Le 14 octobre 1750, M. de Tournehem, directeur des Bâtiments du Roi, installe dans la galerie Est du Palais du Luxembourg le premier musée de peinture ouvert au public.

L’idée

Beaucoup revendiquent l’idée du musée, comme l’indique avec humour un article du Mercure de France de décembre 1750 :

"M. de Tournehem vient d’exécuter un   projet, si simple que tout le monde   croit l’avoir imaginé ; et si heureux que plusieurs personnes voudraient faire penser qu’elles en ont fourni l’idée."

Parmi ces personnes, on peut citer Madame de Pompadour, favorite de Louis XV et grande protectrice des arts et des lettres. Le critique La Font de Saint-Yenne également, qui écrit, en 1747, dans "Réflexions sur quelques causes de l’état présent de la peinture en France et sur les beaux arts" :

"Un moyen bien supérieur à celui dont je viens de parler, qui garantirait notre École d’un penchant prochain à sa ruine, et serait digne de la grandeur et de la magnificence de notre Roi, le souverain d’une nation dont le génie est si heureux pour les Beaux-Arts, moyen dont l’exécution honorerait infiniment ceux à qui Sa Majesté daigne confier la protection qu’elle leur accorde, ce serait de faire construire une vaste galerie, ou plusieurs contiguës, bien éclairées, dans le château du Louvre, ce palais inhabité, quoique si digne de l’habitation de nos monarques, qui fait encore l’admiration des étrangers, et en même temps leur étonnement en le voyant abandonné, et son mépris porté au point d’y laisser élever aujourd’hui au milieu de sa cour un bâtiment pour un particulier, à plusieurs étages et en pierres de taille (…)

Le moyen que je propose pour l’avantage le plus prompt, et en même temps le plus efficace, pour un rétablissement durable de la peinture, ce serait de choisir dans ce Palais, ou quelqu’autre part, un lieu propre pour placer à demeure ces chefs-d’œuvre des plus grands maîtres de l’Europe, et d’un prix infini, qui composent le cabinet des tableaux de Sa Majesté, entassés aujourd’hui et ensevelis dans de petites pièces mal éclairées et cachées dans la Ville de Versailles, inconnus ou indifférents à la curiosité des Étrangers par l’impossibilité de les voir.

Une autre raison pressante pour leur donner un logement convenable, et qui mérite une attention bien sérieuse, c’est celle d’un dépérissement prochain et inévitable par le défaut d’air et d’exposition. Quel serait aujourd’hui le sort des tableaux admirables du Palais-Royal, s’ils eussent été entassés pendant trente ou quarante ans dans l’obscurité et dans l’impossibilité d’être visités et entretenus par le défaut d’espace, tels que le sont depuis plus longtemps ceux du Roi ?"

En 1749, dans " L’Ombre du Grand Colbert ", La Font de Saint-Yenne réitère ses critiques sur la situation des tableaux du roi :

"Sachez, ô grand Colbert – c’est le Louvre qui parle – que ces beaux ouvrages (les tableaux acquis par Louis XIV) n’ont pas revu la lumière et qu’ils ont passé des places honorables qu’ils occupaient dans les cabinets de leurs possesseurs à une obscure prison dans Versailles où ils périssent depuis plus de cinquante années."

Dans l’édition de 1752, La Font de Saint-Yenne accompagne ces propos d’une note :

"Depuis la première édition de cet ouvrage, M. de Tournehem a fait transporter au Palais du Luxembourg une partie des tableaux du Cabinet du Roi à Versailles, et ils sont exposés au public deux jours de la semaine. Ca a été un grand dommage pour la Nation de ce que tant de trésors ont été ensevelis si longtemps. Quel avantage pour nos jeunes peintres d’examiner et de pouvoir copier d’aussi excellents modèles, d’avoir sous les yeux les chefs-d’œuvre de toutes les Écoles de l’Europe !"

La galerie est ouverte deux jours par semaine, les mercredi et samedi, de dix heures à treize heures d’octobre à avril, et de seize heures à dix-neuf heures d’avril à octobre. "La galerie de Rubens sera pareillement ouverte les mêmes jours et aux mêmes heures.". Le catalogue précise " Entrée par la porte principale du Palais, sous l’arcade à gauche". La revue "Mercure de France" en informe ses lecteurs dans son numéro de novembre 1750, à la rubrique "Nouvelles de la cour, nouvelles de Paris" :

"Le Roi a voulu qu’une partie de ses tableaux qui sont à la Surintendance des Bâtiments fût employée à décorer l’appartement du Luxembourg que la Reine d’Espagne occupait ci-devant, et que cet appartement fût ouvert au Public deux fois la semaine. Sa Majesté, toujours attentive à donner de nouvelles marques de protection aux Beaux Arts, et à ceux qui les professent, en mettant sous leurs yeux les chefs-d’œuvre des plus grands maîtres, excite en eux de plus en plus une noble émulation, et entretient dans la Nation ce goût décidé pour la peinture, qui lui fait tant d’honneur dans toute l’Europe. "

Dans sa "Description de Paris" publiée en 1765, Piganiol mentionne longuement la Galerie du Luxembourg et encourage sa visite :

" On y admire, en liberté, ces magnifiques ouvrages de peinture des trois écoles d’Italie, de l’École flamande et de la française, avec plusieurs dessins sous glace, des plus grands maîtres, et entre autres de Raphaël (…) Cette magnifique exposition, dont la gloire revient à M. de Tournehem, fait les délices des amateurs régionaux et étrangers. Elle devient une école extrêmement utile à nos jeunes peintres (…) Ces beaux salons, ouverts à tous les étrangers, sont une preuve bien authentique de l’amour de Louis XV pour les Beaux Arts. La protection singulière dont ce prince les honore a toujours illustré le règne des grands rois. "

Ces beaux salons, ouverts à tous les étrangers, sont une preuve bien authentique de l’amour de Louis XV pour les Beaux Arts. La protection singulière dont ce prince les honore a toujours illustré le règne des grands rois. "

 

La fermeture du musée, sous l’insistance du Comte de Provence

Le frère du Roi, "Monsieur", Comte de Provence revendiquait depuis très longtemps le Palais du Luxembourg, où il avait installé ses archives dès les années 1760. Il finit par l’obtenir en complément d’apanage en 1778 et obtient en 1780 la fermeture du musée.

Du coup, l’administration de la Couronne reprend les tableaux, y compris les vingt-quatre Rubens de la Galerie Ouest, qui n’avaient jamais quitté le Palais depuis leur mise en place par le maître lui-même en 1625. Les tableaux sont envoyés au Louvre où ils sont stockés jusqu’à l’ouverture du "Musée Central des Sciences et des Arts" au Louvre en 1793.

Un catalogue est édité dès l’ouverture du musée en 1750. Il fera l’objet d’une douzaine de rééditions jusqu’en 1779.

Aux cimaises de la galerie une centaine de tableaux provenant du Cabinet du Roi : La Sainte Famille de Léonard de Vinci, La Vierge au lapin du Titien, cinq Véronèse, des Rembrandt, des Van Dyck, mais aussi des Poussin, Vouet, Le Lorrain.

Les amateurs, qui n’accédaient jusque-là qu’à des collections privées, peuvent désormais regarder à loisir les chefs-d’œuvre les plus célèbres de la peinture européenne, présentés dans la galerie Est du Palais, avant d’aller, dans la galerie symétrique de l’Ouest, contempler les vingt-quatre Rubens commandés par Marie de Médicis.