Lieu propice à la rêverie et à la sérénité, le jardin du Luxembourg a la particularité d'offrir à ses visiteurs des chaises et fauteuils déplaçables à loisir dans les allées ombragées du parc ou en bordure du grand bassin. En effet, au XVIIIe siècle, l'engouement des promeneurs pour les jardins parisiens incite à mettre à leur disposition des sièges plus confortables que les bancs en place. Afin d'en assurer la gestion, l'activité de location des sièges est concédée à des entrepreneurs privés.

Les premiers baux autorisant de « tenir des chaises dans le jardin » font état d'une contribution tellement importante -  le Sénat conservateur surestimait les revenus produits par l'activité - qu'elle entraîne la faillite du fermier. Le prix du loyer est donc revu à la baisse par le Grand Référendaire, agissant pour l'administration de la Chambre des Pairs. A partir de 1843, les termes du bail s'étoffent.

Outre l'indication du loyer annuel, il prévoit la rétribution du loueur - fixée à 10 centimes par chaise - et l'obligation de mettre à la disposition du public, à la belle saison, 1500 chaises en bon état. Le preneur s'engage enfin à n'employer pour la perception du droit que des personnes qui se conduiront avec décence et honnêteté.
Le bail semble enfin devenir productif, même si le loueur tente parfois d'en diminuer le prix, en arguant de l'installation d'un plus grand nombre de bancs dans le jardin ou du préjudice subi par les événements politiques, qui ont souvent éloigné le public de la promenade du Luxembourg.

Les chaises-concession

Pendant les périodes troublées qui précèdent l'avènement de la IIIe République et le retour du Sénat à Paris, la procédure d'attribution de l'activité est modifiée. Désormais, depuis 1872, la concession des sièges est adjugée aux enchères publiques et à l'extinction des feux selon la technique de « la bougie ». L'État étant propriétaire du jardin, dont le Sénat est seulement affectataire, c'est la Direction des Domaines de la Seine qui a compétence sur les questions relatives au bail, au cahier des charges et au cautionnement.

Pour enchérir, il est néanmoins nécessaire d'être préalablement agréé par la Questure du Sénat qui, sur présentation d'un extrait de casier judiciaire, peut autoriser un candidat à concourir.


Si le loyer annuel est payé au receveur des Domaines, c'est la Questure du Sénat qui est chargée de faire respecter le cahier des charges et demeure en permanence juge du nombre de sièges nécessaire aux besoins du public. Outre les prescriptions applicables à l'ensemble des contrats, des charges particulières sont imposées à l'adjudicataire, responsable de la mise en place des sièges dans le jardin, de leur rangement journalier et de leur entretien.  

Il est ainsi prévu que « les fauteuils et chaises en fer et les chaises en bois seront repeints en bambou tous les deux ans. Les patins ou pieds des chaises devront avoir au moins 0,035 m de diamètre. »


Indépendamment des personnes préposées à la perception du prix de location des sièges - les chaisières, souvent caricaturées sous l'aspect de vieilles femmes acariâtres et dont l'ingrat métier ne disparaîtra qu'en 1974 - un employé du loueur doit être mis à la disposition de la Questure pour ranger et déplacer les sièges en fonction des nécessités propres au jardin.


S'agissant du personnel, le règlement précise enfin que « les agents du concessionnaire devront être convenablement vêtus, polis envers le public et porter un brassard de reconnaissance. »
C'est ce même cahier des charges qui fixe le montant des redevances que le concessionnaire est autorisé à percevoir.
En 1920, les tarifs, en francs, sont ainsi fixés : 0,20  pour les chaises et 0,30 pour les fauteuils ; 0,25 pour les chaises et 0,40 pour les fauteuils dans les enceintes délimitées réservées aux concerts ; et 0,50 par siège sur les voies parcourues par des cortèges officiels, défilés ou revues.

Les chaises et la Questure du Sénat

Responsable de l'application du cahier des charges, la Questure reçoit à ce titre les doléances des usagers du jardin. En 1914, le concessionnaire se fait rappeler à l'ordre suite à la lettre d'une femme qui signale que le rangement des chaises empêche le passage des voitures d'enfants. Un autre usager se plaint d'avoir dû acquitter le même jour une taxe pour la chaise occupée durant un concert de la Garde Républicaine , puis une nouvelle taxe lorsqu'il a voulu s'installer dans une autre partie du jardin à l'issue du concert. Le secrétaire général de la Questure rappelle au concessionnaire la règle selon laquelle le ticket délivré par les chaisières est valable pour toute la journée et toute l'étendue du jardin.

Les réclamations émanent aussi parfois du concessionnaire. En 1915, ce dernier s'insurge contre l'envahissement du jardin par des fauteuils pliants confortables, apportés par des particuliers, « et non les plus besogneux, mais des personnes aisées qui le plus souvent font apporter leur matériel par leur personnel, bonne, femme de chambre, nourrice... pour se soustraire à la contribution que le concessionnaire a seul le droit de percevoir ». Il demande alors l'autorisation de percevoir, sur le matériel apporté par des particuliers, la même redevance que sur le matériel de l'entreprise.

La perte d'affluence pendant les hostilités incite le concessionnaire à demander une exonération du loyer dû. Après la guerre, il réitère sa demande en raison de la diminution du nombre de concerts militaires.

Le montant des redevances versées et l'attachement des exploitants à conserver leur activité laissent néanmoins supposer une rentabilité financière certaine. Le déclin de ce commerce dans les années 60 entraîne sa suppression en 1974.