Mardi 2 avril 2024

- Présidence de M. Alain Milon, président -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

La fiscalité des boissons sucrées, l'alimentation grasse ou sucrée - Audition de MM. Jean-Philippe André, président (en visioconférence), et Simon Foucault, directeur des affaires publiques, de l'Association nationale des industries alimentaires, Laurent Oger, directeur général de l'Association internationale des édulcorants, et Mme Hélène Courades, directrice générale de Boissons rafraîchissantes de France

M. Alain Milon, président. - Mes chers collègues, nous nous réunissons aujourd'hui pour une table ronde avec des représentants des producteurs de boissons sucrées et édulcorées et d'aliments dits « de faible qualité nutritionnelle ». Ces auditions se placent dans le cadre des travaux de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) sur la fiscalité comportementale dans le domaine de la santé. Nos collègues Élisabeth Doineau, rapporteure générale, et Cathy Apourceau-Poly, ont en effet été chargées par la Mecss, le 17 janvier dernier, de réaliser un contrôle sur ce thème.

Ce contrôle, qui s'inscrit dans une réflexion sur les politiques de prévention en santé, concerne également la fiscalité du tabac et de l'alcool. Nous avons déjà entendu publiquement les industriels du tabac et la confédération des buralistes le 27 février dernier et les représentants des producteurs de boissons alcoolisées le 19 mars.

Il nous a en effet semblé important, dans un souci de transparence, que les auditions des représentants des différents secteurs soient publiques. Comme c'est l'usage, ces auditions publiques n'empêchent pas les rapporteures de mener leurs propres auditions, qui sont nombreuses : plus de vingt-cinq auditions ont été réalisées ou sont prévues. Nos travaux de cet après-midi font donc l'objet d'une captation télévisuelle, diffusée en direct sur le site du Sénat, puis accessible en ligne. Ils feront également l'objet, comme c'est l'usage, d'un compte rendu public.

Nous avons donc le plaisir d'entendre M. Laurent Oger, directeur général de l'Association internationale des édulcorants (International Sweeteners Association - ISA), Mme Hélène Courades, directrice générale de Boissons rafraîchissantes de France, M. Jean-Philippe André, président de l'Association nationale des industries alimentaires (Ania), en téléconférence, et M. Simon Foucault, directeur des affaires publiques de l'Ania.

Mme Hélène Courades, directrice générale de Boissons rafraîchissantes de France. - Il est important de revenir sur l'ambition et l'efficacité réelle de la fiscalité appliquée aux produits que nous représentons. Le secteur des boissons rafraîchissantes sans alcool, porté par Boissons rafraîchissantes de France, a été précurseur en la matière.

La fiscalité n'est pas forcément le meilleur outil pour lutter contre l'obésité. En effet, la taxe sur les boissons sucrées n'est pas corrélée avec une baisse de l'obésité dans les pays qui l'ont instaurée, que ce soit en France ou ailleurs. Sur le long terme, les habitudes de consommation perdurent. Les consommateurs continuent à consommer les mêmes produits ou les remplacent par d'autres produits « plaisir ». Le nombre de calories consommées ne diminue donc pas forcément, du fait de ce phénomène d'adaptation.

En outre, cette taxe a un impact certain sur les entreprises concernées, qui se trouvent et produisent en France, qu'il s'agisse des petites et moyennes entreprises (PME) ou des grandes entreprises. Nous pourrons demander à nos petites entreprises adhérentes de nous fournir des calculs à ce sujet si vous le souhaitez. L'impact économique de cette fiscalité sur la compétitivité des entreprises, petites et grandes, n'est pas négligeable.

La presse s'est récemment fait l'écho d'un rapport de l'Observatoire de l'alimentation (Oqali), qui aurait souligné l'efficacité de la taxe soda dans la lutte contre l'obésité. En réalité, le rapport souligne : « il n'est pas possible, dans la suite de cette partie, de distinguer les impacts liés à la taxe de ceux liés à l'accord collectif. » Si un impact sur le consommateur est constaté, il est donc impossible de l'imputer à la fiscalité ou à d'éventuels accords sectoriels passés en France ou en Europe sur le sujet. Gardons-nous des conclusions hâtives.

M. Laurent Oger, directeur général de l'Association internationale des édulcorants. - L'ISA est une association internationale qui intervient à l'échelle mondiale, européenne et française. Nous n'avons pas pu répondre à certaines questions du questionnaire que vous nous avez transmis faute d'avoir accès à des informations précises sur le marché français. Nous représentons les producteurs et les utilisateurs de substances édulcorantes qui peuvent être utilisées en tant qu'ingrédients dans des produits ou des boissons ainsi que les producteurs d'édulcorants de table, qui sont des produits autonomes. Notre association a une approche scientifique et s'efforce de promouvoir les informations les plus qualitatives et les plus à jour possible sur les aspects sécuritaires et nutritionnels de nos produits.

Les édulcorants à faible teneur en calories ont été soumis à la fiscalité comportementale sans que leurs avantages soient pris en compte. Or ils peuvent contribuer, dans le cadre d'un régime équilibré, à apporter un goût sucré tout en préservant un bon apport calorique. Ils présentent également d'autres avantages sur le plan glycémique, par exemple pour les personnes souffrant de diabète, ou en matière de santé bucco-dentaire, leur consommation n'étant pas cariogène. Il est donc regrettable et assez contradictoire d'inclure ces ingrédients dans la liste des produits soumis à une taxe comportementale, d'autant que cela brouille et teinte négativement le message adressé aux consommateurs.

M. Jean-Philippe André, président de l'Association nationale des industries alimentaires. - Le sujet, de quelque manière qu'on le traite, touche à la première industrie de notre pays. L'industrie agroalimentaire rassemble en effet 450 000 emplois et 19 000 entreprises.

Nous ne sommes pas favorables à l'instauration d'une taxe. Il y va de la santé économique de notre secteur, d'autant que les chiffres de la compétitivité ne sont pas bons depuis plusieurs années. Ainsi, l'industrie alimentaire a diminué de moitié sa part de marché à l'export. De plus, nous essayons de convaincre plusieurs groupes étrangers de continuer à investir en France. Il est essentiel de leur donner de la visibilité en matière fiscale. Ne ravivons pas l'image d'une France qui chercherait à résoudre le moindre problème par l'instauration d'une taxe supplémentaire. En outre, l'activité des entreprises est compliquée par la période d'hyperinflation que nous traversons. Près de 20 % seulement des 75 plus grandes entreprises de l'agroalimentaire ont connu une augmentation de leur activité en volumes en 2023.

Certains pays, comme le Danemark, sont revenus en arrière après avoir instauré une taxe sur les graisses, faute d'une réelle efficacité et du fait du lancement d'importations parallèles.

Par ailleurs, personne n'a le monopole de la lutte contre l'obésité. Lorsque j'étais président exécutif d'Haribo France, j'ai toujours eu à l'esprit le souci de développer mon entreprise, tout en prenant en compte les enjeux de santé publique tels que l'obésité, dont les causes sont multifactorielles.

L'alimentation représente en moyenne 15 % du budget des ménages, mais elle compte davantage dans le budget des catégories socioprofessionnelles inférieures, dites « CSP moins ». Une taxe serait particulièrement pénalisante pour ces consommateurs et citoyens. En outre, nos entreprises sont déjà très taxées. Je ne crois donc pas que cette fiscalité soit une solution.

Les produits de l'industrie agroalimentaire française sont appréciés et enviés à l'étranger. Or un mouvement de « food bashing » se développe depuis plusieurs années. Nous avons tendance, en France, à nous autoflageller sur des aspects de notre économie que le monde nous envie. Sans nier le problème qu'il est question ici de traiter, passer par une taxe ne me paraît pas la bonne solution.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Cathy Apourceau-Poly et moi-même avons conscience de l'importance des industries alimentaires sur notre territoire, mais, en tant que membres de la commission des affaires sociales, nous nous soucions particulièrement de la santé de nos concitoyens. Chacun doit pouvoir faire une activité physique et bien se nourrir.

La mission d'information qui nous a été confiée a trait à la fiscalité comportementale, appliquée à un champ très vaste couvrant tant le tabac et l'alcool que les boissons sucrées et les aliments trop gras, trop salés ou trop sucrés. Toutefois, il existe d'autres leviers pour réduire les risques associés à ces substances, pour améliorer la santé des Français et, à long terme, réduire les dépenses de santé. C'est un enjeu important, le déficit de la sécurité sociale étant dû en grande partie à celui de l'assurance maladie.

Vous dites que la fiscalité n'entraîne pas forcément des comportements plus vertueux, mais, en ce cas, que proposez-vous ? Vos industries travaillent-elles avec des professionnels de la santé, des diététiciens, par exemple, ou des dentistes, pour améliorer la santé de nos concitoyens ? Sur quels leviers d'action travaillez-vous pour un meilleur comportement alimentaire ?

Mme Hélène Courades. - S'il existait un antidote magique pour lutter contre l'obésité, cela se saurait et nous nous efforcerions de l'obtenir. C'est un ensemble d'outils qui permettra de lutter contre ce fléau, qui est multifactoriel. Le premier outil est l'éducation nutritionnelle. Les gens doivent être conscients de la nécessité d'avoir une consommation raisonnée et raisonnable de nos produits, dans le cadre d'un mode de vie sain. Une charte alimentaire sur la publicité a été rédigée à cette fin avec l'Ania.

Un travail est en cours au sein de Boissons rafraîchissantes de France pour réfléchir à l'avenir, dans lequel nos adhérents sont pleinement mobilisés. Je serai ravie de venir vous en présenter les conclusions dès qu'il aura abouti à des engagements concrets. Nous travaillerons sur la question de la réduction du taux de sucre en France et en Europe, et sur la publicité au moyen de la charte alimentaire travaillée avec l'Ania. Chaque entreprise développe également ses propres bonnes pratiques. Nous ne demandons qu'à discuter avec vous si des pistes de travail sont identifiées, pour aller au-delà de ces démarches.

M. Laurent Oger. - Un effort de reformulation a été engagé par certaines entreprises pour changer le profil et la composition de certains produits. Des efforts continus sont menés, pour réduire notamment le taux de sucre.

L'éducation nutritionnelle est également très présente dans nos campagnes de communication. La journée mondiale pour la santé bucco-dentaire a eu lieu récemment, tout comme la journée mondiale contre l'obésité. Un travail important est mené pour rassembler des informations claires sur ces sujets et promouvoir un mode de consommation sain et équilibré. Nous relayons les messages des experts en nutrition.

Enfin, certains projets de recherche au long cours sont suivis par l'ISA en partenariat avec des universités, dont les protocoles ont été publiés. Nous espérons que leurs résultats participeront à la discussion, en toute transparence.

M. Jean-Philippe André. - Dans nos affaires, nous cherchons l'efficacité, en toute responsabilité. Si nous ne sommes pas favorables au déploiement de nouvelles taxes, nous sommes prêts à vous soutenir et à vous présenter nos pistes de travail. La première a trait à la reformulation de gamme. L'un des principaux adhérents de Boissons rafraîchissantes de France a bien montré qu'il était possible de reformuler une gamme sans perdre en efficacité commerciale. Le brasseur que j'ai été peut ainsi témoigner que la bière sans alcool, devenue aujourd'hui un produit tendance, a eu initialement du mal à s'imposer. Or la qualité de certaines bières sans alcool concurrence désormais celle de certaines bières traditionnelles. De même, dans une gamme comme celle de l'entreprise que je représente, en confiserie, nous avons introduit progressivement des produits présentant 30 % de sucre en moins. Ce type de reformulation de gamme mériterait d'être généralisé.

Il est également possible de modifier les recettes de manière générale. En dix ans, toutes les recettes des produits de grandes marques ont évolué. Nous sommes condamnés à nous adapter aux goûts du consommateur. C'est la deuxième piste à explorer.

La troisième piste porte sur la portion. Lorsque je suis arrivé chez Haribo en 2006, la taille standard de packaging proposé au consommateur était de 300 grammes. Nous courions alors le risque que ces 300 grammes soient consommés par une seule personne en une ou plusieurs fois. Or en quinze ans cette portion est passée à moins de 200 grammes. La portion devient ainsi un élément d'information donné aux consommateurs. Tout ce qui touche à l'offre de gamme, à l'évolution des recettes et à la portion peut donc aider à faire évoluer les choses.

Nous pouvons agir ensuite sur l'éducation. L'équilibre alimentaire n'est pas un élément naturel dans les foyers « CSP moins », les plus exposés aux risques dont nous parlons. L'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) a demandé à l'Ania il y a quelques années de participer à des campagnes d'information. Nous avons donc produit, grâce à l'argent de nos adhérents, des spots publicitaires d'information coconstruits avec les effectifs de l'Arcom. Nous pourrions imaginer en faire de même avec d'autres structures. Il est de notre intérêt que les gens soient bien informés.

Certaines initiatives ne sont pas encore abouties, comme le Nutriscore. Nous sommes favorables, à ce propos, à un dispositif de dimension européenne, pour ne pas stigmatiser un pays par rapport à un autre.

Nous soutenons également plusieurs initiatives. La grande majorité de nos adhérents qui sont annonceurs ont adhéré à l'European Union Pledge (EU Pledge), code de conduite par lequel ils s'engagent à ne plus diffuser de publicités auprès des enfants de moins de 13 ans. Nous avons signé aussi une charte avec l'Arcom, dont l'application s'achève en 2024. Presque plus aucun annonceur n'est présent sur les écrans destinés aux enfants. Nous travaillons à présent sur les engagements que prendra l'industrie agroalimentaire pour la charte Arcom couvrant les années 2025 à 2028.

Enfin, il existe également des initiatives comme l'opération Vivons en forme (VIF), qui m'a surpris par ses résultats. Le fonds de dotation Vivactéo va être lancé en 2024. Il concerne quatre ministères : le ministère de la santé et de la prévention, le ministère délégué chargé des collectivités territoriales et de la ruralité, le ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et le ministère délégué chargé de l'industrie et de l'énergie. Pas moins de 270 villes sont adhérentes au programme VIF. Les taux de surpoids et d'obésité ont diminué fortement dans certaines d'entre elles, par exemple à Saint-André-lez-Lille, de 40 % en sept ans. Ces initiatives vont dans le bon sens.

Ces dispositifs ne sont pas coercitifs. Nous nous sommes mis d'accord récemment avec Mme la ministre Olivia Grégoire pour travailler sur l'Origine-score. Certes, ces démarches prennent du temps, mais « à te regarder, ils s'habitueront », écrivait René Char. Une entreprise qui verrait les résultats de ces initiatives et prendrait le risque de ne pas les soutenir risquerait de le payer cher.

Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. - Le professeur Philippe Froguel, qui dirige PreciDIAB, un centre spécialisé dans le traitement du diabète, m'a dit que, si le taux de diabète avait diminué de 20 % après l'épidémie de covid-19, cela tenait aussi au fait qu'il avait explosé durant cette période en raison de l'arrêt imposé de l'activité physique et sportive.

Venant du Pas-de-Calais, marqué par la désindustrialisation, je suis sensible aux catastrophes sociales qu'elle est susceptible d'entraîner. L'industrie alimentaire est très importante dans nos départements. Nous savons quelles conséquences les licenciements peuvent avoir sur la santé des personnes concernées.

Les reformulations se font-elles régulièrement ? Comment procédez-vous pour reformuler les produits ?

Des études sont menées, notamment à Lille par le professeur Storme, sur les 1 000 premiers jours de l'enfant. Travaillez-vous avec ces professeurs de médecine sur des produits nouveaux ? Les 1 000 premiers jours sont notamment ceux de la découverte du goût. Reformulez-vous des produits nouveaux pour qu'ils soient moins riches en gras et en sucre ?

Mme Hélène Courades. - Des engagements ont été pris par Boissons rafraîchissantes de France pour baisser de 5 % le taux de sucre de ses produits entre 2010 et 2015. Je pourrai vous transmettre des tableaux à ce sujet. En Europe, le taux de sucre a diminué de 10 % entre 2000 et 2015, puis de 10 % supplémentaires entre 2015 et 2019. Une nouvelle diminution de 10 % intervient sur la période actuelle, entre 2019 et 2025. Les boissons ont donc fortement évolué.

Aucune reformulation particulière n'est prévue en lien avec les 1 000 premiers jours de l'enfant. J'espère que les enfants de cet âge ne consomment pas les produits que je représente ! Nous revenons à l'éducation nutritionnelle. Il revient aux parents de donner à leurs enfants une alimentation équilibrée.

Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. - Les 1 000 premiers jours, cela va quasiment jusqu'à 3 ans.

Mme Hélène Courades. - C'est une question d'éducation à la consommation raisonnable du produit, qui doit rester un produit « plaisir » dans un cadre sain et équilibré. Nous pouvons tout à fait envisager de creuser ce sujet avec les professionnels dont vous parliez.

Ce qui a été dit précédemment illustre bien les injonctions contradictoires auxquelles font face les industriels. Les édulcorants sont présentés comme des outils pour reformuler nos produits, mais ils sont aussi taxés. De même, certains demandent la fin des petits formats de canette, pour réduire le nombre d'emballages. J'en ai discuté récemment avec le ministère de la transition écologique, dans le cadre de la responsabilité élargie du producteur (REP). Les petits formats sont pénalisés financièrement, alors qu'ils ont été développés pour limiter la consommation de nos produits. Nos adhérents ont besoin de clarté à ce sujet. La direction générale de la prévention des risques (DGPR) nous a dit qu'elle se rapprocherait de la direction générale de la santé (DGS). Nous en sommes là.

M. Laurent Oger. - En ce qui nous concerne, un texte européen interdit les édulcorants pour les produits destinés aux enfants de moins de 3 ans.

M. Jean-Philippe André. - La diminution du portionnage s'avère en effet antinomique avec les objectifs poursuivis par certains ministères.

S'agissant des 1 000 premiers jours de l'enfant, l'Ania vient de lancer un plan de travail dont l'un des axes consiste à analyser, de manière plus fine et plus scientifique qu'à l'heure actuelle, le phénomène de l'obésité, et à se pencher sur l'éducation des enfants à l'alimentation. La réflexion devrait d'ailleurs s'élargir à l'éducation des enfants à l'utilisation des écrans au cours de ces 1 000 premiers jours.

Concernant le risque d'une catastrophe sociale, notre industrie est très résiliente, ce qui devrait dissiper vos inquiétudes, madame la sénatrice. Les entreprises ont en effet appris à répondre à toutes les demandes, même lorsque celles-ci viennent contrarier le développement des affaires. J'adopterai même un angle d'interrogation différent : comment pourrions-nous faire en sorte que les entreprises agroalimentaires, bien plus légitimes que leurs concurrentes étrangères, deviennent, dans votre circonscription et au-delà, un atout qu'il convient de développer ?

Mme Émilienne Poumirol. - Vous avez parlé d'éducation : quel pourcentage de votre budget y consacrez-vous réellement ?

Pour ce qui est des injonctions contradictoires, fabriquer de plus petites boîtes génère bien davantage d'emballages, mais du point de vue des industriels, passer d'un paquet de 300 grammes à un paquet de 100 grammes qui sera vendu au même prix me semble être intéressant.

Permettez-moi donc de ne pas être tout à fait persuadée - voire suspicieuse - de vos intentions lorsque vous tentez de nous faire croire que vous produisez de plus petits paquets pour défendre la santé de nos enfants. L'argument ne me convainc pas du tout, le réel objectif tenant davantage à la recherche du profit et à la volonté de lutter contre des taxes qui vous dérangent toujours, alors qu'elles nous paraissent intéressantes et qu'elles ont contribué à améliorer les comportements en matière d'alimentation.

Si les produits ultra-transformés focalisent l'attention, j'espère que l'éducation jouera un rôle bénéfique en matière d'alimentation. Comme l'a rappelé Élisabeth Doineau, les dépenses de santé deviendront insoutenables si nous n'accomplissons pas des progrès suffisants dans la prévention de pathologies chroniques - diabète, obésité, insuffisance rénale, insuffisance cardiaque - qui grèvent les comptes de la sécurité sociale.

Mme Hélène Courades. - Je ne saurais vous répondre précisément sur le budget alloué par chaque entreprise. L'éducation passe avant tout par l'information fournie sur les emballages, et Boissons rafraîchissantes de France - membre de l'Ania - ne mène pas d'actions d'éducation à proprement parler. Notre syndicat ne compte que deux salariés, ce qui limite nos possibilités d'action.

M. Jean-Philippe André. - Nous vous fournirons les chiffres pour nos actions d'éducation. L'action la plus claire et la plus quantifiable renvoie à la participation des annonceurs de l'Ania à des campagnes d'information, à la production et à la diffusion de messages d'éducation. Une fois encore, nous avons fait part de notre disponibilité à l'Arcom pour renouveler et renforcer cet effort : nous ne pouvons pas nous opposer à une taxe nutritionnelle sans nous mobiliser dans le même temps pour ces campagnes.

Par ailleurs, votre question sur la réduction des portions est en effet particulièrement soupçonneuse, mais c'est de bonne guerre et j'accepte volontiers ce débat. J'y répondrai en indiquant qu'un industriel peut fort bien chercher à atteindre deux objectifs concomitants, en développant ses affaires de manière harmonieuse, au bénéfice des actionnaires et des salariés d'une part ; en agissant de manière responsable, d'autre part. Ainsi, nous ne sommes plus présents sur les écrans destinés aux enfants depuis plus de dix ans et avons retiré des additifs de nos produits alors que personne ne nous y avait contraints. L'activité s'est-elle arrêtée pendant cette période ? Non, elle s'est même, au contraire, développée, et je pense que nous devrions développer cet état d'esprit dans le pays.

De plus, je tiens à vous assurer que les paquets de 300 grammes et ceux de 175 grammes sont vendus à un prix différent, ce qui ne nous empêche pas de chercher à vendre davantage les seconds, afin d'élargir notre gamme et de prendre des parts de marché à des concurrents qui n'auraient pas fait les mêmes choix. La très grande majorité des entreprises ont à coeur de développer ce modèle vertueux.

Mme Christine Bonfanti-Dossat. - Mme Courades a affirmé que la taxe sur les boissons sucrées n'était pas corrélée à la réduction de l'obésité dès lors que certaines habitudes ont été prises. Or cette taxe a permis, dans de nombreux pays, de réduire la consommation de ce type de boissons et de réinvestir les sommes dégagées dans des programmes de prévention. Pourquoi une taxe comportementale, qui a donné des résultats probants avec le tabac, ne fonctionnerait-elle pas pour les boissons sucrées ?

Par ailleurs, les taxes appliquées aux édulcorants s'appliquent-elles aux édulcorants naturels tels que la stévia ?

Mme Hélène Courades. - Dès lors qu'une taxe est instaurée ou augmentée, on observe une baisse de la consommation à court terme, mais celle-ci est ensuite suivie d'une nouvelle augmentation après une phase d'accoutumance au nouveau prix.

Mme Christine Bonfanti-Dossat. - Le consommateur pourrait ne pas revenir vers ce type de produits s'il constate que la réduction de consommation a été bénéfique pour sa santé.

Mme Hélène Courades. - La diminution de la consommation ne s'accompagne pas d'une réduction du nombre de calories consommées, ce qui signifie que le consommateur boit ou mange d'autres produits en substitution aux boissons sucrées. C'est pourquoi l'outil fiscal ne semble pas nécessairement efficace sur le long terme : je note que le Chili et le Mexique, qui ont instauré une taxe sur les sodas élevée, affichent également de forts taux d'obésité. Si une taxe peut être l'un de leviers de lutte contre l'obésité, elle ne constitue à l'évidence pas la panacée.

M. Laurent Oger. - Une partie des édulcorants sont à faible teneur en calories ou sans calories - dont les fournisseurs sont représentés au sein de l'ISA - et une autre partie se situe sur un spectre plus proche de celui du sucre en termes de pouvoir sucrant. Un certain nombre de produits de cette seconde catégorie ne sont pas taxés.

Par ailleurs, je ne pourrais pas, en tant que représentant d'un syndicat professionnel, vous communiquer un budget précis concernant les actions en faveur de l'éducation, les adhérents développant différentes stratégies. Je vous assure néanmoins que nous menons très régulièrement des campagnes et des actions, accessibles en ligne.

M. Jean-Philippe André. - Le cas du Chili est assez emblématique : le taux de la taxe soda, instaurée en 2014, a d'abord été fixé à 13 %, puis porté à 18 % en 2016. Une étude consacrée à ce pays montre que la consommation de boissons sucrées y a chuté de 25 %, mais que le taux d'obésité a continué à y croître fortement jusqu'à atteindre 74 % en 2019, soit un record mondial. J'ajoute que ces mesures fiscales ont eu un impact direct sur les consommateurs les moins aisés, ce qui permet de constater qu'une augmentation de la taxe a parfois des effets contre-intuitifs.

Mme Anne-Sophie Romagny. - Une fois n'est pas coutume, j'ai eu la même réflexion que Mme Poumirol lorsque vous avez évoqué la réduction des portions, dont le prix n'a pas nécessairement diminué en conséquence.

En revanche, je salue les entreprises du secteur agroalimentaire qui, au nom de la liberté, peuvent proposer des produits sucrés, des produits avec réduction de sucre et des produits sans sucre. Il me semble nécessaire d'encourager la liberté de choix entre ces produits plus ou moins sucrés, puisque c'est bien l'excès, en toute chose, qui pose problème, à l'image de l'alcool. Doit-on interdire ou surtaxer dès lors que la consommation est raisonnable ?

Avez-vous réalisé des sondages afin de mesurer l'appétence des consommateurs pour les produits moins sucrés ? Se dirigent-ils davantage vers ces derniers ?

Mme Hélène Courades. - Une étude avait été réalisée en 2019 par le Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Crédoc), mais ces données sont désormais obsolètes. Une nouvelle étude doit être lancée auprès des consommateurs dans les prochaines semaines et nous disposerons des résultats complets d'ici à la fin de l'année, voire en début d'année prochaine. Il existe une réelle diversité de produits, mais je ne peux guère vous répondre à ce stade.

M. Jean-Philippe André. - Certaines entreprises ont décidé de faire des produits à teneur en sucre réduite les premiers de leur gamme : le premier segment du plus grand brasseur mondial, Budweiser, est ainsi celui de la bière légère, la Budweiser light. De la même manière, le Coca-Cola zéro est devenu le produit vedette de la gamme.

Pour ce qui concerne la confiserie, nous avons lancé des produits contenant 30 % de sucre en moins en pensant d'abord qu'ils resteraient cantonnés à une niche, mais une gamme s'est peu à peu constituée. Il me semble essentiel, à l'avenir, de donner le choix au consommateur sur des gammes de grandes marques, représentées au sein de l'Ania. De ce point de vue, une charte permettrait de s'assurer que toutes les grandes marques offrent une alternative aux consommateurs, leur permettant, avec des conseils d'alimentation, d'éclairer leurs choix.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Ces dernières années, les boulangers ont mis en oeuvre une politique consistant à réduire la quantité de sel dans le pain, ce à quoi les consommateurs se sont habitués. Des produits tests tels que la bière sans alcool pourraient être utilisés pour éduquer et responsabiliser les consommateurs, plus ou moins au fait, selon leur niveau d'études, des bienfaits d'une alimentation saine pour leurs enfants.

Les jeunes parents diplômés ne donnent ainsi généralement pas de sucre à leurs enfants avant l'âge de 3 ans, contrairement aux pratiques de la génération précédente, ce qui forcera les professionnels à proposer des produits transformés contenant moins de sucre, moins de sel et moins de gras. À l'inverse, les familles plus précaires peinent à appréhender les préconisations formulées en termes d'alimentation, et c'est en leur sein que l'on trouve le plus souvent des enfants atteints d'obésité ou surconsommant certains produits.

Des produits tests pourraient donc être utilisés, de manière à la fois éducative et ludique, afin de conseiller les enfants, quelle que soit la famille dans laquelle ils vivent.

M. Jean-Philippe André. - Je partage tout à fait votre approche : il faut donner des opportunités à certains produits et offrir le choix au consommateur, une démarche préférable à des injonctions telles que de nouvelles taxes, traditionnellement utilisées en France. Il faudra observer les résultats des gammes enrichies par des produits différents sur une période de trois à cinq ans, mais je pense qu'ils iront inévitablement dans le bon sens.

M. Simon Foucault, directeur des affaires publiques de l'Association nationale des industries alimentaires. - Les industriels de l'alimentaire se sont engagés de diverses manières, avec notamment la diminution du taux de sel dans le pain que vous avez mentionnée. Dans le cadre du programme national nutrition santé (PNNS), les industriels peuvent signer des chartes d'engagement visant à améliorer la qualité nutritionnelle de leurs produits. Depuis 2007, 35 chartes de ce type ont été signées, ce qui traduit la bonne volonté des acteurs en vue d'améliorer la qualité de l'offre alimentaire.

Nous sommes prêts à aller plus loin dans ces engagements et à vous accompagner pour atteindre des objectifs chiffrés, mais il faudra également nous aider, notamment en créant des espaces de discussion : le droit de la concurrence rend parfois malaisée la réunion de l'ensemble des acteurs d'un secteur donné autour de la même table. Une fois encore, les industriels sont prêts à s'engager.

Mme Hélène Courades. - Le rapport de l'Observatoire de l'alimentation, consacré non pas à la consommation, mais aux produits mis sur le marché, montre une évolution au niveau des produits sans sucre, avec ou sans édulcorants, les industriels procédant à des études lorsqu'ils lancent un produit. Plus largement, l'obésité est multifactorielle, et il convient d'y répondre par une palette d'actions, dont la diversité des produits offerts et l'éducation nutritionnelle.

M. Laurent Oger. - Les édulcorants ne sont que l'un des outils à disposition de l'industrie pour proposer une nouvelle offre. Nous nous trouvons dans une situation paradoxale dans la mesure où certains efforts de reformulation peuvent être pénalisés par cette taxe, ce qui n'est guère incitatif pour les industriels. Je pense aussi à la récente évolution du Nutriscore, qui aboutit à faire changer de classe une boisson en raison de la simple présence d'un édulcorant, sans lien avec le taux. Nous ne comprenons ni la logique ni les bases scientifiques d'une telle décision.

M. Alain Milon, président. - Je vous remercie pour l'ensemble des réponses que vous nous avez apportées. Je tiens à rappeler que la mise en place de cette évaluation fait suite au constat d'une augmentation importante des dépenses de santé, notamment liée à une forte hausse du nombre de cas de diabète de tous types - la sécurité sociale évoque une augmentation du nombre de diabétiques de l'ordre de 1 million par an -, d'obésité et d'hypertension artérielle.

Notre objectif consiste à enrayer ce phénomène, qui entraîne un déséquilibre des comptes de la sécurité sociale, et non pas à proposer une augmentation de la taxation, je tiens à vous rassurer sur ce point. Nous avons en effet constaté depuis longtemps, en particulier dans le domaine alimentaire, que celle-ci n'entraîne pas une diminution du nombre de diabétiques et d'obèses, et qu'il convient plutôt de travailler avec vous afin de diminuer la quantité de sucre présente dans les aliments. Nous entendons faire des propositions en ce sens.

Pour terminer avec une question qui détendra l'atmosphère, êtes-vous l'auteur du slogan - terriblement efficace, mais terriblement dangereux - « Haribo, c'est beau la vie » ?

M. Jean-Philippe André. - Le slogan complet est « Haribo c'est beau la vie, pour les grands et les petits », mais je n'en suis pas l'auteur. Nous avons énormément développé le chiffre d'affaires de la société, dans l'intérêt à la fois des consommateurs et des salariés, qui bénéficient d'un système d'intéressement égalitaire dans lequel chacun, du balayeur au président, perçoit la même somme. Ce choix, ajouté à nos engagements sur la nature des produits, donne une cohérence globale à nos orientations.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 17 h 45.