COMPTE RENDU SOMMAIRE

(Document de travail provisoire diffusé sous toutes réserves)

LUNDI 17 MARS 2003

Mis en ligne à 19 heures 30


Table des matières





LUNDI 17 MARS 2003

Présidence de M. Jean-Louis DEBRÉ

La séance est ouverte à 14 h 30.

OUVERTURE DE LA SESSION DU CONGRÈS

M. le PRÉSIDENT -

Je constate que le Parlement est constitué en Congrès. Le Règlement, établi le 20 décembre 1963, modifié le 28 juin 1999, demeure applicable.

Les scrutins se dérouleront dans une salle voisine de l'hémicycle. Les délégations de vote pour le premier scrutin cesseront d'être enregistrées à 14 heures 45.

MANDAT D'ARRÊT EUROPÉEN

M. le PRÉSIDENT -

L'ordre du jour appelle la discussion et le vote du projet de loi constitutionnelle relatif au mandat d'arrêt européen.

M. PERBEN, garde des sceaux -

(Applaudissements) Construire l'Europe de la justice est l'une de nos ambitions ; les Français l'appellent de leurs voeux. Le texte qui vous est soumis est au coeur de notre dispositif ; il constituera la quatrième révision constitutionnelle liée à la construction européenne après celles de 1992, 1993 et 1999.

Le mandat d'arrêt européen constituera une nouvelle étape de la construction de l'espace judiciaire européen.

L'harmonisation, difficile au demeurant, n'est pas nécessaire dans tous les cas ; l'espace judiciaire européen résultera plus certainement de la reconnaissance mutuelle des décisions de justice. Ce principe progresse. L'objectif ne pourra être atteint que si une confiance réciproque s'instaure. C'est pourquoi, dans le cadre des discussions sur la Convention européenne, est envisagée la création d'un organisme permanent d'évaluation.

Dans une Europe élargie, il ne sera plus possible d'élaborer un consensus sur tous les sujets ; la spécificité du Conseil européen sur les affaires intérieures et de justice devra être préservée, mais il faudra envisager de prendre certaines décisions à la majorité qualifiée.

J'en viens à cette révision constitutionnelle. La décision-cadre relative au mandat d'arrêt européen s'inscrit pleinement dans l'objectif de lutter plus efficacement contre toutes les formes de criminalité. A la procédure traditionnelle d'extradition est substituée une procédure purement judiciaire ; la double incrimination ne sera plus nécessaire.

Le champ d'application du mandat d'arrêt européen est large ; il couvre une liste de 32 infractions, correspondant à des faits graves ; néanmoins, dans certains cas, -amnistie ou prescription, par exemple- l'exécution du mandat pourra être refusée.

En France, l'Etat s'est toujours réservé le droit de refuser les extraditions pour raison politique ; le risque d'inconstitutionnalité a conduit le Gouvernement à compléter l'article 88-2 de notre Constitution.

La décision-cadre entrera en vigueur le 1 er janvier 2004 ; le Gouvernement vous proposera prochainement des mesures pour adapter notre Code de procédure pénale. La construction européenne judiciaire aura alors accompli une étape décisive. (Applaudissements)

M. LE PRÉSIDENT -

L'ordre de passage des explications de vote des orateurs de chaque groupe a été déterminé ce matin par tirage au sort.

M. VAXÈS -

(Applaudissements) Je demande solennellement qu'une déclaration des parlementaires français en faveur de la paix soit soumise au Congrès, alors que les Etats-Unis s'apprêtent à engager une guerre meurtrière.

UNE VOIX -

Scandaleux !

M. VAXÈS -

La France doit s'opposer à la guerre. (Applaudissements)

Je regrette qu'il faille adopter un acte européen dérivé contraire à la Constitution. Le mandat d'arrêt européen comporte des risques de dérive : il supprime la dimension politique de l'extradition. La quasi-automaticité de la procédure limite singulièrement les garanties. Les droits des personnes seront moins protégés alors que pratiquement toutes les infractions du Code pénal seront concernées et que le principe de la double incrimination n'aura plus cours. Qui peut toujours dire qu'une décision de justice a été prise à l'issue d'un procès équitable ?

Le groupe communiste et républicain votera contre ce texte. (Applaudissements)

M. de ROUX -

(Applaudissements) Alors que l'Union européenne se veut un espace de droit, l'extradition continue de poser problème. Depuis le Moyen Age, le dernier mot revient toujours au politique. Etait-ce encore tenable ?

La nécessité de renforcer la lutte contre le terrorisme a conduit à l'adoption d'une décision-cadre sur le mandat d'arrêt européen et à l'instauration d'une procédure judiciaire sans intervention des décideurs politiques. Le principe de la double incrimination est écarté pour une liste de 32 infractions.

La France s'est engagée avec cinq autres Etats, à transposer cette décision-cadre dès le premier trimestre 2003 ; le Conseil d'Etat, consulté, a estimé que l'extradition de nationaux ne soulevait pas de difficultés constitutionnelles, et que la souveraineté nationale était respectée, mais que la transposition nécessitait une révision de la Constitution. (Rires et exclamations sur de nombreux bancs)

Le risque juridique souligné par le Conseil d'Etat ne peut être totalement écarté, c'est pourquoi le projet constitutionnel nous est soumis. (Applaudissements)

M. FLOCH -

(Applaudissements) La réunion du Congrès peut paraître incompréhensible aux yeux de nos concitoyens : le Bureau du Congrès ne peut-il proclamer son attachement solennel à la paix ? (Applaudissements)

L'espace judiciaire européen, né le 29 avril 1959, ne correspond plus aux besoins actuels : l'Europe unie doit être un espace de sécurité, de justice, de respect des droits de l'homme et, pour nous puissions y contribuer, notre droit nous oblige à modifier notre Constitution.

On en reste aux relations internationales classiques pour lutter contre le crime organisé et le terrorisme. Les conventions se sont succédé, que nous n'avons jamais ratifiées. Il était temps de faire faire un grand pas à l'Europe judiciaire dans le droit fil de la politique souhaitée par Mme Guigou.

Des progrès ont été enregistrés, cela a été rappelé. La majorité des membres de la Convention a compris que les formes graves de criminalité imposaient un tel accord.

Comment la France appliquera-t-elle ce grand accord européen ? Les députés socialistes voteront le projet de révision lancé par Mmes Guigou et Lebranchu. Le Président Chirac avait approuvé les termes de cette négociation. Nous approuvons cette révision. (Applaudissements)

M. de VILLEPIN -

Il ne peut y avoir de justice européenne sans une Europe forte, car elle ne pourrait pas s'appuyer sur des fondements stables et solides. Réciproquement, une Europe ne peut être forte si sa justice n'est pas unifiée.

A l'heure des enquêtes sur le terrorisme, la nécessité de coordonner nos actions judiciaires est devenue patente : les opinions publiques imposent à leur gouvernement une obligation de résultat. La réponse judiciaire doit être transnationale, face à la terreur.

La révision constitutionnelle va permettre d'introduire le mandat d'arrêt européen dans notre système juridique national : il concrétise la reconnaissance mutuelle des décisions de justice au sein de l'espace européen, et constitue un premier pas vers l'espace de justice et de sécurité européen qu'a préconisé ardemment le Président Chirac qui a même suggéré une police commune.

Le groupe UMP du Sénat adoptera avec conviction cette révision constitutionnelle. (Applaudissements)

M. BRET -

Après M. Vaxès, je regrette le profond décalage de notre ordre du jour avec les événements actuels. Notre Parlement s'honorerait d'une déclaration en faveur de la préservation de la paix. (Applaudissements sur de nombreux bancs)

L'évolution actuelle des procédures répressives doit être analysée à la lumière des événements du 11 septembre. On ne saurait ignorer ni le terrorisme ni la grande criminalité, mais l'accord-cadre contient en germe des risques de dérives. La guerre préventive est le réflexe d'un pays touché dans son âme. Force est de constater que les détenus de Guantanamo ne bénéficient toujours pas d'une protection normale.

On a privilégié les procédures expéditives et répressives alors que la suppression de la double incrimination laissera subsister de grandes disparités. Le Conseil d'Etat a émis des réserves. Les luttes sociales sont menacées, comme au temps de Mme Thatcher.

La sécurité doit aller de pair avec le respect des droits. M. Sarkozy s'alarme des conditions de la garde à vue. Cet impératif n'est pas assez présent dans cette révision constitutionnelle : le groupe CRC du Sénat ne la votera pas. (Applaudissements)

Mme ANDRÉ -

Si cette révision suscite des interrogations, elle nous donne aussi l'occasion d'évoquer le contenu que nous voulons donner à l'espace judiciaire européen.

La criminalité organisée transfrontière représente une part croissante des crimes et délits en Europe. Une stratégie coordonnée s'impose, et exige une action commune de l'Union, surtout après les événements de septembre 2001. Le mandat d'arrêt européen réforme en profondeur le droit d'extradition. Ce pas substantiel vers un espace judiciaire européen doit en appeler d'autres : l'harmonisation des règles pénales -mais les propositions du groupe de travail « Liberté, sécurité, justice » restent peu ambitieuses- et la création d'un parquet européen.

Le vote de la révision constitutionnelle exprime la conviction des socialistes quant à la nécessité de créer un parquet européen sans plus attendre. (Applaudissements)

M. ALBERTINI -

(Applaudissements sur plusieurs bancs) La construction d'une Europe judiciaire est devenue une nécessité pour lutter contre la criminalité organisée. Dès 1977, le Président Giscard d'Estaing envisageait une extradition automatique, mais l'idée a cheminé trop lentement. Il a fallu attendre le traité de Maastricht pour que soit reconnu le troisième pilier ; les conventions se sont succédé jusqu'au traité d'Amsterdam, qui a défini les objectifs à atteindre. Les attentats du 11 septembre 2001 ont précipité la prise de conscience de l'urgence d'une solidarité active. La décision-cadre du 13 juin 2002 marque un progrès. Nous sommes réunis pour compléter la Constitution en ce sens.

Le groupe UDF de l'Assemblée nationale soutient cette révision, dont il approuve l'inspiration : un espace de liberté, de sécurité et de justice correspond à notre conception de la personne humaine à protéger.

Ce texte ne concerne que le mandat d'arrêt. Il faudra encore revisiter la loi constitutionnelle. Une formulation plus générale aurait évité un impressionnisme juridique.

Quelle Europe voulons-nous ? Autant nous défendons la subsidiarité, autant nous militons pour une Europe ayant un contenu politique. Il ne s'agit pas d'uniformiser, mais d'harmoniser : un demi-siècle après les Pères fondateurs, il est temps que les institutions européennes correspondent aux attentes des peuples. (Applaudissements)

M. FAUCHON -

Je me bornerai à deux observations, la première porte sur le texte de la décision-cadre. Saluons les progrès, mais il reste qu'outre les nombreuses conditions et exceptions sujettes à interprétation, la faculté pour l'Etat de se prononcer sur la liberté provisoire montre que l'efficacité du mandat n'est pas celle que nous attendons.

Par la seconde, j'invite le Congrès à réfléchir à la lutte contre la criminalité internationale. Il faut adopter des définitions communes, transformer Europol en une police commune, créer un Parquet commun, étendre les pouvoirs de la Cour de justice des Communautés. Nous déplorons qu'on en reste le plus souvent au stade de la coopération qui n'est pas assez efficace.

Certes on avance pas à pas mais la grande criminalité avance, elle, à grands pas ; on est toujours en retard d'une guerre. (Mouvements divers)

La reconnaissance mutuelle ne peut que valoir comme un principe, et le groupe de travail spécialisé de la Convention reste empêtré dans l'intergouvernemental, malgré les bonnes volontés. Puisse la Convention reprendre ce dossier à la base : il y va des personnes, le temps des palabres n'est plus de mise.

France et Allemagne ont fait des propositions audacieuses : le Parlement français et notamment les Centristes du Sénat partagent cette résolution et soutiendront le Gouvernement. (Applaudissements)

M. ALFONSI -

La construction européenne a progressé, mais des îlots de résistance demeurent, comme la justice. Les citoyens assistent à une course de lenteur nourrie par le nationalisme : des affaires récentes ont frappé les opinions publiques, qui ne comprennent pas les obstacles juridiques que rencontrent policiers et entreprises. C'est la crédibilité de l'Union qui est en jeu, la défiance naturelle paralysant les Etats, malgré l'avancée de Tempere et la reconnaissance mutuelle des décisions de justice, qui n'a pas eu à ce jour de conséquences concrètes. Les magistrats s'en sont plaints récemment.

Seul le 11 septembre -preuve de la vulnérabilité des démocraties- a convaincu les Etats européens ; l'opinion a compris que la défense des valeurs communes passait par un espace judiciaire dont le mandat d'arrêt européen est un premier élément.

Au regard du droit de l'extradition, ce mandat avance sur la voie souhaitée dès 1764 par Beccaria, mais reste du chemin à parcourir, alors que la Convention ne semble pas vouloir aller au-delà d'une coopération renforcée.

Droit romain et common law s'engagent dans un nouveau corpus judiciaire : pourra-t-il y avoir une vraie efficacité opérationnelle ?

Le RDSE espère une transposition rapide de la directive : ses membres unanimes voteront ce projet de loi constitutionnelle.

Le scrutin public est ouvert à 15 h 40.

La séance, suspendue à 15 h 40, reprend à 16 h 35.

RÉSULTATS DU SCRUTIN

M. le PRÉSIDENT -

Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 880

Suffrages exprimés 875

Majorité requise des 3/5è 525

Pour 826

Contre 49

Le projet de loi constitutionnelle est adopté. ( Applaudissements )

A l'heure où nous sommes réunis en Congrès, et alors que plane la menace d'une guerre contre l'Irak, je veux, en tant que Président du Congrès, en accord avec M. le Président du Sénat et avec votre assentiment, réaffirmer la nécessité d'un désarmement de l'Irak sous l'égide des Nations Unies comme n'a cessé de le demander le Président de la République. (Applaudissements unanimes)

ORGANISATION DÉCENTRALISÉE DE LA RÉPUBLIQUE

M. le PRÉSIDENT -

L'ordre du jour appelle la discussion et le vote du projet de loi constitutionnelle relatif à l'organisation décentralisée de la République.

M. RAFFARIN, Premier ministre -

Je salue votre initiative, monsieur le Président, d'adresser un message de paix pour soutenir les initiatives de la France : il y a toujours une alternative à la guerre !

J'ai l'honneur, au nom du Président de la République, de soumettre à votre approbation ce projet de loi constitutionnelle. Dans ce cadre solennel du Congrès, je suis heureux, quinze jours après avoir annoncé les orientations du Gouvernement à Rouen, de pouvoir vous proposer le socle de notre réforme.

J'avais annoncé en octobre que le gouvernement se donnait cent cinquante jours pour engager de façon irréversible l'acte II de la décentralisation. Notre projet est maintenant précis et public. Moins de cinq mois après notre engagement, la phase constitutionnelle s'achève alors que commence le travail sur la loi de transfert de compétence. La Constitution, c'est la loi des lois, c'est la colonne centrale de notre pacte républicain : il appartient au Constituant de la faire vivre. Nous ne voulons pas la VI è République. La Vème République du Général de Gaulle et de Michel Debré a donné à notre pays la stabilité institutionnelle qu'il a cherchée si longtemps. (Applaudissements)

Mais nous pensons aussi que ce texte de 1958 a besoin d'évoluer et peut, maintenant que l'autorité de l'Etat est solidement établie, être complété pour renforcer la démocratie locale.

Maurras, polémiquant avec Clemenceau au tout début du siècle dernier, disait que « la République ne peut décentraliser » et il se réjouissait de cet aveu de faiblesse. J'ai aujourd'hui la conviction inverse : notre République peut se décentraliser. Elle sera même d'autant plus forte qu'elle sera décentralisée. Une République décentralisée est une République humanisée.

« La France vient du fond des âges, elle vit, les siècles l'appellent ». Cette mission historique du Général de Gaulle nous engage. Il faut libérer la France de ses lourdeurs pour qu'elle puisse toujours exprimer ses valeurs.

N'oublions pas, au printemps dernier, ces Français, sceptiques sur le fonctionnement de la République, se réfugiant dans l'abstention ou dans l'exaspération, ces Français reprochant à l'action publique une certaine impuissance. Les Français veulent que la proximité permette de gérer la complexité et que la responsabilité permette de rétablir le lien qui s'effiloche entre les élus et les citoyens. Les Français aiment l'Etat, ils aiment leur maire, mais ils veulent un Etat et une administration efficaces.

Les Français avaient d'abord besoin d'ordre. La République devait rétablir ses valeurs : ce fut la priorité du Gouvernement pendant le premier semestre de son action. Nous avons rétabli l'autorité républicaine, renforcé la justice, renforcé la police, renforcé l'armée. Et les résultats sont là. Après la loi de programmation militaire, la France est d'autant plus forte pour défendre la paix dans le monde qu'elle n'a pas fait le choix du pacifisme.

Mais les Français ont aussi besoin de mouvement : ils savent que l'immobilisme est la plus grande menace pour notre pacte républicain, car l'immobilisme affaiblit l'Etat. Sous l'impulsion du Président de la République, nous voulons être, aujourd'hui, l'expression du mouvement.

La révision constitutionnelle que je vous demande de ratifier aujourd'hui, va nous offrir des leviers majeurs de réforme. Je voudrais insister plus particulièrement sur cinq d'entre eux.

Le premier levier, c'est le principe de subsidiarité et de proximité. L'urgence aujourd'hui est de définir le niveau pertinent de l'exercice des responsabilités. La République reste unitaire ; elle n'est pas fédérale ; mais elle doit adapter, dans notre ordre institutionnel, le principe de subsidiarité qui doit nous guider dans la juste répartition des compétences.

La Constitution n'est pas qu'un outil de juristes, c'est aussi un texte qui rassemble les valeurs de la République, exprime notre devise, affiche notre drapeau et protège notre langue. Au nombre de ces valeurs, il faut ajouter la recherche de la proximité car les libertés locales renforcent le lien national : la démocratie de proximité renforce la République.

Cet article aura bel et bien un effet juridique : il empêchera de recentraliser les compétences bien exercées au niveau local et de corseter l'action des collectivités locales par des normes trop tatillonnes.

Le droit à l'expérimentation constitue le deuxième levier de réforme. La Constitution le reconnaîtra pour l'Etat comme pour les collectivités locales. Nous avons trop tendance à privilégier les grandes réformes, cartésiennes et globales. Il nous faut être plus pragmatique, accepter l'idée que des expérimentations permettent à certaines collectivités d'aller plus vite que d'autres.

Une révision de la Constitution était donc nécessaire, pour ouvrir la possibilité de déroger temporairement au principe d'égalité. Le Parlement restera le garant du processus. Il autorisera l'expérimentation et l'évaluera ; il n'y aura pas d'expérimentation lorsque seront en cause « les conditions essentielles d'exercice d'une liberté publique ou d'un droit constitutionnellement garanti. »

Autoriser trois communautés urbaines ou plus à expérimenter de nouvelles règles d'emploi des PALULOS ; tester, grandeur nature, de nouveaux dispositifs d'aménagement du territoire ou d'urbanisme : je ne vois rien là qui menace l'unité de la République. Ces expérimentations nous permettront de mieux préparer les réformes dont notre pays a besoin.

Troisième levier constitutionnel de changement : le développement de la démocratie locale. Le nouvel article 72-1 créera trois outils de démocratie locale renforcée : le droit de pétition, le référendum local et la consultation locale.

Ces trois outils permettront de resserrer les liens entre les élus et les électeurs : la démocratie participative est la garantie d'une décentralisation durable. Vous le constaterez d'ici un an.

Nous avons aussi voulu définir un nouveau cadre financier pour garantir l'autonomie financière et développer la péréquation entre les territoires.

Comme le Président de la République s'y était engagé, nous avons souhaité rénover le cadre financier de l'action des collectivités territoriales : la Constitution fixera désormais quatre principes : autonomie financière (les collectivités « disposent librement de leurs ressources, dans les conditions fixées »), juste compensation (chaque transfert de compétences doit s'accompagner du transfert des moyens humains et financiers correspondants) (Applaudissements sur quelques bancs), autonomie fiscale. En privilégiant le transfert de fiscalité sur celui des dotations, nous voulons renforcer la responsabilisation des élus... et à ce compte, la pression fiscale baissera ! (Mouvements divers) Oui, la réforme est faite pour baisser la fiscalité locale ! (Vifs applaudissements)

UNE VOIX -

Mon oeil !

M. le PREMIER MINISTRE -

Quatrième principe, la péréquation : nous l'inscrivons dans la Constitution car la République des proximités ne sera pas la République des inégalités.

Sur tous ces points, nous prenons les engagements les plus formels, nous les inscrivons dans la Constitution et nous acceptons de nous placer sous le contrôle du juge constitutionnel. (Applaudissements)

Cinquième innovation : la reconnaissance d'un droit à la spécificité, avec la possibilité d'adapter le statut des collectivités, en métropole et outre-mer.

M. CHARASSE -

Fossoyeur de la République !

M. le PREMIER MINISTRE -

En métropole, la possibilité de créer des collectivités à statut particulier en lieu et place des collectivités de droit commun permettra d'apporter des réponses appropriées si des demandes s'expriment en Corse, en région parisienne, ou dans d'autres collectivités.

La Corse doit être à la pointe de la décentralisation et exploiter toutes les possibilités offertes par la Constitution. Nous avons pris, et nous continuerons à prendre, avec Nicolas Sarkozy, les dispositions spécifiques nécessaires, pour adapter ses compétences, ses ressources et son organisation à sa situation particulière.

M. CHARASSE -

Explosive !

M. le PREMIER MINISTRE -

Enfin, nous redéfinissons totalement le cadre institutionnel de l'outre-mer, en lui donnant de la souplesse, mais également de la lisibilité, puisque la Constitution réaffirme solennellement l'appartenance des différentes collectivités d'outre-mer à la France et à la République. (Applaudissements)

Ces principes seront prolongés par des lois organiques et ordinaires ; nous croyons ainsi répondre aux attentes des Français.

Je voudrais vous exprimer trois convictions que je tire des vingt-six assises territoriales qui viennent de se dérouler mais aussi d'une expérience personnelle d'élu local et d'un travail effectué dans de nombreuses instances de réflexion nationale sur la décentralisation notamment, ces dernières années au sein de la commission présidée par Pierre Mauroy.

Je l'ai entendu : les Français aiment l'Etat.

Nous ne voulons pas organiser son désengagement, mais au contraire lui donner les moyens de répondre aux attentes de nos compatriotes. La décentralisation permettra à l'Etat de se recentrer sur ses responsabilités. Je crois en l'Etat, mais je le veux fort dans ses missions régaliennes, efficace et capable d'humanité dans ses missions de solidarité, stratège, régulateur, et non ankylosé. Cette réforme est la première étape d'une ambitieuse réforme de l'Etat.

Le Parlement doit rester le garant de la réforme. Le pouvoir législatif ne sera ni éclaté, ni dispersé. Nous nous donnons les moyens de transformer notre architecture territoriale ; en quelques années, nos régions, par exemple, pourront conquérir la puissance européenne, mais seulement en accord avec le Parlement.

Vous autoriserez et vous contrôlerez en amont et en aval les expérimentations dans le domaine législatif. Au vu des résultats, vous déciderez de généraliser, d'abandonner ou de modifier l'expérimentation. Vous déterminerez également les ressources dont pourront disposer librement les collectivités territoriales et vous assurerez l'égalité des Français devant les droits fondamentaux. Vous déciderez de l'évolution des collectivités à statut particulier et des collectivités d'outre-mer. Vous serez pour le Gouvernement des alliés précieux et constructifs pour la réforme de notre Etat.

Nous nous retrouverons tous, je le crois, pour que vive cette réforme. Je pense aujourd'hui que certains ont eu tort, au début des années 1980, de jeter un regard partisan sur les lois Defferre et Mauroy qui n'étaient pas partisanes. Elles avaient leur force, elles ont cependant dû être régulièrement adaptées. Je vous propose aujourd'hui l'Acte II de la décentralisation, il a sa force, il devra faire aussi l'objet d'adaptation.

Les Françaises et les Français savent reconnaître les limites des clivages politiques. Ils savent que « la constance est la plus haute expression de la force ». L'erreur des uns, hier, sera, peut-être l'erreur des autres aujourd'hui ! Le temps fera son oeuvre...

L'essentiel est que, grâce aux responsabilités nouvelles, aujourd'hui données aux acteurs de terrain, la République se rapproche de son inspirateur : le Peuple de France. (Applaudissements nourris et prolongés)

M. PELLETIER -

La représentation nationale est réunie, en décalage avec l'actualité, pour réviser notre Constitution et y introduire enfin ! un droit des collectivités locales, pour libérer notre société et remettre en oeuvre la démocratie locale. L'enjeu de cette relance de la décentralisation est de réconcilier le citoyen avec la res publica . Il y faut courage, conviction et responsabilité du Gouvernement et des élus, mais la réussite s'impose pour refonder notre démocratie, après le choc du 21 avril 2002. Dans ma très longue expérience de parlementaire, je ne me souviens pas d'une telle perte de confiance, d'un tel divorce entre la population et ses représentants. Les causes de ce malaise, conjoncturelles et structurelles, imposent des modifications de comportement et le changement des rapports entre l'Etat et les citoyens. L'Etat français demeure centralisateur, protecteur, paternaliste et peu éloigné du despotisme administratif que redoutait Tocqueville.

La décentralisation n'a pas été suffisante. Mon groupe, le RDSE, a constitué, il y a un an un groupe de travail dont les propositions ont été livrées en juin : il faut un rééquilibrage des pouvoirs locaux pour faciliter la gestion du quotidien, l'Etat conservant ses fonctions régaliennes : l'Etat moderne sera, pour paraphraser Michel Crozier, un Etat modeste.

L'apport essentiel de cette révision est d'introduire dans le texte constitutionnel les expérimentations. L'autonomie sera délicate à mettre en oeuvre : elle a un coût et elle est indissociable de la péréquation. Mon groupe a constitué un groupe de travail sur ce sujet.

La décentralisation a été trop souvent perçue comme un retour aux féodalités locales. Sa relance doit, au contraire, permettre de ressourcer l'Etat et instaurer la démocratie des petits espaces dont parlait Soljenitsyne.

A l'exception de quelques-uns de mes collègues qui regrettent que la péréquation ne soit pas prévue par le texte, mon groupe votera cette révision. (Applaudissements)

M. CHASSAIGNE -

Je salue le message de paix du Président du Congrès et du Premier ministre au début de la séance.

Le groupe des députés et députées communistes et républicains s'est clairement prononcé en faveur de la décentralisation, l'Etat restant responsable de la cohésion nationale et du développement équilibré des territoires. Il faut une refonte de nos institutions pour développer la démocratie participative, en rupture avec les institutions de la V è République.

Ce n'est pas avec des conseils régionaux bicolores, sans minorités, que l'on y parviendra. Il y faudra des ressources aussi. Notre engagement en faveur de la décentralisation ne peut nous faire voter ce texte qui exprime une conception rétrograde de la démocratie. Il est marqué par une crainte vis-à-vis des citoyens : le droit de pétition par exemple n'est pas vraiment assuré. Le principe de subsidiarité remet en cause la compétence générale reconnue aux collectivités locales.

Ce texte donne des gages au Sénat et lui confère une primauté nouvelle : c'est un recul de la démocratie représentative. (Murmures)

Votre projet remet en cause le principe d'égalité devant la loi. Le droit à l'expérimentation augmentera les distorsions dans une France éclatée. C'est un remodelage du territoire autour des métropoles régionales qui nous est proposé, alors que les services publics ferment. (Applaudissements sur plusieurs bancs) L'Etat se lance dans le déménagement du territoire ! (Même mouvement)

Ce projet marque la volonté du gouvernement de conforter les inégalités : la solidarité n'en sort pas grandie. Le volet financier confirme cette indifférence. Le problème de la réforme radicale des impôts locaux n'est pas posé. C'est le principe d'égalité dans notre droit qui est remis en cause. Liberté, égalité, fraternité sont menacées, ce sont les valeurs de la République qui sont battues en brèche. (Murmures) Nous ne sous-estimons pas l'ampleur de cette réforme : une loi ne suffisait pas car il ne s'agit pas seulement de décentralisation. Le texte vise en réalité à réduire les dépenses publiques et sociales. Ce projet, comme la privatisation de nos services publics, atteste de la détermination du Gouvernement à mener une politique ultra-libérale. Cette réforme a reçu le soutien du Medef (Ah ! Ah !) au nom d'une prétendue efficacité.

La République représente des valeurs à réaliser : on ne l'instrumentalise pas. L'organisation administrative n'a rien à voir avec nos principes fondamentaux. Vous avez, monsieur le Premier ministre, préféré l'urgence qui éloigne citoyens et parlementaires. Nous attendons les lois organiques avec inquiétude et vigilance. Le Président de la République a du reste préféré un Congrès au référendum, alors que le Congrès doit être réservé aux révisions constitutionnelles mineures. Nous ne souscrivons donc ni à la forme ni au fond de ce texte : nous avons pour objectif de vous empêcher de réaliser vos objectifs rétrogrades. (Applaudissements)

Mme BORVO -

Nous remercions le Président du Congrès d'avoir accepté que les parlementaires puissent adresser un message de paix à nos concitoyens.

VOIX A DROITE -

Merci Chirac !

M. GREMETZ -

A bas la guerre !

Mme BORVO -

Un référendum était promis, qui n'aura pas lieu. Cette réforme destinée à rapprocher les citoyens sera ratifiée à Versailles, en catimini. Même dans la majorité, on s'inquiète du remodelage de nos institutions. L'article 58 premier annonce « la République en morceaux », selon le président Debré (Murmures)

La République est un projet commun, solidaire, fondé sur l'égalité et la solidarité ; vous la ravalez au rang de principe d'organisation territoriale. L'Etat se décharge de ses responsabilités premières et crée les conditions d'un éclatement de la République. M. Devedjian a dit que les citoyens manifesteraient devant la mairie, plus devant la préfecture, quel aveu ! (Rires et protestations) La remise en cause du rôle de l'Etat tend à réduire la solidarité. Vous passez votre projet en force. Les inquiétudes ont été balayées, la concertation n'a été qu'un simulacre, comme pour la réforme des modes de scrutin, liée comme l'a dit M. Perben à la décentralisation. Cette dernière réforme tend à asseoir durablement notre pouvoir dans les régions, mais le bipartisme exclura les citoyens du débat.

Vous avez refusé le débat et imposé la réforme du scrutin régional. Pendant ce temps, les inégalités sociales et économiques entre les régions vont s'accroître au détriment de la solidarité ; les plans sociaux et l'exclusion sapent les valeurs de la République.

Votre seule réponse, c'est la suppression des emplois publics ! C'est choquant. Votre décentralisation participe du remodelage libéral du pays, M. Delevoye, M. Ferry, M. de Robien plaident pour des transferts que refusent les personnels, attachés à la cohérence nationale.

Nous ne sommes pas hostiles à une vraie décentralisation. Nous refusons le fait accompli, nous craignons pour l'avenir du service public. Non, nous ne sommes pas des centralisateurs, mais nous sommes pour la solidarité citoyenne et la démocratie de la participation, à l'opposé de la concurrence.

Mon groupe refuse toute remise en cause du projet républicain. Nous voterons résolument contre la révision. (Applaudissements sur divers bancs)

M. PEYRONNET -

Vous avez tant voulu ce texte, monsieur le Premier ministre, que vous vous appropriez la décentralisation, mais ce fut d'abord l'oeuvre de Gaston Defferre et de Pierre Mauroy, complétée par quatre grands textes - la plupart du temps contre vos amis.

Vous avez organisé un pseudo-débat avec des assises convenues, alors qu'il aurait mieux valu consulter le peuple : voilà pourquoi ce congrès, au lieu du référendum annoncé.

Ce débat dérisoire, en ce 17 mars, ne fera pas la une du Washington Post, ni des médias français : ce Congrès apparaît comme une manoeuvre de diversion. Qui peut croire que cette décentralisation peut apporter 1 % de croissance par an !

Texte fondateur ? Texte plein de scories, qui, à l'article premier, introduit une notion biaisée, celle d'une République centralisée. Un jour, le juge tranchera entre les principes fondamentaux de notre République, et peut-être au détriment de l'égalité.

Sur d'autres sujets, des réserves se sont exprimées, d'où une rédaction confuse et ambiguë qui rend par exemple possible la tutelle d'une collectivité sur une autre.

Nous sommes décentralisateurs, et avons fait des propositions, sur l'intercommunalité, mais sans vouloir porter atteinte aux missions régaliennes de l'Etat. La subsidiarité ? Le local, selon vous, prime toujours sur le national : quelles sont donc les compétences régaliennes non transférables ? Nous ne cesserons de poser la question : que devient l'Etat garant de la solidarité et de l'égalité ? L'expérimentation va conduire à 26 territoires aux règles différentes. Et expérimentation n'est pas dérogation : allez-vous par exemple accepter des dérogations à la loi littoral ?

Les départements sont-ils menacés ? Non, depuis le discours de Rouen. Plutôt les communes, vouées à s'intégrer à des structures alors qu'il faudrait garantir des blocs de compétences claires. Le Parlement doit retrouver sa force de proposition.

Quant aux finances... Aucune réforme fiscale, sauf un transfert éventuel de la TIPP, et les collectivités locales n'auront pas de garanties, alors que le Sénat souhaitait une compensation intégrale. Nous en serons loin, car l'Etat va souvent transférer peu de choses. Avez-vous tiré les leçons de vingt ans de décentralisation ?

Ce texte, long, verbeux et imprécis, n'est pas bon, ne garantit ni l'autonomie financière des collectivités locales, ni la péréquation, et il est dangereux pour les principes fondamentaux de notre démocratie.

Mais le débat n'est pas clos : laissez parler vos amis lorsque nous examinerons les lois organiques. Nous serons, quant à nous, vigilants. (Applaudissements sur divers bancs)

M. MERCIER -

(Applaudissements sur divers bancs) L'Etat décentralisé organise mieux le contrôle des électeurs et accroît l'efficience de la politique, et assure mieux l'égalité réelle ; c'est pourquoi le groupe centriste du Sénat fait de la décentralisation la pierre angulaire de sa politique.

Inscrire la décentralisation dans la Constitution ? Pourquoi ? Les collectivités locales ne datent pas d'hier. Mais il est bon de planter une borne, de reconnaître officiellement ces collectivités locales, pour affirmer le principe vis-à-vis du Conseil constitutionnel. Ce texte va désormais sanctionner la République décentralisée.

Expérimenter au niveau local, c'est une nouvelle méthode, gage d'efficacité : la République reste unitaire, mais délègue aux collectivités ; elle conserve ses compétences essentielles.

Une Constitution est appelée à durer, ou à évoluer ; nous sommes d'accord avec ce projet de loi, mais force est d'évoquer son contenu futur et le groupe centriste y sera attentif.

Quelles seront les compétences à déléguer ? M. le Premier ministre a annoncé des projets. Il faudra définir des blocs de compétences pour affirmer et préciser la responsabilité des élus. A quelles conditions ? Avec des moyens financiers adéquats c'est-à-dire -dit le texte- avec les ressources qu'y consacre l'Etat actuellement. Mais cela ne sera pas suffisant : voyez les routes nationales. Les attentes vont être grandes. (Applaudissements sur plusieurs bancs)

Des impôts devront être transférés, et pas seulement des produits, mais des bases et le taux. La loi organique devra le dire.

L'Etat ne devra pas imposer des modes de gestion : à quoi servirait, sinon, de décentraliser ? (Applaudissements sur quelques bancs)

La République retrouve ses territoires, sa force et sa vigueur ; elle assurera à la fois la libre administration et la péréquation, pour redonner à la France la capacité d'entraîner ses partenaires vers une Europe unie, puissance européenne.

Pour ces raisons, le groupe centriste votera cette révision. (Applaudissements sur divers bancs)

M. CLÉMENT -

En 1800, Napoléon crée des représentants directs de l'Etat dans les départements, les « préfets » ; il aurait dit : « Je veux que de ce jour date le bonheur des Français » (Sourires) Aujourd'hui, nous tournons le dos à cette vision.

Ce texte, après le vote au Parlement, a donné lieu à une vaste consultation nationale, associant élus, citoyens, associations. Ce débat n'aurait pas intéressé les Français ? Les assises ont montré que les Français savent que la décentralisation offre une chance de réforme de l'Etat et d'amélioration des services publics.

Certes, cela a un coût, et certains craignent une hausse des impôts locaux. Aussi faut-il transférer des impôts dynamiques correspondant aux compétences transférées : par exemple, les départements chargés de la politique sociale pourraient recevoir une part de CSG. Mais surtout pas de hausse fiscale : la décentralisation doit entraîner des économies et donner à l'Etat la possibilité de se recentrer sur ses compétences.

Le nouvel article 72 de la Constitution clarifie les nouvelles répartitions des compétences, autour d'une subsidiarité qui n'est pas celle de l'Union européenne mais qui s'inscrit dans un Etat unitaire : c'est un principe dynamique, du haut vers le bas, qui appelle une nouvelle distribution des moyens. Mais, les moyens en personnels doivent évidemment être transférés, pour éviter les compétences croisées. Ces transferts devront se faire dans la concertation, et garantir la neutralité de la fonction publique.

Cette révision n'est cependant qu'une première étape ; l'Etat central doit évoluer, comme le notait Michel Crozier dès 1992, faire preuve d'initiative et d'imagination en préservant la solidarité.

Les Français sont attachés à la décentralisation. Le groupe UMP de l'Assemblée Nationale soutiendra le Gouvernement avec enthousiasme dans la poursuite d'une réforme que les Français appellent de leurs voeux. (Vifs applaudissements)

Mme ROYAL -

(Applaudissements) Nous sommes là à cause d'un renoncement : celui du chef de l'Etat qui a renoncé au référendum.

PLUSIEURS VOIX -

Eh oui !

Mme ROYAL -

Pourquoi ? De quoi le gouvernement a-t-il eu peur ? A l'Assemblée Nationale, nous nous sommes d'abord réjouis de voir la droite nous rejoindre, mais nous sommes finalement déçus et inquiets. Rien de concret sur le terrain... sinon la réforme du mode de scrutin ! Vous avez rendu service à l'UMP ; pourquoi n'avoir pas plutôt choisi de rendre service à la France ? (Applaudissements)

M. CLÉMENT -

Quel niveau ! Et le PS ?

Mme ROYAL -

Proximité ? Quid de la présence des services publics sur le terrain, à l'école notamment ? Consultation ? Qui avez-vous consulté avant d'annoncer le transfert des ATOS ? Où est la discussion de fond sur leur rôle ? Péréquation ? Parlons-en ! Vous avez affaibli la DSU ! Clarté ? Nous ne savons toujours pas quels seront les transferts de compétences ! A Rouen, tout y est passé, (Applaudissements et exclamations) plus une couche d'expérimentation et un zeste de dérogation et c'est le grand bazar, comme l'a dit M. Debré ! L'exemple de la santé scolaire, c'est la pagaille ! Et encore le financement par les régions des équipements hospitaliers : quelles inégalités à venir entre les territoires ! (Applaudissements ; exclamations ; interruptions) Les malades devront-ils se déplacer ? Et encore : les routes nationales, décentralisées pour faire plaisir à certains !

M. ADNOT -

Ce n'est pas digne du Congrès ! C'est un discours de préau !

Mme ROYAL -

Une chose est claire : dans ce grand bazar, tout le monde s'occupe de tout du moment que l'Etat réduit ses dépenses ! (Applaudissements) Mais qu'adviendra-t-il des impôts locaux ?

N'êtes-vous pas en train d'instaurer l'insécurité territoriale ? (Exclamations) Nous demandions des transferts évolutifs et un rattrapage : pas de réponse, sinon une vague référence à la péréquation et à l'autonomie fiscale -ce qui veut dire moins de pouvoirs pour les plus pauvres des collectivités ! Quid de la solidarité entre elles ? Cela s'appelle tout simplement la République ! (Applaudissements ; exclamations)

M. ADNOT -

On a vu depuis 1981 !

Mme ROYAL -

Vous voulez transférer la TIPP : n'avez-vous pas entendu le Président de la République à Johannesburg, qui s'est engagé à lutter contre l'effet de serre et à réduire la consommation des énergies fossiles ? (Exclamations)

M. CLÉMENT -

Quel vent ! On va vous taxer comme éolienne !

Mme ROYAL -

Le groupe socialiste vous dit, monsieur le Premier ministre : ressaisissez-vous ! (Rires et exclamations) Retrouvez cette belle idée solidaire de la décentralisation et nous serons à vos côtés ; mais vous avez fait le choix de l'idéologie. Les socialistes attachés à la République ne pourront vous suivre ! (Applaudissements prolongés)

M. de RAINCOURT -

(Applaudissements) Nous vivons cet après-midi un temps fort de la Vème République. Cette réforme irréversible touche en effet aux fondements des relations entre l'Etat et les territoires, après des siècles de centralisation.

Son objectif est avant tout de libérer les énergies pour dynamiser nos régions, nos départements et nos communes. Les sénateurs se félicitent que leur rôle constitutionnel s'incarne dans ce processus.

La démocratie, c'est aussi faire en sorte que nos lois épousent leur époque. Lorsque j'étais étudiant... (Rires)

M. CLÉMENT -

C'est vieux !

M. de RAINCOURT -

... j'ai été marqué par un livre, La France et le désert français ; depuis, l'hypercentralisation a été réduite, et la décentralisation a stimulé les capacités de la République sans la défaire. Les collectivités locales pourront désormais mieux guider le développement des territoires. Cette révision constitutionnelle est le couronnement d'une longue histoire positive, qui a amélioré la qualité de vie des Français.

Ce texte répond à nos souhaits : interdiction de la tutelle d'une collectivité sur une autre, modalités d'exercice du droit à l'expérimentation, compensation financière dynamique des compétences transférées. Quel changement par rapport aux dotations d'Etat décidées sans nous et de l'APA ! (Très bien ! et applaudissements) La réforme renforcera une République plus fonctionnelle, plus proche et plus solidaire, plus moderne également, qui permettra aux élus d'explorer des voies inédites. Faisons leur confiance ! L'expérimentation n'altérera nullement les fondements de la République. Cet appel à la pluralité ne nuira pas à l'unité de celle-ci.

De nouveaux droits seront en outre ouverts à nos concitoyens : l'Etat, arbitre et régulateur, les élus et la population se rapprocheront. Redéployé, l'Etat aura plus d'autorité, offrira au Français plus de justice, plus de sécurité, plus de formation. C'est avec confiance que le groupe UMP attend l'application des nouvelles dispositions constitutionnelles. Gardons-nous de crier au loup trop tôt ! Les Français sauront en mesurer l'importance.

La décentralisation est toujours à perfectionner, des chantiers nouveaux devront être ouverts. L'année 2003, grâce à l'engagement du Président de la République et à votre détermination, monsieur le Premier Ministre, restera l'année d'une nouvelle territorialité de la République et du printemps de l'Etat. (Vifs applaudissements)

M. ALBERTINI -

Ce texte s'inscrit dans le cadre d'une nécessaire adaptation de nos institutions aux besoins de leur temps. Depuis 1958, la construction de l'Europe et l'émergence de la société de l'information, notamment, ont mis en évidence la nécessité de rompre avec la centralisation. De Gaulle a eu raison trop tôt. C'est au lendemain de 1981 que furent votées à la hussarde les premières lois de décentralisation ; les collectivités ont aujourd'hui atteint l'âge de la maturité. Pourquoi une nouvelle étape ? Parce que la force des habitudes pèse sur elles, chassez le naturel... Les administrations centrales ne sont pas seules dépositaires de l'intérêt général ! Et les nouvelles exigences de la proximité imposent une nouvelle répartition des responsabilités.

La décentralisation n'est pas une fin en soi, elle est un puissant levier de réforme, au plan local d'abord. Le Premier ministre ne s'y est pas trompé dans son discours de Rouen : il n'y a pas antagonisme mais complémentarité entre l'Etat et la décentralisation ! Les vrais décentralisateurs souhaitent que l'Etat remplisse pleinement ses missions régaliennes.

L'organisation décentralisée de la République comporte plusieurs principes nouveaux : la subsidiarité, la notion de chef de file et l'expérimentation. Ces principes vont dans la bonne direction, même s'ils paraissent abstraits à nos concitoyens. L'unité n'est pas l'uniformité ! La vision géométrique du grand jardin à la française -nous savons ce qu'il en est ici- est révolue !

Les recettes fiscales doivent représenter une part « déterminante » des ressources des collectivités locales ; nous aurions préféré « prépondérante ». Quoi qu'il en soit, le problème est essentiel. Vous avez envisagé de transférer une part de la TIPP. L'assise de cette taxe peut-elle être territorialisée ? Pourquoi ne pas envisager un impôt local sur tous les revenus, à l'instar de la CSG ? (Applaudissements isolés)

Enfin, de nouveaux mécanismes de consultation sont introduits dans notre Constitution : pétition, référendum,... Mais ces procédures seront-elles utilisées ? La réforme de 1995 est restée virtuelle... Cela permettra au moins de réfléchir à certains découpages ; ainsi, en Normandie, injustement divisée, les électeurs vont avoir la parole !

Au total, la réforme va dans le bon sens mais la réussite de la décentralisation suppose que les Français la comprennent.

Il faut aussi multiplier les incitations aux fusions et aux regroupements, pour concilier maillage fin et constitution d'entités puissantes.

L'UDF apportera toute sa contribution à ce débat. (Applaudissements)

Le scrutin est ouvert à 18 h 40.

La séance, suspendue à 18 h 40, reprend à 19 h 15.


M. le PRÉSIDENT -

Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 873

Suffrages exprimés 862

Majorité requise des 3/5è 518

Pour 584

Contre 278

Le projet de loi constitutionnelle est adopté. ( Applaudissements )

M. LE PRÉSIDENT -

Le Congrès ayant épuisé son ordre du jour, je déclare sa session close.

La séance est levée à 19 h 20.