EXPOSÉ DES MOTIFS

MESDAMES, MESSIEURS,

La sécurité sociale est confrontée à une crise sans précédent qui, si une réforme profonde n'était pas rapidement engagée, menacerait son existence même et, à travers elle, notre système de protection sociale.

Les aménagements opérés jusqu'alors se sont révélés inefficaces.

Un véritable tournant s'impose.

C'est dans ces conditions que le Premier ministre a exposé à la représentation nationale, le 15 novembre 1995, un plan de refonte de la sécurité sociale destiné à permettre de garantir l'équilibre du système.

Cet équilibre ne se résume pas aux seuls aspects financiers. Il favorise la qualité et l'universalité des prestations. Il impose aussi une plus grande solidarité à l'ensemble des acteurs concernés : organismes de sécurité sociale, assurés et professionnels de la santé.

Les responsabilités sont aujourd'hui diffuses et obscurcies: une clarification s'impose.

Dans une démocratie, la responsabilité des grands choix économiques et sociaux revient au premier chef au Parlement.

Pourtant, celui-ci n'a aucun pouvoir dans la détermination de l'équilibre financier de la sécurité sociale alors que les masses financières mobilisées dépassent celles des lois de finances.

Ce paradoxe s'explique par le silence de notre loi fondamentale qui ne prévoit aucune procédure annuelle permettant au Parlement de déterminer les conditions générales de l'équilibre de la sécurité sociale.

Une telle procédure ne peut être mise en oeuvre sans une révision constitutionnelle.

La révision qui vous est proposée permettra d'associer par un vote annuel les représentants de la Nation à la fixation de l'équilibre de la sécurité sociale. Elle modifiera les relations entre le Gouvernement et le Parlement mais ne portera pas atteinte à l'autonomie de gestion des caisses de sécurité sociale.

A cet effet, le nouvel alinéa ajouté par l'article premier du présent projet à l'article 34 de la Constitution institue, à côté des lois de finances et des lois de programme, une nouvelle catégorie législative : la loi d'équilibre de la sécurité sociale. Son objet est de déterminer les conditions générales de l'équilibre financier prévisionnel de la sécurité sociale et de fixer, en fonction de celles- ci, les objectifs de dépenses.

Il ne saurait s'agir d'un exercice budgétaire classique.

En effet, en matière de sécurité sociale, les dépenses résultent de l'exercice des droits des assurés. Elles ne sont pas le produit de la décision d'ordonnateurs liés par des crédits limitatifs. Elles résultent de décisions individuelles, elles-mêmes conditionnées par un contexte social et démographique sur lequel les pouvoirs publics n'ont pas prise à court terme. Quant aux recettes, elles sont essentiellement conditionnées par des taux de cotisation fixés par le pouvoir réglementaire.

La loi d'équilibre de la sécurité sociale permettra au législateur d'approuver les orientations générales de la politique de protection sociale, d'évaluer les ressources fiscales affectées aux régimes obligatoires de base de sécurité sociale et de fixer, pour ces régimes, des objectifs de dépenses assortis, le cas échéant, de taux d'évolution, tout particulièrement en matière d'assurance maladie. Elle pourra comporter toutes dispositions de nature législative nécessaires à l'équilibre de la sécurité sociale.

Une loi organique précisera le contenu de la loi d'équilibre de la sécurité sociale. Le projet déposé par le Gouvernement sera accompagné d'un rapport ayant notamment pour objet de retracer les comptes des différents régimes ainsi que les concours de toute nature de l'Etat.

La loi d'équilibre de la sécurité sociale fera l'objet d'un vote annuel. Le projet de loi sera déposé au début de la session ordinaire sur le bureau de l'Assemblée nationale. L'article 2 du présent projet modifie l'article 39 de la Constitution pour prévoir cette priorité d'examen par l'Assemblée nationale.

L'article 3 du présent projet introduit enfin, après l'article 47 de la Constitution consacré au vote des lois de finances, un article 47-1 qui définit la procédure parlementaire et, en particulier, les délais d'adoption de cette loi.

Inspirée de celle des lois de finances, cette procédure limite les débats à une seule lecture par chambre et encadre l'examen par le Parlement dans un délai maximum de cinquante jours, de telle façon que la loi d'équilibre de la sécurité sociale soit adoptée avant le premier janvier de l'année suivante.

* * *

Tel est le projet de loi constitutionnelle que le Président de la République, sur proposition du Premier ministre, soumet à la représentation nationale en application de l'article 89 de la Constitution.

PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE

Le Président de la République,

Sur la proposition du Premier ministre,

Vu l'article 89 de la Constitution,

Décrète :

Le présent projet de loi constitutionnelle instituant la loi d'équilibre de la sécurité sociale, délibéré en Conseil des ministres après avis du Conseil d'État, sera présenté à l'Assemblée nationale par le garde des sceaux, ministre de la justice, qui est chargé d'en exposer les motifs et d'en soutenir la discussion.

Article premier.

Il est inséré dans la Constitution, avant le dernier alinéa de l'article 34, un alinéa ainsi rédigé:

«La loi d'équilibre de la sécurité sociale détermine les conditions générales de l'équilibre financier prévisionnel de la sécurité sociale et fixe, en fonction de celles-ci, les objectifs de dépenses, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique.»

Art. 2.

La dernière phrase de l'article 39 de la Constitution est ainsi rédigée :

«Les projets de loi de finances et de loi d'équilibre de la sécurité sociale sont soumis en premier lieu à l'Assemblée nationale.»

Art. 3.

Il est inséré après l'article 47 de la Constitution un article 47-1 ainsi rédigé :

«Art. 47-1. Le Parlement vote chaque année le projet de loi d'équilibre de la sécurité sociale dans les conditions prévues par une loi organique.

Si l'Assemblée nationale ne s'est pas prononcée en première lecture dans le délai de vingt jours après le dépôt du projet de loi, le Gouvernement saisit le Sénat qui doit statuer dans un délai de quinze jours. Il est ensuite procédé dans les conditions prévues à l'article 45.

Si le Parlement ne s'est pas prononcé dans un délai de cinquante jours, les dispositions du projet peuvent être mises en oeuvre par ordonnance.»

Fait à Paris, le 20 décembre 1995.

JACQUES CHIRAC.

Par le Président de la République,

Le Premier ministre:

ALAIN JUPPÉ.

Le garde des sceaux, ministre de la justice,

JACQUES TOUBON.