(2e lecture, séance du samedi 29 mars 1884)

A l’issue du débat, juste avant le vote final, M. de Gavardie prend la parole pour tenter une dernière fois de s’opposer à l’adoption de la loi.

M. de Gavardie. Je vais parler sur l’ensemble de la loi, monsieur le président.

Un sénateur à gauche. C’est un spectacle scandaleux pour le pays.

M. de Gavardie. J’entends l’un de nos honorables collègues dire que c’est une spectacle scandaleux pour le pays. (Oui ! oui ! à gauche.)

Je vais avoir l’honneur de vous dire, moi, ce qui est scandaleux : ce qui est scandaleux, c’est d’apporter devant le Parlement une loi qui n’a jamais été demandée par l’opinion publique. (Bruyantes exclamations à gauche.)

M. le président. Encore une fois, messieurs, n’interrompez pas.

M. de Gavardie. Voilà ce qui est scandaleux au premier chef. (Allons donc ! à gauche.) Une coterie, une coterie d’hommes en quête de popularité... (Vives protestations sur les mêmes bancs.)

M. le président. Monsieur de Gavardie, il ne vous est pas permis d’attaquer les intentions des auteurs de la proposition de loi et du Gouvernement qui l’a acceptée. Vous me forcerez à vous rappeler à l’ordre.

M. Tolain. Rappelez l’orateur à l’ordre, monsieur le président. Il ne peut pas nous plaire d’être perpétuellement insultés. (Interruption - M. Tolain prononce au milieu du bruit quelques paroles qui ne parviennent pas jusqu’au bureau.)

M. le président. Monsieur Tolain, n’interrompez pas ! C’est moi qui suis chargé de maintenir l’ordre dans l’assemblée, et je saurai le maintenir.

M. TOLAIN

M. Tolain. Ces insolences perpétuelles ne peuvent pas être tolérées ; nous nous ferons justice nous-mêmes.

M. le président. Encore une fois, monsieur Tolain, je vous prie de garder le silence, ou je serai obligé de vous rappeler une seconde fois à l’ordre.

Monsieur de Gavardie, veuillez parler sur l’ensemble de la loi.

M. de Gavardie. Je me contenterai de dire qu’une très minime, qu’une très imperceptible fraction de la Chambre des députés a proposé cette loi. (Rumeurs à gauche.)

Le Gouvernement... Certes, je ne suis pas suspect de sympathie pour le gouvernement actuel...

Un sénateur à gauche. Tant pis pour lui ! (Rires.)

M. de Gavardie. Mais, comme j’ai eu l’honneur de le déclarer plusieurs fois, j’ai plus de confiance dans le Gouvernement, quelque mauvais qu’il soit, que dans le Parlement tout entier. (Bruyantes protestations à gauche.)

M. le président. Ce que vous venez de dire, Monsieur de Gavardie, n’est pas tolérable. Je vous rappelle à l’ordre et je vous invite à respecter les convenances, sinon vous me contraindrez à invoquer les sévérités du règlement. (Le bruit continue.)

M. Pelletan. On insulte à la tribune du Sénat tantôt la Chambre des députés, tantôt le Parlement tout entier. Il n’y a donc plus de règlement ?

M. le président. Messieurs, encore une fois, je vous en prie, n’interrompez pas ! Ce sont vos interruptions qui servent de texte à l’orateur.

C’est moi seul qui suis ici chargé de maintenir le respect de l’ordre et le respect du règlement, et je saurai bien le faire.

J’ai déjà rappelé l’orateur une fois aux convenances ; je l’ai rappelé formellement à l’ordre. Mais, encore une fois, vous ne devez point l’interrompre.

Gustave HUMBERT, Président de séance

M. de Gavardie. Messieurs, il n’est donc plus permis de parler ? Je demande ce que devient la liberté de la tribune ?

M. le colonel Meinadier. Et l’ensemble de la loi ?

M. le président. Monsieur de Gavardie, parlez sur l’ensemble de la loi.

M. de Gavardie. Monsieur le président, c’est ce que je vais faire ; c’est ce que je fais !

N’est-il donc pas permis de dire qu’on a plus de confiance dans le Gouvernement que dans le Parlement ? Qu’est-ce qu’il y a d’injurieux à cela !

M. le colonel Meinadier. Oh ! cela nous est bien égal.

M. de Gavardie. Et c’est tellement vrai, que j’ai voulu lire le recueil des voeux des conseils généraux... (A la question ! à gauche et au centre.) Mais je suis dans la question !

M. le président. Je demande le silence, messieurs ; c’est le seul moyen d’engager l’orateur à se maintenir dans la question. S’il s’en écarte, je saurai l’y rappeler. J’en suis le juge, et le seul juge.

Parlez, Monsieur de Gavardie, sur l’ensemble de la loi.

M. de Gavardie. J’ai consulté, sur l’ensemble de la loi, les voeux des conseils généraux, et je n’ai pas trouvé - je défie personne ici d’apporter la preuve du contraire - je n’ai pas trouvé une seule délibération demandant des modifications à la loi municipale actuelle.

N’est-ce donc rien, cela ? Mais cela détruit immédiatement tous les fondements de votre loi ! Et pourquoi le Gouvernement n’en a-t-il pas pris l’initiative ? Parce qu’il connaissait le véritable état de l’opinion publique et qu’il savait se placer au-dessus de ces coteries dont je parlais, ou de ces sentiments particuliers auxquels je faisais allusion. Il savait que la véritable opinion publique ne réclamait nullement ces modifications.

Mais messieurs, quand des lois ont passé dans les moeurs, quand elles ont passé dans les habitudes administratives, quand toutes les administrations se sont pénétrées de ces lois anciennes, qu’elles fonctionnent admirablement, ne voyez-vous donc pas le trouble profond que des innovations téméraires, inutiles ou dangereuses peuvent porter dans l’administration générale du pays ? Tenez, un homme... (A la question ! - Aux voix !)...un homme qui est des vôtres, qui a une expérience administrative, un ancien préfet, - je puis bien le nommer sans indiscrétion, il ne m’a pas demandé le secret...

M. Bérenger. Non, ne le nommez pas !

M. de Gavardie. ...car chacun peut bien émettre des opinions de cette nature, l’honorable M. Tenaille-Saligny disait à qui voulait l’entendre que cette loi allait jeter la perturbation dans le fonctionnement des affaires administratives de la France.

Vous voyez donc bien, messieurs, que votre loi ne repose pas sur les fondements que doit avoir toute loi, je veux dire les voeux de la véritable opinion publique.

Maintenant, il faut bien que j’examine les dispositions étranges que vous avez votées...

Vous comprenez, messieurs, que vous m’imposez un terrible fardeau. (exclamations à gauche.)

M. Emile Lenoël. C’est bien réciproque.