Jeanne Valbot inaugure au Sénat cette nouvelle forme d'action. En février 1932, elle s'enchaîne au banc d'une des tribunes du Palais du Luxembourg. Mais c'est surtout la journaliste Louise Weiss, surnommée plus tard "la mère de l'Europe", qui invente ce qu'on pourrait qualifier aujourd'hui des "opérations médiatiques". Le 6 février 1934, elle ouvre aux Champs Elysées une boutique baptisée "la Femme nouvelle" qui sert de vitrine à son organisation féministe. En 1935, elle organise une série de réunions dans la Vienne, fief du sénateur Duplantier, alors candidat à sa propre réélection, qui était intervenu en séance publique de manière très antiféministe et même grivoise sur l'accession des femmes aux métiers de notaire, greffier et huissier et sur le suffrage des femmes. "Armée du seul Journal officiel" elle explique dans les principales villes du département les plaisanteries, finesses et jeux de mots du sénateur.... Il ne sera pas réélu.

Louise Weiss utilise l'actualité à des fins de propagande féministe et fait preuve d'imagination : elle convainc les trois plus grandes aviatrices françaises de participer à un meeting à l'Alhambra de Bordeaux en faveur du suffrage des femmes ; lors de la finale de la Coupe de France de football, elle lâche des petits ballons rouges auxquels sont attachés des tracts féministes que le vent entraîne jusqu'à la tribune présidentielle ; le jour du Grand Prix de Longchamp, avec d'autres suffragettes, elle retarde le départ des chevaux en se promenant sur la piste avec des banderoles.

"Divertir au lieu de prêcher" est son mot d'ordre. Le 1er juin 1936, jour de la rentrée des Chambres après les élections, elle offre aux députés des bouquets de myosotis. Le 2, elle est au Sénat. Les suffragettes, souvent accusées de passer plus de temps sur les estrades que dans leurs foyers, sont fréquemment accueillies dans les meetings par les cris de "Ta soupe...Tes chaussettes..." C'est donc tout naturellement que Louise Weiss offre aux sénateurs une paire de chaussettes et l'engagement de les raccommoder même si le droit de vote leur est accordé. A Henri Merlin, sénateur de la Marne qui avait fait ajourner le texte sur la création de "conseillères municipales facultatives adjointes", c'est un autre cadeau qu'elle fait : une aubade de saxophones et de pistons qui provoque la réprobation du groupe féministe du Sénat. Le lendemain avec d'autres militantes elle s'enchaîne entre le ministère de la marine et la terrasse de chez Maxim's, barrant la rue Royale et occasionnant un magnifique bouchon.

Candidate aux élections législatives de 1936, Louise Weiss obtient 14 000 voix.

Ces mêmes élections voient la victoire du Front Populaire. Léon Blum, chargé de former le nouveau gouvernement, appelle trois femmes à y participer : la radicale Cécile Brunschvicg, présidente de l'Union française pour le suffrage des femmes, devient sous-secrétaire d'Etat à l'éducation nationale, la socialiste Suzanne Lacore, sous-secrétaire d'Etat à la protection de l'enfance et Irène Joliot-Curie, à la recherche scientifique. Les féministes attendent beaucoup du nouveau président du Conseil qui en 1925-1926 avait déposé des propositions de loi tendant à accorder aux femmes électorat et éligibilité. Mais ces nominations ne s'accompagnent d'aucune autre mesure et Louise Weiss de conclure : "Trois hirondelles ne font pas le printemps".