Loi n° 2006-685 du 13 juin 2006 relative au droit de préemption et à la protection des locataires en cas de vente d'un immeuble (Journal officiel du 14 juin 2006 ).

Ayant pour origine une proposition de loi déposée à l'Assemblée nationale par Mme Martine Aurillac adoptée en première lecture le 16 juin 2005, le dispositif proposé à la discussion au Sénat tend à instaurer des garde-fous pour éviter certains comportements abusifs et assurer une protection efficace des droits des locataires dans les opérations dites de « vente en bloc » et de « vente à la découpe ».

Les principales avancées en matière de protection des locataires résultant du texte adopté par l'Assemblée nationale sont les suivantes :

- l'ouverture d'un droit de préemption des locataires en cas de vente en bloc d'un immeuble comprenant plus de cinq logements si l'acquéreur ne s'engage pas au maintien du statut locatif pour six ans ;

- la possibilité, pour les locataires recevant un congé, de demander une reconduction de leur bail pour deux ans ;

- l'assouplissement des possibilités d'extension par décret des accords collectifs et l'instauration d'une sanction du non-respect de ces accords rendus obligatoires.

Première lecture.

Au cours de la discussion générale au Sénat , M. Laurent Béteille, rapporteur de la commission des lois, a tout d'abord observé que la proposition de loi, destinée à organiser la protection des locataires les plus vulnérables contre certains comportements abusifs qui s'étaient manifestés au cours des dernières années à l'occasion des ventes d'immeubles, s'inscrivait dans un contexte de sensibilité particulière de l'opinion aux questions relatives au logement du fait de la flambée des prix à l'accession et à la location.

Relevant que la vente par lots d'immeubles ne constituait pas une pratique nouvelle et était consubstantielle à la naissance de la copropriété, il a rappelé la nécessité de préserver un équilibre entre la protection du locataire contre l'éviction de son logement et la légitime garantie des droits du bailleur découlant du droit de propriété, constitutionnellement garanti, l'enjeu étant de ne pas décourager l'investissement immobilier à usage résidentiel des institutionnels comme des particuliers.

Après avoir souligné que la pratique dite de la « vente à la découpe » avait connu un regain de succès à compter de 2002 dans les grandes agglomérations, il a indiqué qu'elle était principalement le fait, aujourd'hui, des investisseurs institutionnels et des professionnels de l'immobilier, conduits à effectuer des arbitrages patrimoniaux liés aux évolutions du marché.

Puis le rapporteur a décrit les mécanismes de protection des occupants de locaux vendus en bloc résultant de lois successives, instaurant des droits de préférence ou de préemption, améliorant l'information des locataires ou encore renforçant le rôle des associations de locataires. Il a estimé que l'accord signé le 16 mars 2005 par les organisations représentatives de bailleurs et par deux organisations représentatives des locataires comportait de nouvelles avancées importantes telles que la prorogation du bail d'un mois par année d'ancienneté au profit des locataires en place depuis plus de six ans ou un renouvellement de plein droit du bail pour les locataires âgés de plus de soixante-dix ans ou ceux dont l'état de santé présentait un caractère de gravité reconnu médicalement ou qui étaient titulaires de certaines rentes d'invalidité.

Après avoir signalé que la commission avait joint à l'examen du texte transmis par l'Assemblée nationale celui de deux autres propositions de loi sénatoriales ayant un objet voisin émanant respectivement, l'une de Mme Michèle Demessine et des membres du groupe CRC, l'autre de M. Roger Madec et de plusieurs membres du groupe socialiste, M. Béteille a exposé les trois principaux axes du dispositif en discussion :

- l'institution d'un droit de préemption du locataire lors de la vente en bloc d'un immeuble de plus de cinq logements, l'application du régime de la copropriété intervenant dès l'exercice par le premier locataire de son droit de préemption. Ce droit de préemption ne pourrait cependant être exercé qu'en l'absence de mise en oeuvre d'un autre droit de préemption sur le fondement du code de l'urbanisme et à la condition que le bailleur ne se soit pas engagé à maintenir sous statut locatif, pour une durée minimale de six ans, chaque logement occupé ;

- la reconduction de plein droit des baux des locataires dont le logement fait l'objet d'une vente par lot, lorsque le congé intervient moins de deux ans avant l'échéance du bail ;

- un renforcement du caractère contraignant des accords adoptés par la Commission nationale de concertation, par la suppression de la possibilité reconnue aux organisations représentatives de s'opposer à l'extension par décret des stipulations d'un accord adopté par cette commission et par l'institution d'une double sanction en cas de violation d'un accord, une amende civile et la nullité du congé pour vente intervenu.

Tout en déclarant que la commission souscrivait pleinement à l'objectif de la proposition de loi qui était d'éradiquer les comportements abusifs, le rapporteur a annoncé plusieurs amendements tendant à renforcer l'efficacité du dispositif et à garantir un meilleur équilibre entre les droits légitimes du propriétaire et la nécessaire protection des locataires.

Dans la suite de la discussion générale se sont alors exprimés huit autres sénateurs : Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, puis MM. Yves Pozzo di Borgo, Jean-Pierre Sueur, Philippe Goujon, Roger Madec, Marcel-Pierre Cléach, David Assouline et Jean Desessard.

Après avoir salué la qualité des travaux effectués par la commission des lois et son rapporteur, M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, a souligné l'origine largement foncière de la crise du logement et a estimé que le dispositif de la proposition de loi, assorti des amendements de la commission et du Gouvernement qui serait présentés ultérieurement, contribuerait à tarir la spéculation. Il s'est en outre félicité de l'extension de l'accord collectif conclu au printemps 2005.

Le Sénat est ensuite passé à la discussion des articles .

A l' article 1 er , instituant un droit de préemption au profit des locataires d'un immeuble à usage d'habitation ou à usage mixte d'habitation et professionnel vendu en bloc, le Sénat a adopté un amendement de réécriture présenté par sa commission des lois relevant de cinq à dix le seuil à partir duquel s'applique le droit de préemption, précisant que l'engagement de six ans pris par le nouvel acquéreur partirait de la délivrance de l'immeuble, portant extension du droit de préemption aux cessions de parts des sociétés civiles immobilières, renforçant la sanction de nullité applicable en l'absence de notification au locataire ou en l'absence de transmission à celui-ci des documents liés à la notification, exigeant la réalisation par un contrôleur technique ou un architecte d'un diagnostic technique sur l'état de l'immeuble et instituant l'obligation d'informer le maire de la commune ou le maire de l'arrondissement de situation de l'immeuble. Il a également adopté quatre sous-amendements :

- les deux premiers, identiques, présentés respectivement par MM. Sueur, Madec et Assouline, Mme Tasca, MM. Peyronnet, Collombat et les membres du groupe socialiste, d'une part, et par MM. Cambon, Goujon et Karoutchi, Mmes Hermange et Procaccia et M. Houel, d'autre part, ayant pour objet de porter à quatre mois le délai de réalisation de la vente pour le locataire qui a accepté l'offre. Ces deux sous-amendements, ayant fait l'unanimité, avaient reçu un avis favorable de la commission et un avis de sagesse du Gouvernement ;

- le troisième, présenté par M. Cléach, explicitant les modalités d'application du dispositif aux ventes de parts de sociétés civiles immobilières (avis favorable de la commission et du Gouvernement) ;

- le dernier, présenté par M. Braye, tendant à permettre à la commune informée d'une opération de vente à la découpe sur son territoire de faire usage de son droit de préemption en vue du maintien dans les lieux des locataires (avis favorable de la commission et du Gouvernement).

Après l'article 1 er , le Sénat a adopté un amendement du Gouvernement insérant un article 1 er bis donnant la possibilité aux conseils généraux et aux conseils municipaux qui le souhaitent d'abaisser le taux de la taxe additionnelle relative aux droits de mutation jusqu'au niveau de 0,5 % (avis favorable de la commission).

A l' article 2 relatif à l'extension d'un accord collectif conclu au sein de la commission nationale de concertation, le Sénat a adopté, avec l'assentiment du Gouvernement, un amendement de réécriture de sa commission des lois ayant comme double objectif de restaurer un mécanisme d'opposition à l'extension par décret d'un tel accord, d'une part, de sanctionner le non-respect dudit accord par la nullité du congé pour vente, d'autre part.

Puis le Sénat a adopté conforme l' article 2 bis instaurant la reconduction du bail au profit du locataire qui s'est vu délivrer un congé pour vente avant de supprimer, à l'initiative concordante de sa commission des lois, d'une part, et de MM. Sueur, Madec et Assouline, Mme Tasca, MM. Peyronnet, Collombat et les membres du groupe socialiste, d'autre part, l' article 2 ter prévoyant la reconduction des baux pendant la durée pour laquelle l'acquéreur s'est engagé à maintenir les locaux d'habitation sous statut locatif (avis favorable du Gouvernement).

A l' article 3 relatif à l'annulation du congé pour vente intervenu en violation d'un accord étendu par décret, le Sénat a adopté un amendement de réécriture présenté par sa commission des lois instituant une nullité de plein droit de tout congé pour vente qui serait délivré en violation de l'engagement de maintien du locataire en place pendant six ans à compter de la délivrance de l'immeuble. Il a également adopté deux sous-amendements présentés, le premier, par M. Cléach, pour harmoniser le degré de parenté requis pour bénéficier des dispositions dérogatoires selon qu'il s'agit d'une opération de vente à la découpe ou d'un congé pour vente délivré par un propriétaire individuel (avis de sagesse de la commission et du Gouvernement), le second, par le Gouvernement, pour rendre automatique l'annulation du congé en cas de non-respect d'une obligation résultant d'un accord conclu en application de l'article 41 ter de la loi du 23 décembre 1986 tendant à favoriser l'investissement locatif (avis favorable de la commission).

Puis le Sénat a adopté la proposition de loi ainsi modifiée.

Deuxième lecture.

En deuxième lecture, l' Assemblée nationale a entériné la plupart des enrichissements introduits dans le dispositif lors du débat de première lecture. Elle a cependant ramené de dix à cinq logements le seuil d'application du nouveau droit de préemption lors de la vente en bloc d'immeubles. Elle a par ailleurs réduit la portée du dispositif d'incitation fiscale devant permettre aux communes et aux départements de réduire les taux de la taxe additionnelle aux droits d'enregistrement ou à la publicité foncière.

Au cours de la discussion générale au Sénat , Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité, a tout d'abord réaffirmé que le « phénomène des ventes par lots [était] l'enfant de la crise du logement », la « vague actuelle », d'une « nature spéculative », traduisant « la faiblesse de la construction de logements sur la période 1997-2002 ».

Après s'être félicitée de la mise en chantier de 414 000 logements au cours des douze mois écoulés, performance la plus élevée des vingt-cinq dernières années, elle a estimé que cette action de fond n'était pas exclusive de modifications ponctuelles de la législation pour enrayer les mouvements spéculatifs. Elle a considéré nécessaire de protéger plus efficacement les locataires en place « sans pour autant remettre en cause ni le droit de propriété ni le délicat équilibre des rapports entre les bailleurs et les locataires ».

Elle a rappelé que le texte permettait l'extension des accords protecteurs et offrait aux locataires comme aux propriétaires un réel droit d'opposition à l'extension par décret de ces accords nationaux, posait le principe de l'annulation des congés-vente abusifs, prévoyait la nullité de plein droit des congés pour vente ne respectant pas l'une des obligations inscrites dans un accord collectif et instaurait une mesure phare avec la création d'un dispositif de préemption pour les locataires dès la première vente en bloc.

Puis la ministre a souligné les améliorations apportées par le Sénat en première lecture :

- concernant l'engagement minimal de six ans de maintien sous statut locatif, la transmission obligatoire aux occupants du règlement de copropriété et d'un diagnostic de l'état général de l'immeuble avant sa vente en bloc déclenchant le nouveau droit de préemption ;

- l'élargissement de l'assiette du nouveau droit de préemption aux cessions de parts de société civile immobilière ;

- des protections supplémentaires en faveur des locataires telles que la transmission au maire de la commune des informations sur les conditions de la vente en bloc.

Elle a également indiqué que le texte avait vocation à faire émerger une profession assainie de promoteurs rénovateurs avec des mesures de régulation de l'activité de marchand de biens et, parallèlement dans le projet de loi portant engagement national pour le logement, la création d'un contrat de vente en l'état futur de rénovation.

La ministre a indiqué que le point principal encore en discussion entre l'Assemblée nationale et le Sénat était celui de la taille des immeubles soumis au nouveau droit de préemption.

Après avoir souligné que l'Assemblée nationale et le Sénat avaient pour objectif commun de « protéger les occupants les plus fragiles tout en évitant d'accroître la pénurie de logements actuellement proposés à la location » et de « limiter ce texte à la seule vente à la découpe et de ne pas rompre l'équilibre difficilement atteint par les lois du 23 décembre 1986 et du 6 juillet 1989 qui assurent une stabilité et une sécurité juridiques dans les droits et les obligations respectifs des locataires et des bailleurs », M. Laurent Béteille, rapporteur de la commission des lois, a observé que les principales modifications introduites par le Sénat en première lecture le 13 octobre 2005 avaient été maintenues.

Le rapporteur a toutefois mentionné les deux points de divergence subsistants sur lesquels la commission proposerait de revenir : le seuil de déclenchement de la mise en oeuvre du nouveau droit de préemption en cas de vente en bloc et l'étendue du nouveau dispositif d'incitation fiscale aux ventes par lots intervenant à la suite de l'exercice du droit de préemption prévu par l'article 10-1 de la loi du 31 décembre 1975.

Dans la suite de la discussion générale se sont alors exprimés Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Jean-Pierre Sueur, Philippe Goujon, Roger Madec, Marcel-Pierre Cléach, David Assouline et Philippe Marini, ainsi que Mme Alima Boumediene-Thiery.

Le Sénat est ensuite passé à l' examen des articles .

A l' article 1 er , instituant un droit de préemption au profit des locataires d'un immeuble à usage d'habitation ou à usage mixte d'habitation et professionnel vendu en bloc (art. 10-1 inséré dans la loi n° 75-1351), le Sénat a adopté cinq amendements :

- deux présentés par sa commission pour, outre la suppression d'une précision superfétatoire 1 ( * ) , relever de cinq à dix le seuil d'application du nouveau droit de préemption reconnu aux locataires dont l'immeuble fait l'objet d'une vente en bloc (avis de sagesse du Gouvernement) ;

- deux présentés par M. Marcel-Pierre Cléach pour, d'une part, faire courir le délai de six ans de prorogation des baux en cours à compter de la date de signature de l'acte authentique de vente de l'immeuble et non à compter de la date de délivrance du bien qui ne coïncide pas nécessairement avec le transfert de propriété et, d'autre part, assurer une indépendance, tant vis-à-vis des propriétaires que des locataires concernés, des techniciens chargés d'effectuer le diagnostic technique de l'immeuble ;

- un dernier, présenté par M. Jean-Pierre Sueur et les membres du groupe socialiste, pour mentionner expressément dans la loi que les dépenses afférentes au diagnostic technique sont à la charge du bailleur.

A l' article 1 er bis relatif à la réduction du taux communal et du taux départemental de la taxe additionnelle aux droits d'enregistrement ou à la taxe de publicité foncière en cas de maintien du statut locatif (art. 1584 bis inséré dans le CGI), le Sénat a adopté cinq amendements de sa commission ayant pour objet de clarifier le dispositif, d'opérer des coordinations nécessaires et, surtout, d'inclure dans le champ de l'incitation fiscale les ventes à des tiers de lots non préemptés par les locataires au stade de la vente en bloc de l'immeuble, intervenues postérieurement à la mise en copropriété de l'immeuble consécutive à l'exercice d'un droit de préemption.

Le Sénat a par ailleurs adopté sans modification l' article 3 (Annulation du congé pour vente intervenu en violation d'un accord étendu par décret - art. 25-1 de la loi n° 75-1351).

Après avoir entendu les explications de vote de MM. François Trucy et Jean-Pierre Sueur et de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, le Sénat a adopté la proposition de loi ainsi modifiée.

Commission mixte paritaire.

Réunie à l'Assemblée nationale le 11 avril 2006, la commission mixte paritaire est parvenue à l' élaboration d'un texte commun.

La commission mixte paritaire a apporté deux modifications ponctuelles au texte adopté en deuxième lecture par le Sénat : l'une rédactionnelle, l'autre pour supprimer la précision imposant que l'auteur du diagnostic technique sur l'état de l'immeuble vendu en bloc n'ait pas avec l'un des locataires concernés de lien de nature à mettre en cause son impartialité ou son indépendance.

Elle a en revanche conservé le texte du Sénat sur le seul point ayant suscité une véritable divergence entre députés et sénateurs, à savoir le nombre de logements pris en compte comme seuil de déclenchement du nouveau droit de préemption. Ce seuil est en conséquence fixé à dix logements.

Les conclusions de la commission mixte paritaire ont été adoptées par l' Assemblée nationale le 1 er juin 2006. Elles ont été lues ce même jour au Sénat qui a adopté définitivement la proposition de loi .