cette ambition apparaît tout à fait chimérique car le regroupement du budget de l'Etat et de la loi de financement n'engloberait ni la sphère paritaire (retraites complémentaires de l'Agirc et de l'Arrco) ni les finances des collectivités locales.

Du reste, a poursuivi M. Jean-Luc Tavernier, quel serait l'intérêt d'une telle fusion ? Elle aboutirait en effet tout d'abord à étatiser le fonctionnement de la sécurité sociale, et donc à chasser les partenaires sociaux, ce que personne ne semble souhaiter. Si l'on veut être assuré d'avoir un débat sur l'ensemble de la dépense publique, la bonne réponse n'est pas alors dans la fusion mais plutôt dans l'élaboration du document unique précédemment évoqué, dépassant le cadre des lois de finances et de financement.

Si l'intérêt est de n'avoir qu'un seul ministre pour l'ensemble du domaine des finances publiques, il faut être alors bien conscient que celui-ci disposera d'une puissance considérable et que l'on créera en outre une désincitation forte chez les ministres sociaux dans le contrôle de la dépense.

Si l'objectif de la fusion est d'éviter les conflits de frontière entre loi de finances et loi de financement, il faut reconnaître que les « bisbilles » qu'ils engendrent prennent bien trop de temps alors que le vrai sujet devrait être la maîtrise de la dépense. L'enjeu n'est cependant pas suffisant pour justifier la fusion. L'essentiel est que les arbitrages soient faits et que les intéressés s'y tiennent. La mission commune Igas-IGF a ainsi proposé des solutions pour clarifier les périmètres respectifs des deux projets de loi financiers. En particulier, s'agissant de la dette de l'Etat à l'égard de la sécurité sociale, il existe des solutions faciles qu'il suffit d'adopter.

Enfin, si l'intérêt recherché dans la fusion est de permettre à tout moment de faire de la régulation budgétaire, cela n'apparaît ni souhaitable ni possible dans la mesure où les dépenses de sécurité sociale ne sont pas limitatives.

En outre, deux inconvénients majeurs pourraient résulter de la fusion au regard de l'objectif de maîtrise de la dépense sociale et, en son sein, de la dépense d'assurance maladie qui est la plus dynamique. Il est tout d'abord vital d'identifier un solde financier pour chaque branche de la sécurité sociale, dans un souci pédagogique à l'égard des assurés. Il est ensuite indispensable que des dépenses spontanément dynamiques, comme celles de l'assurance maladie, soient financées par une ressource clairement identifiée. En l'absence d'une telle ressource, les pouvoirs publics perdent un levier d'action essentiel, notamment dans le cadre des négociations avec les professionnels de santé.

Pour conclure sur ce point, M. Jean-Luc Tavernier a estimé que la branche vieillesse, les indemnités journalières et le chômage doivent continuer d'être alimentés par des cotisations et la branche maladie par des prélèvements affectés. La question reste ouverte en revanche pour la branche famille. Il est vraisemblable que si l'on devait mettre en place cette branche aujourd'hui, on ne le ferait pas dans les mêmes conditions qu'en 1945 avec une ressource assise sur les revenus du travail. En théorie, il serait possible de rebattre les cartes et de prévoir pour cette branche un financement budgétaire, même si les dépenses correspondantes n'ont pas de caractère limitatif.

Il faut cependant tenir compte du fait que l'organisation de la sécurité sociale repose sur un équilibre syndicalo-politique et qu'il faudrait beaucoup de courage, voire même un brin d'irréalisme, pour s'attaquer à cet équilibre.

M. Jean-Luc Tavernier a posé la question du caractère inéluctable d'une fiscalisation progressive des recettes de la protection sociale. Quatre phénomènes sont propres à susciter ce mouvement : en premier lieu, la substitution de la taxe sur la valeur ajoutée ou de la cotisation sur la valeur ajoutée (CVA) aux cotisations sociales, conformément au voeu exprimé par le Président de la République en janvier 2006 ; deuxièmement, le transfert de recettes fiscales en compensation d'exonérations, comme cela a été fait par exemple en 2006 avec l'attribution d'un panier de neuf taxes à la sécurité sociale en compensation d'exonérations générales ; troisièmement, la recherche de recettes nouvelles pour tenir compte du fait que les dépenses de protection sociale progressent à un rythme plus rapide que la richesse nationale ou que la masse salariale ; enfin, même si ce point peut paraître anecdotique, le fait que l'Etat consente à financer les intérêts de la dette contractée à l'égard des organismes de protection sociale, ce qui l'a obligé à affecter à ceux-ci une fraction des recettes des droits sur les tabacs.

Revenant sur le débat lancé par le Président de la République sur l'élargissement de l'assiette des cotisations sociales patronales à la valeur ajoutée, M. Jean-Luc Tavernier a indiqué, cette fois en sa qualité de vice-président du conseil d'orientation pour l'emploi (COE), que la cotisation sur la valeur ajoutée recueille en l'état un profond scepticisme. Les deux arguments traditionnellement avancés pour défendre la CVA n'apparaissent pas, à l'examen, suffisamment convaincants.

Le premier argument consiste à souligner la baisse tendancielle de la part des salaires au sein de la valeur ajoutée et l'accroissement concomitant du poids des profits qui justifierait que ceux-ci soient plus taxés qu'ils ne le sont actuellement. Or, cette affirmation s'appuie sur des courbes démarrant au début des années 1980 au moment où la part des salaires avait atteint un point haut tout à fait conjoncturel pour des motifs liés au choc pétrolier des années soixante-dix. En réalité, sur le long terme comme sur le court terme, le partage salaire-profit au sein de la valeur ajoutée apparaît extrêmement stable.

Le second argument est celui selon lequel une assiette sur la valeur ajoutée aurait un effet favorable sur l'emploi dans la mesure où elle transférerait une partie des charges sociales sur les profits. Cette analyse est sans doute exacte à court terme et la mise en place d'une CVA pourrait conduire à créer quelques dizaines de milliers d'emplois supplémentaires. A long terme en revanche, il apparaît tout à fait présomptueux de vouloir taxer l'assiette la plus mobile qui a toutes les chances de pouvoir s'évader. En réalité, les emplois gagnés à court terme risquent d'être perdus du fait de la chute de la productivité et du taux de progression de la richesse nationale.

Si les arguments en faveur de la CVA apparaissent ainsi peu convaincants, sa mise en place poserait en outre un certain nombre de problèmes. En premier lieu, des complications administratives sont à prévoir avec une nouvelle assiette, de nouvelles obligations déclaratives et de nouveaux circuits de recouvrement. Ensuite, les risques d'évasion d'assiettes sont réels, ouvrant un chantier considérable pour les cabinets d'experts en optimisation fiscale.

Enfin, le ratio masse salariale sur valeur ajoutée apparaît très variable d'une entreprise à l'autre et d'un secteur économique à l'autre. L'institution d'une CVA créera ainsi des gagnants, mais aussi des perdants, y compris au sein d'une même branche économique.

Les difficultés soulevées expliquent le caractère très nuancé du rapport du COE qui a également exprimé de fortes réserves sur les autres solutions proposées, notamment la modulation du taux de prélèvement en fonction du ratio masse salariale sur valeur ajoutée, ou encore la mise en place d'un coefficient emploi sur activité, lequel revient en réalité à une taxation du chiffre d'affaires.

M. Jean-Luc Tavernier a estimé cependant que deux pistes méritent d'être explorées : la première consisterait à supprimer les niches sociales, c'est-à-dire l'ensemble des exonérations, en contrepartie d'un taux de prélèvement faible portant sur une assiette la plus large possible ; la seconde solution est la TVA sociale. Contrairement à la CVA, qui entraînerait des transferts mal maîtrisés entre entreprises, la TVA sociale allège le producteur en reportant le coût sur le consommateur.

Dans une conception « angélique », la TVA sociale n'engendrera pas d'inflation car les producteurs et les détaillants baisseront leur marge. On constate cependant que l'Allemagne, qui a mis en place ce mécanisme, subit actuellement un peu d'inflation. Si une répercussion n'est pas possible sur les marges commerciales, il faudra donc accepter que ce soit le consommateur qui paie, et donc tolérer un peu d'inflation. Ceci se traduira par une baisse du pouvoir d'achat dans la mesure où il ne sera vraisemblablement pas possible de relever les salaires.

M. Jean-Luc Tavernier a ensuite souligné le coût en gestion des exonérations qui s'ajoute à leur coût en trésorerie pour l'Acoss, citant en exemple l'exonération « gazelle », c'est-à-dire le décalage de douze mois du paiement des cotisations sociales prévues par la loi de finances pour 2007 pour les entreprises super innovantes. De ce point de vue, le foisonnement actuel des exonérations a atteint un seuil critique pour l'Acoss qui doit les gérer.

Puis il est revenu sur l'idée de financements additionnels dans la mesure où l'on prendrait acte du fait que les dépenses de protection sociale progressent plus rapidement que celle du PIB. En ce qui concerne les retraites, il n'est pas possible d'envisager d'autres ressources que les cotisations. S'agissant de l'assurance maladie, il est tout à fait possible de concevoir que les dépenses seront contenues au niveau de la hausse du PIB. Il conviendrait d'avoir à tout le moins l'ambition d'éviter de recourir à des financements supplémentaires. En ce cas, un financement additionnel ne serait pas indispensable.

Au final, il n'existe donc aucune raison pour que les quatre phénomènes justifiant une fiscalisation accrue du financement de la protection sociale connaisse une expansion, sauf peut-être en ce qui concerne la TVA sociale. En tout état de cause, si la fiscalisation devait effectivement se développer, rien ne justifierait qu'elle s'accompagne parallèlement d'une budgétisation de la sécurité sociale. Si l'on s'en tient au transfert du panier de neuf taxes prévu pour la compensation des exonérations générales, celui-ci apparaît non comme une budgétisation, mais au contraire comme un facteur de cloisonnement entre le budget de l'Etat et celui de la sécurité sociale.

Abordant ensuite la question du rôle des partenaires sociaux, M. Jean-Luc Tavernier a estimé que la démocratie sociale dans son fonctionnement n'apparaît pas parfaite, mais qu'elle reflète malgré tout un certain équilibre.

Si les caisses sont formellement saisies des textes qui les concernent, cette règle est cependant largement contournée. Pour ne s'en tenir qu'à l'Acoss, seul un tiers des dispositions adoptées dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 ont été soumises à son examen en septembre 2006, avant l'examen du projet de loi par le Parlement. Les deux tiers manquants correspondent à des mesures adoptées dans le projet de loi de finances, notamment l'affectation d'une recette tabac pour le financement des frais de trésorerie produits par la dette de l'Etat à l'égard de la sécurité sociale ; de nombreux dispositifs ont également été pris sous forme d'amendements, en principe d'origine parlementaire, mais dont certains avaient été en fait suggérés par le Gouvernement.

Sur la question des relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale, M. Jean-Luc Tavernier a fait observer que la dette du premier à l'égard de la seconde s'est encore accru d'un milliard d'euros en un an, passant de 5 à 6 milliards entre le début de 2006 et le début de 2007. Cette dette devrait en principe apparaître dans le bilan d'ouverture de l'Etat, conformément à l'engagement pris par écrit par les ministres concernés auprès de l'Acoss.

Il convient cependant d'observer que, sur le milliard d'euros d'accroissement de la dette sociale, 600 millions d'euros proviennent de la non-compensation d'exonérations. Cette anomalie est rendue possible par les différences qui affectent les règles comptables du budget de l'Etat et de la sécurité sociale. En effet, la loi de finances est établie en comptabilité de caisse, ce qui autorise une sous-budgétisation des postes de dépenses correspondant aux compensations d'exonérations de cotisations et de contributions sociales, afin de respecter la norme de dépenses imposée à l'Etat. A cela s'ajoute le fait que certains responsables de programmes disposant de crédits fongibles sacrifient délibérément les engagements financiers qu'ils ont à l'égard de la sécurité sociale afin d'assurer le financement d'autres mesures qu'ils jugent prioritaires. A titre d'exemple, au cours de l'été 2006, une administration a ainsi prévenu du jour pour le lendemain qu'elle n'acquitterait pas la somme de 200 millions d'euros d'exonérations dont elle était pourtant redevable à l'égard de la sécurité sociale.

Cette technique est rendue possible par le fait qu'en face, la sécurité sociale fonctionne pour sa part selon une comptabilité en droits constatés, qui a pour résultat que les défaillances de l'Etat ne pèsent pas, optiquement, sur l'équilibre de ses comptes. En effet, les compensations d'exonérations, même non payées par l'Etat sont bien inscrites en recettes et ne viennent pas accroître le déficit de la sécurité sociale.

Abordant enfin les questions de gouvernance de la sécurité sociale, M. Jean-Luc Tavernier a réitéré son souhait d'un rapport général transversal sur la dépense publique. Il a reconnu le caractère indigent de l'annexe à la loi de financement de la sécurité sociale et a jugé scandaleuse l'absence d'obligation d'étude d'impact, ce qui est pourtant une exigence minimale de la démocratie.

Il a en revanche estimé que l'annexe 8 sur les comptes des organismes concourrant au financement de la sécurité sociale ou financés par la sécurité sociale n'est pas à franchement parler défaillante.

Avouant son scepticisme initial, il a reconnu que le comité d'alerte créé par la loi d'août 2004 sur l'assurance maladie fonctionne bien. Ce comité a un sens pour la branche maladie dans la mesure où il est possible de prendre des mesures de redressement. La proposition consistant à l'étendre à la vieillesse et à la famille est en revanche plutôt contestable. S'agissant en particulier de la branche famille, les seules surprises en exécution peuvent venir d'une démographie plus forte que prévu et la seule masse financière sujette à des variations est celle du fonds d'action sociale qui, il est vrai, rencontre des problèmes ces dernières années. L'intérêt de la mise en place d'un comité d'alerte dans ce cas apparaît cependant faible.

D'autres pistes peuvent être explorées. On pourrait ainsi imaginer que le débat d'orientation qui se tient en juin débouche sur la définition d'objectifs de dépenses publiques qui s'imposeraient autant à la loi de finances qu'à la loi de financement de la sécurité sociale. Ce débat acquérrait ainsi un caractère plus normatif qu'aujourd'hui.

Il serait, par ailleurs, souhaitable que l'ensemble des documents budgétaires et annexés à la loi de financement comporte un éclairage permettant d'expliquer les écarts entre les prévisions de croissance et les réalisations. Par exemple, en matière de dépenses de retraite, il serait intéressant de savoir quelle est la part de la décote dans les dérapages constatés.

Enfin, M. Jean-Luc Tavernier a proposé que l'article de la loi de financement de la sécurité sociale fixant l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) soit suivi automatiquement d'un autre article fixant « à froid » les mesures qui seront mises en oeuvre en cas de dérapage en cours d'exercice.

M. Alain Vasselle, rapporteur, a souhaité plus de détails sur les modalités de budgétisation éventuelle de la branche famille.

Il a également souligné la multiplication des exonérations de cotisations ou de contributions sociales décidées hors loi de financement et sans qu'une compensation soit prévue, et donc en infraction avec les dispositions de la loi organique. Cette pratique de plus en plus répandue fausse la qualité des soldes votés en loi de financement.

M. Jean-Luc Tavernier a indiqué que l'Acoss n'a pas d'intérêt particulier au maintien des excédents de la branche famille dans le giron de la sécurité sociale dans la mesure où les trésoreries des différentes branches font l'objet de gestion séparée depuis 1994. En fait, la mesure la plus intelligente pour utiliser l'excédent structurel dont bénéficie cette branche consisterait peut-être à lui transférer le financement des avantages non contributifs actuellement à la charge de la branche vieillesse. Ce serait d'ailleurs là un argument pour conserver la famille au sein de la sécurité sociale.

S'agissant des exonérations, M. Jean-Luc Tavernier s'est déclaré favorable à ce qu'elles ne puissent être votées qu'en projet de loi de financement. Il a partagé l'analyse de M. Alain Vasselle sur la nécessité d'accompagner les textes par des études d'impact, évoquant le rapport Lasserre qui préconise la généralisation de ce type d'étude, à l'instar de ce qui se fait en Grande-Bretagne.

Au terme d'un débat auquel ont participé M. Alain Vasselle, rapporteur, Guy Fischer, André Lardeux et Pierre Bernard-Reymond, il a souligné la difficulté pratique que soulèverait la proposition de la mission Igas-IGF en faveur de l'adoption simultanée lors du même Conseil des ministres des projets de loi de finances et de financement, dans la mesure où ce dernier fait l'objet d'un avis préalable des conseils d'administration des caisses.

Il a indiqué qu'en sa qualité de directeur de l'Acoss, il n'a aucun contact professionnel avec la commission de Bruxelles, mais qu'il en a eu beaucoup à l'époque où il était directeur de la prévision.

Sur la question de la gouvernance, enfin, il s'est déclaré satisfait des conventions d'objectifs et de gestion (Cog) et a réclamé une annexe pluriannuelle plus fouillée permettant de mieux structurer les débats parlementaires.

Evolutions du périmètre de la protection sociale - Audition de M. Rémi Pellet, avocat en droit social

Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la mission a procédé à l'audition de M. Rémi Pellet, avocat en droit social.

M. Rémi Pellet a considéré qu'il est très difficile de combiner une approche globale des finances publiques tout en conservant un niveau suffisant de détails. L'agrégat des comptes publics est certes une exigence du droit communautaire, mais cet impératif de consolidation ne doit pas entraîner une disparition des détails. De ce point de vue, la création des lois de financement de la sécurité sociale contenant des équilibres de branche est un progrès. Peut-être conviendrait-il d'aller plus loin et d'élaborer un document dans lequel les prélèvements obligatoires seraient distingués en deux catégories : ceux avec une contrepartie individualisable et ceux sans contrepartie individualisable.

Actuellement, les prélèvements obligatoires sont perçus comme écrasants. Or, cette notion de prélèvement obligatoire est typiquement française et n'apparaît pas pertinente. S'il est courant de critiquer le poids de ces prélèvements ou de promouvoir un alignement sur la moyenne européenne de ces prélèvements, il ne faut pas oublier que les comparaisons internationales sont délicates en raison des différences de périmètre de cette notion. Par exemple, aux Etats-Unis, les prélèvements obligatoires sont d'un montant très inférieur aux prélèvements français mais ils ne comprennent pas les sommes versées aux assureurs privés au titre des assurances médicales. De fait, en France, l'augmentation des prélèvements obligatoires a le plus souvent été acceptée dès lors qu'elle faisait l'objet d'une contrepartie telle que l'accroissement de la prise en charge des soins ou l'augmentation des prestations familiales. Cette présentation distinguant les prélèvements obligatoires avec une contrepartie individualisée (maladie, vieillesse, famille, etc.) et les prélèvements obligatoires sans contrepartie individualisée, c'est-à-dire servant à la couverture des besoins collectifs, ne recoupe pas parfaitement le partage entre budget de l'Etat et loi de financement de la sécurité sociale. Par exemple, les pensions des fonctionnaires figurent dans la masse des crédits du budget de l'Etat.

Puis M. Rémi Pellet a estimé que la séparation entre projet de loi de finances et projet de loi de financement de la sécurité sociale revêt de nombreux avantages. Tout d'abord, elle lève le grief d'étatisation concernant la sécurité sociale. Certes, dès 1945, l'Etat a été compétent et présent en matière de sécurité sociale, les partenaires sociaux n'ayant jamais vu leurs compétences aller au-delà de la détermination des budgets administratifs des caisses ou de l'action sociale de celles-ci. De fait, l'essentiel des décisions ont toujours été prises par le gouvernement par la voie réglementaire. L'instauration du projet de loi de financement de la sécurité sociale a cependant, en quelque sorte, « parlementarisé » la sécurité sociale et a donc permis sa désétatisation, ce qui a constitué un réel progrès. Grâce à l'existence de deux lois, il y a moins de risques de détournement des ressources de la protection sociale et de mainmise au bénéfice du budget de l'Etat.

Un deuxième avantage de l'existence de deux textes distincts est de préserver l'application de règles différentes au sein des deux sphères financières. Ainsi, le principe de l'universalité et de la non-affectation des recettes aux dépenses qui s'applique au budget de l'Etat peut être conservé. En revanche, le principe de l'affectation des recettes aux dépenses en matière de sécurité sociale a été renforcé, notamment grâce à la dernière loi organique du 2 août 2005. Ce principe d'affectation, qui découle de la logique assurantielle, permet de repérer le déficit là où il existe. La fusion du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale rendrait extrêmement difficile la cohabitation de logiques aussi différentes.

Le rôle des partenaires sociaux peut être différencié selon les branches. En matière assurantielle, le financement des prestations repose sur des cotisations assises sur le travail, ce qui confère une légitimité indéniable à la participation des partenaires sociaux à leur gestion. Pour ce qui est de l'assurance maladie, il faut distinguer les indemnités journalières qui représentent 10 % des dépenses de la branche et relèvent de cette logique assurantielle, ce qui justifierait une autonomisation de cette sous-branche. Ainsi, on pourrait, comme pour le régime agricole, maintenir le caractère obligatoire de l'assurance arrêt de travail tout en permettant à l'employeur de choisir l'assureur. Néanmoins, il subsiste le problème tenant au fait que les indemnités journalières sont couvertes aujourd'hui par une cotisation de 0,75 % déplafonnée alors que le montant de la prestation est, lui, plafonné.

M. Rémi Pellet a ensuite souligné le caractère contestable de la distinction entre retraite de base et retraite complémentaire, l'affiliation à ces dernières étant obligatoire depuis 1972. Il y aurait, en effet, une réelle légitimité à soumettre ces régimes complémentaires au contrôle du Parlement et à les inclure dans le champ de la loi de financement. C'est pourquoi on pourrait imaginer de transférer aux partenaires sociaux également la gestion effective du régime de base de l'assurance vieillesse en soumettant les accords conclus à l'agrément des pouvoirs publics. A l'inverse, il conviendrait de soumettre dorénavant à un tel agrément les accords conclus en matière de régimes complémentaires. Un tel système renforcerait l'implication des partenaires sociaux. Il faut toutefois savoir que des propositions totalement différentes sont faites par un certain nombre d'experts qui préconisent la mise en place d'un système de retraite par points entièrement géré dans une logique de solidarité et ne laissant donc aucune place aux partenaires sociaux.

En matière d'assurance santé, le rôle de ces derniers est plus complexe à légitimer. Aujourd'hui, le Medef lui-même s'interroge sur son rôle dans ce domaine où une très large part des dépenses lui échappe, en particulier les dépenses hospitalières. D'un autre côté, la gestion des conventions médicales se fait par négociation avec les syndicats des médecins.

M. Rémi Pellet s'est déclaré favorable à une régionalisation du système d'assurance maladie avec un processus de conventionnement régional, la définition d'objectifs de planification médicale sur les différentes parties du territoire, éventuellement de réelles incitations à s'installer dans les zones les moins dotées grâce au versement de primes. Enfin, la récente loi relative au dialogue social, actuellement limitée au champ des relations du travail, pourrait être étendue aux questions de santé voire de vieillesse ou à d'autres sujets sociaux.

Interrogé sur l'importance qu'il convient d'accorder au principe de « droits acquis par le travail », il a souligné l'ambiguïté de la question posée. Il est difficile, en matière de protection sociale, de parler de droits acquis, alors que les règles font l'objet d'une renégociation permanente, comme c'est le cas en particulier pour les retraites. S'agissant des retraites complémentaires, la Cour de cassation a ainsi estimé que la valeur du point peut être librement revue, même si le nombre de points dont bénéficie le cotisant constitue un droit acquis. Cette question est très sensible car elle touche aux arbitrages entre ceux qui cotisent et les inactifs, avec le risque que ces arbitrages soient faits au détriment de ces derniers. On ne peut exclure une intervention de la Cour européenne des droits de l'homme sur ce point qui aurait pour effet de mieux protéger certains droits ouverts dans une optique patrimoniale de ces droits. Peut-être le rôle des pouvoirs publics serait-il également d'intervenir dans le domaine des retraites complémentaires pour affirmer l'existence de droits acquis afin de protéger les retraités ?

Puis M. Rémi Pellet a indiqué que des mouvements de fiscalisation et de budgétisation de la sécurité sociale recouvrent deux notions très différentes et relativement fluctuantes comme en témoigne par exemple la procédure suivie pour la compensation des exonérations de charges sociales.

Sur la question du meilleur mode de financement de la protection sociale, seuls les économistes peuvent donner une opinion avisée. L'avis du juriste ne peut donc que se limiter à relever le problème de clé d'affectation que ne manquerait pas de poser une éventuelle répartition de la recette nouvellement créée entre différentes branches. Une telle difficulté pourrait intervenir si la piste de la TVA sociale était retenue et si l'on décidait d'affecter son produit à plusieurs régimes. Pour le coup, une budgétisation complète des branches concernées pourrait se justifier, ce qui conduit à se montrer très réservé sur le sujet. De ce point de vue, la CSG ne pose pas ce type de problème dans la mesure où elle est recouvrée par trois organismes distincts respectant une clé de répartition préétablie.

Il est envisageable de budgétiser la santé et la famille et de laisser aux partenaires sociaux la responsabilité de l'assurance vieillesse et des indemnités journalières. En ce cas, cependant, il faudra impérativement créer une caisse de retraite des fonctionnaires de l'Etat et externaliser les dépenses correspondantes, ce qui supposera de définir des recettes. Une telle mesure aurait l'avantage de rendre plus lisible l'effort de cotisation des fonctionnaires et de permettre des comparaisons avec les autres régimes.

S'agissant du contrôle et de la gestion des caisses, M. Rémi Pellet a fait part de son expérience, constatant que ce contrôle est aujourd'hui important mais lourd et mal ciblé. L'enjeu n'est pas de l'alourdir encore, mais bien plutôt d'accentuer la fonction de contrôle des caisses elles-mêmes et donc de les aider à améliorer leurs performances dans ce domaine, tant la fraude reste massive.

Il s'est déclaré favorable à la mise en place d'un équivalent de l'Ondam pour définir le taux d'effort des cotisants à la branche vieillesse, ainsi que pour la partie indemnités journalières de la branche maladie.

M. Alain Vasselle, président, a souhaité avoir une précision sur la manière de concilier le maintien de la distinction entre projet de loi de finances et projet de loi de financement tout en individualisant les pensions des fonctionnaires de l'Etat. Par ailleurs, il a demandé si le fait de basculer la famille et la maladie vers la solidarité signifie que tout le reste de la protection sociale relève d'une logique assurantielle.

M. Rémi Pellet a insisté sur la nécessaire transparence et lisibilité des dépenses de pension des fonctionnaires qui selon lui justifierait une caisse spécifique à l'image de ce qui existe pour les collectivités territoriales.

M. Alain Vasselle, président, a souhaité savoir s'il n'existe pas d'inconvénient à budgétiser les 90 % des dépenses d'assurance maladie.

M. Rémi Pellet a indiqué que l'importance de la fiscalité affectée à la maladie représente déjà une forme de budgétisation. Le problème majeur aujourd'hui est que le financeur - à savoir l'assurance maladie - ne contrôle pas la moitié des dépenses qui lui incombent, c'est-à-dire ce qui concerne les hôpitaux pour lesquels les décisions sont prises par l'Etat et les agences régionales d'hospitalisation (ARH). Il y aurait d'ailleurs une réelle légitimité à créer une unité de trésorerie entre les hôpitaux et les finances sociales, alors que la trésorerie des hôpitaux est aujourd'hui confiée au Trésor public.

M. Dominique Leclerc a estimé que l'analyse de M. Pellet sur la distinction entre les lois de finances et de financement conforte sa propre opinion d'une nécessaire séparation. La logique de branche n'exige pas forcément des règles de gouvernance identiques. En matière de vieillesse, le problème de la transparence est fondamental, en particulier sur les pensions de l'Etat, afin d'atteindre une meilleure équité et un minimum de règles communes.

M. Rémi Pellet a considéré que le document retraçant comptablement l'équilibre du régime des fonctionnaires de l'Etat est un véritable acquis de la dernière loi organique relative aux lois de financement. Toutefois, il demeure nécessaire de normaliser ce régime et il est clair que seul un système de caisse permettra de bien identifier les équilibres.

M. André Lardeux a souhaité savoir si le raisonnement suivi est applicable à la branche famille. Il s'est interrogé sur les conséquences d'une distinction entre des prélèvements obligatoires non affectés et des prélèvements obligatoires individualisables, celle-ci risquant, si le raisonnement était poussé à son terme, de justifier une distinction entre dépenses incompressibles qui devraient être prises en charge collectivement et dépenses de nature assurantielle qui seraient à la charge des individus.

M. Rémi Pellet s'est élevé contre le raisonnement selon lequel la fiscalisation est l'antichambre de la budgétisation. Il a rappelé l'arrêt de la Cour de justice des communautés européennes de 1999 sur les fonds de pension néerlandais qui a confirmé la possibilité d'instituer, en matière de retraite, un système de monopole public fondé sur la capitalisation dès lors que ce système inclut des mécanismes de solidarité. Le fait d'opérer une distinction entre l'assurance et la solidarité ne signifie donc pas qu'il y a privatisation du risque couvert.

S'agissant de la famille, aucune raison ne justifie un financement par les cotisations patronales. La question est de savoir quelle recette fiscale peut être utilisée. La CSG est sans doute la recette qui serait le plus adaptée à la famille tandis que la TVA pourrait s'appliquer à la maladie.

M. Guy Fischer a souhaité avoir plus de détails sur les propositions en matière de régionalisation de l'assurance maladie.

M. Rémi Pellet a indiqué qu'il s'agirait de régionaliser les dépenses et non les recettes de l'assurance maladie. L'exemple catastrophique de l'Italie où l'on a régionalisé les recettes et institué un mécanisme de péréquation en permanence contesté conduit à maintenir un système centralisé de recettes. En revanche, pour la dépense, certaines régions sont réellement déshéritées et il conviendrait de mieux planifier les objectifs et de développer les mécanismes incitatifs à l'échelon local, en faisant même - pourquoi pas - intervenir les conseils économiques et sociaux régionaux.

Evolutions du périmètre de la protection sociale - Audition de Mme Danièle Karniewicz, présidente du conseil d'administration de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés

Puis la mission a procédé à l'audition de Mme Danièle Karniewicz, présidente du conseil d'administration de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés.

Abordant la question de l'approche globale des comptes publics, Mme Danièle Karniewicz a considéré que l'approche différenciée des comptes de l'Etat et des comptes sociaux n'est pas source de confusion. En ce qui concerne plus précisément la sécurité sociale, le suivi assuré par les services des caisses nationales, par l'Etat et par le Parlement permet de garantir la bonne gestion des comptes. L'approche globale des déficits, demandée au niveau de l'Union européenne, peut donc être assurée dans le cadre du système actuel.

Elle s'est déclarée opposée à la fusion des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale car la sécurité sociale, notamment sa branche vieillesse, reste financée par des cotisations sociales. Ainsi 80 % des fonds de la Cnav proviennent des cotisations et les pensions versées constituent une forme de revenu différé.

De plus, la sécurité sociale assure la couverture de risques pour lesquels les assurés cotisants peuvent s'ouvrir des droits individuels, alors que les dépenses financées par l'Etat constituent des engagements collectifs, qui peuvent varier au gré des gouvernements.

Mme Danièle Karniewicz a également rejeté la possibilité d'appliquer aux dépenses de la sécurité sociale les principes d'enveloppes limitatives fermées applicables au budget de l'Etat. Selon elle, la fusion des lois de finances et des lois de financement porterait un coup fatal au paritarisme dans la gestion de la sécurité sociale.

S'agissant du rôle des partenaires sociaux, Mme Danièle Karniewicz a confirmé qu'ils gardent toute leur légitimité pour gérer la sécurité sociale, à la double condition d'une réforme du système de la représentativité syndicale et d'une obligation - notamment pour le patronat - de participer à la démocratie sociale.

Abordant la notion de « droits acquis par le travail », il lui a paru important de préserver le double caractère contributif et redistributif de la sécurité sociale française, notamment dans le domaine de la retraite. La nature contributive des pensions garantit l'adhésion de tous, quel que soit le niveau de revenu, au fonctionnement du régime général, tandis que les mécanismes redistributifs, comme le minimum contributif, la validation des périodes de chômage ou de maladie ou encore les majorations de pensions pour enfants, en assurent l'équité. Elle en a conclu que les droits au régime général, contrairement à ceux des régimes complémentaires, ne peuvent pas être assis exclusivement sur les droits acquis par le travail.

S'agissant du financement de la protection sociale, Mme Danièle Karniewicz est favorable à un élargissement de son assiette, afin de faire peser cette charge sur d'autres ressources que les seuls salaires et d'assurer un meilleur dynamisme général des recettes de la sécurité sociale. Un tel élargissement devrait toutefois se faire de façon différenciée selon les branches : un financement par l'impôt se justifie pour la branche famille et pour une partie importante des dépenses d'assurance maladie, alors qu'il importe de préserver une prépondérance des cotisations sociales dans le financement des retraites. L'élargissement de l'assiette de financement devrait vraisemblablement s'opérer par le biais de la création d'une forme de TVA sociale.

Il ne faut pas confondre système contributif et système assurantiel : le propre de la sécurité sociale française, qui est sans aucun doute un système contributif, est de reposer sur une logique assurantielle mâtinée de solidarité. Vouloir à tout prix poser une distinction stricte entre droits contributifs financés par le système assurantiel et solidarité financée par l'impôt risque de conduire à une forme de sélection des risques entre « bons cotisants » confiés au secteur privé et « mauvais cotisants » relevant de la sphère publique. D'ailleurs, en matière de retraite, le recours à l'épargne individuelle comme solution au problème du vieillissement démographique est un leurre : cette solution est sans aucun doute favorable au financement des entreprises mais pas au pouvoir d'achat des futurs retraités. Elle a donc réaffirmé son attachement au système de la retraite par répartition.

Elle a également plaidé pour une plus grande transparence des comptes sociaux, notamment en ce qui concerne les régimes spéciaux de retraite. L'absence d'information des Français sur le niveau de financement des régimes spéciaux par le régime général n'est pas une chose normale. Au moment où l'on demande aux salariés du secteur privé des efforts supplémentaires pour équilibrer leur régime de retraite, ils doivent savoir que ces efforts visent en réalité en grande partie - à travers la compensation démographique ou les mécanismes d'adossement - à rééquilibrer d'autres régimes dont les cotisants ne sont, eux, pas sollicités dans les mêmes proportions.

Abordant enfin la question de la gouvernance, Mme Danièle Karniewicz a estimé que le système des rendez-vous quadriennaux mis en place depuis la réforme des retraites de 2003 permet une gestion prévisionnelle efficace de la branche vieillesse. Elle a donc repoussé la création d'un comité d'alerte inspiré de celui mis en place pour l'assurance maladie, estimant qu'une telle instance n'est pas adaptée au cas de la branche vieillesse.

M. Dominique Leclerc a confirmé les incertitudes qui pèsent sur l'avenir des retraites et regretté que cet état de fait reste mal connu des Français, la plupart pensant que la réforme de 2003 a réglé définitivement ce problème.

Le financement de la branche vieillesse doit continuer à reposer sur une logique contributive. On doit toutefois souligner l'importance des droits dérivés, notamment des majorations de pension pour enfants qui concernent 80 % des Françaises et représentent 30 % du montant de leurs pensions.

L'information sur le financement des régimes spéciaux de retraite doit être plus transparente : les Français doivent être conscients que ces régimes bénéficient largement de la solidarité de l'impôt alors que l'équilibre du régime général repose sur les seuls efforts d'adaptation des pensions des salariés du secteur privé. Il est donc indispensable d'assurer un socle commun à l'ensemble des régimes.

Mme Danièle Karniewicz a souligné que le principe de solidarité intergénérationnelle sur lequel repose le régime par répartition devient de moins en moins crédible pour les jeunes générations, puisqu'on leur demande de travailler plus sans pouvoir leur garantir un taux de remplacement décent lorsque eux-mêmes prendront leur retraite. Cette perte de crédibilité explique que beaucoup risquent de se tourner vers l'assurance privée, ce qui ne fera finalement que des perdants. C'est la raison pour laquelle il faut un engagement clair en matière de taux de remplacement afin d'éviter la fuite des cotisants vers le privé. C'est à ce prix que les salariés pourront accepter un effort supplémentaire en faveur du régime général.

M. André Lardeux a souhaité savoir quel est le niveau de prélèvement obligatoire souhaitable pour financer les retraites sachant que celui-ci s'établit d'ores et déjà aujourd'hui à 12,5 % du PIB.

Mme Danièle Karniewicz a expliqué que le taux de prélèvement obligatoire affecté à la branche vieillesse ne retrace pas l'intégralité de l'effort consenti par chaque Français pour financer sa retraite en raison de l'existence d'une épargne privée. Certaines entreprises ont une attitude incohérente lorsqu'elles refusent toute augmentation des prélèvements en faveur du régime général mais acceptent d'abonder des régimes d'assurance privée. Il faut afficher un objectif décent de taux de remplacement par rapport au dernier salaire car le cumul emploi-retraite ne peut pas être la solution à la faiblesse actuelle de ce taux.

M. Guy Fischer a dénoncé les inégalités sans précédent dans la répartition des richesses et les perspectives offertes aux travailleurs de cotiser plus pour toucher moins. Le cumul emploi-retraite est un recul social et il est choquant d'observer la « financiarisation » de la protection sociale et les chiffres d'affaires colossaux de l'assurance-vie et de la prévoyance. On ne peut passer sous silence la situation des personnes qui ont vécu grâce aux minima sociaux ou qui ont cotisé sur des salaires très faibles et qui touchent ensuite des pensions modiques, souvent proches du minimum vieillesse. En comparaison, les salariés des grands groupes font figure de privilégiés car ils bénéficient d'accords collectifs plus favorables.

Mme Danièle Karniewicz a expliqué que pour contenir le niveau des prélèvements obligatoires, on a progressivement abaissé le minimum garanti aux retraités et le niveau général des pensions. Mais l'effort individuel nécessaire pour maintenir le pouvoir d'achat à la retraite reste identique puisque chacun doit épargner dans cette perspective. Le débat sur les prélèvements obligatoires doit donc tenir compte de cet effort global en faveur des retraites.

M. Alain Vasselle, président, s'est interrogé sur l'élargissement du financement des retraites par la CSG et a voulu savoir si la distinction entre dépenses relevant de l'assurance obligatoire et dépenses de solidarité reste pertinente. Il a également plaidé pour un renforcement des moyens du fonds de solidarité vieillesse (FSV). Il a demandé si la Cnav dispose d'études économiques précises sur les fonds consacrés par les Français à l'assurance privée. Il serait en effet intéressant de savoir si le rapatriement de ces sommes vers le régime général réglerait réellement le problème de la pérennisation du financement des retraites. La même question se pose s'agissant des effets d'un alignement des régimes spéciaux.

Mme Danièle Karniewicz a estimé que les cotisations sociales doivent rester prépondérantes dans le financement des retraites, ce qui n'est pas nécessairement le cas pour la branche famille ou pour l'assurance maladie. La TVA sociale, parfois envisagée comme nouvelle recette pour le financement de la sécurité sociale, présente toutefois l'inconvénient de peser plus fortement sur les catégories sociales les plus faibles.

La Cnav a engagé des travaux sur les efforts d'épargne privée des Français et leur impact sur le taux de remplacement mais l'exhaustivité de ces études se heurte à des problèmes de transmission d'information entre le régime général et l'association générale des institutions de retraite des cadres - association des régimes de retraite complémentaire (Agirc-Arrco). Une des pistes de travail pour l'amélioration du taux de remplacement pourrait être d'autoriser les assurés à cotiser au-delà du taux d'appel.

En tout état de cause, la répartition offre potentiellement plus de perspectives que la capitalisation : le rendement des cotisations aux régimes complémentaires atteint, en effet, encore aujourd'hui 7 % alors que le rendement des retraites par capitalisation n'est supérieur que de deux points à la progression du PIB.

Evolutions du périmètre de la protection sociale - Audition de M. Philippe Georges, directeur de la Caisse nationale d'allocations familiales

La mission a ensuite procédé à l'audition de M. Philippe Georges, directeur de la Caisse nationale d'allocations familiales.

M. Philippe Georges s'est dit sensible à l'idée d'une approche globale des comptes publics, estimant que les distinctions entre comptes de l'Etat et comptes de la sécurité sociale sont peu compréhensibles pour les citoyens. Une approche globale leur permettrait de se réapproprier les débats sur les déficits publics. En revanche, il s'est déclaré opposé à la fusion des lois de finances et des lois de financement, considérant que cette fusion remettrait en cause les principes fondateurs de la sécurité sociale, notamment la place des partenaires sociaux dans sa gestion.

La branche famille est sans aucun doute la plus menacée par les projets de rebudgétisation de la sécurité sociale. La dissociation des règles de gestion de la branche famille par rapport aux autres branches poserait des problèmes importants et serait même contraire au processus de rapprochement des règles de fonctionnement des caisses locales entamé depuis plusieurs années.

Quelle serait, en outre, la place des partenaires sociaux en cas de rebudgétisation de la sécurité sociale ? Le départ des représentants du patronat des instances dirigeants de la sécurité sociale pose un problème et peut conduire certains à nourrir des projets de transformation des conseils d'administration des différentes caisses en simples conseils d'orientation, à la composition éventuellement élargie.

S'agissant plus précisément de la branche famille, le caractère pluriannuel de ses modes de gestion s'accommoderait mal des règles budgétaires applicables au budget de l'Etat. Pour ces raisons, il serait d'ailleurs justifié de modifier la conférence de la famille, aujourd'hui annuelle, pour la transformer en conseil d'orientation de la politique familiale et d'abandonner la pratique des thématiques annuelles au profit d'un suivi des différentes politiques à moyen et long termes. L'existence d'une branche famille de la sécurité sociale garantit la pérennité des recettes affectées à la politique familiale et met celle-ci à l'abri des à-coups d'une politique conjoncturelle. Toutefois, l'existence d'excédents structurels implique soit une adaptation et donc une baisse des recettes nécessaires pour faire face aux besoins, soit la définition de règles claires en matière d'affectation de ces excédents. On pourrait imaginer la création d'un fonds de régulation destiné à recevoir les excédents de la branche famille.

S'agissant de l'élargissement de l'assiette de financement de la protection sociale, les projets de TVA sociale sont disproportionnés par rapport aux effets vraisemblablement modestes susceptibles d'en découler en matière de recettes. La CSG avait été présentée, en son temps, comme une révolution, sans finalement avoir permis de résoudre le problème de financement de la sécurité sociale. M. Philippe Georges s'est en revanche déclaré favorable à la transformation de l'ensemble des cotisations patronales en cotisations salariales, cette unification présentant l'avantage d'une plus grande transparence des coûts de la sécurité sociale pour l'ensemble des acteurs. Il reviendrait aux Français, dans ce cadre, de procéder eux-mêmes à un arbitrage entre salaire immédiat et salaire différé.

Il serait excessif de vouloir établir une distinction stricte entre système assurantiel et solidarité, la sécurité sociale française ayant toujours reposé sur un système mixte. Une telle distinction est en tout état de cause inapplicable à la branche famille.

Le principal enjeu pour la branche famille est celui de la gouvernance, la régulation par les seuls syndicats de salariés et par le mouvement familial étant d'ailleurs difficile. Si les représentants du patronat refusent de revenir siéger au sein du conseil d'administration de la Cnaf, il deviendra légitime de s'interroger sur la transformation de celle-ci en une agence gouvernementale, à condition qu'elle continue à disposer d'une autonomie juridique et financière renforcée.

M. André Lardeux s'est déclarée défavorable à la fusion des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale et a rejoint les craintes exprimées sur l'intégration de la branche famille au sein du budget de l'Etat. Toutefois, la politique démographique relève des compétences de l'Etat, ce qui pourrait théoriquement justifier une rebudgétisation de la branche famille.

Il s'est interrogé sur la façon la plus pertinente de gérer les excédents structurels de la branche et a voulu savoir si la Cnaf est disposée à assurer le financement intégral des majorations de pension pour enfants. Il a également souhaité connaître les propositions de la caisse en matière de simplification des allocations logement.

M. Philippe Georges a reconnu que la politique familiale et démographique relève de la compétence de l'Etat. La marge de manoeuvre de la branche famille réside dans son fonds d'action sociale (FAS) géré par les partenaires sociaux. La rebudgétisation de la branche famille remettrait en cause cette gestion paritaire de l'action sociale et se heurterait donc à l'opposition des syndicats. Elle serait aussi contraire aux objectifs de décentralisation et de déconcentration, dans la mesure où une partie du FAS, à hauteur de 800 millions d'euros, est gérée par les caisses locales. La compétence de l'Etat en matière de politique familiale ne doit donc pas entraîner automatiquement l'intégration de la branche famille dans le budget de l'Etat.

Il est au contraire important de préserver l'indépendance de la branche famille afin de garantir la stabilité de la politique familiale et de sanctuariser ses recettes. S'agissant des excédents de la branche, le reproche fait aux partenaires sociaux de dilapider ces réserves à travers des dépenses ponctuelles est un mauvais procès car la fonte des excédents résulte bien davantage de la création par l'Etat de nouvelles prestations légales. Il serait possible de résoudre la question des excédents en abaissant le taux de la cotisation patronale affectée à la branche famille mais une telle solution est politiquement difficilement praticable. Il faut donc fixer des règles d'affectation de ces excédents, ceux-ci pouvant par exemple être redéployés vers des dépenses qui pèsent aujourd'hui sur les familles comme la prise en charge de la dépendance.

S'agissant des aides au logement, leur complexité provient de leur nombre et de leur mode de calcul : toute simplification supposerait une fusion des allocations et un alignement coûteux sur la prestation la plus favorable.

M. Alain Vasselle, président, a voulu savoir si l'exercice consistant à mieux identifier les dépenses liées aux droits acquis par le travail et les dépenses de solidarité a un sens pour la branche famille.

M. Philippe Georges a expliqué qu'un exercice approchant était mis en oeuvre en matière d'allocation logement, consistant à répartir les dépenses entre l'Etat et la branche famille en fonction du type de foyer bénéficiaire. Cet exercice comporte cependant des limites importantes et constitue une source de complexité pour le financement de ces prestations. S'agissant des droits acquis par le travail, seules certaines prestations en faveur de la petite enfance peuvent être considérées comme liées à la sphère professionnelle. Mais ce lien est si ténu qu'adopter une telle distinction pour la branche famille serait surtout source de confusion.

Evolutions du périmètre de la protection sociale - Audition de M. Bertrand Fragonard, président de la 2e chambre de la Cour des comptes

Enfin, la mission a procédé à l'audition de M. Bertrand Fragonard, président de la 2e chambre de la Cour des comptes.

Interrogé sur la nécessité d'assurer une meilleure approche globale des comptes publics, M. Bertrand Fragonard a estimé que cette question donne en elle-même le sentiment que cette approche globale n'existe pas. Sa vision n'est pas aussi pessimiste : l'essentiel des questions est aujourd'hui connu ; les administrations publiques préparant le projet de loi de finances et le projet de loi de financement se parlent beaucoup. Si on regarde rétrospectivement ces trente dernières années, ce qui frappe n'est pas le manque d'approche globale, mais le manque de cohérence des politiques car trois grandes zones de faiblesse demeurent :

- le travail interministériel n'est parfois pas suffisamment approfondi. Le ministre des finances en particulier, lorsqu'il met en place une modification de l'impôt sur le revenu, ne pense pas nécessairement à prévenir son collègue chargé des affaires sociales, en dépit des répercutions évidentes sur la CSG. 600 millions d'euros ont ainsi été perdus en matière de CSG du simple fait de la réforme de l'avoir fiscal ;

- il reste des zones de friction entre budgets de l'Etat et de la sécurité sociale, notamment dans le domaine des exonérations, ce qui a conduit à l'apparition d'une dette importante du premier à l'égard de la seconde. Chacune des deux parties joue sa partition et avance ses pions, mais il ne s'agit en aucun cas d'un problème d'approche globale insuffisante des finances publiques ;

- certaines propositions, comme celle actuellement explorée tendant à la fusion de l'impôt sur le revenu et de la CSG, montrent qu'il existe sans doute trop peu de lieux où la législation fiscale et la législation sociale sont également connues et maîtrisées.

M. Bertrand Fragonard s'est ensuite déclaré opposé à la fusion loi de finances et loi de financement, y voyant trois obstacles. D'abord, la différence de nature des crédits adoptés dans les deux lois : les crédits de loi de finances sont limitatifs, alors que l'on imagine mal que la loi de financement soit bâtie à partir d'enveloppes de même nature ; ensuite, la fusion des deux lois sera automatiquement vécue par les partenaires sociaux comme une dépossession et celle-ci aboutira à réduire le nombre des personnes ayant une compétence dans le domaine de la protection sociale ; enfin, on peut avoir des doutes sur la possibilité d'appréhender ce « grand tout » que deviendront les lois de finances et les lois de financement rassemblées dans une gigantesque loi unique.

Au demeurant, jusqu'à présent personne n'a véritablement été capable d'expliquer les raisons positives qui pourraient justifier cette fusion. Le risque, en outre, est que les administrations concernées passent beaucoup de temps à concevoir les voies et moyens de cette fusion, au détriment d'autres sujets plus importants ces prochaines années.

Interrogé sur le rôle des partenaires sociaux, M. Bertrand Fragonard a relevé leur rôle très limité en tant que partenaires institutionnels au sein des conseils d'administration de la Cnaf et de la Cnav. Pour ne citer qu'un exemple, le débat de septembre 2003 sur la réforme des pensions de réversion devant le conseil d'administration de la Cnav s'est révélé très lacunaire. S'agissant de la branche famille, les partenaires sociaux ne sont intéressés que par la partie « action sociale » et ne discutent jamais des prestations légales. En réalité, l'Etat a aujourd'hui totalement la main sur les prestations légales et l'on peut se demander effectivement pourquoi il faudrait conserver les partenaires sociaux au sein des caisses.

La question inverse mérite cependant aussi d'être posée : pourquoi faudrait-il supprimer leur présence ? On peut en effet considérer qu'il est nécessaire de conserver un groupe de personnes capables de servir de relais dans la connaissance des mécanismes de la protection sociale. Pour ce qui est de la branche maladie, l'option mise en oeuvre par la réforme d'août 2004 a été de laisser au bénéfice de la Cnam et de l'union nationale des caisses d'assurance maladie (Uncam) une zone de discussion conventionnelle maintenant l'Etat à distance. Toutefois, l'expérience le prouve, et tout particulièrement les discussions récentes sur la rétribution des médecins généralistes, l'Etat n'accepte pas véritablement son dessaisissement et continue de surveiller les discussions en usant de son droit d'agrément et de son rôle normatif.

M. Bertrand Fragonard a jugé qu'en définitive, même si les partenaires sociaux n'ont pas la main sur les décisions les plus importantes, il faut cependant essayer de faire vivre le paritarisme afin de laisser un maximum de personnes « dans le coup ». Par ailleurs, beaucoup de sujets peuvent être abordés dans le cadre de conversations parallèles avec les membres des conseils d'administration.

Il paraît en revanche difficile d'envisager d'aller plus loin dans la gestion paritaire de ces caisses. On pourrait certes théoriquement envisager que les prestations familiales constituent une enveloppe dont la gestion serait donnée en totalité aux partenaires sociaux, à l'instar de ce qui se fait déjà en matière de chômage et de retraite complémentaire. On n'imagine pas cependant l'Etat se retirer de sujets aussi importants, ayant de telles implications dans la vie de tous les jours.

M. Alain Vasselle, rapporteur, a demandé s'il est important de conserver le principe de « droits acquis par le travail ».

M. Bertrand Fragonard a estimé que l'on a déjà beaucoup « décollé » de ce principe. En 1979, à la date de généralisation des prestations familiales, 17 % des dépenses de la branche étaient déjà versés au bénéfice des non-cotisants. Parallèlement, les prestations en nature de l'assurance maladie et les minima sociaux sont aujourd'hui déconnectés du travail.

La protection sociale ne naît d'ailleurs pas exclusivement du travail. Si les prestations vieillesse, chômage, accidents du travail - maladies professionnelles et les indemnités journalières sont comme « l'ombre portée » de la carrière, elles n'obéissent pourtant pas complètement à une logique de retour proportionnelle au bénéfice du cotisant. Dans une optique libérale, il serait même envisageable de casser les liens entre travail et protection sociale. On pourrait pousser les gens à se constituer eux-mêmes leur retraite en contrepartie de mécanismes de crédit d'impôt ou à acquitter des cotisations maladie auprès de l'organisme assuranciel de leur choix, l'Etat se donnant comme seule responsabilité d'aider les plus modestes.

Evidemment, ce schéma n'est pas celui aujourd'hui appliqué en France. Les retraites restent pour une large part contributives, alors que le lien entre cotisations et prestations a complètement disparu pour la branche famille.

La fiscalisation n'implique pas obligatoirement une budgétisation parallèle de la protection sociale. La mise en place de la CSG n'avait pas entraîné l'insertion de la branche maladie dans le budget de l'Etat. S'interroger sur une éventuelle budgétisation revient à se demander si les dépenses de la protection sociale peuvent entrer dans un cadre limitatif. Les interrogations sur la fiscalisation renvoient en revanche à une réflexion sur la nature de la recette.

A la différence de la budgétisation, la fiscalisation progressive des recettes des organismes de protection sociale répond pour le coup à un mouvement inéluctable. Il ne sera plus possible ensuite d'asseoir le financement de la protection sociale sur le seul coût direct du travail. On ne voit pas, en effet, autour de nous de pays qui accroissent les prélèvements directs sur la masse salariale. Les recherches s'orientent aujourd'hui vers les assiettes les plus larges possibles et le principe selon lequel c'est le travail qui fonde le droit à la protection sociale s'efface de plus en plus, au point que l'on pourrait presque dire dorénavant que c'est plutôt l'absence de travail qui fonde ce droit.

En ce qui concerne le débat lancé par le Président de la République en janvier 2006 sur l'élargissement de l'assiette des cotisations sociales patronales à la valeur ajoutée, M. Bertrand Fragonard a estimé qu'il existe deux écoles : la première envisage de conserver une cotisation patronale tout en s'interrogeant sur la restructuration de cette cotisation afin de la réorienter vers les secteurs à plus forte valeur ajoutée ; la seconde prône un changement pur et simple d'assiette. Toutefois, tout changement d'assiette risque d'entraîner des transferts considérables d'une catégorie de contribuables à une autre.

Par exemple, la substitution de la TVA sociale aux cotisations patronales se fera au détriment du revenu des personnes âgées et créera un profil régressif dans la taxation de ce revenu. Sans doute serait-il plus pertinent de réfléchir aux niches fiscales dont bénéficient les retraités. La TVA sociale reviendra également à taxer les familles alors que les prestations familiales sont aujourd'hui exonérées d'impôt sur le revenu.

En fait, il est indispensable de s'interroger, préalablement à toute réforme, sur le type de financeur que l'on estime légitime. Pour autant, il est vraisemblable qu'à l'avenir, on ira de plus en plus vers une taxation du consommateur pour financer la protection sociale.

M. Alain Vasselle, rapporteur, a ensuite demandé comment il sera possible d'assurer à l'avenir le financement des dépenses à caractère social, compte tenu de leur caractère extrêmement dynamique.

M. Bertrand Fragonard a proposé que l'on envisage aussi qu'il soit possible de ne pas accroître la dépense publique de nature sociale. Certes, on imagine mal que le poids des retraites n'augmente pas au cours des prochaines années. En matière de santé, il apparaît également évident qu'en l'absence de toute mesure, le poids des dépenses va s'accroître.

La question est néanmoins posée de savoir si l'on peut accepter que, dans l'avenir, une partie importante de la progression de la richesse nationale soit détournée au profit exclusif du domaine de la santé. Il est nécessaire de se demander jusqu'à quel point de pourcentage du PIB la société est prête à porter le niveau des dépenses de la branche maladie, car c'est sur cette branche que les choix se feront.

On pourrait parfaitement imaginer de reporter une partie de ces dépenses sur les ménages tout en les aidant à recourir à des couvertures de prévoyance. Le plus probable est cependant que le poids de la dépense socialisée continue d'augmenter, y compris pour la branche maladie.

En termes de recettes, il apparaît évident que l'assiette masse salariale ne pourra pas être plus sollicitée qu'elle ne l'est aujourd'hui pour assurer ce financement croissant et qu'il sera nécessaire de recourir soit à la TVA sociale, soit à une augmentation de la CSG.

A ce sujet, M. Bertrand Fragonard a jugé que les Français ont admis la CSG dont ils acceptent la proportionnalité et l'assiette large mais dont ils ignorent le caractère régressif lié à sa déductibilité partielle. La montée en puissance dans les réflexions de la TVA sociale apparaît plus récente. Elle date d'il y a deux ou trois ans, lorsque les Allemands ont commencé à envisager d'y recourir.

Interrogé sur la question de savoir s'il existe toujours un espace autonome pour la protection sociale au sein des finances publiques, M. Bertrand Fragonard a écarté une interprétation du concept d'autonomie comme pouvant signifier que la protection sociale se trouverait placée en dehors de la sphère de contrôle de la puissance publique.

Mis à part l'assurance chômage et les régimes de retraite complémentaire, les autres composantes de la protection sociale ne sont pas placées en dehors de ce contrôle et il n'est pas souhaitable qu'elles le soient. En tout état de cause, la puissance publique, lorsqu'elle délègue, ne le fait qu'avec « mauvaise humeur ».

L'autonomie dont on peut parler aujourd'hui pour les branches de la sécurité sociale recouvre une certaine démocratie sociale qui se reflète dans le paritarisme, doublée d'une relative autonomie financière.

En ce qui concerne la simplification et la transparence accrue des relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale, il n'existe aucun motif de confusion dès lors que les comptes sont clairs et que les règles fixées sont respectées. Sur la question particulière de la dette de l'Etat à l'égard des organismes de protection sociale, les différents éléments du dossier sont techniquement parfaitement établis et la difficulté ne provient actuellement que d'un manque de volonté politique. Cette « guerre picrocholine », coûteuse en temps, mobilise les différentes administrations et le Parlement et occulte des sujets bien plus importants.

Ces questions sont d'autant plus irritantes qu'il n'existe en définitive qu'assez peu de surface de contact entre la sécurité sociale et l'Etat. L'essentiel est donc de fixer des règles et de s'y tenir afin de ne pas empoisonner l'atmosphère avec des sujets qui ne représentent pas des enjeux macroéconomiques majeurs. De ce point de vue, la dette de l'Etat à l'égard de la protection sociale n'est un problème insurmontable ni dans son étendue, ni dans sa technicité.

Interrogé enfin sur les voies et moyens d'une amélioration de la gouvernance de la sécurité sociale, M. Bertrand Fragonard a estimé que de grands progrès ont été faits en matière de cadrage. La question se pose de savoir s'il faut aller plus loin.

On observe que le comité d'alerte prévu pour l'Ondam n'a jamais été mis en oeuvre jusqu'à présent. La force de ce mécanisme d'alerte est de permettre de visualiser un dérapage éventuel et surtout d'obliger les responsables publics à prendre des mesures de redressement. L'assurance maladie se prête bien à ce type de pratique dans la mesure où le législateur a créé un lien entre un objectif voté, le contrôle en cours d'exercice du respect de cet objectif et la mise en place automatique de mesures de redressement en cas de non-respect.

Il n'est pas certain qu'il soit en revanche possible de généraliser cette mécanique aux autres branches. L'assurance vieillesse et les prestations familiales sont des dispositifs règlementaires pour lesquels le seul instrument de régulation en cours d'année ne serait que le gel de l'indexation sur les prix à laquelle ces prestations obéissent. Les dépenses de ces deux branches n'ont donc pas la plasticité de celles de la branche maladie.

Au demeurant, si un dérapage doit être constaté en cours d'exercice pour les retraites et la branche famille, il ne peut provenir que de l'élaboration d'un budget insincère par les gestionnaires des caisses. Il n'existe aucun motif de dérapage de l'ordre de 0,75 % comme celui envisagé pour l'Ondam s'agissant de prestations indexées sur les prix et dont le nombre de bénéficiaires peut en principe être établi a priori.

Il est néanmoins possible que les gestionnaires fassent des erreurs, parfois de bonne foi. Ainsi la loi famille de 1994, qui a créé l'allocation parentale d'éducation, contenait des évaluations fautives sur trois points : natalité sous-estimée (sur la base des données de l'institut national des études démographiques, on tablait sur 710.000 naissances par an au lieu de 800.000 effectives) ; progression des recettes fixée à 2,25 %, sur la foi des prévisions du ministère du budget, alors qu'une croissance aussi forte ne s'est pas vérifiée en pratique ; mauvaise anticipation du fait que les femmes bénéficiaires demanderaient en priorité à toucher l'allocation pour passer ensuite dans le dispositif de chômage, et non l'inverse.

Relevant également les erreurs d'évaluation commises sur la prestation d'accueil du jeune enfant (Paje), M. Bertrand Fragonard en a renvoyé une partie de la responsabilité sur le Parlement, regrettant que celui-ci accepte trop souvent de discuter de textes de loi à partir de fiches d'impact qui ne sont pas toujours bien faites.

Dans le même ordre d'idée, la réforme des retraites de 2003 a réservé deux surprises : les bénéficiaires ont usé, plus qu'on ne l'avait anticipé initialement, de la possibilité qui leur était offerte de partir plus tôt à la retraite ; en outre, les Français, effrayés par l'échéance de 2008, ont préféré partir plus tôt à la retraite, même lorsqu'ils n'avaient pas acquis l'ensemble de leurs droits. Là encore, il n'est pas dit que ces dérapages de la loi Fillon aient été faciles à prévoir.

En conclusion, la mise en place de l'Ondam ou la réunion de la Commission des comptes de la sécurité sociale, par exemple, ont introduit plus de clarté et un meilleur niveau de connaissance. La direction de la sécurité sociale apparaît en outre comme un maillon solide en dépit de la modestie de ses moyens et cette structure travaille en bonne entente avec la direction du budget. Il est donc tout à fait possible de piloter correctement la sécurité sociale. Ce qui manque aujourd'hui n'est pas la connaissance mais la volonté d'arrêter l'augmentation continue des prélèvements obligatoires.

A M. André Lardeux qui souhaitait connaître son opinion sur le projet de rapatriement de la branche famille dans le budget de l'Etat, M. Bertrand Fragonard a indiqué que cette branche est d'ores et déjà dans le giron de l'Etat et s'y est toujours trouvée. Même l'action sociale de la Cnaf est surveillée de très près par les ministres compétents. La budgétisation complète de la branche famille poserait un problème au regard de la nature des prestations qu'elle offre, dans la mesure où elles n'ont pas le caractère de dépenses limitatives. On imagine mal en effet que l'Etat puisse décider un arrêt du versement des prestations familiales en cours d'exercice pour des motifs de régularisation budgétaire.

Néanmoins, une budgétisation serait techniquement possible et aurait au moins le mérite de contraindre les pouvoirs publics à réfléchir à la cohérence d'ensemble des différentes composantes de la politique familiale. Force est de constater en effet que chaque bloc constitutif de cette politique (quotient familial, prestations familiales, minima sociaux, etc.) évolue indépendamment l'un de l'autre. A ce sujet, M. Bertrand Fragonard a regretté que le Parlement n'ait pas organisé un grand débat permettant d'aborder l'ensemble de ces sujets.

A M. Alain Vasselle, rapporteur, qui demandait son sentiment sur la création éventuelle d'un fonds chargé de recueillir les excédents structurels de la branche famille, M. Bertrand Fragonard a répondu que ces excédents sont mécaniquement provoqués par l'indexation des prestations familiales sur les prix, ce qui aboutit de fait à une sous-indexation de ces allocations. Estimant que cette sous-indexation relève d'une volonté délibérée de la puissance publique, il a qualifié de « digue de sable » le fond de stabilisation ici envisagé. En réalité, l'excédent structurel de la branche famille s'explique par le déficit de la branche maladie, la seule pour laquelle le politique ne sait pas ce qu'il veut ni où il va.

Revenant à la question du rôle des partenaires sociaux, il a estimé que, même dans les secteurs où ceux-ci sont seuls aux commandes, comme l'assurance chômage et les retraites complémentaires, il n'est pas sûr qu'ils soient capables d'assumer correctement la gestion des organismes dont ils ont la charge. Il est en effet difficile de piloter les prestations alors que l'on ne dispose d'aucun moyen d'action sur les recettes. Néanmoins, il ne paraît pas opportun de diminuer le rôle, même modeste, dont disposent les partenaires sociaux. Il s'est par conséquent une nouvelle fois déclaré favorable au maintien du statu quo pour les conseils d'administration des différentes branches de la sécurité sociale.

M. Alain Vasselle, rapporteur, l'a enfin interrogé sur la nécessité de s'assurer qu'il existe bien un lien entre la recette et la dépense dans le domaine de la protection sociale, même si l'on peut penser que ce débat est finalement secondaire dès lors que les règles fixées sont claires et appliquées.

M. Bertrand Fragonard a mis en doute la possibilité de désigner, en matière de prestations familiales, une recette qui se justifierait par nature pour financer des dépenses de type allocation de parent isolé (API) ou allocation de logement familiale (ALF). L'essentiel est, à ses yeux, qu'avant de prendre une décision, les responsables aient une vision claire du problème et aient une idée tout aussi claire de la politique qu'ils veulent mener pour y répondre.