Mercredi 10 avril 2013

- Présidence de M. Yves Daudigny, président -

Agences régionales de santé - Audition de Mme Bernadette Devictor, présidente de la Conférence nationale de santé (CNS), et M. Jean-Louis Salomez, président de la Conférence régionale de la santé et de l'autonomie (CRSA) du Nord-Pas-de-Calais

M. Yves Daudigny, président. - Nous poursuivons nos travaux sur le bilan de la mise en place des ARS et leurs perspectives d'évolution, en consacrant les deux auditions de cet après-midi au thème de la démocratie sanitaire.

La loi HPST a créé, auprès des ARS, une conférence régionale de la santé et de l'autonomie (CRSA), ainsi que des conférences de territoire dans chaque territoire de santé.

Mme Devictor, vous êtes à la fois présidente de la CRSA de Rhône-Alpes et présidente de la Conférence nationale de santé et M. Salomez, vous êtes président de la CRSA du Nord-Pas-de-Calais. Je vous remercie tout d'abord d'avoir accepté notre invitation.

Nous souhaitons que vous puissiez nous faire part de votre expérience quant à la manière dont les ARS se sont mises en place et dont fonctionne la démocratie sanitaire aujourd'hui. Quel est le rôle effectif des CRSA et des conférences de territoire ? Quel est également le rôle de la Conférence nationale de santé ?

Nous souhaitons ainsi tracer des pistes de réflexion pour faire évoluer la gouvernance de notre système, sans pour autant remettre en cause le principe même des ARS.

Mme Bernadette Devictor, présidente de la Conférence nationale de santé (CNS). - La démocratie sanitaire est de création récente. Elle est donc encore en construction et nous sommes actuellement en apprentissage collectif. Son exercice plein et entier nécessitera une évolution culturelle et l'appropriation de ses processus par tous les acteurs.

Le modèle français de la démocratie sanitaire est tout à fait original. Il ne s'agit pas seulement de faire une place aux associations représentant les usagers, mais d'associer tous les acteurs du système de santé au sein d'une même instance qui contribue par ses avis à l'élaboration de politiques de santé.

La CNS a souhaité s'autosaisir du bilan de la démocratie sanitaire en région sur la base d'une enquête menée auprès des CRSA et des agences. Le rapport qui en résulte a été adopté en novembre dernier et constitue un exemple de l'articulation entre conférence nationale et CRSA. Il pourrait être intéressant de prolonger ce travail dans la mesure où l'on pourrait dégager des moyens ; je signale à cet égard que ce premier bilan a été réalisé sur les moyens propres des CRSA et de la CNS, notamment sur ceux du Professeur Salomez.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - J'aimerais que vous nous parliez précisément des processus d'élaboration des projets régionaux de santé (PRS), du fonctionnement des CRSA et des conférences de territoire, et des pistes d'améliorations sur ces différents points.

Dans une circulaire du 31 juillet 2012, la Fédération hospitalière de France (FHF) se montrait très sévère à propos du fonctionnement de la démocratie sanitaire sur le terrain. Selon cette circulaire, la démocratie sanitaire serait pour l'heure un « rendez-vous manqué », le fonctionnement des instances de démocratie sanitaire serait très lourd et la voix des hospitaliers ne serait que très peu entendue.

Dans une contribution intitulée « Les ARS ou quand la pire des politiques surgit d'une bonne idée », un médecin inspecteur de santé publique s'est montré plus critique encore. Selon lui, les personnels des ARS se sont mis à travailler sur les contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (Cpom) avec l'Etat, alors même que les CRSA et les conférences de territoire n'étaient pas encore constituées. Les grandes orientations de santé publique, qui ont bien sûr conditionné les choix ultérieurs, ont ainsi été engagées dès le mois de juillet 2010 sans aucune concertation avec les partenaires. Et quand il y a eu concertation, ce fut toujours à marche forcée et dans la plus grande confusion. Cette situation a amené le Ciss à parler de « démocratie du cause toujours ». Selon l'auteur enfin, la démocratie sanitaire devrait très vite se révéler pour ce qu'elle est : l'instrumentalisation des partenaires dans des comités alibi chargés de valider des décisions prises ailleurs.

Que pensez-vous de ces affirmations, qui ont été formulées au début de la mise en place des ARS par un acteur du secteur hospitalier et par un agent en place dans une ARS ?

M. Jean-Louis Salomez, président de la Conférence régionale de la santé et de l'autonomie (CRSA) du Nord-Pas-de-Calais. - Les affirmations de ce médecin inspecteur de santé publique font référence à une période durant laquelle les CRSA, qui ont été installées au cours de l'été 2010, n'avaient pas encore été mises en place. Il serait intéressant de se pencher à nouveau sur cette question deux ans et demi après cette mise en place.

S'agissant des rigidités de l'organisation de la démocratie sanitaire, il est vrai qu'une assemblée plénière comprenant une centaine de membres peut avoir un fonctionnement très lourd. Nos dossiers sont cependant principalement instruits au sein de quatre commissions spécialisées (dédiées respectivement aux soins, à la prévention, au secteur médico-social et aux usagers) et par des sous-groupes au sein de ces commissions. Il n'est pas question de faire un travail de fond lors d'une assemblée plénière, dont le rôle est de tenir des débats d'ordre général et d'adopter formellement par un vote les orientations retenues.

La position de la FHF résulte sans doute de ce qu'elle avait une place d'interlocuteur privilégié du temps des ARH, qui traitaient essentiellement du fait hospitalier. Aujourd'hui, bien qu'il n'ait plus cette place, le secteur public hospitalier conserve une représentation tout à fait significative, à tel point qu'il est placé dans une position de quasi-majorité au sein des commissions d'organisation des soins. Dans de nombreuses régions, la présidence de cette commission revient à un membre de la FHF, ses représentants y sont très nombreux et très présents, et les avis formulés sont fréquemment accompagnés d'une contribution écrite de la FHF. On entend d'ailleurs régulièrement la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP) déplorer de n'être pas suffisamment représentée par rapport à l'hôpital public.

Mme Bernadette Devictor. - Il est vrai que, pour la première année de leur adoption, les Cpom ont été directement négociés avec les ARS. Cependant, depuis l'élaboration des projets régionaux de santé (PRS), ils sont renégociés pour être mis en adéquation avec les objectifs de ces PRS. En tant qu'instances consultatives, nous avons réagi quant à la préexistence des Cpom par rapport aux PRS, et les décalages initiaux sont aujourd'hui rattrapés. Comme je l'ai dit, tout cela est un processus en cours d'élaboration ; selon le regard que l'on porte sur cette évolution, on peut y voir un verre à moitié plein ou à moitié vide.

M. Jean-Louis Salomez. - Sommes-nous un « comité Théodule » ? Pour répondre à cette question, il faut évaluer dans quelle mesure nos missions sont utiles en pratique. La première mission confiée aux CRSA est une mission de consultation, qui oblige les ARS à les saisir à chaque étape de l'élaboration des PRS notamment, et en application de laquelle nous rendons des avis publics. Des faits tangibles nous permettent de constater que ces avis ne sont pas simplement formels et sont bien pris en compte.

J'ai pu vérifier que la saisine des CRSA par les ARS a bien été effectuée dans toutes les régions, de la phase initiale de découpage territorial à l'élaboration des plans stratégiques régionaux en passant par celle des trois schémas d'organisation. Vingt des vingt-six directeurs généraux (DG) d'ARS m'ont dit que les avis formulés suite à cette saisine sont selon eux utiles et de qualité, et qu'ils en ont toujours tenu compte. Les présidents de CRSA considèrent quant à eux, dans cinq régions seulement, que leur avis n'a pas été suivi.

On voit ainsi apparaître de vraies nouveautés dans l'élaboration des politiques publiques de santé. Dans ma région, à notre demande, un schéma de prévention a totalement été réécrit ; récemment, deux volets du schéma d'organisation sanitaire n'ont pas été publiés et ont été entièrement réélaborés sur notre recommandation.

Mme Bernadette Devictor. - Nous essayons d'objectiver le rôle de la démocratie sanitaire en incitant toutes les CRSA à se doter de tableaux annuels de suivi de leurs recommandations et à demander, comme le prévoit la loi, que chaque DG d'ARS vienne annuellement y rendre compte de la suite qui a été donnée à leurs avis.

Cette démarche ne signifie pas que toutes les recommandations faites doivent être automatiquement reprises. Elle doit permettre un dialogue pour améliorer la pertinence et la formulation des recommandations et comprendre pourquoi elles n'ont pas été prises en compte le cas échéant.

L'appropriation par les ARS des recommandations faites par les CRSA est encore très inégale d'une région à l'autre. Pour harmoniser les modes de fonctionnement, la CNS et les conférences des DG d'ARS constituent deux instances propices à la diffusion des bonnes pratiques.

M. Jean-Louis Salomez. - Au départ, seul un rôle consultatif avait été dévolu aux CRSA par la loi. Un modèle participatif et de concertation est cependant très rapidement apparu. En effet, nos avis sont rendus publics et sont bien souvent repris par les médias. De ce fait, les ARS ne souhaitent pas saisir les CRSA à la toute fin de leurs travaux, alors que toutes les orientations ont déjà été arrêtées, au risque de se retrouver finalement avec un avis extrêmement négatif.

Dans toutes les régions, à l'exception de deux d'entre elles, une concertation a ainsi pu être établie, alors qu'elle n'était pas initialement prévue par la loi, sous la forme de comités de pilotage du PRS, de comités de suivi ou encore de groupes de travail sur l'ensemble des programmes.

Mme Bernadette Devictor. - La loi, en prévoyant un processus obligatoire de consultation à travers une triple obligation pour les ARS de saisir les CRSA, de rendre compte de l'appropriation de leurs avis et de rendre ceux-ci publics, a permis d'installer véritablement la démocratie sanitaire.

S'agissant de l'équilibre de la représentation des différents acteurs du système de santé, une représentation de l'ensemble d'entre eux est prévue aux niveaux tant national que régional. Je pense que l'on peut faire confiance aux acteurs hospitaliers pour réussir à se faire entendre, par exemple à travers la mise en place de commissions spécialisées.

M. Jean-Louis Salomez. - Le modèle français de démocratie sanitaire est original sur le plan international et il fonctionne de manière plutôt satisfaisante. Dans la plupart des pays, la démocratie sanitaire passe par une représentation des territoires (dans certaines provinces canadiennes par exemple) ou par l'association des usagers du système de santé. Le modèle français réunit ensemble toutes les parties prenantes du système de santé (usagers, professionnels, acteurs politiques) et fait obligation aux agences de soumettre systématiquement l'ensemble de leur politique à la consultation.

M. Jean-Noël Cardoux. - Je retrouve dans mon département et ma région le ressenti exprimé dans les déclarations citées par Jacky Le Menn, notamment en ce qui concerne le partenaire institutionnel incontournable en matière médico-sociale qu'est le conseil général.

Après avoir siégé pendant 18 mois au sein des instances des ARS en tant que représentant du conseil général du Loiret, j'ai délégué ma présence dans cette enceinte à d'autres élus. En effet, pour des raisons d'organisation, j'ai eu le plus grand mal à être présent aux réunions. Celles-ci étaient sans cesse annulées au dernier moment, repoussées, reprogrammées. Il est très difficile pour un élu actif de s'adapter à de tels bouleversements d'emploi du temps.

En outre, j'ai le sentiment que les ARS et les conseils généraux coopèrent peu. Je suis intervenu à plusieurs reprises, lors des premiers conseils de surveillance, pour demander que les services des ARS et du conseil général puissent travailler en étroite collaboration à l'élaboration des différents plans et schémas. Nous ne nous sommes cependant que très peu rencontrés, à tel point que le projet régional de santé, sur lequel le conseil général devait donner un avis, ne nous a été soumis que lorsqu'il avait déjà été approuvé par l'ARS. Dans un souci de cohérence, il y a certainement un choc de simplification à faire sur ce point...

J'ai en tête un épisode qui a fait beaucoup de remous dans ma région. Alors que la création d'un établissement pour mineurs violents et souffrant de handicaps psychiques, que nous réclamions depuis vingt ans, avait été actée et devait associer les services du conseil général et de la protection judiciaire de la jeunesse, elle a été rayée, à notre grande surprise, dans la dernière mouture du projet régional de santé qui nous a été soumise. Je comprends que des raisons financières aient pu expliquer ce revirement ; mais nous avons eu l'impression d'être placés devant le fait accompli et que notre consultation était en réalité factice.

Je conviens que nous sommes encore en période de rodage. Il y a cependant beaucoup à faire pour simplifier les procédures et pour améliorer l'organisation et la pertinence des réunions.

M. Jean-Louis Salomez. - Il est certain que les élus doivent en permanence arbitrer entre de très nombreuses sollicitations.

La question de la coordination entre les ARS et les conseils généraux sur les politiques médico-sociales n'est pas du ressort de la démocratie sanitaire. En tant que CRSA, nous n'avons pas de lisibilité sur les liens institutionnels entre l'ARS et le conseil général ; ce point renvoie à la question des rôles respectifs de l'Etat et des collectivités territoriales. Je reconnais toutefois que nous sommes parfois témoins de tensions. Un travail bilatéral est prévu, du moins je l'espère, dans tous les départements et les régions. Une commission de coordination doit en théorie associer les services de l'ARS et des conseils régionaux et généraux. Les CRSA n'étant pas associés aux réunions de cette instance, j'ignore toutefois si elle fonctionne correctement.

Le fonctionnement de la commission spécialisée dans le secteur médico-social relève en revanche du champ de la démocratie sanitaire. Il me semble que dans beaucoup de régions, cette commission est le lieu d'un vrai débat et constitue un acteur particulièrement actif.

Mme Bernadette Devictor. - Le pari de la loi HPST est de changer la représentation de la santé et d'englober l'ensemble des problématiques de la prévention, de l'accès aux soins, de l'accompagnement etc. La démocratie sanitaire doit faire en sorte que les différents acteurs du système de santé se retrouvent pour aborder ces sujets avec leurs points de vue différents. C'est un pari qui demande du temps, et ce temps n'est sans doute pas le même pour les professionnels de santé, les usagers et les élus. Il est cependant nécessaire pour que nous apprenions à parler le même langage. Au regard de l'étendue de ce pari, on peut considérer que des progrès ont déjà été accomplis.

M. Jean-Noël Cardoux. - Je partage bien sûr cet objectif, mais le problème est celui des modalités pratiques de sa mise en oeuvre.

M. Jean-Louis Salomez. - Les changements d'horaires au dernier moment ne sont pas acceptables. Cependant, pour la première fois, nous réussissons à faire que des acteurs issus d'univers différents se mettent d'accord sur un texte transversal. On observe ainsi une acculturation entre les univers des usagers, des professionnels, des politiques.

Mme Bernadette Devictor. - En ce qui concerne le thème de l'organisation de débats publics par les CRSA, une bonne moitié d'entre elles en ont déjà organisés depuis leur installation, et dix-neuf prévoient de le faire au cours de l'année 2013 sur des thèmes très variés.

On constate une grande différence de pratiques sur ce point. La mission d'organisation de débats publics confiée à la CNS et aux CRSA vise à élargir la participation du public à l'élaboration des politiques de santé. Or ces débats prennent parfois la forme de conférences visant à faire la promotion du PRS, ou même, dans un cas, de l'organisation d'une manifestation sur la voie publique. Il ne me semble pas que ce type d'événements permette de se mettre à l'écoute du public.

C'est pourquoi la CNS, en lien avec la Commission nationale du débat public et le Comité consultatif national d'éthique (CCNE), s'est engagée dans la rédaction d'un guide du débat public. Il s'agit, sans enfermer les CRSA dans un carcan, de définir les grandes orientations du débat public et d'en affirmer une conception ascendante, qui doit venir alimenter l'élaboration des politiques publiques.

Il s'agit d'un enjeu d'autant plus important que, lors du lancement de la stratégie nationale de santé, le Premier ministre a annoncé que la CNS et les usagers seraient associés à son élaboration. L'organisation de débats publics aux niveaux national et régional nous paraît être un excellent moyen de consulter le public sur les priorités envisagées. Les instances de démocratie sanitaire doivent devenir le moteur d'une démocratie plus participative.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Les CRSA ne sont-elles pas confrontées à un déficit de notoriété auprès du grand public ? Ne faut-il pas revoir leurs moyens, humains, financiers, de communication afin de renforcer leur capacité à faire connaître dans les médias leurs inquiétudes, leurs sujets de satisfactions et leurs propositions ?

Jean-Louis Salomez. - Vous avez entièrement raison. Seuls les initiés connaissent les CRSA dont le sigle est d'ailleurs peu porteur. Si nos débats sont publiés sur les sites internet des ARS, le grand public ne le sait pas forcément.

Le problème de la notoriété des CRSA renvoie en effet à la question des moyens dont elles disposent. Il existe des services de la démocratie sanitaire dans les ARS, dotés en moyenne de deux à quatre équivalents temps plein (ETP). Les dépenses directes consacrées à la démocratie sanitaire varient de 13 000 à 170 000 euros selon les régions. Mais aucune section du budget des ARS n'est dédiée au fonctionnement des CRSA. Or, des tensions peuvent apparaître et ont conduit dans le passé à ce qu'une ARS refuse de donner à la CRSA les moyens nécessaires à l'organisation d'un débat public. Nous demandons à disposer de moyens dédiés pour être plus visibles et avoir la capacité de nous autosaisir sur certains sujets. Pour le moment, nous sommes extrêmement tributaires du bon vouloir des ARS, ce qui limite la portée de nos prises de position vis-à-vis du grand public et des professionnels de santé.

Mme Bernadette Devictor. - La CNS est confrontée, au niveau national, à des difficultés au moins équivalentes. Nous n'avons pas de rédacteur dédié. La capacité d'autosaisine, qui repose sur le bénévolat des membres, est de ce fait limitée. L'enjeu est de parvenir à dégager du temps et des moyens pour rendre des avis de qualité, harmoniser les pratiques des CRSA et diffuser les meilleures d'entre elles. Peu de CRSA se plaignent du manque de moyens pour la gestion de leur activité quotidienne. En revanche, elles sont confrontées à des difficultés en termes de mise à disposition de personnel de la part des ARS et de mobilisation de moyens humains propres.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Cela permettrait d'ancrer le rôle des CRSA et de la CNS, et au final de renforcer la démocratie sanitaire.

Mme Bernadette Devictor. - A titre de comparaison, les moyens mis à disposition des conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux (CESER) sont bien plus importants.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - L'information dont disposent les CRSA est-elle suffisante, notamment sur les contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (Cpom) ? Ne faudrait-il pas que les ARS communiquent davantage sur les programmes de gestion du risque, sur les dépenses régionales de santé et sur le fonds d'intervention régional (FIR) ?

M. Jean-Louis Salomez. - En amont de l'information se pose la question de la formation. Aucun accompagnement n'a été prévu pour les membres des CRSA. Heureusement, les collectifs interassociatifs pour la santé (Ciss) forment leurs adhérents.

Par ailleurs, nous avons presque trop d'informations sur le contenu des projets régionaux de santé (PRS) tout en devant nous prononcer sur ces documents dans des délais restreints. En revanche, il existe des domaines pour lesquels les CRSA souhaiteraient en avoir davantage et ont demandé des évolutions au niveau national : il s'agit du FIR, dont le montant a doublé cette année, du programme de gestion du risque et de l'état des dépenses régionales de santé.

Mme Bernadette Devictor. - Le président de la CRSA peut participer avec voix consultative aux travaux du conseil de surveillance de l'ARS, ce qui constitue un atout pour l'accès à l'information. Nous estimons que les présidents des commissions spécialisées devraient également siéger dans les commissions de coordination avec voix consultative, ce qui rendrait plus fluide la circulation de l'information. Cela existe en pratique dans certaines régions mais devrait devenir la règle générale.

Ceci étant, il n'est pas non plus souhaitable que le directeur général de l'ARS soit complètement lié par les avis des CRSA : le rôle de ces instances doit demeurer consultatif.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Les missions des CRSA pourraient-elles être complétées ? Je pense notamment aux plans régionaux de santé au travail et aux plans régionaux santé-environnement.

M. Jean-Louis Salomez. - Les points de vue sont unanimes pour aller en ce sens. Ces sujets nous échappent car ils ne relèvent pas de la compétence exclusive des ARS. Nonobstant la capacité d'autres organismes à émettre des avis sur ces plans, nous estimons que ces deux grands champs de la santé devraient pouvoir être intégrés dans notre réflexion.

Une autre question n'est pas tranchée pour le moment : faut-il que les CRSA demeurent rattachées aux ARS ou ont-elles vocation à se prononcer sur l'ensemble des politiques sanitaires et médico-sociales menées au niveau régional, par exemple, par les conseils régionaux ?

Mme Bernadette Devictor. - Autre piste de proposition, le caractère interministériel des ARS pourrait être renforcé de façon à leur donner un véritable rôle d'animation dans la conception des plans de santé au travail et santé-environnement. Rien n'empêche actuellement les CRSA de s'autosaisir sur ces deux plans, mais le poids de leurs avis serait plus fort si ces plans relevaient pleinement du champ de compétences des ARS.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Je suis favorable à la démocratie participative. Mais j'ai peur que vous ne serviez d'alibi. Il me semble que le poids de vos avis est dilué par le champ très large dans lequel ils interviennent.

Pourtant, tout ce travail de consultation a un sens. Des organisations, des élus, se saisissent ensuite des conclusions pour bâtir des projets de santé. Il faut mener une réflexion sur l'organisation de ces débats pour s'engager pleinement dans une démarche de démocratie participative territorialisée et ouverte au grand public ainsi qu'aux associations. Il faut aller au plus proche des intérêts des gens.

M. Jean-Louis Salomez. - On observe pleinement ce type de démarche pour l'élaboration des contrats locaux de santé (CLS). Nous avons en revanche un doute quant à la pertinence des consultations menées au niveau des conférences territoriales. Les missions de ces instances sont peu claires, ce qui les conduit à intervenir souvent en doublon avec le niveau régional. A cela s'ajoute un mode de fonctionnement qui n'est pas optimal et une notoriété encore moindre que celle des CRSA. Nous proposons de faire évoluer cet échelon de la démocratie sanitaire qui a pour le moment du mal à trouver sa place entre le niveau régional et le niveau local. A titre d'exemple, les conférences de territoire ne sont pas consultées lorsque se met en place une communauté hospitalière de territoire.

Mme Bernadette Devictor. - La question se pose de savoir quel doit être le positionnement des CRSA une fois le PRS adopté. Elles ont un rôle à jouer pour assurer le suivi des programmes et leur évaluation. Nous sommes conscients que les contraintes budgétaires actuelles vont conduire à une nouvelle hiérarchisation des priorités définies dans ces programmes : cette évolution doit se faire en concertation avec les CRSA.

Les CRSA pourraient également être en première ligne dans l'appropriation des programmes par les acteurs, dans la perspective de la construction d'un service public territorial de santé. Nous pensons d'ailleurs que c'est à ce niveau, dans la mise en oeuvre de ce service public territorial, que les conférences de territoire ont un rôle à jouer.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Ressentez-vous des tensions dans l'articulation entre démocratie sanitaire et démocratie représentative ?

Mme Bernadette Devictor. - La cohabitation est parfois difficile. Il s'agit d'un apprentissage mutuel. La démocratie participative ne doit pas être perçue comme une forme de concurrence. Elle vient alimenter la réflexion des élus. Mais les cultures et les pratiques sont encore assez éloignées.

M. Jean-Louis Salomez. - Le choc avec les élus ne s'est pas réellement produit dans la mesure où, pour le moment, l'avis des CRSA ne porte que sur ce qui relève pleinement du champ de compétence des ARS. En outre, les CRSA n'ont pas la prétention de se substituer aux élus ou à l'administration. L'existence de collèges consultatifs multidisciplinaires représentant toutes les parties prenantes doit donc avant tout être conçue comme une chance.

M. Yves Daudigny, président. - L'éloignement géographique entre certains territoires et le siège de l'ARS ne crée-t-il pas dans certains cas des difficultés supplémentaires ?

M. Jean-Louis Salomez. - Tout dépend de la façon dont l'ARS organise son territoire et ses délégations territoriales.

Il est important, au sein d'une région, de comprendre les enjeux spécifiques auxquels sont confrontés les territoires. Pour cela, il n'est pas nécessaire de chercher à copier avec les conférences territoriales ce qui existe au niveau de la région. En revanche, il faut être en mesure de faire remonter les besoins qui s'expriment au niveau local, peut-être en adaptant en ce sens l'organisation des CRSA.

Enfin, il existe un enjeu d'organisation des débats de la démocratie sanitaire avec des moyens modernes de communication.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Il faut pour cela disposer d'un support logistique suffisant.

Mme Bernadette Devictor. - Maintenant que les PRS ont été adoptés, l'enjeu est de mettre en oeuvre les politiques et d'accompagner les acteurs. Tout en s'étant vu confier des missions transversales, les ARS ont été organisées en tuyaux d'orgues. Or, il faudrait au contraire qu'elles se structurent autour de la gestion de projet et de l'innovation, de façon à être en mesure de repérer les initiatives porteuses au niveau local, de les accompagner et de les évaluer. Les instances consultatives plus proches des territoires pourraient contribuer à ce travail.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - C'est une évolution culturelle profonde qui doit être engagée de façon à sortir d'une tradition française très jacobine.

Mme Bernadette Devictor. - Il est contradictoire de promouvoir les logiques de transversalité et de parcours, tout en maintenant des organisations et des financements sectorisés.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - La conférence nationale de santé a-t-elle formulé des propositions à ce sujet ?

Mme Bernadette Devictor. - Oui. A titre d'exemple, la direction générale de la cohésion sociale, la direction générale de la santé et la direction générale de l'offre de soins disposent chacune d'une mission « usagers ». Cela n'a aucun sens et rend plus difficile l'exercice des droits des usagers qui diffèrent selon l'établissement d'accueil. La CNS souhaiterait que la mission usagers soit rattachée au secrétariat général des ministères sociaux.

On gagnerait en efficience en faisant évoluer certaines choses sans aller pour autant vers un bouleversement de l'organisation des ministères.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Cela demande un gros effort de mutation de la part des directions centrales. Les différentes administrations n'ont pas la même logique d'action et demeurent très hiérarchisées, ce qui les empêche de prendre pleinement en compte les réalités des territoires.

Mme Bernadette Devictor. - Il faudrait laisser davantage de marges de manoeuvre aux régions et développer les fonctions d'évaluation et de contrôle afin d'harmoniser les pratiques sans chercher à les rendre identiques.

M. Jean-Louis Salomez. - Au niveau des CRSA, les tuyaux d'orgue n'existent plus. Toutes les commissions donnent des avis sur l'ensemble des sujets. C'est un acquis énorme.

Mme Bernadette Devictor. - Un autre sujet est celui du développement des fonctions d'observation. Nous manquons d'éléments, en particulier dans le domaine médico-social où le regard est davantage tourné du côté de l'offre que du côté des besoins. Cela pourrait passer par une meilleure circulation des données de santé.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Là encore, il s'agirait d'une évolution culturelle profonde.

Mme Bernadette Devictor. - En effet, mais la valorisation des missions d'observation constitue un préalable à l'établissement des PRS sur des bases plus solides.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Lors de son audition, Christophe Jacquinet, président du collège des directeurs généraux d'ARS, nous a expliqué l'important travail que représente l'élaboration des PRS. Il a estimé qu'il pourrait être souhaitable d'allonger, d'une part la durée d'élaboration des PRS, d'autre part celle de leur application.

M. Jean-Louis Salomez. - Ces deux propositions sont pertinentes. Les délais qui séparent la mise en oeuvre et la révision des PRS sont pour le moment trop réduits. En outre, il n'y a pas matière à revoir entièrement tous les quatre ou cinq ans les objectifs fixés dans les programmes.

Mme Bernadette Devictor. - Certaines priorités ne peuvent être mises en oeuvre puis évaluées que sur le long terme. Il convient par ailleurs de limiter le nombre d'objectifs et de plans. Cela va demander une évolution culturelle, mais il faut sortir de la juxtaposition des dispositifs qui conduit à la dispersion de l'énergie et des moyens.

M. Jean-Louis Salomez. - La multiplication des programmes épuise les équipes des ARS. Il faut prendre du temps, notamment pour l'évaluation.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - L'évaluation constitue en effet un temps fort qui permet d'adapter ensuite les programmes.

Mme Bernadette Devictor. - Il faut également améliorer la coordination entre les différents plans et harmoniser leurs calendriers. Je pense notamment à l'articulation entre les Sroms et les programmes interdépartementaux d'accompagnement des handicaps et de la perte d'autonomie (Priac).

Agences régionales de santé (ARS) - Audition de Mme Claude Rambaud, présidente du Collectif interassociatif sur la santé (Ciss)

M. Yves Daudigny, président. - Nous recevons maintenant Claude Rambaud, présidente du collectif interassociatif sur la santé (Ciss), qui regroupe quarante associations intervenant dans le champ de la santé, et Jean-Pierre Lacroix, président de la fédération nationale d'aide aux insuffisants rénaux, membre du bureau du Ciss, vice-président de la conférence régionale de santé et de l'autonomie (CRSA) de Languedoc-Roussillon et président de la commission des droits des usagers. Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation et de participer à nos travaux qui portent sur le bilan de la mise en place des ARS et les perspectives d'évolution que nous pouvons envisager trois ans après leur mise en place effective.

Nous souhaitons que vous puissiez nous faire part de votre expérience sur ces questions. Comment se sont mises en place les CRSA et les conférences de territoire ? Comment fonctionnent-elles ? Comment s'organisent les relations avec les autres acteurs du système de santé et médico-social ? Quel doit être le rôle des associations de patients ou d'usagers dans l'organisation et le pilotage du système ?

Mme Claude Rambaud, présidente du Collectif interassociatif sur la santé (Ciss) - Les observations que nous pouvons formuler devant vous sont avant tout le fruit des remontées du terrain. Elles traduisent le vécu de nos représentants en CRSA.

Le Ciss a soutenu la création des ARS. Il y voyait un moyen d'assurer davantage de cohérence des politiques et de décloisonner la médecine de ville et l'hôpital, le sanitaire et le médico-social, le préventif et le curatif. C'est sans doute au niveau de la prévention primaire que les ARS ne sont pas parvenues à prendre la pleine mesure de leurs compétences.

Si l'on veut que les politiques de santé soient complètement mises en oeuvre et pilotées au niveau régional, il est indispensable que les ARS disposent de bien plus de moyens financiers. Une réforme globale de la politique de santé au niveau national devrait également être engagée afin d'assurer une meilleure collaboration entre les services de l'Etat et ceux de l'assurance maladie. Même si l'assurance maladie participe à la prise de décision, on ne peut pas réellement parler de collaboration.

M. Jean-Pierre Lacroix, président de la fédération nationale d'aide aux insuffisants rénaux, membre du bureau du Ciss, vice-président de la conférence régionale de santé et de l'autonomie (CRSA) de Languedoc-Roussillon et président de la commission des droits des usagers. - Au sein des ARS, on observe une différence entre les anciens personnels de l'assurance maladie, souvent affectés à la gestion du risque, et le reste du personnel.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Ont-ils du mal à abandonner leurs anciennes prérogatives ?

M. Jean-Pierre Lacroix. - Oui. Il s'agit de personnes efficaces mais qui ont tendance à travailler de façon fermée. Ils fournissent des informations synthétiques mais difficiles à comprendre dans le détail.

Mme Claude Rambaud. - La mise en place des CRSA est allée très vite et les contraintes de calendrier ont laissé peu de temps à l'analyse des schémas régionaux.

M. Jean-Pierre Lacroix. - Les informations fournies étaient intéressantes mais extrêmement nombreuses. Ces documents étaient en outre difficiles à obtenir sous format papier, alors même que tous les représentants aux commissions des droits des usagers ne disposent pas nécessairement des équipements informatiques suffisants.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - La richesse des informations était finalement telle que l'on pouvait s'y perdre ?

M. Jean-Pierre Lacroix. - Nous avions beaucoup d'information à traiter dans des délais contraints. Il faut par ailleurs souligner que l'animation d'une commission n'est pas une mission évidente. Or, la précipitation avec laquelle se sont engagées les consultations a conduit à faire travailler rapidement et sans préparation des personnes sur des dossiers complexes. Ceci étant, les directions de la démocratie sanitaire nous ont souvent beaucoup aidés.

Mme Claude Rambaud. - L'implication des représentants des patients est très variable d'une ARS à l'autre. Les relations avec l'ARS sont plutôt bonnes. En revanche, les observations des représentants des patients pourraient être davantage prises en compte. Ceux-ci sont très souvent consultés sur des décisions préétablies. Il est dès lors difficile d'estimer que la démocratie sanitaire est véritablement en place. Peut-être ces difficultés sont-elles liées au fait que nous sommes encore dans une période de démarrage.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Avez-vous le sentiment d'être instrumentalisés ?

Mme Claude Rambaud. - Nous sommes consultés formellement mais nous ne participons pas à la construction des décisions. Il existe un écart entre les souhaits des populations et ce qui est mis en place sur le terrain.

M. Jean-Pierre Lacroix. - Le système est en partie pervers. Nous sommes abreuvés d'informations quantitatives, souvent complexes, que nous devons traiter dans des délais brefs. Il est, dans ces conditions, difficile de construire un avis. Nous n'avons d'ailleurs souvent que la synthèse d'informations qui ont déjà été traitées en amont par les services de l'ARS. Nous n'avons donc pas tous les éléments en main. Mais il serait en même temps difficile de demander à des bénévoles d'avoir le degré d'analyse des spécialistes.

Les avis que nous avons donnés sont fondés sur notre expérience de terrain en tant que patients, ce qui présente un intérêt certain. Mais il nous est strictement impossible d'entrer dans les détails techniques.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - En d'autres termes, le déséquilibre d'expertise technique entre l'ARS et les représentants des usagers empêche la mise en place d'un dialogue contradictoire.

Mme Claude Rambaud. - Il faut également faire évoluer les cultures et les pratiques du côté de l'administration pour aller vers plus de consultation des représentants des patients. Cela se fera pas à pas.

M. Jean-Pierre Lacroix. - Le dialogue est plus facile concernant les parcours de santé. Nous avons pu faire des recommandations plus efficaces.

Mme Claude Rambaud. - Le fait que les Ciss régionaux reçoivent leurs budgets de fonctionnement des ARS les place dans une situation de tutelle. Il faudrait arriver à renforcer leur autonomie car tout l'intérêt de la consultation des représentants des usagers réside dans leur capacité à apporter un autre regard pour enrichir le débat.

M. Jean-Pierre Lacroix. - Les dotations des ARS aux Ciss régionaux se sont bien souvent transformées en contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (Cpom) qui ne disent pas leur nom. Nous passons avec les ARS des conventions contenant un certain nombre d'actions à mener et d'objectifs à remplir. Nous sommes par exemple en charge de la réalisation de l'annuaire des représentants des usagers et de la vérification de l'agrément des associations.

Mme Claude Rambaud. - Les ARS fixent également le cadre de la formation des usagers. Certains Ciss régionaux se retrouvent dans une situation critique. Au niveau national, nous venons de prendre la décision d'assurer le financement du Ciss Martinique après que l'ARS a refusé de lui accorder sa dotation, pourtant limitée. Nous souhaitons aller vers plus d'autonomie pour les Ciss.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Comment s'effectue la coordination entre les CRSA et les conférences de territoire ?

M. Jean-Pierre Lacroix. - Elle est très variable. Lorsque des représentants des Ciss sont présents à la fois dans les conférences de territoire et dans les CRSA, l'information circule plutôt bien. En Languedoc-Roussillon, nous avons décidé d'organiser un débat public par conférence de territoire, en coordination avec le débat organisé au niveau régional. Cependant, de façon générale, la coordination ne fonctionne pas bien.

Mme Claude Rambaud. - En outre, le périmètre des conférences de territoire ne correspond pas nécessairement aux territoires départementaux, contrairement aux délégations des ARS. Il n'y a pas toujours de concertation avec les élus locaux au niveau infra-régional.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - De façon générale, existe-t-il une défiance des élus locaux vis-à-vis des organismes de démocratie sanitaire ?

Mme Claude Rambaud. - Chacun reste attaché à son pré carré. Les élus territoriaux prennent parfois des décisions en santé qui ne correspondent pas aux objectifs des ARS. Les contrats locaux de santé (CLS) échappent totalement aux CRSA, ce qui n'est pas nécessairement optimal. La conférence de territoire donne un avis sur les CLS mais leur élaboration est totalement libre ensuite.

M. Jean-Pierre Lacroix. - On peut également noter que l'absentéisme des élus locaux pour les réunions des CRSA est très élevé.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Les travaux des conférences locales de santé sont souvent bien connus du grand public tandis que les CRSA n'ont pas de visibilité.

M. Jean-Pierre Lacroix. - Nous n'avons pas non plus de contacts avec les commissions de coordination des politiques publiques de santé.

Mme Claude Rambaud. - Les raisons en sont sans doute culturelles, liées au manque d'habitude de travailler ensemble. Cela devrait changer avec le temps. Il serait par exemple intéressant de développer les passerelles avec les observatoires régionaux de santé.

Les représentants des usagers aux conseils de surveillance des ARS se plaignent que ceux-ci soient davantage des chambres d'enregistrement de décisions administratives plutôt que des lieux de débats.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Cela vous paraît-il définitif ou amené à évoluer ?

Mme Claude Rambaud. - Les choses peuvent se mettre en place petit à petit mais il faut que les Ciss aient les moyens de s'affirmer. Il n'est pas normal qu'ils demeurent sous la tutelle des ARS.

M. Jean-Pierre Lacroix. - Aucune ligne n'est dédiée aux CRSA dans le budget des ARS et nous subissons les restrictions budgétaires auxquelles les agences sont confrontées. En Languedoc-Roussillon, la CRSA a voulu mobiliser des financements privés pour organiser son premier débat public, ce que le ministère nous a interdit. Il nous a fallu attendre plus d'un an pour être en mesure d'organiser notre premier débat public. Il s'agit pourtant d'une mission importante des CRSA.

Mme Claude Rambaud. - Les rapports sur les droits des usagers des commissions spécialisées des CRSA sont difficiles à produire et peu exploités. Aucune règle de forme minimale n'a été imposée à ces rapports.

M. Jean-Pierre Lacroix. - Les données fournies sont strictement quantitatives. Pour le secteur médico-social, nous sommes obligés d'élaborer nous-mêmes les questionnaires et les enquêtes.

Mme Claude Rambaud. - L'ARS a la main sur l'ensemble des nominations des représentants des usagers. Lorsqu'elle ne nous communique pas de tableaux sur les échéances de mandats, nous n'avons aucune visibilité sur leur renouvellement.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Comment se passe la procédure de nomination des représentants des usagers ?

M. Jean-Pierre Lacroix. - L'ARS nous contacte pour dire qu'elle a besoin de représentants. Nous transmettons la demande aux associations et proposons en parallèle des formations aux bénévoles. Lorsqu'elle a pris sa décision, l'ARS nous communique l'arrêté de nomination. En revanche, nous n'avons aucun retour de la part de l'établissement, de l'association ou de la personne qui a été nommée. Les établissements sont d'ailleurs très réticents à communiquer des informations sur ces sujets.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Il est peut-être difficile d'articuler au sein de vos comités des associations aussi nombreuses.

Mme Claude Rambaud. - Au niveau national, le Ciss regroupe quarante associations. Les Ciss régionaux regroupent des associations représentées au niveau national mais également des structures uniquement présentes au niveau régional. Toutes les associations ne sont pas agréées, ce qui peut poser problème. En effet, l'agrément constitue une garantie minimale de sécurité.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Les procédures d'agrément sont-elles très lourdes ?

M. Jean-Pierre Lacroix. - Oui. Il faut que l'association ait au moins trois ans d'existence, qu'elle remplisse un dossier lourd. Mais nous pouvons aider pour ces procédures.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Faut-il exiger de toutes les associations représentées dans les instances de démocratie sanitaire qu'elles soient agréées ?

M. Jean-Pierre Lacroix. - Cela me semble un minimum.

Mme Claude Rambaud. - Concernant le pilotage national des ARS, force est de constater qu'elles demeurent soumises à la tutelle ministérielle, conformément à ce qu'a prévu la loi HPST.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Au-delà du maintien de la tutelle sur les ARS, il semble qu'il n'y ait pas véritablement de pilotage stratégique, plutôt des politiques qui se juxtaposent et prennent insuffisamment en compte les spécificités régionales. Les administrations centrales continuent de fonctionner indépendamment, malgré la création des ARS.

Mme Claude Rambaud. - Cela s'observe souvent dans les organisations : il est difficile de faire travailler ensemble des personnes provenant d'horizons différents. Il existe des freins culturels. Sans doute faut-il donner du temps aux administrations.

En pratique, les associations de patients sont satisfaites de contribuer aux politiques régionales. S'il ne fallait retenir qu'un domaine dans lequel les ARS doivent combler leur retard, nous choisirions la prévention primaire. Il faut réorienter les politiques vers la prévention primaire. Nous sommes aujourd'hui au pied du mur car l'évolution des dépenses est de plus en plus contrainte et la souffrance des gens ne fait qu'augmenter. Il faut que les ARS s'impliquent fortement au plus près des praticiens et des établissements pour dégager des moyens supplémentaires en travaillant sur la pertinence des soins.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Les CRSA ne se saisissent pas des plans régionaux de santé au travail et santé-environnement. Or ces plans touchent directement aux questions de prévention primaire.

Mme Claude Rambaud. - Des changements de paradigme vont devoir intervenir. Il faut travailler avec les producteurs et les industriels pour faire bouger les choses.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Une loi de santé publique devrait être présentée prochainement. Ces sujets seront certainement évoqués. En attendant, les CRSA ont clairement un rôle à jouer dans la réflexion sur l'impact de l'environnement, entendu de façon générale, sur la santé.

Mme Claude Rambaud. - Oui, car elles sont proches des problématiques rencontrées dans les territoires. Si l'on prend l'exemple de La Réunion, il existe des difficultés très spécifiques liées au taux de sucre contenu dans certains aliments ou boissons, qui a un impact direct sur la prévalence du diabète.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Au regard de ces éléments, il apparaît important que la prochaine loi de santé publique donne aux CRSA la possibilité de s'autosaisir sur les questions environnementales au sens large. Mettre en oeuvre une véritable politique de prévention primaire nécessitera de dépasser les frontières entre administrations.

Mme Claude Rambaud. - L'éducation à la santé et la prévention primaire relèvent d'un champ bien plus large que celui de l'assurance maladie.

M. Jean-Pierre Lacroix. - Le deuxième plan national santé-environnement est sur le point de s'achever. Sa mise en oeuvre a été insuffisamment coordonnée avec celle des autres plans.