SUBSTITUTION DU PRÉFET AU MAIRE

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(1ère lecture, 1ère délibération, séance mardi 12 février 1884)

L’article 99 autorisant le préfet à prendre des mesures de police municipale ou rurale à la place du maire est vivement attaqué par M. Oudet comme tendant à absorber la liberté communale au profit du pouvoir central.

M. Oudet . (...) Ne sacrifiez pas les libertés que nous avons aujourd’hui ; et que lorsque nous aurons à nous représenter devant nos mandants - je ne parle pas des inamovibles... (Rires)... ils n’ont aucune responsabilité ; ils ne relèvent que d’eux-mêmes, et n’ont aucun compte à rendre ! Ce n’est certes pas pour les blesser que je fais cette remarque, mais enfin ce n’est pas à eux, mais aux éligibles seulement que je puis parler de mandants ; - que quand , dis-je, nous reviendrons dans nos départements rendre nos comptes, alors que les communes nous diront : Qu’avez-vous fait de nos libertés ? (...) nous ne soyons réduits à leur répondre : non, nous avons tout livré ! (...)

Les mesures que pourra prendre le préfet ne pourront avoir qu’un caractère provisoire. Un caractère provisoire, qu’est-ce que cela veut dire, et quelle en sera la durée. Car en France, c’est le provisoire qui dure le plus longtemps.

Nous avons des provisoires qui ont duré indéfiniment ! Exemple, le théâtre de l’Opéra, dans la rue Lepeletier, qui était, lors de sa construction, un édifice provisoire ; il a fallu un incendie au bout de près d’un demi-siècle pour en voir la fin ! (Rires sur tous les bancs.) (...)

La Chambre des députés et la Chambre des pairs n’ont pas toujours été d’accord ; plusieurs fois même cette dernière s’est montrée plus libérale que l’autre, et, notamment sur quelques-unes des questions que nous discutons à nouveau aujourd’hui, et où le même phénomène semble vouloir se reproduire. (Rires.) Nous passons un peu en masse, du moins par voie de solidarité, pour des réactionnaires. Nous sommes, comme l’a dit très spirituellement, peut-être plus spirituellement qu’opportunément, mon ami M. Viette, à la Chambre des députés, " l’ornement de la République ", mais pas autre chose. (Hilarité.)

Quelques-uns, assez nombreux, nous considèrent comme une entrave...(Nouveaux rires d’assentiment.) Et cependant, dans plus d’une loi qui nous est venue de la Chambre des députés, nous avons introduit plus de liberté que la Chambre des députés n’en avait mis. (Très bien ! sur plusieurs bancs.)

D’ailleurs, je comprends, nous sommes le bouc d’Israël. (Rires approbatifs.)

Les députés - ils me pardonneront bien de le penser et même de le dire - relèvent du suffrage universel : ils ont beaucoup de ménagements à garder (rires et rumeurs diverses) et je suis convaincu que, dans beaucoup de résolutions législatives, plusieurs d’entre eux se sont montrés plus radicaux qu’ils n’auraient voulu l’être. (Nouvelles marques d’approbation sur divers bancs) ; mais ils se déchargeaient la conscience et se disaient : " Cela doit être porté à l’examen du Sénat. (Très bien ! très bien ! et rires à droite et au centre.) Le Sénat rétablira les choses dans les conditions que commande la sagesse. " (Très bien ! très bien ! et applaudissements sur les mêmes bancs.) Et conformément à ces prévisions, mais avec cette différence qu’au lieu de modérer des résolutions trop radicales, nous allons améliorer dans le sens du progrès des résolutions qui s’en étaient beaucoup trop écartées. (...)

Arrivés à cette violation de libertés consacrées par une législation et une pratique de cinquante années, nous ne tenons guère à votre concession apparente. Tenez, revenez à la rédaction première de l’article ; pas de partage ; pas d’équivoque dans votre usurpation. Je le préfère, prenez tout. Je saurai plus clairement où seront les responsabilités, je saurai de qui je devrai me plaindre, contre qui j’aurai le droit de m’insurger, car enfin je m’insurgerai peut-être (Hilarité.) (...)

Si vous voulez marcher en avant, vous serez soutenus par tous les hommes de liberté. Mais ne touchez pas aux libertés de la commune. Laissez-lui au contraire tout ce qu’il est possible de ne lui point enlever dans un intérêt indispensable d’ordre et de sécurité générale. Faites-le et vous en serez largement récompensés. (Très bien ! très bien !)

Surtout ne la livrez pas à l’arbitraire des préfets, car si la très grande majorité est composée d’excellents administrateurs, il est bien permis d’admettre qu’il peut y en avoir d’insuffisants, et qu’il en viendra de mauvais demain. Les meilleurs sont-ils toujours d’ailleurs d’humeur égale.

N’y a-t-il pas des hommes qui, lorsqu’ils ont mal dormi ou mal digéré changent de caractère (Rires sur un grand nombre de bancs.)

Et si, à ce moment-là, ils sont appelés à trancher des questions délicates comme celles dont nous occupons, n’est-il pas à craindre qu’ils les apprécient avec humeur, et dès lors d’une façon désagréable pour ceux qui seront obligés d’en subir les conséquences.

N’est-ce pas là la vie humaine ?