Auditions du 15 janvier 1998

##Jeudi 15 janvier 1998## - **Présidence de M. Marcel-Pierre Cléach, vice-président - La commission d'enquête a tout d'abord procédé à l'audition de M. Michel Freyche, président de l'Association française des banques (AFB), de M. Patrice Cahart, délégué général, et de M. Olivier Robert de Massy, directeur des affaires sociales.

M. Michel Freyche a tout d'abord déclaré que la banque était une industrie de main-d'oeuvre, regroupant environ 400.000 personnes, dont 210.000 dans les banques AFB. Il a précisé que le coût de la main-d'oeuvre représentait au moins 50 % du produit net bancaire, pour les établissements les plus performants. Il a indiqué que cette industrie s'efforçait d'assurer sa survie et son indépendance et qu'avec des résultats d'exploitation largement inférieurs à ceux de ses voisins, elle était actuellement exposée à des risques de rachat par ses compétiteurs étrangers.

Il a ensuite indiqué que la banque avait une convention collective et des accords d'entreprise qui conduisent à une durée effective de 37 heures et demie, ce à quoi il fallait ajouter un taux d'absentéisme plus fort que dans les autres industries, de l'ordre de deux heures par semaine et par employé.

M. Michel Freyche a ensuite fait observer l'importance des succursales dans l'industrie bancaire et souligné le rôle joué par les agences qui sont les unités économiques de base. Ces agences pouvaient être comparées à des petites et moyennes entreprises (PME), dans la mesure où 75 % d'entre elles emploient moins de 10 salariés. Or, dans les agences, et pour les mêmes raisons que dans les PME, il est très difficile de réduire les horaires de travail. La conséquence en est que les horaires des guichets n'augmenteront pas, mais qu'un certain nombre d'agences, toutes celles qui sont à la limite du seuil de rentabilité, seront fermées, car le surcoût, quel qu'il soit, de 2,5 % ou de 5 %, les ferait passer à environ 10 % au-dessous de ce seuil. Cela poserait le problème de l'affectation de leurs personnels, au moment même où la profession est en situation de sureffectifs.

En réponse à M. Jean Arthuis, rapporteur, M. Michel Freyche a indiqué que les banques employaient un nombre élevé de cadres, près de 50 % en moyenne, et que ce taux pouvait même atteindre 60, voire 70 % dans certaines banques d'affaires. Il a déclaré que les délocalisations de cadres étaient très variables d'une entreprise à l'autre, mais que certains établissements français avaient d'ores et déjà davantage de cadres à Londres qu'à Paris, ce qui s'explique très bien selon lui, dans la mesure où le coût d'un cadre supérieur, toutes charges comprises, est trois fois inférieur en Angleterre que dans notre pays.

Il a fait observer qu'il existait une forte demande de postes à l'étranger émanant soit des cadres les plus jeunes qui considèrent désormais normal d'avoir une expérience internationale, soit de cadres plus anciens qui souhaitent échapper à la rigueur de la fiscalité française et disposer d'un revenu net plus important.

Il a ensuite déclaré, s'agissant du temps de travail des cadres, que ceux-ci auto-géraient leurs horaires et, dans l'immense majorité des cas, travaillaient effectivement beaucoup plus que 39 heures par semaine. Il a relevé que les cadres, pas plus que les autres salariés, n'étaient demandeurs d'une réduction de leur durée du travail et que leurs préoccupations principales étaient de conserver leur emploi et d'accroître leurs salaires.

Enfin, il a considéré que le marché unique était une création d'inspiration libérale et qu'il fallait en accepter les règles. Il a conclu en ajoutant que les entreprises qui s'en sortent le mieux sont celles qui ont su organiser la flexibilité.

En réponse à M. Marcel-Pierre Cléach, président, M. Michel Freyche a déclaré que l'ouverture des banques était désormais possible le samedi matin grâce à l'abrogation du décret de 1937, mais que la souplesse qui avait été enfin retrouvée dans ce domaine risquait fortement d'être compromise par la loi sur les 35 heures.

Il a également indiqué qu'à la suite des contacts engagés par le patronat bancaire avec les différentes organisations syndicales, il apparaissait clairement que celles-ci n'étaient pas prêtes à accepter une réduction des salaires et que même leur gel pourrait poser des problèmes. En revanche, il a fait observer que les salariés comprenaient de plus en plus la nécessité d'avoir une vraie hiérarchie des salaires.

M. Patrice Cahart, revenant sur le sujet de l'expatriation des cadres, a souhaité indiquer que les banques françaises avaient, globalement, cessé de créer des emplois en France et que la majorité des nouvelles créations de postes s'effectuaient à Londres.

M. Michel Freyche a ensuite déclaré que le projet de loi avait pratiquement mis fin aux négociations en cours depuis 18 mois sur les salaires et la réduction du temps de travail.

Un débat s'est ensuite engagé auquel ont participé MM. André Jourdain, Yann Gaillard et Jean Arthuis, rapporteur.

M. Michel Freyche a de nouveau souligné que la tendance à l'expatriation était forte et ceci non seulement chez les cadres bancaires, mais également parmi les créateurs d'entreprise. Il a indiqué que tous ne rêvaient que du NASDAQ (National association of securites dealers by automated quotations) et non pas du Nouveau marché. A cette occasion, M. Olivier Robert de Massy a ajouté que l'on sous-estimait l'effet sur l'emploi de ces phénomènes de délocalisation dans la mesure où un emploi de cadre génère, en moyenne, entre un et trois emplois dans les services connexes.

M. Michel Freyche a par ailleurs indiqué que la négociation en cours de la convention collective était pervertie puisque les syndicats s'attendaient désormais à obtenir tout ce qu'ils souhaitaient par l'intervention de l'Etat et que dans ces conditions, l'AFB envisageait de dénoncer la convention collective en vigueur afin de permettre le retour à une vraie négociation. Il a encore exprimé le souhait que l'Etat laisse les partenaires sociaux s'exprimer, afin que puisse être prise en compte la diversité des situations entre les branches, les établissements, voire au sein même des établissements.

**Puis, la commission a procédé à l'audition de M. Claude Cochonneau, administrateur de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), accompagné de M. Arnold Brum, chef du service des affaires sociales.

M. Claude Cochonneau a déclaré que l'agriculture était de plus en plus exposée à la pression des marchés, notamment pour ce qui est des fruits et légumes et que la compétitivité des producteurs était très dépendante du coût du travail qui représentait 50 à 60 % des coûts de production.

Il a déclaré qu'il était difficile aux chefs d'exploitation de réduire de quelques pour cent la durée du travail alors que la majorité d'entre eux n'avait qu'un ou deux employés. Il a néanmoins évoqué la possibilité de développer l'emploi partagé notamment à travers les groupements d'employeurs.

M. Claude Cochonneau a fait part de sa crainte quant à une augmentation du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) et a réaffirmé son souhait que la question de la compensation salariale soit réglée par la négociation. Après avoir remarqué que son organisation restait très sensible à la question du chômage, il a tenu à faire part de ses réserves quant au projet du Gouvernement de ramener de 39 à 35 heures la durée légale du travail hebdomadaire. Il a considéré que la signature de son organisation au bas de la déclaration commune du comité de liaison des décideurs économiques (CLIDE) illustrait l'inquiétude des entrepreneurs agricoles qui se voient demander d'entrer dans l'économie libérale en ayant à supporter des contraintes que ne rencontraient pas leurs concurrents.

En réponse à une question de M. Marcel-Pierre Cléach, président, M. Claude Cochonneau a déclaré qu'il était prêt à signer des accords d'annualisation du temps de travail et à favoriser le travail partagé notamment dans le cadre des groupements d'employeurs. M. Arnold Brum a ajouté que les accords déjà signés sur ce sujet laissaient une grande liberté à l'employeur. Il a également reconnu que la création d'emplois serait plus aisée à réaliser dans les grosses structures coopératives ou mutualistes.

M. Arnold Brum a considéré que le projet de loi n'était pas de nature à créer des emplois et qu'il se présentait au contraire comme un facteur pouvant favoriser le développement du travail clandestin.

En réponse à une autre question de M. Marcel-Pierre Cléach, président, M. Arnold Brum a déclaré que les attentes des salariés consistaient plus en un souhait de faire des heures supplémentaires que de passer aux 35 heures.

En réponse à une question de M. André Jourdain, M. Arnold Brum a déclaré que le développement du multisalariat était possible mais qu'un salarié ne devait pas travailler pour plus de deux ou trois employeurs. Il a évoqué des partenariats avec les collectivités locales, les commerçants et les artisans. Il a également souligné que plusieurs contrats à temps partiel pouvaient être cumulés.

Répondant à M. Daniel Percheron sur le risque qu'une libéralisation du marché du travail remette en question le système administré que représente la politique agricole commune (PAC), M. Claude Cochonneau a déclaré que de nombreux producteurs étaient déjà confrontés à la réalité du marché mondial.

M. Jean Arthuis, rapporteur, a ajouté que les secteurs qui créaient le plus d'emplois étaient les secteurs les plus exposés à la concurrence. Il a estimé qu'il existait un double risque de délocalisation des activités : vers l'étranger et vers la clandestinité.

M. Arnold Brum a confirmé ce risque en soulignant que le nombre de travailleurs saisonniers étrangers était très supérieur aux chiffres officiels et que le mécanisme des travailleurs détachés battait en brèche le code du travail en faisant travailler en France des salariés de droit étranger qui bénéficiaient d'un statut beaucoup moins favorable.

**Enfin, la commission d'enquête a procédé à l'audition de M. Jean Catherine, représentant de l'Association nationale des directeurs et cadres de la fonction personnel (ANDCP).

Après avoir rappelé que l'ANDCP regroupait 4.000 directeurs de ressources humaines dans l'ensemble de la France, M. Jean Catherine a examiné les conséquences financières, économiques et sociales de la décision de réduire la durée hebdomadaire légale du travail à 35 heures.

Au titre des conséquences financières, il a rappelé qu'un calcul sommaire conduisait à une augmentation du coût du travail, selon les hypothèses, de 11,4 % ou de 2,6 %, si l'entreprise continuait à appliquer les 39 heures.

Il a observé que le coût de l'abaissement de la durée du travail pouvait être inférieur si les salaires subissaient un gel ou une réduction. Cela pourrait notamment se produire si l'entreprise retardait les échéances d'augmentation des salaires.

Il a aussi remarqué qu'en matière de recrutement, les aides de l'Etat avaient parfois des effets d'aubaine.

Au titre des conséquences économiques, M. Jean Catherine a vu dans le projet de loi la possibilité de mieux organiser le travail et d'améliorer les résultats des entreprises en recourant plus largement à la flexibilité du travail. Il a constaté que le code du travail contenait de nombreuses dispositions susceptibles de favoriser la flexibilité, mais qu'elles n'étaient que rarement utilisées. Le projet de loi pourrait donc être l'occasion de relancer les négociations sur les conditions de travail, selon une dynamique déjà en oeuvre avec la loi de Robien. Il a néanmoins observé qu'un tel résultat dépendrait uniquement des négociations d'entreprise.

Enfin, abordant les conséquences sociales de la décision d'abaisser la durée légale du travail, il a souligné le caractère excessif du recours aux heures supplémentaires, dont même les cadres se plaignaient, ce qui expliquait la multiplication récente des contrôles de l'inspection du travail.

En réponse à une remarque de M. Jean Arthuis, rapporteur, M. Jean Catherine a reconnu qu'il était difficile de mesurer avec exactitude la durée du travail des cadres, mais a observé que l'importance de leurs horaires n'était contestée par personne. Il a aussi admis que les ressources humaines n'étaient pas toujours bien gérées. Il a observé que le statut de cadre avait aujourd'hui perdu une grande partie de sa spécificité. Pour lui, les entreprises ont sans doute profité exagérément de leur disponibilité, au moment même où leur situation se détériorait, les cadres étant désormais victimes de baisses de salaire et surtout de licenciements.

M. Jean Catherine a alors dressé le constat d'un divorce récent des cadres et de leur entreprise, révélé par une enquête de la Société française d'études par sondages (SOFRES).

En réponse à une autre remarque de M. Jean Arthuis, rapporteur, qui s'interrogeait sur la culture française d'entreprise, M. Jean Catherine a évoqué la position délicate des directeurs des ressources humaines dans leur entreprise, qui les empêchait de toujours pouvoir exprimer leur conception d'une bonne gestion des ressources humaines.

Il a observé que cette exigence nouvelle de liberté trouvait une réponse dans la réduction du temps de travail, et a ajouté que toute amélioration des conditions de travail favoriserait la motivation du personnel. En conclusion, il a souligné que la diminution de la durée légale du temps de travail pourrait ne pas être onéreuse pour les entreprises. Selon lui, ainsi que le montrait le succès de la loi " de Robien ", il y avait une opportunité à saisir.

Un débat s'est ensuite instauré au cours duquel sont intervenus MM. Jean Arthuis, rapporteur, Marcel-Pierre Cléach, président, et Daniel Percheron.

Dans ses réponses, M. Jean Catherine a reconnu que l'écart entre un revenu de remplacement et les basses rémunérations était insuffisant, tout en remarquant qu'il lui paraissait difficile de réduire certains minima sociaux.

Il a précisé que les entreprises pouvaient facilement avoir recours aux licenciements, tout en reconnaissant que la procédure de licenciement économique était aujourd'hui trop complexe et que la suppression de l'autorisation administrative de licenciement n'empêchait pas les procès.

Il a également reconnu que si le projet de loi constituait une opportunité à saisir en matière de satisfaction des besoins sociaux et d'amélioration de la compétitivité des entreprises, sa contribution au problème du chômage resterait modeste.

En réponse à M. Jean Arthuis, rapporteur, qui s'interrogeait sur le risque de voir la loi contrecarrer la négociation d'entreprise, ou même, comme dans le secteur du textile, fragiliser l'existence de l'entreprise, M. Jean Catherine a indiqué que le dialogue social était très souvent difficile dans les entreprises, même s'il n'y était pas complètement absent.

Il a expliqué cette situation par le refus des cadres d'ajouter des contraintes de changement à leurs propres contraintes, déjà importantes. Il a reconnu que la notion de cadre avait de moins en moins de sens, sinon pour ce qu'il a appelé le " grand management ". Pour lui, les autres cadres n'étaient plus que des employés supérieurs de moins en moins rémunérés et victimes des plans sociaux. Il a aussi expliqué le déficit de négociation d'entreprise par la réticence des entreprises elles-mêmes, de plus en plus souvent gérées sur un mode anglo-saxon où l'actionnaire prime sur le personnel.

Il a observé que beaucoup d'entreprises étaient déjà à 35 heures, voire à moins, et que le projet de loi ne les gênerait pas. Pour lui, la loi serait, comme la loi de Robien, une loi incitative.

Toujours en réponse à M. Jean Arthuis, rapporteur, qui soulignait le risque d'instabilité législative empêchant les entreprises d'élaborer leur stratégie, M. Jean Catherine s'en est remis à la sagesse du législateur pour ne pas fragiliser leur équilibre financier, soulignant à cette occasion que les horaires réels n'avaient pas à être fixés au niveau national.

M. Daniel Percheron a résumé la position de M. Jean Catherine ainsi : un rapport de force déséquilibré au sein de l'entreprise au détriment des cadres et du personnel, une absence actuelle de négociation, une relance par la loi d'une dynamique de négociation profitable à chacun. Enfin, il a demandé quel pronostic il formulait.

En réponse, M. Jean Catherine a confirmé ce résumé, mais s'est déclaré inquiet sur la situation du marché de l'emploi.

Toujours en réponse à M. Daniel Percheron, qui souhaitait savoir si la loi serait aussi contraignante que le disait le patronat, M. Jean Catherine a évoqué la crise du syndicalisme, y compris patronal, ainsi que le recours à des modes de gestion anglo-saxons qui pourraient rendre les négociations difficiles.

Un court débat s'est ensuite engagé sur les réussites et les échecs du modèle anglo-saxon, sur le coût de la politique de l'emploi et sur le manque de créateurs d'entreprises.