Mercredi 10 juillet 2013

- Présidence de M. Jacky Le Menn, vice-président -

Agences régionales de santé - Audition de M. Dominique Bur, préfet de la région Nord-Pas-de-Calais, préfet du Nord, représentant de l'Association du corps préfectoral et des hauts fonctionnaires du ministère de l'intérieur

M. Jacky Le Menn, président. - Nous poursuivons nos travaux sur les agences régionales de santé en recevant M. Dominique Bur, préfet de la région Nord-Pas-de-Calais, préfet du Nord, qui intervient au titre de représentant de l'Association du corps préfectoral et des hauts fonctionnaires du ministère de l'intérieur. Je vous prie d'excuser notre Président, Yves Daudigny, qui avait un engagement et qui devrait nous rejoindre dans quelques instants.

Monsieur le Préfet de région, je vous remercie d'avoir accepté de participer à cette réunion. Alain Milon et moi-même avons été chargés par la Mecss de préparer un rapport pour évaluer les ARS, trois ans après leur mise en oeuvre effective. Nous souhaitons dresser un bilan mais aussi esquisser des propositions d'évolution, sans pour autant remettre en cause les agences.

Leur création a été une révolution administrative puisqu'elles ont regroupé plusieurs services ou organes d'horizons divers dans un établissement public autonome sous la responsabilité d'un directeur général nommé en Conseil des ministres. En particulier, elles ont largement repris les compétences et les personnels des anciennes Ddass et Drass, qui faisaient auparavant partie des services préfectoraux.

Comment s'organisent aujourd'hui les relations de travail entre les préfets de département et de région et le directeur général de l'ARS, notamment sur certaines compétences comme la veille et la sécurité sanitaires ?

Comment les préfets de région voient-ils leur rôle de président du conseil de surveillance de l'ARS ? Estimez-vous que les Préfets doivent en rester président de droit ? Et, très directement, à quoi servent ces conseils de surveillance ?

M. Dominique Bur, représentant de l'Association du corps préfectoral et des hauts fonctionnaires du ministère de l'intérieur. - Comme vous l'indiquiez, je m'exprimerai au titre de représentant de l'association, en accord avec notre ancien Président, Daniel Canepa, et Jean Daubigny, récemment élu pour le remplacer.

Certes jeunes, les ARS sont toutefois les héritières d'une longue histoire administrative et elles prennent la suite des agences régionales de l'hospitalisation (ARH). De manière générale, les préfets ne sont pas très favorables au principe des agences car elles battent en brèche un élément fondamental qui est l'universalité de la représentation de l'Etat sur le territoire. Ceci dit, nous ne partageons pas tous ce sentiment et, en ce qui concerne la santé, il fallait de toute façon faire évoluer les choses et trouver de nouveaux modes de fonctionnement.

A mon sens, la création des ARS répond à trois objectifs : donner une vision d'ensemble à quatre secteurs séparés (la santé publique, les établissements de santé, le médico-social et la médecine de ville) ; clarifier les responsabilités, y compris vis-à-vis des élus ; mieux prendre en compte les évolutions et les demandes nouvelles - je pense en particulier aux appels à projets dans le médico-social.

Si les objectifs ont été largement atteints, la création des ARS ne résout pas tout et, surtout, elle a laissé des traces dans les structures administratives. Celles-ci ont dû être redécoupées, dans un climat où le ministère valorisait fortement les départs en agence, ce qui a pu peser sur le moral des personnels. Ceci a coupé des circuits traditionnels de travail, qu'il est nécessaire aujourd'hui de recréer.

En ce qui concerne la gouvernance, il faut d'abord dire que les liens entre les préfets et les directeurs généraux d'ARS sont fréquents et multiples, pas seulement du fait que les préfets de région président le conseil de surveillance de l'agence. Le choix du statut d'établissement public pouvait s'expliquer par la volonté d'intégrer des personnels d'origines diverses, notamment des agents de l'assurance maladie, mais les agences restent fondamentalement des services de l'Etat. Si certaines agences ont parfois tendance à vouloir affirmer leur autonomie de manière visible, par exemple vis-à-vis des sous-préfets, elles ne devraient pas adopter de postures. Je rappelle que, selon les textes, le préfet représente sur le territoire l'ensemble du Gouvernement, y compris les ministres en charge de la santé et des personnes âgées.

Par ailleurs, autant la réunion dans un même ensemble du sanitaire et du médico-social me semble justifié, autant y inclure des compétences comme l'eau, le bruit, la police, les hospitalisations d'office, etc. constitue une difficulté car, au fond, les agences agissent dans ces domaines pour le compte du préfet. Par exemple, l'ensemble des médecins sont allés dans les ARS, ce qui génère un vide dans les préfectures pour les compétences que nous continuons de devoir exercer. D'ailleurs, l'ensemble des ARS ont conclu des conventions avec les préfets, pour organiser leurs travaux communs et les délégations données par les préfets aux ARS sur certains sujets.

En restructurant pour abattre certaines barrières, on recrée nécessairement d'autres frontières, même si elles sont plus loin... Sur beaucoup de questions, par exemple l'insertion, la gestion des centres d'hébergement, l'hébergement des personnes ayant des troubles mentaux, l'habitat indigne ou la politique de la ville, nous connaissons une multiplicité de politiques où les agences et les préfectures doivent travailler ensemble.

Peut-être sommes-nous allés trop loin dans le périmètre des ARS. Leur coeur de compétences concerne la maîtrise des dépenses et l'organisation du système de santé, notamment hospitalier, et les autres compétences qui leur ont été attribuées risquent de diluer les actions les plus importantes au regard de leurs objectifs centraux.

M. Jacky Le Menn, président. - Qu'en est-il, à votre avis, de la santé environnementale ?

M. Dominique Bur. - Il s'agit typiquement d'un sujet partagé qui pose la question des frontières.

Dans l'effervescence de la création des ARS, les nouveaux directeurs généraux ont eu tendance à laisser de côté les sujets périphériques. Or, cela a pu poser un problème aux préfets car eux-mêmes ne disposaient plus des compétences humaines pour les traiter puisque les personnels avaient été transférés... Les directeurs généraux, contraints comme nous tous par les réductions budgétaires, ont également eu tendance à centraliser les moyens, ce qui a pu là aussi créer des difficultés dans les départements, quand ils n'hébergent pas le chef-lieu de région. Aujourd'hui, les relations sont clairement apaisées.

Vous avez évoqué le conseil de surveillance des agences. Je voudrais dire que les préfets tiennent, notamment pour les raisons que j'ai indiquées précédemment, à les présider. Il découle explicitement des textes que le directeur général est le véritable exécutif de l'ARS, le conseil de surveillance n'étant pas un conseil d'administration : il n'administre pas, il surveille !

M. Jacky Le Menn, président. - Mais est-il un contrepoids ?

M. Dominique Bur. - Pas du tout. Composé de personnalités intéressées par les sujets de santé et d'un format assez large, il a formellement une compétence sur les comptes de l'agence. Nous souhaitons - et c'est fréquemment le cas - qu'il y ait un véritable échange sur les projets et les politiques menées par l'ARS et que le directeur général puisse présenter les options qu'il a prises.

M. Jacky Le Menn, président. - Est-ce que les grandes lignes du projet régional de santé (PRS) ont été discutées au sein du conseil de surveillance ?

M. Dominique Bur. - Selon le code de la santé publique, le conseil de surveillance émet un avis sur le plan stratégique régional de santé qui ne constitue qu'une partie du PRS. Bien sûr, l'ensemble du PRS a tout de même été présenté aux conseils de surveillance. Dans le Nord-Pas-de-Calais, le conseil a d'ailleurs émis un voeu pour soutenir le directeur général dans ses démarches demandant un rééquilibrage des crédits entre régions pour prendre en compte la situation sanitaire dégradée de la région, qui apparaît notamment dans des indicateurs statistiques moins bons qu'ailleurs.

M. Jacky Le Menn, président. - Selon la Cour des comptes, le pilotage des agences régionales de santé est resté trop peu stratégique et le décloisonnement n'a pas eu lieu au niveau des administrations centrales, malgré la création du conseil national de pilotage (CNP). Les directions ministérielles seraient restées trop indépendantes et pas assez coordonnées.

M. Dominique Bur. - Nous partageons assez les conclusions de la Cour des comptes, même si nous n'avons pas nécessairement une vue globale de cette question. Nous voyons bien que les directeurs généraux ont de nombreuses réunions à Paris et que le pilotage du réseau peut être qualifié de « serré ».

Pour autant, au regard de l'autonomie déjà très importante des agences, nous ne sommes pas partisans de l'accentuer.

M. Alain Milon, rapporteur. - Je voudrais rappeler que l'un des premiers objectifs des ARS consiste à mettre en cohérence le sanitaire et le médico-social. J'estime en outre que, plutôt que de maîtriser les dépenses, leur but fondamental est de permettre un accès à la santé pour nos concitoyens.

Lors des discussions sur la loi HPST, nous n'étions guère favorables, au Sénat, à la notion de « préfet sanitaire », avancée par certains.

Des nombreuses auditions que nous avons menées, je retiens que les difficultés, quand elles existent, proviennent principalement de problèmes de personnes plus que des textes eux-mêmes.

M. Dominique Bur. - En effet, l'heure n'est pas à la « guerre des chefs ». Nous étions dans une situation inadaptée car les précédentes ARH ne disposaient pas des moyens d'agir sur un spectre suffisamment large et, surtout, elles ne pouvaient pas, en pratique, porter les décisions difficiles, comme la fermeture de services ou d'établissements.

Mme Catherine Génisson. - Du fait de la loi HPST, l'organisation même des ARS, avec un directeur général tout puissant et un conseil de surveillance simple adjuvant, entraîne une très grande dépendance à la personnalité même du directeur général et à la qualité des relations humaines.

Par ailleurs, nous souffrons aujourd'hui d'un déficit de démocratie sanitaire et de problèmes de gouvernance. Dans le Nord-Pas-de-Calais, le conseil régional finançait auparavant des actions de prévention contre le cancer, en commun avec l'ARH ; elles n'ont plus lieu aujourd'hui.

M. Dominique Bur. - Je ne souhaite pas opposer le directeur général et le conseil de surveillance ; ils doivent avoir un dialogue, discuter des projets. Il y a nécessité, dans les territoires, d'une autorité qui soit capable de dire « non » mais qui soit également en état d'expliquer sa décision et d'en discuter.

M. René Teulade. - En effet, l'ARS doit être un lieu de coordination. Les relations humaines et l'implication du directeur général sont essentielles mais le caractère ne se décrète pas... En tout cas, il ne s'agit pas seulement d'une question financière, on le voit bien.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - La création des ARH répondait à l'idée que les questions de santé devaient se régler au niveau régional pour répondre au mieux aux problématiques locales. Aujourd'hui, la situation est malheureusement confuse, alors que les agences, ARH hier, ARS aujourd'hui, ne constituent que des déconcentrations de l'Etat devant relever du préfet.

Cette situation tient en partie au rôle très restreint du conseil de surveillance qui ne peut constituer, on l'a dit, un véritable contre-pouvoir. Nous avons un schéma assez semblable à l'hôpital. Or, l'appropriation des décisions par les élus et la population nécessite un lieu de débat et d'échanges, donc un rôle réel pour l'instance collégiale et représentative.

M. Jacky Le Menn, président. - Quel jugement portez-vous sur la mise en place et l'évolution du fonds d'intervention régional (FIR) ? Où doivent se situer les investissements dans les schémas de financement ? L'extension du FIR n'a-t-elle pas été trop rapide au regard des difficultés techniques, notamment informatiques, qui apparaissent aujourd'hui ?

M. Dominique Bur. - Le FIR continue de rester un levier d'action assez modeste, tant en volume qu'en capacité réelle d'infléchissement pour les ARS. Or, celles-ci doivent disposer d'une marge de manoeuvre pour adapter les politiques au territoire.

M. Jacky Le Menn, président. - Un récent rapport de l'inspection générale des finances (IGF) propose un certain nombre de mesures en ce qui concerne le financement des hôpitaux. Par exemple, afin d'accroître la confiance des banques, le rapport propose de diminuer l'autonomie des établissements dans l'accès aux crédits et dans le choix des investissements. Qu'en pensez-vous ?

M. Dominique Bur. - L'IGF est dans son rôle de proposer ce type de mesures pour resserrer l'autonomie locale. L'ARS dispose déjà de moyens assez puissants en la matière. Je ne suis pas certain que l'on puisse aller nettement plus loin.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Toutes ces questions doivent être relativisées. L'hôpital d'Arras a bénéficié des aides du plan Hôpital 2007, ce qui ne l'a pas empêché de souscrire des emprunts toxiques. Nous avions soulevé, l'an passé, dans le rapport de la Mecss sur le financement des établissements de santé, l'idée de déconnecter les investissements de la tarification à l'activité ; nous pourrions ainsi isoler les investissements et les transférer à une agence extérieure. Pour autant, cela n'est pas une garantie contre les erreurs...

Mme Catherine Génisson. - Nous ne devons pas avoir une simple approche comptable. Les finances ne sont pas un objectif en soi ; c'est le moyen de faire fonctionner notre système de santé, qui souffre malheureusement d'une large déresponsabilisation.

M. Alain Milon, rapporteur. - Dans toutes les régions, on a constaté que des investissements étaient pertinents, d'autres non. En Paca, l'hôpital de Briançon se situe malheureusement dans la seconde catégorie et il coûte très cher à faire fonctionner. Il y a donc bien un problème de sélection des investissements hospitaliers. Dans notre rapport de l'an passé, nous avions émis l'idée qu'ils ne devaient pas être financés par l'assurance maladie et la T2A.

Donner des pouvoirs aux ARS a été positif : lorsque les ARH prenaient une décision pour ouvrir un service ou un établissement, tout allait bien mais les problèmes se posaient en sens inverse...

M. Dominique Bur. - L'ARH était une petite structure, ce qui n'est plus le cas pour les ARS. Celles-ci ont naturellement vocation à annoncer des mauvaises nouvelles, ce qui n'est jamais facile mais indispensable. Il est d'ailleurs préférable qu'elles le fassent à la place du ministre pour éviter que celle-ci ou celui-ci supportent tout le poids de la décision... Les modalités de l'action publique ont évolué et nous devons rester vigilants à équilibrer les pouvoirs.