Mardi 25 juin 2019

- Présidence de M. Jean-Noël Cardoux, président -

La réunion est ouverte à 18 heures.

Audition de MM. Jean-Claude Barboul, président, et François-Xavier Selleret, directeur général de l'Agirc-Arrco

M. Jean-Noël Cardoux, président. - Nous accueillons MM. Jean-Claude Barboul et François-Xavier Selleret, respectivement président et directeur général de l'Agirc-Arrco, qui gère désormais un régime unique depuis le 1er janvier 2019.

Votre venue permettra, je l'espère, d'éclairer la Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) sur les conditions de mise en oeuvre de cette fusion, ainsi que sur la situation financière des régimes à la fin de l'année 2018.

Nous souhaitons que vous nous éclairiez sur les perspectives financières du groupement d'intérêt économique (GIE) Agirc-Arrco, notamment au vu des montants de pensions distribuées par le groupement, de l'ordre de 80 milliards d'euros auprès de 16 millions de pensionnés.

Nous souhaitons vous entendre sur les conditions dans lesquelles s'est déroulée la fusion des régimes Agirc et Arrco depuis le 1er janvier 2019. Comment cette fusion s'est-elle traduite en termes de droits et de cotisations pour les différentes catégories d'assurés de votre régime désormais unique ? Comment a-t-elle été gérée en interne, notamment en matière de systèmes d'information et de ressources humaines ?

M. Jean-Claude Barboul, président de l'Agirc-Arrco. - Les régimes Agirc et Arrco ont fusionné au 1er janvier 2019, ce qui est un non-événement si l'on considère que l'accord de 2015, puis celui du 30 novembre 2017 avaient créé l'intégralité du corpus de droit et de règlements concernant la fusion de ces régimes, qui couvrent 96 % de la population. Les droits à la retraite des salariés ont été convertis et les retraités touchent leur pension : c'est un satisfecit pour une fusion qui représente 80 milliards d'euros, soit 3,5 points de PIB et 25 % des retraites du pays.

L'accord du 10 mai 2019 fixe le pilotage stratégique du régime sur quinze ans, en prévoyant une réserve financière à hauteur de 50 % des allocations versées. Nous avons aussi fixé un cadre pour définir la valeur d'achat du point d'Agirc-Arrco et la valeur de service qui garantit le maintien du pouvoir d'achat des retraités. Cet accord a été largement approuvé par les organisations syndicales et patronales. La valeur du point d'achat a été fixée à la hauteur moyenne des salaires, alors qu'elle était surindexée dans la période précédente. Pour la valeur de service, nous indexerons les montants des retraites sur l'inflation pour les cinq années à venir. Ce pilotage tactique complète les règles mises en place en 2015 et en 2017.

En 2018, les charges ont été légèrement supérieures aux ressources ; elles se sont élevées à 81,7 milliards d'euros, pour 79,7 milliards d'euros de ressources, soit un déficit technique de 2 milliards d'euros, à comparer avec les 2,9 milliards d'euros de l'année précédente. Ce résultat est en avance sur les prévisions de 2015, ce qui laisse augurer un retour à l'équilibre en 2020, après douze ans de déficit. Le résultat financier global s'établit à - 1,4 milliard d'euros. Il est à signaler, en particulier, que l'an dernier nous avons enregistré dans notre comptabilité une plus-value exceptionnelle de 900 millions d'euros grâce au groupe Action Logement qui nous a dévolu son patrimoine.

S'agissant des retraites en général, le système doit évoluer. C'est l'objet de la concertation de Jean-Paul Delevoye sur le passage à un régime universel. Le Parlement examinera le projet de loi à l'automne. Les régimes Agirc et Arrco, complémentaires et à points, pourront servir de modèle grâce à leur soixante-dix ans d'existence et à leur expérience d'une fusion réussie.

En matière de systèmes d'information, nous avons fusionné une quarantaine de plateformes informatiques en dix ans, de sorte que nous disposons désormais d'un système d'information unique pour calculer les droits et payer les allocations de nos retraités. Ce système, performant, est calibré pour 12,6 millions de retraités et 18 millions de cotisants. Il a été fortement investi par les partenaires sociaux, tant pour son aspect financier que pour son architecture.

Dans le domaine des ressources humaines, nous avons réduit les coûts de gestion, en 2013 et en 2015. Ils devraient passer de 1,9 à 1,5 milliard d'euros d'ici à 2022. La somme économisée sera réattribuée à la gestion technique. Ces économies de 600 millions d'euros ont été réalisées sans difficulté particulière, sinon des redéploiements ou des changements de mission bien préparés.

Notre conseil d'administration se réunira demain pour valider les comptes, et l'assemblée générale enregistrera cette validation. Il nous faudra aussi valider la préconisation formulée en 2015 de pouvoir gérer l'ensemble des réserves de l'Agirc-Arrco en investissements socialement responsables. C'est le choix qu'ont fait les partenaires sociaux. Nous deviendrons ainsi l'un des premiers partenaires institutionnels à contribuer à ce type de fonds.

M. François Xavier Selleret, directeur général de l'Agirc-Arrco. - Au moment de la fusion, un journal titrait : « Un big bang qui ne dit pas son nom ? » La fusion est effectivement venue consacrer un processus de rapprochement et de convergence en matière de réglementation, de systèmes d'information et d'organisation. D'ordinaire, le mouvement se fait à l'inverse. C'est sans doute grâce à cela que, au début de 2019, on a bien plus entendu parler du prélèvement à la source ou des allégements généraux que de la fusion. Pour la quasi-totalité des parties prenantes, la fusion a été un événement parfaitement transparent. Rappelons que nous avons procédé à 49 fusions en vingt-cinq ans. Nous avons l'expérience.

C'est comme en matière de gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences (GPEC). Plus le cap est donné tôt, plus la fusion se fait de manière opérationnelle sans que personne n'en entende parler et sans anxiété. Par exemple, la valeur du point retenue a été celle du point Arrco, car 90 % de nos concitoyens en détiennent. C'était du bon sens.

Depuis plus de dix ans, nous sommes impliqués dans le répertoire de gestion des carrières unique (RGCU). Nous développons des travaux « métiers » autour des guichets uniques dans les territoires, notamment à Lille et à Amiens.

M. Jean-Noël Cardoux, président. - Merci pour cet exposé. Il est vrai que depuis dix-huit mois, nous n'avons rien entendu sur cette fusion. C'est signe qu'elle s'est bien passée.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - L'Agirc-Arrco agit en quelque sorte à contretemps par rapport à l'État en matière d'indexation des pensions. Alors que la part complémentaire était désindexée depuis plusieurs années, elle est réindexée depuis le début de cette année.

Pourriez-vous nous dresser le bilan de la désindexation, tant pour vous que pour les pensionnés des différents régimes, ainsi que les conséquences financières de la réindexation des retraites complémentaires sur l'inflation ?

Pourriez-vous nous préciser comment fonctionne le mécanisme de compensation des contributions à la retraite complémentaire au sein des allégements généraux ? Ce dispositif fonctionne-t-il bien depuis le début de l'année, notamment dans vos relations avec l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) ? Ce nouveau mode de financement a-t-il des conséquences sur la gestion du régime ?

Pourriez-vous nous faire un point sur l'état des discussions avec le Haut-Commissaire sur la réforme des retraites annoncée par le Gouvernement, notamment sur la question des réserves du régime ?

Enfin, l'action sociale de l'Agirc-Arrco a fait l'objet d'un jugement relativement sévère par la Cour des comptes dans son rapport public annuel de février 2019. La Cour relevait notamment une dispersion de ces aides, un coût de gestion, des réserves très excédentaires et la faiblesse du suivi par l'Agirc-Arrco. Pourriez-vous nous rappeler en quoi consiste l'action sociale de la fédération et nous indiquer les actions qui seront mises en place en réponse aux observations de la Cour des comptes ?

M. Jean-Claude Barboul. - Nous avons creusé notre déficit jusqu'à plus de 5 milliards d'euros en 2009. En conséquence, nous avons « brûlé » 25 milliards d'euros entre 2009 et 2019, en prenant sur les réserves que nous avions accumulées, selon les règles de pilotage définies par les partenaires sociaux, afin de pouvoir lisser les efforts sur une période plus longue. Dans la construction du futur régime universel, il faudra penser au rôle de ces réserves, qui ne sont pas des provisions, mais servent à répartir l'effort dans la durée.

Nous avons fourni les efforts nécessaires, en augmentant de manière importante les cotisations, au 1er janvier. Si l'on surindexe la valeur d'achat du point, cela pèse sur les générations les plus jeunes, alors que notre régime par répartition repose sur la confiance entre les générations. Les partenaires sociaux sont très attentifs à cet équilibre intergénérationnel. Nous avons aussi désindexé les retraites versées sur l'inflation, durant certaines périodes. Même si l'inflation a été contenue, ces dernières années, le pouvoir d'achat des retraités a été écorné. Les partenaires sociaux ont fait des choix, en ayant pour souci constant de trouver un équilibre entre les salariés, les retraités et les entreprises. C'est la marque de fabrique de notre régime.

Nous ne sommes pas déconnectés de la réalité économique. En cas de grand choc économique, il faudra que les partenaires sociaux ajustent et partagent au mieux les efforts à fournir.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - Nous saluons régulièrement au Sénat l'esprit de responsabilité de l'Agirc-Arrco.

M. François-Xavier Selleret. - Tout a été possible grâce à l'existence de la réserve et à la prohibition de la dette.

Les allégements généraux représentent 5,3 à 5,4 milliards d'euros en année pleine. Tous les mois, nous fixons un échéancier avec l'Acoss, qui verse à peu près 440 millions d'euros. Nous suivons de près ce que les entreprises déclarent. Toutes n'étaient pas prêtes en termes de logiciel de paie, en début d'année. Mais globalement, les premiers mois de l'exercice 2019 se sont bien passés.

En matière de recouvrement, nous avons bâti avec l'Acoss le même type de relation complémentaire qu'avec la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV). Notre coeur de métier est de calculer les droits, tous les mois, en fonction des cotisations, et de régulariser les situations déséquilibrées. Nous sommes en conformité avec la LFSS pour 2019. Nous disposons désormais de six mois de recul.

Des concertations sont en cours avec les partenaires sociaux au sujet de la réforme du système des retraites, qu'il s'agisse de la définition du modèle cible, de la période de transition, de la gouvernance, du devenir des réserves, ou de la cristallisation des droits. Des éléments devraient bientôt être rendus publics. En ce qui concerne les réserves, l'enjeu est de savoir où sont les engagements. Les réserves ont permis aux partenaires sociaux de faire face aux chocs démographiques et économiques. Il faut savoir qui porte les engagements pour tous les droits acquis, et comment chacun contribue en fonction de ces engagements.

Nous menons des travaux avec la CNAV, sous l'égide de la sécurité sociale, sur la dimension opérationnelle de la période de transition, afin de préparer les outils, l'organisation et le processus qui mèneront au nouveau système. Par exemple, on ne pourra pas cristalliser les droits et mettre à jour les carrières sans mettre en place un guichet de déclaration unique dématérialisé pour nos concitoyens. Certes, le calendrier sera arrêté par le Parlement et c'est bien normal. Mais si l'on veut que la fusion se passe bien et ne soit pas anxiogène, il faut l'anticiper au maximum. Cet élément est déterminant pour la réussite de la bascule dans un nouveau système.

M. Jean-Claude Barboul. - La Cour des comptes se penche régulièrement sur l'activité des régimes obligatoires et interprofessionnels. Les régimes Agirc et Arrco ont toujours développé une politique d'action sociale à côté des versements des prestations classiques. Dans les années cinquante, ils s'étaient focalisés sur le départ en vacances des retraités. Dans les années soixante-dix, l'action s'est davantage centrée sur la prévention, et désormais nous privilégions quatre sujets : l'aide au retour à l'emploi, la prévention du bien vieillir, les aidants familiaux et l'hébergement des personnes âgées. Nous avons l'obligation de consacrer 80 % de notre dotation à ces quatre priorités.

Nous affichons un excédent comptable de 1,5 milliard d'euros en matière d'action sociale. Nous avons cependant beaucoup d'engagements, et les décaissements prennent en moyenne trois ans, de sorte que cette provision correspond à nos engagements, avec un excédent de 400 millions d'euros. Nous diminuerons la dotation de 2 % par an. Le conseil d'administration décidera de l'affectation de ces 400 millions d'euros.

Les partenaires sociaux ont toujours voulu développer l'action sociale. L'Agirc-Arrco y fait preuve d'une volonté d'innovation qui doit opérer en complémentarité. Nous travaillons en interrégime, mais aussi avec la CNAV et la Mutualité sociale agricole (MSA). Notre action sociale doit aussi être exemplaire, pour faire émerger des solutions testées, validées, puis transférées à ceux qui en ont besoin. À la rentrée, le conseil d'administration se saisira d'un règlement sur les ajustements à opérer en matière d'action sociale. La Cour des comptes pourra vérifier que nous avons suivi ses recommandations.

Mme Michelle Gréaume. - La cotisation de retraite complémentaire de la plupart des salariés du secteur privé a augmenté à la suite de la fusion. Quant à l'âge de départ à la retraite, il sera reporté d'un an du fait du bonus-malus. Enfin, le niveau des pensions d'une partie des salariés qui ne sont plus en activité a diminué.

Le PLFSS de 2018 a acté la fusion des régimes Agirc et Arrco et entraîné un changement de règles de fonctionnement du système. Les nouvelles règles sont particulièrement injustes pour les femmes, qui liquident leurs droits à retraite huit mois après les hommes et qui perçoivent des pensions amputées de 40 % au titre de l'Arrco et de 60 % au titre de l'Agirc, par rapport aux hommes. Le syndicat des cadres UGICT-CGT a ainsi refusé de signer l'accord modifiant le régime de retraite des cadres et dénoncé le risque d'aggravation des inégalités entre les femmes et les hommes. Pouvez-vous nous indiquer le montant de la pension moyenne perçue par les cadres, en fonction de leur sexe, avant et depuis le 1er janvier 2019 ?

M. René-Paul Savary. - Comment envisagez-vous le passage au nouveau système et la réduction de huit à trois plafonds annuels de la sécurité sociale du montant maximal des rémunérations donnant lieu à cotisations entre l'actuel régime Agirc-Arrco et le futur régime universel ? Combien de personnes seront-elles laissées de côté ? Et que deviendront les engagements déjà pris à l'égard de ces cotisants dans le futur système ? Comment les cotisations seront-elles harmonisées, s'agissant des indépendants ? Comment envisagez-vous la gouvernance entre l'État et les partenaires sociaux ? Un régime unique est-il prévu ? Régime universel ne veut pas dire régime unique...

M. François-Xavier Selleret. - On parle de règles uniques, non de régime unique. À terme, les régimes complémentaires seront supprimés.

M. Jean-Claude Barboul. - Madame Gréaume, notre régime est complémentaire du régime général. Nous versons en général 30 % de la retraite d'un non-cadre et 50 % de la retraite d'un cadre. Les règles du régime général se répercutent dans le régime complémentaire. Je n'ai pas parlé des coefficients de solidarité et de ce que vous appelez le « bonus-malus », mais d'efforts partagés. L'augmentation de cotisations touche les salariés et les entreprises. Quant aux retraités nés à compter du 1er janvier 1957 et ayant pris leur retraite après le 1er janvier 2019, ils peuvent connaître une baisse de leur pension, laquelle peut atteindre 10 % de la pension complémentaire, soit 3 % de la pension générale pour un non-cadre et 5 % pour un cadre. Les partenaires sociaux ont toutefois souhaité que soient exonérés de cette contribution les demandeurs d'emploi ayant perçu une allocation de solidarité.

J'en viens aux différences entre les femmes et les hommes. La retraite est le reflet de la carrière : de façon symétrique, les différences de salaire expliquent les différences de retraite. Notre régime étant purement contributif, il accentue ces différences. Un certain nombre d'éléments de solidarité permettent de les réduire. Nous prenons ainsi à notre charge les bonifications de majoration de durée d'assurance sur les trimestres. C'est ce qu'on appelle la solidarité intragénérationnelle. Nous prenons également en charge les périodes de chômage, de maladie ou d'invalidité en octroyant des points gratuits. Cela étant, des dispositifs de rattrapage assez puissants existent dans le régime général.

Nous ferons parvenir les montants moyens des pensions pour 2017 à la Mecss, je ne les ai pas en tête.

M. François-Xavier Selleret. - Il faut toutefois noter que l'écart entre les retraites des hommes et des femmes se réduit, même s'il n'est pas négligeable. Les femmes qui quittent aujourd'hui le marché du travail, contrairement à celles de la génération précédente, ont plus fréquemment fait des carrières complètes.

Pour le régime, la durée de versement compte également. En moyenne, les femmes perçoivent une retraite cinq ou six ans de plus que les hommes. Il faut également prendre en compte la pension de réversion. Dans 90 % des cas, ce sont les femmes qui la touchent. Ces éléments doivent être pris en compte dans le rendement de la cotisation.

M. Jean-Claude Barboul. - Monsieur Savary, vous l'avez dit, l'Agirc-Arrco prévoit une cotisation sur les rémunérations jusqu'à un montant de huit plafonds annuels de la sécurité sociale, quand le Haut-Commissaire en prévoit trois dans le nouveau régime. Aujourd'hui, 200 000 personnes cotisent sur des rémunérations comprises entre 120 000 et 360 000 euros annuels en tant que salariés. Dans un régime universel, les droits acquis seront conservés, sur la base des cotisations. Nous avons attiré l'attention du Haut-Commissariat à la réforme des retraites sur cette question particulière.

La question des indépendants est au coeur des discussions, mais nous ne disposons pas d'informations particulières. Une solution sur-mesure pourrait être envisagée.

M. François-Xavier Selleret. - Quelqu'un qui cotise moins a moins de droits. Ensuite, il s'agit de paramétrer des dispositifs de solidarité, comme le minimum contributif.

M. René-Paul Savary. - Les réserves peuvent-elles servir d'amortisseur, comme cela a été annoncé ?

M. François-Xavier Selleret. - Elles ne peuvent être utilisées que de manière ponctuelle. Une solution pérenne est nécessaire.

M. Jean-Claude Barboul. - J'en viens à la gouvernance. L'Agirc-Arrco n'est pas sous la tutelle de l'État. Dans un régime universel, nous devrions pouvoir nous inspirer des éléments de gestion performants des partenaires sociaux et capitaliser sur ce qui est positif. Nous vendons un « bout de modèle ».

M. François-Xavier Selleret. - Il faut réfléchir à une distinction entre le pilotage tactique et le pilotage stratégique, à ce qui relève du conseil d'administration et des partenaires sociaux et ce qui relève du Parlement et des pouvoirs publics.

Par ailleurs, on dit souvent dans notre pays que le dialogue social ne fonctionne pas. Or l'un des rares endroits où fonctionne une cogestion à l'allemande, c'est à l'Agirc-Arrco. Pour le bien commun, il faut donc préserver le dialogue social, surtout quand il a produit des résultats. Les partenaires sociaux ont su articuler le court terme et le moyen terme, l'équilibre entre les générations, notamment vis-à-vis des plus jeunes. À cet égard, les réserves sont un élément de confiance dans le système pour les jeunes générations. Elles incarnent de manière concrète et tangible la promesse d'une retraite par répartition.

On peut penser que notre expérience, nos résultats et notre « bout de modèle » ont de la valeur pour notre pays et nos concitoyens.

Audition de Mme Patricia Ferrand, présidente, MM. Eric Le Jaouen, premier vice-président, Vincent Destival, directeur général, et Pierre Cavard, directeur des études et analyses de l'Unédic

M. Jean-Noël Cardoux, président. - Nous accueillons à présent Mme Patricia Ferrand, présidente, MM. Eric Le Jaouen, premier vice-président, Vincent Destival, directeur général, et Pierre Cavard, directeur des études et analyses de l'Unédic.

Je vous rappelle qu'il s'agit aujourd'hui d'une audition de la Mecss sur l'application de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2018. En conséquence, nous attendons de vous non pas que vous nous parliez de la réforme en cours et de la manière dont vous allez l'aborder, mais que vous dressiez le bilan de l'exercice 2018 de l'Unédic, que vous précisiez ses perspectives financières et son niveau d'endettement.

Mme Patricia Ferrand, présidente de l'Unédic. - Merci de nous recevoir pour ce qui constitue pour nous un premier exercice.

Je parlerai évidemment non pas de la réforme de l'assurance chômage, mais des évolutions réglementaires qui ont touché le financement de l'assurance chômage ces dernières années et qui ont considérablement modifié la nature de ses ressources.

L'année 2018 a été marquée par la mise en oeuvre de l'exonération partielle, puis totale, de la part salariale des contributions d'assurance chômage, intégralement compensée par de la TVA en 2018 et par de la CSG à compter de 2019. À compter de 2019, la cotisation des salariés a été définitivement supprimée.

Les ressources du régime ont donc une double origine : d'une part, les contributions versées par les employeurs et, d'autre part, la part de CSG qui lui est affectée. Je précise également que les cotisations dues par les employeurs font l'objet d'exonérations générales et spécifiques. En 2020, en année pleine, la part de CSG représentera 37,5 % des ressources de l'assurance chômage et les impositions compensent les contributions patronales exonérées 10 % du total. Plus de 47 % des recettes de l'assurance chômage ne proviendront donc pas des contributions.

Dans le cadre de ces évolutions réglementaires, l'objectif de l'Unédic a été de sécuriser le financement du régime afin de pouvoir verser les allocations. En 2018, un mécanisme de compensation financière de l'exonération de la part salariale par l'Acoss a été mis en oeuvre, à hauteur de 1,45 point, puis de 2,40 points. Cela a représenté 9,6 milliards d'euros. Cette compensation a été bien organisée et n'a pas posé de problème majeur. En 2019, l'objectif est la maîtrise des recettes. Le PLFSS pour 2019 prévoyait initialement l'affectation à l'Unédic de 1,45 % de CSG, ce taux ayant ensuite été porté à 1,47 % afin de compenser intégralement les 14,260 milliards d'euros de pertes de recettes induites par la suppression de la part salariale.

Une fois le dispositif sécurisé, toutes les conventions financières avec les opérateurs ont été mises en place, ainsi que des processus réguliers de suivi et de régularisation.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 prévoit de nouvelles exonérations de contributions patronales, lesquelles induiront une perte de recettes de 3,7 milliards d'euros en année pleine et seront compensées intégralement par l'Acoss. En 2019, compte tenu de la montée en charge progressive du dispositif, l'effet financier est évalué à 1,3 milliard d'euros. À ce jour, les dispositifs conventionnels fonctionnent plutôt bien entre les opérateurs.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 prévoit l'extension aux contributions d'assurance chômage d'exonérations spécifiques - pour l'outre-mer, les travailleurs occasionnels du secteur agricole, les aides à domicile et l'armement maritime. Les compensations, de l'ordre de 300 millions d'euros, sont organisées avec les différents opérateurs, soit un total de 4 milliards d'euros entre allégements généraux et spécifiques en année pleine.

Notre objectif pour 2020 est de nous assurer de l'encaissement des sommes attendues, mais aussi d'ancrer le principe de compensation et de veiller à la correcte détermination du taux de CSG dans le prochain PLFSS.

M. Eric Le Jaouen, premier vice-président de l'Unédic. - Nous avons l'impression depuis quelques mois d'assister à une forme de nationalisation du régime d'assurance chômage. Mais il faut souligner que ce n'est pas du tout le cas en matière de financement : 86 % des recettes de l'Unédic proviendront en 2020 des entreprises et des salariés du secteur privé, qui payent de la CSG sur leur rémunération. Le financement reste bien l'affaire des entreprises et des salariés du secteur privé.

M. Jean-Noël Cardoux, président. - On peut présenter les choses de cette manière, mais il n'en demeure pas moins que le financement de l'Unédic n'est plus majoritairement assuré par ceux qui bénéficient du système. Un financement par la CSG, c'est un financement par l'impôt déguisé, qui pèse aussi sur ceux qui ne sont pas forcément bénéficiaires de l'Unédic. C'est là une pente dangereuse...

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - Cela a été dit, le financement de l'assurance chômage évolue : 14 milliards d'euros proviennent de l'impôt. C'est un basculement qui pose problème, en termes de gestion pour l'Unédic, mais aussi pour les salariés. Est-ce que cela aura des conséquences sur la gouvernance de l'Unédic ?

Considérez-vous que la dette de l'Unédic doive être entièrement prise en charge par le régime lui-même, par des mesures comme celles qui ont été annoncées la semaine dernière ? Ou bien serait-il justifié que l'État ou la sécurité sociale en prenne à titre exceptionnel une partie à leur charge afin de remettre les compteurs à zéro ? Il apparaissait dans de précédentes auditions que le remboursement d'environ un tiers de la dette serait problématique...

Mme Patricia Ferrand. - La question de la dette relève autant des partenaires sociaux que des responsables gestionnaires de l'Unédic. Le régime de l'assurance chômage était bénéficiaire en 2007. Mais la crise qui a suivi a été longue et les partenaires sociaux ont accepté que l'Unédic s'endette pour jouer un rôle d'amortisseur social et économique. Inversement, la convention signée en 2017 prévoyait une réduction des dépenses de l'ordre de 960 millions d'euros par an, afin de revenir à l'équilibre à l'horizon de cinq ou sept ans et de réduire l'endettement si le cycle économique ne se dégradait pas.

L'Unédic contribue aussi à hauteur de 3,5 milliards d'euros au financement de Pôle emploi, soit 10 % de ses ressources, comme le prévoit la loi. Cela représente l'équivalent de son déficit annuel ! Les partenaires sociaux ne remettent pas en cause ce financement, mais ils souhaitent un rééquilibrage entre l'État et l'Unédic. Actuellement, l'État contribue à hauteur d'un tiers et l'Unédic des deux tiers ; les partenaires sociaux souhaiteraient un financement à parts égales. De même, l'estimation, réalisée en 2008, des dépenses actives à 10 % des recettes semble très supérieure aux sommes effectivement dépensées, le financement de Pôle emploi entraînant de ce fait un surcoût pour l'Unédic. Enfin, il faut aussi évoquer la question récurrente des travailleurs transfrontaliers : l'Unédic perd environ 600 millions d'euros chaque année depuis dix ans de ce fait. On espérait une solution, mais le Parlement européen n'a pu se prononcer avant la fin de la session parlementaire.

Ainsi les partenaires sociaux réfléchissent à la dette, à son origine. Ils font preuve de responsabilité et sont attachés à la pérennité du régime et à son équilibre. La crise économique a été particulièrement longue. La convention de 2017 devait rétablir l'équilibre, mais le Gouvernement a fait un autre choix...

M. Éric Le Jaouen. - Je partage ce qui vient d'être dit. Lorsque les partenaires sociaux sont aux manettes, ils agissent avec responsabilité et efficacité, comme ils l'ont montré dans le dossier des retraites complémentaires. Chef d'entreprise, je ne me satisfais pas de l'endettement actuel, mais nous assumons collectivement la décision, prise il y a dix ans, de ne pas aggraver la situation des Français les plus en difficulté. Il est vrai, d'un autre côté, que nous devons aussi assumer certaines dépenses que nous n'avons pas nécessairement acceptées et sur lesquelles nous n'avons pas de levier d'action... L'endettement est élevé, mais il est maîtrisé, et le coût de la dette reste modéré. Les partenaires sociaux gèrent ce régime depuis soixante ans.

Nous avions élaboré un plan de désendettement l'an dernier. La difficulté est que les décisions de gestion sont déconnectées des décisions politiques et que la durée des cycles économiques n'est pas toujours alignée sur celle des mandats. Le choix de l'endettement correspondait à la volonté politique de mener une action contracyclique, avec l'idée implicite de se désendetter en cas de retour à meilleure fortune. C'était le sens du projet nous avions élaboré l'an dernier, qui visait à réduire la dette de plus de moitié...

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - En somme, la situation appellerait d'autres questions, d'ordre politique cette fois !

Mme Michelle Gréaume. - Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 a exonéré totalement la part salariale des contributions d'assurance chômage. Le Gouvernement s'était engagé à compenser l'Unédic intégralement, mais il est revenu sur ce principe dans le PLFSS pour 2019. L'État a-t-il respecté ses engagements en matière de compensation en 2019 ? D'après nos estimations, le coût s'élève à 200 millions d'euros. Avez-vous la garantie que l'État compensera intégralement la perte pour l'Unédic en 2020 ? Sinon, allez-vous réduire certaines dépenses pour compenser ?

Mme Patricia Ferrand. - Pour 2019, le financement de l'exonération semble assuré, avec sans doute une compensation totale. La question se posera l'an prochain, car nous n'avons pas encore reçu l'engagement d'une compensation intégrale en 2020.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - C'est une situation qui concerne plus globalement toute la sécurité sociale.

M. Jean-Noël Cardoux, président. - Les mêmes causes produisent les mêmes effets !

Je vous remercie.

La réunion est close à 19 h 35.