L'opposition du Sénat est étayée par l'opinion largement répandue qu'en 1919, l'adoption du texte n'a été qu'un "vote de façade" émanant d'une Chambre "mourante". Alexandre Bérard, député en 1919 devenu sénateur ensuite, avoua avoir "voté la loi sans conviction pensant bien que le Sénat l'enterrerait".

Sur quoi repose l'opposition des sénateurs ? Leur argumentation est essentiellement dirigée contre le suffrage féminin ; l'éligibilité n'apparaît qu'en filigrane dans les débats. Pourtant, parmi les raisons invoquées, figure une inquiétude liée à l'arrivée des femmes dans la vie politique. Du fait de la guerre, elles sont beaucoup plus nombreuses que les hommes et représentent soit "une menace redoutable" (René Héry - 7 juillet 1932) soit le risque de "compromettre peut-être les destinées d'un pays" (Louis Tissier - 23 juin 1932). Autre raison : la peur de voir grandir l'influence de l'Eglise. Les sénateurs craignent que les femmes ne soient sensibles aux recommandations de leur curé en matière électorale. Pour une assemblée majoritairement radicale et laïque et qui garde encore en mémoire les grands débats sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat, c'est un argument de poids.

Resurgit également un thème datant de la Révolution : la place d'une femme est à son foyer. "Qu'elles nous gardent la paix et le refuge du foyer, de la famille. Voilà leur rôle, leur mission. C'est là qu'elles ont du génie et non pour d'autres activités." (René Héry - 7 juillet 1932).

Mais veulent-elles vraiment participer à la vie politique ? Les sénateurs pensent le contraire et évoquent "l'apathie, le silence dédaigneux et réprobateur de l'immense majorité des femmes de France" (François Labrousse - 14 novembre 1922) face aux revendications des suffragettes "remuantes et tapageuses". Ils estiment que les femmes en général ne s'intéressent pas à la politique et le président de la commission, Paul Régismanset, en veut pour preuve certains articles humoristiques qu'il cite dans son intervention du 21 novembre 1922 : "l'immense majorité des femmes se soucient plus de savoir ce qui se portera cet hiver que de la réorganisation de l'armée ou de la péréquation des impôts....Lorsque trois femmes sont réunies, elles se mettent aussitôt à parler chiffons" et il conclut : "je ne généralise pas...tout de même on peut dire que bon nombre de femmes ressemblent au portrait qui vient d'être fait".

Arguments