Le 21 février 1907, la Chambre des députés examine le projet de loi, adopté par le Sénat, ayant pour objet la répression des outrages aux bonnes mœurs.

La Chambre va juger que la protection des bonnes mœurs ne justifie pas des mesures susceptibles de porter atteinte aux libertés et va décider de renvoyer le projet à la commission.

Au cours de la discussion, M. Joseph LASIES (1862‑1927), député républicain nationaliste du Gers, va susciter l’hilarité dans l’hémicycle en racontant une anecdote (dont on ne sait si elle est véridique ou si elle a été inventée de toutes pièces pour se gagner les rieurs) :

Un journaliste se promenant dans une rue de Paris, avec un de ses amis, lui montrait un dessin ; tous deux examinaient ce dessin avec curiosité et avec quelques éclats de rire qui eurent le fâcheux résultat d’attirer l’attention des passants. Soudain un monsieur en civil se précipite sur le journaliste qui montrait ce dessin et lui dit :

 « - Je vous arrête
    - Pourquoi ?
    - Pour outrages aux bonnes mœurs.
    - Comment cela ?
    - Parfaitement ! Vous commettez un outrage aux bonnes mœurs. 
»

Messieurs, cette gravure, je l’ai là ; je ne la montrerai qu’à huis clos, soyez tranquilles ! –et encore pas à tout le monde ! (On rit) Eh bien ! Savez-vous ce que montrait le journaliste ? C’était la carte qui est délivrée par le Sénat aux membres de la presse (Nouveaux rires. – Mouvements divers)

Messieurs, les journalistes qui sont pères de famille ont bien soin, quand ils rentrent chez eux, de veiller à ce que leur carte reste dans leur poche et ne traîne pas.

Je ne puis pas la décrire, cette carte ; M. le président m’interdirait la parole.

Il est certain que le dessin est tout ce qu’il y a de plus provocant. Il représente une femme qui montre tout, excepté sa figure (Hilarité) et, à côté d’elle, un vieux bouc. (Nouveaux rires)

Messieurs, j’insiste pour le renvoi à la commission et je prie M. le ministre de la justice, représentant du Gouvernement, de faire une démarche respectueuse auprès du bureau du Sénat pour qu’on change immédiatement cette carte de la presse délivrée par l’Assemblée du Luxembourg et qu’on supprime le dessin qui y figure actuellement.

Je ne vois qu’un moyen d’effacer la mauvaise impression que cette carte a produite sur les rares initiés qui ont pu la regarder : c’est de remplacer le dessin quelque peu léger qu’elle porte, ou bien par une feuille de vigne, ou bien encore par les traits augustes de notre très distingué collègue M. le sénateur Bérenger. (Applaudissements et rires)

Le dessin figurant sur la carte de presse délivrée par le Sénat qu’évoque M. LASIES est en fait la toile de Jacob JORDAENS représentant le signe du Capricorne : la « femme qui montre tout, excepté sa figure » est la nymphe Adrastéa et le « vieux bouc » à ses côtés est la chèvre Amalthée, dont le lait va nourrir Jupiter enfant.

Le lendemain, Le Petit parisien du vendredi 22 février 1907, en page 2, se fait l’écho de ce moment du débat à la Chambre ainsi que sur ses conséquences au Sénat :

« Les critiques acerbes de M. LASIES n’ont pas été sans produire au Luxembourg une petite émotion. M. Hustin, le sympathique secrétaire général de la Questure, a expliqué de la façon suivante le choix qu’il avait fait de la reproduction d’une toile de Jordaens pour orner l’envers de la carte de presse du Sénat.

« La carte, a‑t‑il dit, est la reproduction d’un tableau de Jordaens, acheté, en 1804, par le Sénat avec onze autres toiles du même peintre qui symbolisaient les douze signes du zodiaque.

« Ce tableau représente la chèvre Amalthée : c’est certainement, au point de vue de l’exécution, le plus beau tableau qui existe au Palais du Luxembourg. »