Mercredi 11 septembre 2013

- Présidence de M. Yves Daudigny, président -

Agences régionales de santé - Audition de MM. Jacques Raimondeau, président, Christian Bailly et Christian Lahoute, vice-présidents du syndicat des médecins inspecteurs de santé publique (Smisp)

M. Yves Daudigny, président. - Nous reprenons nos travaux sur les agences régionales de santé en recevant MM. Jacques Raimondeau, président, Christian Bailly et Christian Lahoute, vice-présidents du Syndicat des médecins inspecteurs de santé publique (Smisp). Je vous remercie de participer à nos travaux, qui visent à dresser un premier bilan de la mise en place des agences et à tracer des pistes d'évolution.

Nos deux rapporteurs, Jacky Le Menn et Alain Milon, ont reçu, le 10 juillet dernier, vos collègues pharmaciens inspecteurs, qui se sont montrés très critiques, voire virulents, devant les conditions de la mise en place des ARS. Ils ont notamment regretté la diminution du temps qu'ils peuvent consacrer à leurs tâches traditionnelles de contrôle et d'inspection.

Nous vous avons adressé un questionnaire indicatif que le rapporteur ne manquera pas de compléter. Peut-être pouvez-vous tout d'abord nous donner des précisions sur votre métier et nous indiquer de manière générale quel bilan vous tirez de la mise en place des ARS ?

M. Jacques Raimondeau, président du Smisp. - Je souhaite tout d'abord vous remercier de votre invitation. Les médecins inspecteurs de santé publique sont à la fois un corps de fonctionnaires et des médecins spécialistes en santé publique : nous sommes environ 600 agents sur les 1 500 médecins spécialistes en santé publique qui exercent en France et 400 d'entre nous travaillent dans une agence régionale de santé. Notre statut prévoit notamment que nous participons à la conception, à la mise en oeuvre, à l'exécution et à l'évaluation de la politique de santé publique. Nous pouvons donc être mobilisés par les décideurs publics sur tous les sujets qui requièrent une compétence médicale. Nous sommes également, au sein de l'administration, garants du secret médical et des règles professionnelles. Recrutés par concours, nous recevons une formation spécifique d'un an à l'école des hautes études en santé publique à Rennes. Notre expertise s'étend donc de la veille sanitaire à l'organisation des soins, en passant par les missions classiques d'inspection et de contrôle et l'animation des politiques publiques en santé. Nous avons ainsi impulsé ou accompagné les nombreuses réformes qui se sont appliquées depuis plusieurs décennies dans ce vaste secteur.

En ce qui concerne la dernière de ces réformes, nous étions clairement favorables à la création des ARS : mettre en oeuvre une approche plus globale des problèmes nous semble parfaitement cohérent avec la logique que nous défendons en santé publique. Pour autant, les conditions de mise en oeuvre des agences ont posé d'importants problèmes et, aujourd'hui, nous sommes déçus et inquiets. Nous assistons en effet, sans aucune vision nationale, à un remodelage de l'action publique sur le terrain.

Le premier bilan est donc pour le moins mitigé...

M. Christian Lahoute, vice-président. - En effet, l'installation des ARS s'est déroulée de manière brutale, je dirais volontiers « au forceps », et les effets ont été contreproductifs. De nombreux groupes de travail se sont fréquemment réunis pour préparer la réforme mais cela n'a finalement guère servi, puisque rien n'en a été repris... En octobre 2009, ont été nommés les préfigurateurs dans chaque agence, alors même que nous devions gérer la crise grippale... Les personnels d'Etat ont été affectés d'autorité, sans possibilité de choisir. Et parallèlement, les nouveaux dirigeants des agences ont montré une grande méfiance vis-à-vis des personnels : ils avaient clairement un a priori négatif...

M. Jacques Raimondeau. - D'ailleurs, la rédaction des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens est révélatrice, puisque leur préambule indique que les agences n'ont pas les ressources humaines adaptées... Dire ainsi aux personnes « vous n'êtes pas bons » ne peut qu'avoir des conséquences négatives sur la performance de la structure en question !

M. Christian Lahoute. - A la déstabilisation de l'organisation et des personnels s'est ajoutée une absence complète de dialogue social : par exemple, les instances représentatives du personnel ont été mises en place plus d'un an après la création des agences. Le rapport officiel d'activité des ARS pour 2011 va dans ce sens puisqu'il évoque « la nécessaire vigilance sur les questions relatives aux conditions de travail et aux risques psycho-sociaux ». Nombre d'enquêtes ont confirmé ce ressenti. La circulaire, prévue de longue date, sur les conditions de travail dans les ARS n'est sortie que très récemment.

En outre, alors que nous avons parfaitement l'habitude du changement dans le secteur de la santé, quand on considère le nombre de réformes que nous avons dû mettre en oeuvre au fil des années, on nous reprochait de ne pas savoir nous adapter !

Avec les ARS s'est également amplifiée l'obsession du « reporting », chronophage et pas nécessairement adapté à des sujets peu traduisibles en chiffres.

Nous avons globalement assisté à une dévalorisation importante de l'approche médicale en santé publique. Plusieurs éléments en sont la cause : la suppression des services médicaux et l'éclatement des médecins en plusieurs directions, ce qui a conduit à supprimer l'expertise collective, pourtant indispensable dans notre métier ; la disparition des postes de médecins inspecteurs régionaux (MIR) qui assuraient une fonction de coordination ; la hiérarchisation poussée de l'organisation ; la remise en cause de certaines missions régaliennes, comme l'inspection et le contrôle ; notre mise à l'écart du processus de décision ; le recours accru à des médecins contractuels, pas nécessairement spécialistes en santé publique ; les difficultés grandissantes à faire valoir notre indépendance professionnelle...

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Subissez-vous des injonctions ?

M. Jacques Raimondeau. - Oui. Il est arrivé, même si ce n'est pas une situation quotidienne, que la hiérarchie demande à un médecin inspecteur de modifier la rédaction d'un rapport, voire qu'elle apporte elle-même la modification si le médecin n'obtempérait pas !

Les ARS sont des objets récents ; nous avions espoir qu'à la période difficile du début succèderait une amélioration, mais ce n'est pas le cas. Les risques psycho-sociaux et la souffrance au travail existent aussi dans les ARS, d'autant que les effectifs baissent. Diminution des effectifs, démotivation, mépris... tout cela se cumule pour entraîner une perte de performance qui est dommageable à la santé publique, donc à la population.

Par ailleurs, alors que les ARS ont été créées pour permettre une meilleure transversalité dans l'approche des questions de santé en France, elles sont elles-mêmes extrêmement cloisonnées à l'intérieur ! Leur organisation interne est contradictoire avec l'objectif politique de transversalité.

M. Jacques Bailly, vice-président. - Les ARS devaient permettre une meilleure prise en compte de la santé publique. Nous avons demandé un audit pour savoir si les objectifs initiaux étaient atteints. Nous soutenons donc votre décision de travailler sur cette question.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - A vous écouter, je m'interroge : quelles sont les raisons profondes de cette attitude du management ? Comment expliquer la situation que vous nous décrivez ici ?

M. Christian Lahoute. - Il y a d'abord le contexte de la RGPP, et maintenant de la MAP... D'ailleurs, nous ne nions pas les contraintes financières mais on ne devrait pas appliquer aveuglément certaines décisions. Alors que les ARS constituaient en elles-mêmes une profonde réorganisation via un regroupement de sept entités existantes, elles ont en plus subi des contraintes budgétaires fortes.

Par ailleurs, le mode de direction, avec un directeur général tout puissant, explique aussi beaucoup de choses.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Est-ce partout la même situation ?

M. Christian Lahoute. - Globalement oui. On a en outre assisté à certaines dérives autocratiques, en lien avec la croissance incroyable des cabinets et des services de communication ! Il est nécessaire de retrouver un équilibre des pouvoirs, équilibre que nous connaissions auparavant.

M. Jacques Raimondeau. - Avant la création des ARS, il existait des canaux de communication variés avec les administrations centrales ; nous disposions de réseaux selon les sujets, ce qui est très important dans notre secteur pour diffuser au mieux les informations. On peut comprendre la nécessité d'exécutifs forts mais était-il vraiment nécessaire de supprimer tous ces canaux d'information au profit d'un unique et exclusif lien entre le secrétariat général des ministères sociaux et le directeur général de l'agence ? Ce goulot d'étranglement a profondément perturbé des interfaces qui fonctionnaient depuis longtemps. Ceci pose plus largement la question du renouveau du pilotage national...

M. Christian Lahoute. - Le nouveau management a souhaité appliquer des méthodes provenant du secteur privé (« reporting », évaluation...). Pourquoi pas ? Mais elles nécessitent du temps pour être correctement mises en oeuvre car elles sont étrangères à notre culture.

M. Jacques Bailly. - L'outil « ARS » a été mal préparé et mal accompagné. Cette réforme s'insère dans un mouvement plus global au sein de l'Etat de transfert de compétences vers des agences, pas seulement dans le secteur sanitaire. On comprend l'intérêt de ce processus, notamment pour le ministère des finances, mais il a des conséquences importantes qu'il serait nécessaire d'évaluer correctement.

M. Jacques Raimondeau. - Les inspirateurs de la réforme ont certainement posé un diagnostic d'inertie des organisations et ont donc voulu « faire table rase » du passé pour assurer les redéploiements qu'ils estimaient souhaitables. La mise à l'écart des élus au sein des hôpitaux et des préfets par la création d'établissements publics avec un directeur général nommé en Conseil des ministres participe de ce mouvement.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Dans la loi HPST, cette dimension de vouloir instaurer « un patron », tant à l'hôpital qu'à l'ARS, est dominante. Nous l'avions souligné à l'époque. D'ailleurs, on peut s'interroger sur le rôle que joue le conseil de surveillance de l'ARS...

M. Christian Lahoute. - Oui, mais à un pouvoir fort doit correspondre une expertise forte et indépendante, notamment au niveau médical.

M. Jacques Raimondeau. - Les conseils de surveillance ... surveillent ; ils n'administrent pas ! En fait, ils ne jouent pas de rôle politique et vérifient simplement la légalité des décisions prises par le directeur général.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - La dispersion des pouvoirs, que nous connaissions auparavant, était préjudiciable au bon fonctionnement du système de santé. Mais il est vrai que sans contre-pouvoir, les choses ne peuvent fonctionner correctement pendant très longtemps...

M. Jacques Raimondeau. - La loi n'a pas organisé la décentralisation du système de santé et nous ne sommes pas dans un pays où il y aurait vingt-six politiques sanitaires... Nous en revenons donc au problème du pilotage national du système.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - La loi HPST a créé les unions régionales des professionnels de santé (URPS) : comment s'organisent les relations entre les ARS et les URPS ? Quelle est la place des médecins de santé publique et de la santé publique en général dans ces relations ?

Par ailleurs, pouvez-vous nous donner votre sentiment sur le développement de la gestion du risque (GDR) et les conditions de transfert de cette compétence de l'assurance maladie vers les ARS ?

M. Christian Lahoute. - Avant la création des ARS, les services de l'Etat et les ARH étaient peu impliqués dans le secteur libéral ou dans l'articulation entre l'hôpital et l'ambulatoire. Nous avons justement soutenu le rapprochement entre l'Etat et l'assurance maladie dans une optique globale de santé publique. L'ARS doit donc investir le champ de la médecine de ville mais sans reproduire, à l'intérieur de la structure, les coupures que l'on constate à l'extérieur comme c'est trop le cas aujourd'hui.

En ce qui concerne la gestion du risque, cette notion reste confuse : elle vient du monde assurantiel, les politiques de GDR ayant pour objet de diminuer les risques, c'est-à-dire les coûts pour l'assureur, en l'espèce l'assurance maladie. Or, nous parlons de notre côté de risque sanitaire ou de risque dans l'organisation des soins : les cultures sont donc différentes mais il est intéressant de travailler à leur rapprochement. Dans mon ARS, cette politique a bien fonctionné, l'agence et l'assurance maladie s'entendant pour mettre en oeuvre les dix priorités définies nationalement plus des actions locales ciblées, par exemple en ce qui concerne la mauvaise utilisation des antibiotiques. Sur ce dernier dossier, nous avons même obtenu les fichiers de l'assurance maladie...

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Pourtant, le partage des données semble avoir posé beaucoup de problèmes entre l'assurance maladie et les ARS ?

M. Christian Lahoute. - Sur ce point précis, cela a bien fonctionné dans ma région mais il est vrai que, de manière générale, obtenir des données de l'assurance maladie a toujours été difficile.

M. Jacques Raimondeau. - On le voit bien, les choses varient sensiblement d'une région à l'autre, ce qui révèle un éclatement sanitaire du pays qui n'est pas satisfaisant.

En ce qui concerne les URPS, l'implication des professionnels libéraux est variable selon les régions et les sujets. Nous sommes au début du processus mais nous attendons encore les bénéfices de la création d'un lieu d'échanges et de dialogue entre l'ensemble des professionnels libéraux, pas entre les seuls médecins.

M. Jacques Bailly. - Des confusions existent sur la notion de gestion « du » risque ou de gestion « des » risques : est-ce une approche assurantielle ou sanitaire ? C'est une question que nous devons collectivement nous poser. D'un point de vue sanitaire, nous devons également nous préoccuper de la préparation des crises, de leur anticipation, ce qui est de plus en plus difficile en raison des baisses d'effectifs.

Agences régionales de santé - Audition de Mme Sabine Fourcade, directrice générale de la cohésion sociale

M. Yves Daudigny, président. - Nous poursuivons notre après-midi d'auditions en recevant Mme Sabine Fourcade, directrice générale de la cohésion sociale (DGCS). Nous souhaitons dresser un premier bilan de la mise en place des ARS et tracer des pistes d'évolution. Dans ce but, nous recevons l'ensemble des administrations centrales concernées et cette audition portera principalement sur le volet médico-social des ARS. Quelles ont été les conséquences de la création des agences sur le secteur médico-social ? Comment fonctionne le pilotage national des ARS ? Quel degré d'autonomie donner aux agences, notamment en termes financiers ? Voilà quelques questions générales. Je vous laisse tout de suite la parole avant que mes collègues ne vous interrogent plus précisément.

Mme Sabine Fourcade, directrice générale de la cohésion sociale. - La création des ARS a permis aux administrations centrales et aux caisses de sécurité sociale concernées d'engager une réflexion collective sur la façon d'appréhender le secteur médico-social. Des progrès peuvent encore être réalisés mais il s'agit d'une première étape vers une approche décloisonnée des enjeux médico-sociaux.

Le Conseil national de pilotage (CNP) des ARS réunit tous les quinze jours les directeurs d'administration centrale et des caisses de sécurité sociale, qui doivent y être présents en personne. L'ordre du jour est à chaque fois scindé en deux temps, le premier consacré à des réflexions transversales, le second à l'examen des circulaires et instructions qui seront transmises aux ARS. Cet examen systématique par le CNP permet à l'information de circuler et oblige chaque directeur à « plancher » devant ses collègues pour expliquer l'opportunité des mesures envisagées et des instructions qui en découlent. En ce sens, le CNP permet une meilleure connaissance mutuelle entre les secteurs des soins de ville, de l'hôpital et du médico-social. On peut donc dire que le CNP est une instance qui fonctionne.

Par ailleurs, le secrétaire général des ministères sociaux réunit chaque mois les directeurs généraux pour des réunions de travail et d'échanges. S'y ajoute le dialogue de gestion annuel qui s'effectue dans le cadre des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (Cpom) conclus entre l'Etat et les ARS. L'année 2013 marque la fin de la première génération des Cpom. Nous travaillons actuellement à ce que les prochains contrats soient plus stratégiques et prennent davantage en compte les enjeux de transversalité.

Au final, une réflexion collective s'est mise en place au niveau central et avec les ARS, ce qui permet de mieux comprendre les points de vue et priorités de chacun. L'objectif, dans la perspective des deuxièmes générations de Cpom et de programmes régionaux de santé (PRS), est d'arriver à plus de transversalité dans la construction de l'offre de santé dans chaque région.

La question de l'autonomie des ARS renvoie à celle de la capacité que peuvent avoir le CNP et les administrations centrales à définir des objectifs et une stratégie claire. S'ils y parviennent, alors les ARS pourront effectivement être plus autonomes dans la conduite des politiques sur le terrain. J'estime qu'il convient de davantage développer les marges de manoeuvre des ARS.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Le rapport du comité des sages présidé par Alain Cordier, dont nous avons pu avoir certains échos, prône un décloisonnement radical des secteurs sanitaire, médico-social et ambulatoire. Il souligne qu'une organisation des soins plus collaborative permettrait de réduire les dépenses inappropriées tout en préservant l'intérêt général et en répondant aux besoins des populations les plus fragilisées. Il me semble que la loi HPST, en créant les ARS, s'était déjà fixé les mêmes objectifs. Comment percevez-vous, dès lors, cette critique en creux des ARS ?

Mme Sabine Fourcade. - L'objectif est partagé et le diagnostic consensuel. Nous savons que le système de santé est trop cloisonné et que la prise en charge sur le long terme de maladies chroniques devient un enjeu central en raison de l'allongement de la durée de la vie et des innovations technologiques. L'organisation du système de santé telle que nous l'avons connue est donc aujourd'hui dépassée. Un rapport du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie (Hcaam) estime qu'une meilleure organisation du parcours de santé permettrait de générer deux milliards d'euros d'économies pour l'assurance maladie. L'enjeu est d'arriver à mettre en oeuvre ce parcours.

Les ARS doivent développer leur capacité à avoir une vision globale qui leur permette de faire évoluer l'offre de soins entre les différents secteurs. Tout cela est encore compliqué et il conviendrait de rendre plus fluide le mécanisme de fongibilité asymétrique créé par la loi HPST. Nous savons qu'une place dans le secteur sanitaire est plus coûteuse qu'une place dans le secteur médico-social. Lorsqu'elles effectuent une requalification de l'offre, les ARS devraient être en mesure d'utiliser les économies réalisées plutôt que celles-ci remontent directement au niveau national. Il s'agit d'une évolution à laquelle nous réfléchissons tout comme nous songeons à revoir la procédure d'appel à projets afin de mieux l'adapter aux mécanismes de transformation de l'offre.

Il convient cependant de noter que la grande majorité des crédits de l'Ondam sont aujourd'hui des crédits de fonctionnement affectés à des structures dont l'organisation demeure rigide.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Est-ce que les crédits dégagés par la fongibilité asymétrique peuvent être récupérés par les ARS ? Ces crédits pourraient-ils être intégrés dans le FIR ?

Mme Sabine Fourcade. - Actuellement, quand une structure se transforme, les crédits remontent au niveau national. Au final, personne n'est incité financièrement à effectuer ces transformations. L'intérêt d'utiliser le FIR serait de conserver ces crédits au niveau régional. Pour le moment, les crédits qui abondent le FIR demeurent relativement fléchés. Si des crédits libres d'emploi venaient l'abonder, les marges de manoeuvre des ARS seraient renforcées.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Ce qui pourrait contribuer à la réalisation des objectifs fixés dans le PRS.

Mme Sabine Fourcade. - Ce sont surtout des crédits d'intervention qui abondent le FIR, peu des crédits de fonctionnement. Cela pourrait être envisagé grâce à une réforme des mécanismes de fongibilité.

Il faut cependant souligner un paradoxe. Lorsqu'il vote l'Ondam chaque année, le Parlement se prononce sur sa répartition par sous-objectifs, c'est-à-dire par grandes politiques. Si le décloisonnement entre ces sous-objectifs était total, cela signifierait une perte de contrôle de la part du Parlement. Il faut donc trouver le bon équilibre entre la fixation d'objectifs nationaux et la capacité des ARS à adapter ces objectifs aux réalités des territoires.

M. Gérard Roche. - Fluidifier les parcours de santé est nécessaire. Mais l'approche ne peut pas être uniquement financière. Les niveaux de soins délivrés dans les secteurs sanitaire et médico-social sont aujourd'hui beaucoup trop éloignés pour que les parcours puissent être fluides. Il serait nécessaire de développer un niveau d'établissements intermédiaire entre l'hospitalisation et le médico-social. Cela suppose d'y consacrer les crédits nécessaires.

Mme Sabine Fourcade. - Adapter la prise en charge aux situations individuelles est possible. C'est notamment ce qui a été réalisé dans le cadre du plan Alzheimer avec ce qui a été appelé « les gestionnaires de cas ». Il est donc possible d'améliorer les parcours de soins en effectuant des efforts supplémentaires en termes d'offre et de moyens. Le rapport du Hcaam montre cependant que, globalement, une meilleure organisation du parcours de santé doit permettre de générer des économies.

Je crois beaucoup aux leçons que nous pourrons tirer de l'expérimentation du parcours de santé des personnes âgées en risque de perte d'autonomie (Paerpa). Des financements supplémentaires sont en effet alloués, par exemple pour assurer la présence d'une infirmière de nuit en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) afin d'éviter les hospitalisations d'urgence, coûteuses et peu souhaitables pour le patient. Nous développons également l'hospitalisation à domicile dans les établissements médico-sociaux, ce qui permet d'y délivrer des soins complexes.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Quel regard portez-vous sur le fonctionnement des conférences régionales de santé et de l'autonomie (CRSA) ? Quel a été leur rôle dans l'élaboration des PRS ? Leur avis a-t-il permis d'influer sur les projets initiaux ?

Mme Sabine Fourcade. - Tout exercice de concertation présente le risque de tourner à vide. En l'espèce, je pense que les CRSA ont permis d'améliorer les projets des ARS. Aujourd'hui, les vingt-six PRS sont de qualité variable et n'ont pas tous profité des mêmes conditions de concertation. L'objectif, pour la deuxième génération de PRS, est d'améliorer leur qualité, de renforcer le cadrage national et d'aller plus loin dans la concertation. L'objectif du guide méthodologique édité par la DGCS sur l'élaboration des schémas régionaux d'organisation médico-sociale (Sroms) est justement d'encourager les ARS à davantage se concerter avec les conseils généraux. Le processus de construction des PRS doit être plus itératif, ce qui sera possible si les responsabilités de chacun des acteurs sont davantage clarifiées.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Plus généralement, quelle est votre vision de la démocratie sanitaire et de la place que doivent y tenir les patients et les élus ?

Mme Sabine Fourcade. - Le développement de l'offre médico-sociale relève pour l'essentiel de la responsabilité des élus, en particulier des conseils généraux. Le directeur général de l'ARS, qui est responsable de l'offre de soins, doit donc se coordonner avec le président du conseil général et prendre en compte les projets lancés sur les territoires. Il y a des légitimités concurrentes.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - De leur côté, les présidents de conseils généraux travaillent très directement avec les associations présentes dans les instances de démocratie sanitaire. Dans le secteur médico-social, on a parfois l'impression que dorénavant deux logiques différentes cohabitent sans se rejoindre, ce qui peut nuire à la bonne définition des différents plans.

Mme Sabine Fourcade. - Il est vrai qu'on constate une certaine méfiance entre les différents acteurs. Dans le domaine social, trois légitimités concurrentes devraient pouvoir se combiner : celle des associations, qui jouent historiquement un rôle très fort ; celle des conseils généraux, qui a été confortée par la décentralisation ; enfin celle de l'Etat. En outre, depuis la loi de 2002, la participation des usagers est devenue une priorité. Dans le domaine social et médico-social, parvenir à trouver un accord entre ces différents acteurs sans que l'un prenne le dessus sur les autres est le seul moyen d'avancer. Tous les acteurs doivent en être convaincus. Même si l'exercice a pu sembler relativement formel dans un premier temps, la définition des PRS, des schémas d'organisation et la programmation qui en découle constituent des outils puissants pour parvenir à ces accords.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - L'exercice est difficile. L'attribution des crédits des programmes interdépartementaux d'accompagnement des personnes handicapées et de la perte d'autonomie (Priac) demeure par exemple problématique.

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. - Tous les acteurs que vous mentionnez sont légitimes mais leurs pouvoirs ne sont pas nécessairement équivalents. Au final, ce sont les ARS qui détiennent le pouvoir financier. Dans mon département, nous avons eu le plus grand mal à obtenir les crédits nécessaires au fonctionnement d'un établissement d'aide par le travail (Esat) qui en avait pourtant le plus grand besoin.

Mme Sabine Fourcade. - Le cas des Esat est particulier dans la mesure où ils sont entièrement financés par l'Etat. En revanche, pour les Ehpad, des places nouvelles ne peuvent être créées que si l'ARS et le conseil général parviennent à se mettre d'accord. L'existence de plusieurs financeurs encourage à la négociation mais crée également de la complexité et peut entraîner des blocages. Dans tous les cas, les financeurs doivent rendre des comptes. Les Cpom conclus avec les ARS fixent ainsi des objectifs en termes de réduction des écarts infra-régionaux, de développement des services ou de délais entre la décision de création de places et leur mise en oeuvre effective. A ce titre, les CRSA devraient être des lieux où les directeurs généraux d'ARS puissent rendre compte de la mise en oeuvre de leurs projets et de la façon dont les crédits médico-sociaux sont consommés.

M. Gérard Roche. - Cette gestion entre partenaires divers est difficile, même si la conclusion de conventions tripartites et la mise en oeuvre des appels à projets ont permis de faire avancer la situation. Pour autant, reste la question lancinante de la participation de 30 % à la charge de conseils généraux en ce qui concerne le financement des aides-soignantes...

Parfois, des personnes accueillies en Ehpad ne sont pas en mesure de payer le reste à charge car elles conservent un autre domicile et ne peuvent donc pas percevoir d'aide au logement. Peut-être faudrait-il réfléchir à assouplir le dispositif, même si cela est nécessairement coûteux.

Mme Sabine Fourcade. - Ce sont des questions de ce type que nous étudions dans le cadre de l'expérimentation Paerpa. Huit territoires ont été sélectionnés sur lesquels l'Etat, les conseils généraux, les associations, l'assurance maladie et les caisses d'assurance vieillesse se mettent d'accord pour décloisonner la prise en charge. On peut, par exemple, imaginer que l'assurance maladie finance le forfait hébergement lorsque le séjour en Ehpad se substitue à des journées d'hospitalisation. Est également prévue la possibilité pour les conseils généraux ou les caisses d'assurance vieillesse de financer des surplus de charges au moment du retour à domicile après un séjour à l'hôpital. L'objectif est d'identifier les points de rupture et de voir comment les financeurs peuvent agir pour garantir un peu plus de souplesse dans la prise en charge.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Quelle est votre perception du fonctionnement du CNP ? Le manque de pilotage stratégique a été souligné par la Cour des comptes et par plusieurs des personnes que nous avons auditionnées. Comment améliorer cela ?

Mme Sabine Fourcade. - Le CNP permet à tous les directeurs d'administration centrale et de caisses de s'exprimer sur la politique conduite par les autres acteurs. La liberté de parole y est totale. La présentation de la circulaire pour la campagne budgétaire dans le secteur médico-social donne ainsi lieu à discussion. Récemment, j'ai présenté une circulaire relative à la prise en charge des personnes présentant des difficultés particulières et qui relèvent de crédits spécifiques. Il s'agit d'un sujet complexe qui nécessite la mobilisation de compétences nombreuses. Pour prendre en charge ce type de public, l'ensemble des administrations centrales sont obligés de travailler ensemble. L'organisation est encore perfectible mais s'obliger à étudier ensemble les projets engagés constitue une avancée réelle.

Le CNP a d'ailleurs inspiré la création d'un « Comex » chargé de l'animation du réseau des directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS).

M. Yves Daudigny, président. - A la suite des nombreuses auditions que nous avons menées, on est parfois amenés à s'interroger sur qui pilote réellement la santé en France ! Le ministre, bien sûr, mais au niveau administratif ? Les différentes administrations centrales, le CNP, l'assurance maladie ? La création des ARS a constitué un bouleversement dans les régions mais l'onde s'est-elle propagée jusqu'au niveau central ? Sans aller jusqu'à la création d'une agence nationale de santé, qui pose la question de la responsabilité politique, ne faudrait-il pas s'engager vers plus d'intégration entre les administrations centrales ?

Mme Sabine Fourcade. - L'assurance maladie est présente au CNP. J'estime que les changements doivent intervenir progressivement. La création des ARS constitue un premier pas important. Le CNP a permis d'engager un dialogue qui n'existait pas auparavant et il exerce pleinement son rôle de filtre.

M. Yves Daudigny, président. - Au niveau régional, le changement n'a pas été progressif !

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - La question de la répartition des compétences entre les ARS et l'assurance maladie est particulièrement prégnante en matière de gestion du risque.

Mme Sabine Fourcade. - Les enjeux liés à la gestion et au partage des fichiers informatiques sont en effet importants. Je note cependant que les caisses primaires d'assurance maladie (Cpam) et les ARS ont prouvé qu'elles savaient travailler ensemble, par exemple pour la gestion des médicaments dans les Ehpad.

Agences régionales de santé - Audition de MM. Tomas Fatome, directeur de la sécurité sociale (DSS), et de François Godineau, chef de service, adjoint au directeur

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Nous recevons maintenant M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale, que je tiens à remercier d'avoir accepté de participer à nos travaux et qui sera le dernier directeur d'administration centrale à être entendu dans le cadre de la mission. M. le directeur, après avoir dressé un premier bilan général de la mise en en place des agences régionales de santé (ARS), je vous propose de vous arrêter plus particulièrement sur leurs relations avec le niveau national, ainsi que sur les conditions de définition et de mise en oeuvre de leur autonomie stratégique et financière.

Avant de donner la parole à M. Fatome, je tiens à signaler que notre commission a, ce matin, émis un avis favorable à la création d'un septième sous-objectif de l'Objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam) dédié au Fonds d'intervention régional (FIR). Vous pourrez sans doute nous éclairer sur les buts poursuivis dans le cadre de la définition de ce sous-objectif ainsi que sur les projets d'évolution de ce fonds.

M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale. - La DSS est directement concernée par le sujet des ARS au regard des responsabilités qui lui sont confiées en terme de régulation du système de santé et plus particulièrement en terme de pilotage de l'Ondam. Compte tenu des nombreuses compétences confiées aux ARS, le pilotage et le dialogue entre le niveau national et le niveau régional sont déterminants dans un contexte marqué par la moindre augmentation de l'Ondam et la nécessaire réalisation des objectifs fixés dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale votée par le Parlement.

Je tiens à rappeler qu'après la constitution des ARS, la direction de la sécurité sociale a très vite reçu pour mandat du Conseil national de pilotage (CNP) d'animer, en lien étroit avec le secrétariat général, la démarche de gestion du risque des ARS. Nous avons ainsi contribué à la rédaction des dix premiers programmes de gestion du risque, programmes progressivement étendus aux sujets relatifs à la pertinence des soins puis au processus de soins. Il nous importe aujourd'hui d'assurer le pilotage de ce programme national dont la mise en oeuvre a été confiée aux ARS et de renforcer le dialogue que nous entretenons avec les agences en ce domaine.

Concernant la création des ARS, je pense qu'il s'agit d'une plus-value forte dans un système régional structurellement éclaté. Le fait qu'un seul acteur soit désormais responsable des politiques d'organisation des soins et de santé publique au niveau régional est un gage d'efficacité.

La seule nuance que j'apporterais à cette plus-value concerne le périmètre du champ de compétences et d'interventions confiées aux ARS, dont l'importance constitue un véritable défi tant pour les agences que pour les structures chargées du pilotage national.

Si je ne remets pas en cause ce choix - y en avait-il d'autres ? - il faut bien en mesurer les conséquences. Le directeur d'une ARS s'occupe ainsi aujourd'hui de la restructuration des établissements de santé, de l'organisation de la permanence des soins ambulatoires, de la qualité des eaux de baignade, des faits de violences dans des établissements accueillant des personnes âgées, de l'établissement des programmes d'éducation thérapeutique ...

Je ne fais pas partie de ceux qui estiment que le pilotage national est trop pesant. D'une part, il me semble normal, compte tenu de l'ampleur des compétences des ARS, que des instructions ou des demandes d'information leurs soient régulièrement adressées. Il s'agit de la contrepartie logique du choix réalisé lors de la création de ces structures. Par ailleurs, si le rôle des ARS est d'assurer la déclinaison au niveau territorial de la stratégie nationale de santé qui se dessine, j'estime que nous restons dans un système nécessitant une politique de santé nationale forte et d'un pilotage national des ARS affirmé. Il faut donc assumer l'envoi de directives, la fixation d'objectifs et l'exigence d'un véritable reporting.

En résumé, si les ARS disposent d'une grande autonomie du fait de leur statut d'établissement public, elles demeurent les acteurs d'une politique nationale de santé. Ceci ne minore pas, bien entendu, la nécessité d'être vigilant sur la nature et l'importance des demandes qui leurs sont faites.

Le CNP incarne aujourd'hui ce pilotage national. Il a fait la preuve de son utilité en facilitant la coordination entre les différentes directions du ministère de la santé d'une part ainsi qu'entre ce ministère et l'assurance maladie d'autre part. J'estime toutefois que la fonction tête de réseau doit être renforcée afin d'assurer le pilotage d'un réseau d'établissements publics, opérant sur un champ extrêmement large, dirigés par des directeurs nommés en conseil des ministres et poursuivant des objectifs parfois difficilement conciliables.

Le FIR est une création pertinente qui répond à un besoin d'autonomie et de fongibilité des crédits dévolus aux ARS. Les agences s'emparent progressivement de cet outil dont la montée en charge a été importante et rapide, pour réaliser des réaffectations de moyens et des réorganisations, notamment en matière de permanence des soins ambulatoires. Une part de plus en plus importante de crédits non fléchés y sont d'ailleurs affectés afin d'accroitre les marges de manoeuvre des agences quant à leur utilisation.

Il était important que le FIR prenne une place pleine et entière dans l'Ondam dans la mesure où, à l'heure actuelle, il n'est pas pris en compte en tant que tel dans la construction de l'objectif. Compte tenu des montants mobilisés, il est apparu indispensable aux deux ministres concernés de saisir les commissions parlementaires compétentes sur l'opportunité de faire du fonds un nouveau sous-objectif de l'Ondam. Ceci traduit l'importance accordée à cet instrument dans le financement de la politique de soins. La DSS veillera d'ailleurs à la qualité du reporting réalisé par les ARS concernant l'utilisation des crédits du fonds.

La DSS a été chargée du projet relatif à la définition de parcours de soins des personnes âgées en risque de perte d'autonomie (Paerpa) en raison de son expérience dans la mise en oeuvre de processus analogues, en particulier les expérimentations concernant les nouveaux modes de rémunération des professionnels de santé (NMR).

La création des ARS ne s'est pas faite dans une totale sérénité. Pour autant, et même si l'on peut encore réfléchir à la définition de process plus opérationnels, la plupart des difficultés ont été aplanies. Un modus operandi a été trouvé afin de permettre aux ARS d'exercer pleinement leurs compétences et de poursuivre les programmes d'action engagés par l'assurance maladie en matière de maitrise médicalisée et de gestion du risque. La direction de la sécurité sociale veille aujourd'hui à faire vivre ces logiques. Les résultats obtenus reflètent d'ailleurs ce rapprochement stratégique et la mobilisation partagée des ARS et de l'assurance maladie sur ces programmes.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Des nombreux intervenants nous ont signalé que les statisticiens des ARS avaient difficilement accès aux données de l'assurance maladie. Les données qu'ils contiennent sont pourtant nécessaires aux agences pour définir les programmes régionaux de gestion des risques.

M. Thomas Fatome. - Il est effectivement indispensable que les ARS aient accès aux données qui leur permettent d'exercer leurs missions.

M. François Godineau, chef de service à la DSS. - Dans la récente période de transition, il a fallu veiller à ce que la nature et l'étendue des accès aux bases de données octroyés aux personnels de l'assurance maladie transférés dans les ARS correspondent aux nouvelles missions qui leur ont été confiées.

Les dispositions législatives en vigueur tendent à protéger les données de santé en réservant aux médecins l'accès à ces données individuelles à caractère médical. Face à ces dispositions complexes, les ARS ont veillé à ce que l'accès aux données soit correctement protégé. Si, en interne, nous avons réaffirmé le principe de l'ouverture des bases de données, nous demeurons en discussion avec la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) concernant le degré d'accès aux données individuelles que chaque ARS est en droit de revendiquer au regard de ses missions. La commission veut en effet écarter tout risque de réidentification des personnes par croisement.

Les statisticiens ont quant à eux une lecture assez pertinente de la situation : étant couverts par le secret de la statistique, ils estiment pouvoir accéder aux données individuelles dans la mesure où le produit de leurs travaux ne pose aucun problème.

Afin d'avancer sur le sujet, nous avons fourni à la Cnil des éléments visant à assurer l'accès aux bases moyennant la mise en place de mécanismes garantissant le respect de la confidentialité des données de santé. Nous reviendrons d'ailleurs devant le Parlement avec des propositions de modifications législatives dans le cadre de la discussion de la prochaine loi de santé publique pour clarifier cette situation.

M. Thomas Fatome. - Pour conclure mon propos, je pense que le renforcement du pilotage national devrait s'incarner dans une contractualisation resserrée sur un nombre d'objectifs et d'actions limités assortis d'indicateurs permettant d'en mesurer l'efficacité. Bien qu'il soit sans doute délicat d'isoler la dizaine d'actions ou d'objectifs prioritaires d'une ARS dans un champ de compétences aussi étendu ...

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Ce champ n'est-il pas trop large ?

M. Thomas Fatome. - S'il peut peut-être y avoir quelques ajustements à la marge, je pense qu'il serait aujourd'hui difficile de revenir en arrière. Il faut donc se donner les moyens de gérer cette palette de compétences.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Ne serait-il pas possible d'alimenter le FIR avec les crédits non consommés dans le cadre de l'Ondam et qui remontent aujourd'hui au niveau national ?

M. Thomas Fatome. - Cette préoccupation rejoint les travaux menés par la DSS sur le sujet, dont j'ai bon espoir qu'ils se traduisent par des dispositions législatives dans le cadre du projet de loi de financement pour 2014. Il s'agit de permettre que les sommes non consommées qui remontent aujourd'hui au niveau national, notamment à l'occasion d'opérations de transformation d'établissements, puissent à l'avenir rester au niveau de l'ARS et être consommées au niveau local.

Nous travaillons aussi sur le renforcement de la fongibilité, au niveau territorial, entre différentes enveloppes fermées de l'Ondam, notamment les dotations destinées aux établissements de santé non tarifés à l'activité. Il y aura certainement, dans le cadre du PLFSS, des leviers nouveaux allant de pair avec le poids grandissant du FIR et traduisant cette logique de fongibilité et d'incitation aux évolutions des organisations.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Certains souhaitent aller beaucoup plus loin en matière de fongibilité des crédits. Qu'en pensez-vous ?

M. Thomas Fatome. - Autant je suis favorable à l'élargissement des conditions de la fongibilité liée aux opérations de transformation d'établissements, autant j'ai du mal à comprendre l'idée d'une fongibilité entre des enveloppes fermées et des enveloppes ouvertes que sont des dépenses de guichets comme la tarification à l'activité ou les soins de ville. Il s'agit de propositions qui ne me semblent pas tenir compte de la logique actuelle du système de financement de la santé.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - On touche là un problème politique, à savoir la régionalisation complète de la santé. Nous sommes plutôt actuellement dans une déconcentration maitrisée.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - A cet égard M. Fatome est plus jacobin que girondin !

M. Thomas Fatome. - Il s'agit effectivement d'un choix politique majeur. Le système actuel repose néanmoins sur quelques grands principes - égalité d'accès aux soins, tarifs identiques au niveau national pour une consultation médicale ou un séjour à l'hôpital - et sur une politique de santé nationale qui doit se décliner en fonction des territoires.

A l'occasion d'une récente étude, j'ai d'ailleurs été frappé par le fait que toutes les ARS se sont posé les mêmes questions en matière de parcours de soins. Il s'agit de ce point de vue d'une déperdition d'énergie et de compétences liée à l'absence de pilotage et de prise en compte de bonnes pratiques existantes en matière d'organisation.

Il faut éviter que chaque ARS n'ait à mener un travail de réflexion, d'élaboration, de pilotage que nous gagnerions à mutualiser et à décliner.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Vous avez sans doute raison ! Il faut mutualiser les bonnes pratiques ! Mais il convient de ne pas se priver de l'esprit d'initiative qui permet de s'adapter aux réalités et aux besoins locaux. Cette liberté d'initiative doit s'appuyer sur des moyens renforcés au niveau territorial.

M. Thomas Fatome. - Sans vouloir « survendre » le FIR, je rappellerais que nous avons mis en place en très peu de temps un instrument permettant à un directeur d'ARS d'avoir la main sur des financements non négligeables. On peut se dire que ces 3 milliards d'euros sur les 180 milliards consacrés aux dépenses d'assurance maladie ne sont qu'une goutte d'eau. On peut aussi se féliciter que ces trois milliards existent aujourd'hui alors qu'ils n'existaient pas précédemment.

Cela pose d'ailleurs la question de la capacité opérationnelle des ARS à assumer la gestion de tels financements, cette gestion constituant une activité relativement nouvelle pour les équipes en place.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - A l'occasion de l'audition des représentants du syndicat des médecins inspecteurs de santé publique, ceux-ci nous ont indiqué qu'ils étaient déstabilisés par la nouvelle organisation qui leur était imposée.

M. Thomas Fatome. - La perte de repères liée à la réorganisation est compréhensible. Il faut s'attacher à redonner à ces agents une vision, un sens et un positionnement dans les nouveaux organigrammes. En même temps la création des ARS et du CNP visait à remettre en cause des modes de pilotage que personnes ne maitrisaient vraiment.

Dans le cadre de ce nouveau mode de pilotage, il faut veiller à animer les métiers des agents. Nous réunissons en ce qui nous concerne, deux fois par an, les équipes chargées de la gestion du risque au sein des ARS afin d'échanger sur les bonnes pratiques et les dysfonctionnements constatés sur le terrain.

M. François Godineau. - On peut concevoir que pharmaciens et médecins inspecteurs, qui appartiennent à des corps ayant vécu plusieurs réorganisations, soient déstabilisés. Mais l'organisation actuelle offre néanmoins des potentialités supérieures aux précédentes.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Les syndicats ont insisté sur la perte d'indépendance de ces agents. Si l'on croit aux ARS, il faut bien se préoccuper également des malaises que leur création a pu faire naître chez les personnels concernés. Il s'agit alors de leur redonner confiance dans un projet d'ensemble dont personne n'a à ce jour contesté le bien-fondé.