Loi n° 2005-1425 du 18 novembre 2005 prorogeant l' application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 (Journal officiel du 19 novembre 2005 ).

Face aux violences urbaines constatées sur l'ensemble du territoire métropolitain au mois d'octobre et au début du mois de novembre, le Gouvernement, pour se doter des moyens permettant de les endiguer efficacement et durablement, a décidé de demander au législateur l'autorisation de proroger, au-delà de douze jours et pour une durée de trois mois, l'état d'urgence déclaré le 9 novembre. Le 14 novembre 2005, l'Assemblée nationale a adopté en première lecture, sans modification, le projet de loi prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955.

Première lecture.

Au cours de la discussion générale en première lecture au Sénat, le 16 novembre 2005, M. le président Christian Poncelet, après avoir rappelé, en se référant au rapport établi par M. Pierre André relatif à la relance au niveau européen des zones franches urbaines, la mobilisation des sénateurs en faveur des quartiers en difficulté, a salué leur action sur le terrain ainsi que la disponibilité des forces de sécurité. Il a en outre indiqué que, pour la quatrième année consécutive, les prix « talents des cités » seraient remis au Sénat le samedi 19 novembre à trente-neuf porteurs de projets ou créateurs d'entreprise des quartiers relevant de la politique de la ville.

M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, a estimé que les violences correspondaient à une des crises urbaines les plus aiguës et les plus complexes que la France ait eu à affronter et que chacun portait une part de responsabilité de cette situation pour avoir longtemps prétendu que l'insécurité était un sentiment plutôt qu'une réalité, pour avoir esquivé la question de l'immigration et pour ne pas avoir réglé la question de la discrimination raciale. Il a déclaré que depuis trois ans le Gouvernement avait fait de la lutte contre les violences une priorité, des résultats positifs ayant déjà été enregistrés avec une baisse de 7 % des crimes et délits et un taux d'élucidation passé de 25 % en 2001 à 33 % aujourd'hui. Il a précisé que cette action avait également concerné les cités alors que de 1997 à 2002 il y avait eu vingt-cinq journées d'émeutes et aucune interpellation.

Le ministre a déclaré que l'instauration des groupes d'intervention régionaux (GIR) avait permis de renforcer la lutte contre les bandes et les trafiquants pour lesquels les quartiers sensibles constituaient des bases de repli. Il a affirmé que le Gouvernement avait opté pour une stratégie offensive, vingt compagnies républicaines de sécurité et escadrons de gendarmerie étant mobilisés de façon durable, le rôle de la police étant, non pas la médiation sociale, mais l'interpellation des délinquants.

Il a rappelé que, partis de Seine-Saint-Denis, les événements avaient gagné plus de trois cents communes, les violences, d'une exceptionnelle gravité, ayant atteint sans distinction les personnes et les biens. Il a indiqué que la détermination gouvernementale s'était traduite par une présence massive des forces de l'ordre sur la voie publique, soit onze mille policiers et trois mille trois cents pompiers chaque nuit. Il a ajouté que près de trois mille personnes avaient été placées en garde à vue, plus de six cents écrouées, dont une centaine de mineurs, et quatre cents condamnées à des peines d'emprisonnement ferme.

Après avoir observé qu'en vertu de l'état d'urgence déclaré le mercredi 9 novembre à zéro heure sur l'ensemble du territoire métropolitain par un décret pris la veille en conseil des ministres les préfets avaient été habilités à prendre des mesures de « couvre-feu » ainsi que des mesures complémentaires de perquisition, M. Sarkozy a indiqué que des zones avaient été délimitées dans vingt-cinq départements au vu des circonstances locales, que des arrêtés de couvre-feu avaient été effectivement pris par les préfets de six départements, des interdictions de vente de carburant au détail, des arrêtés de fermeture de débits de boisson et de lieux de réunion dans les Alpes-Maritimes et la Somme et des interdictions de rassemblement en Haute-Garonne et à Paris. Il a souligné que toutes ces mesures avaient été prises en associant les élus locaux et en particulier les maires. Puis il a constaté que, conformément à la logique de la déclaration de l'état d'urgence dont la régularité avait été confirmée par le Conseil d'Etat, les violences urbaines avaient régressé. En dépit de ce retour progressif au calme, il a estimé souhaitable une prorogation de l'état d'urgence à compter du 21 novembre, l'apaisement n'étant pas définitivement acquis. Il a précisé que la prorogation proposée était d'une durée de trois mois et qu'un décret pourrait y mettre fin avant son expiration, le Gouvernement devant rendre compte à la représentation nationale en fin de période.

Puis M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois et rapporteur de cette même commission, rappelant les violences qui avaient précédé la déclaration de l'état d'urgence, a estimé que la situation, par son caractère exceptionnel, son ampleur et son intensité, justifiait la mise en oeuvre de la loi du 3 avril 1955. Il a observé que la décrue des violences témoignait de l'efficacité de la mesure et a souligné la modération qui avait caractérisé la mise en oeuvre de ces pouvoirs exceptionnels.

Le rapporteur a, par ailleurs, salué le sang-froid dont les forces de police et de gendarmerie ainsi que les sapeurs-pompiers avaient fait preuve.

Il a estimé justifié, à titre de précaution et du fait de la fragilité du calme revenu, de proroger l'état d'urgence pour trois mois, durée qu'il a jugée raisonnable. Il a expliqué que cette procédure facilitait les perquisitions, avec cependant la garantie du contrôle de l'autorité judiciaire. Il a indiqué qu'en dépit de la référence à une « durée définitive » mentionnée dans la loi de 1955, la durée prévue pour la mise en oeuvre de l'état d'urgence pouvait être conçue comme une durée maximale et a rappelé que le Gouvernement s'était engagé à tenir le Parlement informé de l'évolution de la situation et des mesures prises.

Le rapporteur a enfin annoncé que la commission des lois préconisait un vote conforme du projet de loi.

Dans la suite de la discussion générale, sont également intervenus MM. Jean-Pierre Bel, Hugues Portelli et Gilbert Barbier, Mme Sylvie Desmarescaux, MM. Jack Ralite, Michel Mercier et Gérard Delfau.

Le Sénat a ensuite examiné la motion tendant à opposer l' exception d'irrecevabilité présentée par Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC au motif que l'objet du débat proposé ne concernait pas les causes profondes de la crise, que la mise en oeuvre d'une loi d'exception risquait d'être comprise comme une provocation eu égard aux précédentes occasions pour lesquelles on y avait eu recours et du fait de la disproportion entre les moyens et l'objectif à atteindre aboutissant à une rupture du principe de légalité constitutionnellement protégé. Conformément à l'avis émis par la commission des lois et le Gouvernement, il a rejeté cette motion par le scrutin public n° 8 demandé simultanément par le groupe UMP et le groupe CRC .

Il a également examiné une motion tendant à opposer la question préalable présentée par MM. Robert Badinter, Jean-Pierre Bel et les membres du groupe socialiste considérant qu'il n'y avait pas lieu de recourir à l'état d'urgence, la loi de 1955 ayant été conçue pour faire face à des situations extrêmes. Après les explications de vote de MM. Jean-Luc Mélenchon et Hugues Portelli ainsi que de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, le Sénat, conformément à l'avis de la commission des lois et du Gouvernement, a rejeté cette motion par le scrutin public n° 9 demandé par le groupe UMP.

Au cours de l'examen des articles, le Sénat a rejeté, par le scrutin public n° 10 demandé par le groupe UMP , un amendement présenté par Mmes Alima Boumediene-Thiery, Marie-Christine Blandin et Dominique Voynet et M. Jean Desessard tendant à abroger la loi du 3 avril 1955.

Après les explications de vote de MM. Patrice Gélard, Jacques Pelletier, Yannick Bodin, Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat et Jacqueline Gourault ainsi que de M. Jean-Luc Mélenchon, le Sénat a définitivement adopté le projet de loi par le scrutin public n° 11 demandé simultanément par le groupe UMP et le groupe socialiste .