Groupe d'études « Statut, rôle et place des Français établis hors de France »

7 avril 2021 - 16h15

Dans ses propos introductifs, Mme Jacky DEROMEDI a invité M. Éric CHEVALLIER à présenter l’organisation et les missions du Centre de crise et de soutien (CDCS), en précisant plus particulièrement son rôle dans la gestion des conséquences de la pandémie de la Covid-19 pour les Français à l’étranger.

M. Éric CHEVALLIER a d’abord présenté le Centre de crise et de soutien (CDCS), créé en 2008 et dont il est le directeur depuis 2018. Rattachée au directeur de cabinet du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, cette structure est composée d’une centaine d’agents multidisciplinaires (diplomates, médecins, psychologue, sapeur-pompiers, militaires…), et constitue la porte d’entrée du ministère ouverte en permanence, 24 h sur 24, 7 jours sur 7 à travers l’unité de veille du centre de situation.

M. Éric CHEVALLIER a ensuite présenté l’organigramme du CDCS, constitué principalement de 3 centres : centre de situation, centre des opérations d’urgence et centre des opérations humanitaires et de stabilisation. En outre, M. Éric CHEVALLIER a indiqué que le CDCS était en mesure d’activer grâce à son dispositif d’astreinte, une cellule dédiée à la gestion d’une crise à l’étranger (tremblement de terre, attentat, crash aérien, urgence humanitaire…). Une deuxième cellule peut également être activée en cas de crise simultanée.

            M. Éric CHEVALLIER a ensuite détaillé les deux principales missions du CDCS : assurer la sécurité des Français à l’étranger (de passage ou résidents) et conduire une opération humanitaire ou de stabilisation. Ces deux missions correspondent à des approches différentes, l’une étant davantage tournée vers « l’urgence consulaire », l’autre vers les « urgences humanitaires ».  La spécificité du CDCS est de combiner les approches consulaires et humanitaires au sein d’un même service, à la différence des modèles allemand, américain, ou britannique[1]. Cette combinaison repose sur le constat que certaines crises ont un impact à la fois sur les ressortissants français et sur les populations locales (par exemple lors de l’explosion au port de Beyrouth le 4 août 2020), et qu’une approche « combinée » permet d’optimiser les opérations. Enfin, M. Éric CHEVALLIER a indiqué que le CDCS était également compétent pour certaines autres opérations très particulières et sensibles.

Dans l’exercice de ses missions, M. Éric CHEVALLIER a souligné que le CDCS était en contact permanent avec l’ensemble du réseau diplomatique. Le CDCS veille à ce titre à la mise à jour des plans de sécurité que chaque ambassade prépare au profit de la sécurité des communautés françaises à l’étranger.

Dans sa mission de sécurité des Français à l’étranger, le CDCS fait appel à deux outils majeurs :

·      Les fiches « Conseils aux voyageurs » : elles ont été massivement consultées en 2020, avec un total de 32 millions de visites (3 fois plus qu’au cours de l’année 2019). Principalement connues pour leurs cartes sécuritaires avec un code couleur précis (vert-jaune-orange-rouge), elles offrent également un narratif détaillé des risques et des préconisations pour éviter ces risques. Ces fiches font l’objet d’une actualisation très fréquente (3 300 actualisations en 2020, soit 10 par jour en moyenne). La procédure de mise à jour de ces fiches fait l’objet d’une certification externe (certification ISO 9001).

·      L’application « Ariane » : elle permet aux voyageurs d’enregistrer leurs coordonnées afin d’être  alertés en cas de crise dans leur pays de destination et recevoir en temps réel des consignes de sécurité, tout en facilitant la gestion de crise en cas d’intervention. Ainsi, en 2018, lors du séisme suivi d’un tsunami sur l’île des Célèbes (au centre de l’Indonésie), le CDCS a pu joindre 3 Français autour de la ville de Palu et intervenir pour les assister. L’année 2020 a vu une progression de 20 % du nombre d’inscrits sur Ariane par rapport à l’année 2019.

Par ailleurs, M. Éric CHEVALLIER a précisé les activités du centre des opérations d’urgence. « L’unité des affaires individuelles » est l’interlocuteur des familles, confrontées à des situations de morts violentes, de disparitions inquiétantes ou d’enlèvement d’un proche, de nationalité française, à l’étranger et joue également le rôle d’intermédiaire avec les services de l’Etat impliqués. Elle a par exemple été mobilisée sur le suivi de la situation des deux ressortissants français enlevés au Bénin et libérés au Burkina Faso en 2019,deux soldats français ayant trouvé la mort lors de leur libération, ainsi que sur celle de Sophie Pétronin retenue au Mali pendant plusieurs années. Le centre des opérations d’urgence s’occupe également des « crises collectives » au travers de l’unité des situations d’urgence en charge notamment de l’organisation de la réponse téléphonique et de la formation à la gestion de crise de nos ambassades et consulats.

M. Éric CHEVALLIER a ensuite observé que le budget du CDCS dédié à la sécurité des Français (programme 105) s’établissait à 3,5 millions d’euros en 2020. Le CDCS peut toutefois bénéficier de fonds supplémentaires pour faire face à des crises d’une particulière gravité (40 millions d’euros en 2020 pour la crise Covid-19 par exemple).

Concernant la situation en Birmanie, M. Éric CHEVALLIER a indiqué qu’elle faisait l’objet d’un suivi étroit par le MEAE, et particulièrement le CDCS. Des visioconférences sont régulièrement organisées par le CDCS avec l’ambassade de France à Rangoun et l’ensemble des directions du MEAE (ressources humaines, direction géographique, …). Le CDCS entretient par ailleurs un contact permanent avec les directeurs sécurité des entreprises françaises présentes sur place, ainsi qu’avec les directeurs généraux et directeurs sécurité des organisations non-gouvernementales. Jusqu’à présent, des vols commerciaux réguliers sont maintenus. Si la situation de la communauté française était amenée à se dégrader, M. Éric CHEVALLIER a indiqué que des options complémentaires pouvaient être explorées.

M. Éric CHEVALLIER est ensuite revenu sur la situation au Mozambique. Le CDCS a eu plusieurs réunions avec les services concernés du Ministère des Armées ainsi qu’avec les directeurs de sécurité et sûreté d’entreprises afin de suivre la situation dans la province du Cabo Delgado, placée en rouge sur la carte des conseils aux voyageurs pour y déconseiller tout déplacement.

M. Éric CHEVALLIER a par ailleurs évoqué les missions du centre des opérations humanitaires et de stabilisation, chargé de mettre en œuvre ou soutenir des actions humanitaires dans le monde. Ces actions peuvent prendre la forme d’une réponse en nature, par exemple en cas de crise soudaine, ou d’un financement d’acteurs humanitaires (notamment des ONG), notamment dans les contextes de crises humanitaires prolongées. Le centre est également chargé des actions dans le domaine de la stabilisation, qui vise à appuyer les processus de sortie de crise à travers un soutien aux populations et aux Etats. Le budget total du CDCS, en matière d’action humanitaire et de stabilisation était de 126 M€ en 2020.

Le directeur est ensuite revenu sur la crise de la Covid-19, « une des plus importantes gestions de crise de l’histoire du MEAE » selon lui. Concernant la chronologie, il a rappelé que les conseils aux voyageurs ont alerté dès le 2 janvier 2020 sur l’existence d’une infection pulmonaire à Wuhan. Le cœur des opérations s’est déroulé entre mi-mars (date de la fermeture des espaces aériens dans le monde entier) et mi-juin. Ce sont alors 370 000 Français qui sont revenus sur le territoire national, 240 000 d’entre eux bénéficiant du soutien direct du CDCS. Pour faire face à cette situation exceptionnelle, le CDCS a activé sa cellule de crise durant 104 jours, mobilisant plus de 450 agents (du CDCS, mais aussi d’autres directions du ministère et des bénévoles de la Croix-Rouge). M. Éric CHEVALLIER a relevé que le rapport public annuel 2021 de la Cour des comptes titre dans son premier tome consacré à la gestion de la pandémie : « L’aide au retour des Français retenus à l’étranger par la pandémie de covid 19 : des opérations efficaces au coût maîtrisé ». Il a également indiqué que la Cour des comptes avait mis en avant le fait que « le CDCS s’était préparé de longue date à la gestion de crises de grande ampleur comme celle-ci », et que « le faible nombre des affrètements a permis de limiter leur coût, en France, à 21,1 M€, contre 93 M€ en  Allemagne et 45,2M€ au Royaume-Uni. Après l’encaissement des remboursements dus par l’Union européenne et par les passagers signataires de reconnaissances de dettes, la dépense publique nette (…) est de l’ordre de 8,5 M€, soit 35 € par Français aidé. ».

Enfin, M. Éric CHEVALLIER a salué le dévouement exceptionnel du personnel du CDCS, tant des agents titulaires de la fonction publique de catégories A, B et C que des agents contractuels, de jour comme de nuit, y compris le weekend. Il a rappelé que le programme de retours avait avant tout concerné les Français de passage (voyages touristiques ou d’affaires). En effet, les résidents étaient incités à rester sur place, tout en étant largement assistés par la DFAE, en matière scolaire et sociale, et par le CDCS en matière de santé (plan santé déployé dans 92 pays : fourniture d’oxygène, télémédecine…). Le CDCS a également démontré sa capacité à coordonner des évacuations sanitaires de malades atteints de formes graves de la COVID-19. Ainsi, 70 Français gravement malades avaient été rapatriés à la date de l’audition.

            Mme Catherine DEROCHE a remercié M. Éric CHEVALLIER pour cette présentation, se disant tout particulièrement intéressée en tant que présidente du groupe interparlementaire d’amitié France-Vietnam. Elle l’a ensuite interrogé concernant les plans de sécurité des postes diplomatiques et consulaires, pour savoir si ceux-ci étaient « adaptés ou homogènes ». Elle s’est également interrogée sur l’existence d’un problématique cloisonnement interministériel, rappelant que si le MEAE avait visiblement connaissance d’une infection dès le mois de janvier 2021, cela n’était pas le cas d’autres ministères qui n’ont pas reçus ou perçus de signaux d’alerte avant le mois de mars. Elle a indiqué  que ce cloisonnement l’intéressait particulièrement en tant que rapporteur de la « commission d'enquête pour l'évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion ». Enfin, elle a souhaité connaître l’implication du CDCS sur la stratégie vaccinale en cours.

             M. Éric CHEVALLIER a précisé que les plans de sécurité suivaient tous un format identique mais que leur contenu était naturellement adapté à la situation de chaque pays, en fonction de la nature des risques et de l’importance de la communauté française. Concernant un possible cloisonnement interministériel, il a rappelé que la richesse du CDCS reposait justement sur une équipe pluridisciplinaire jouant un rôle d’animation interministérielle. Enfin, M. Éric CHEVALLIER a indiqué que la stratégie vaccinale ne relevait pas du CDCS, mais de la DFAE concernant les communautés françaises à l’étranger.

M. Jean-François RAPIN s’est enquis pour sa part des relations entre l’État et les assurances privées, dans le cadre des rapatriements de ressortissants français. Il a notamment souligné que certains assureurs indiquent ne pas pouvoir prendre en charge les rapatriements, les moyens de transport étant réquisitionnés par les États.

M. Éric CHEVALLIER a indiqué que le CDCS ne prenait en charge que les rapatriements de malade atteints de formes sévères de la Covid-19 (70 à la date de l’audition), les autres pathologies étant gérées par la direction des Français à l’étranger et de l’administration consulaire (DFAE). Le CDCS veille à ce que les sociétés d’assurance rapatriement et d’assistance médicale prennent en charge les rapatriements, s’ils le doivent. Le CDCS est ainsi en contact permanent avec eux, pour mutualiser le plus possible les rapatriements. Ainsi, sur les 40 millions d’euros de crédits exceptionnels du CDCS, 21 millions ont permis d’organiser les opérations de retours de compatriotes bloqués à l’étranger, les 19 millions restants ayant vocation à financer, entre autres, l’évacuation de ces 70 malades graves du Covid et plus largement le plan santé pour les communautés françaises à l’étranger. En complément, il arrive que les assisteurs contactent l’État, pour optimiser et fluidifier le déroulement des évacuations sanitaires qu’ils conduisent. M. Éric CHEVALLIER a rappelé que l’action de l’État était toujours subsidiaire et ne saurait se substituer à celle des assisteurs.

Mme Catherine DI FOLCO a indiqué qu’en tant que présidente du groupe interparlementaire d’amitié France-Vanuatu-Iles du Pacifique, les ambassades pouvaient donner l’impression de prendre seules « les choses en main ». Elle s’est notamment interrogée sur ce qui distinguait l’action du MEAE durant la crise de la Covid-19 de celle qui a fait suite à l’éruption volcanique de l'Eyjafjöll (Islande) en 2010. Enfin, elle a demandé quelles étaient les sources principales d’information du CDCS en cas de crises.

M. Éric CHEVALLIER a indiqué que les ambassades et consulats jouaient en effet un rôle important. Le CDCS participe à la formation de leur personnel de plusieurs façons : par une formation avant de prendre leur poste (ambassadeurs, consuls généraux, officiers de sécurité…) et par des missions sur place ou à distance et des exercices de gestion de crise. Concernant les sources d’informations,  M. Éric CHEVALLIER a indiqué qu’elles étaient multiples, le CDCS menant une veille des sources ouvertes et fermées. Enfin, concernant l’éruption volcanique de l'Eyjafjöll, il a rappelé que la crise était alors importante mais sans comparaison avec celle de la Covid, qui concerne l’ensemble des pays du monde et pour une durée nettement plus longue : 3 mois complets contre une dizaine de jours.

À M. Jean-Pierre GRAND qui s’enquerrait de l’existence d’une voie privilégiéepour les parlementaires de contact avec le CDCS, M. Éric CHEVALLIER a indiqué que le CDCS était joignable à tout moment.

M. Jean-Yves LECONTE s’est interrogé sur l’état du réseau diplomatique et sa pérennité, indiquant qu’il lui semblait que ce réseau était sollicité au-delà du raisonnable, peut-être sous la pression de la Cour des comptes. De même, il a souligné que cette crise avait fait réapparaitre de nombreux Français, binationaux ou bi-résidents, ni touristes ni locaux, qui étaient « sortis des radars » et qui ont alors sollicité l’accompagnement de l’État français. Enfin, il s’est enquis de l’existence d’une forme de coopération au sein de l’Union européenne, notamment financière.

En réponse, M. Éric CHEVALLIER a fait valoir que cette crise avait révélé combien le MEAE était un « ministère de service » très utile pour nos compatriotes. Convenant que le réseau avait pu être « sollicité au-delà du raisonnable » selon les termes de Jean-Yves Leconte, il a souligné à nouveau le travail considérable de tous les agents, quels que soient leur catégorie, âge ou statut. Selon lui, la tonalité du rapport public annuel 2021 témoignait d’une prise en compte par la Cour de la mobilisation exceptionnelle du CDCS, des directions partenaires et de l’ensemble du réseau diplomatique et consulaire français, durant la crise compte tenu des moyens à la disposition du MEAE. Concernant le nombre de Français ayant sollicité l’accompagnement de l’État, M. Éric CHEVALLIER a rappelé la difficulté d’évaluer avec précision le nombre de Français à l’étranger car nos compatriotes n’ont aucune obligation de se déclarer auprès des consulats français. Enfin, concernant la coopération européenne, M. Éric CHEVALLIER a indiqué que le CDCS comprenait un diplomate d’échange allemand. Il a également rappelé que le droit de l’Union européenne créait une solidarité entre États membres :

·        Premièrement, lorsqu’un État membre de  l’Union  européenne n’est pas représenté dans un pays, ses ressortissants bénéficient automatiquement de la protection consulaire des autres États membres qui y disposent d’une représentation[2] ;

·        Deuxièmement, le mécanisme de protection civile de l’Union (MPCU), permet de partager le coût d’opérations, d’une part, l’État qui les organise et prend en charge des ressortissants européens non-nationaux, et, d’autre part, l’Union européenne. Si le MPCU n’a pas pu être utilisé dans un premier temps selon M. Éric CHEVALLIER, il l’a ensuite été pour une vingtaine des 48 affrètements réalisés finalement par le CDCS. Le CDCS avait d’ailleurs accueilli un agent de l’ERCC gérant le MPCU  dans ses locaux au début de la crise Covid-19.


[1] Le modèle britannique tend néanmoins à s’inspirer de celui du CDCS.

[2] Directive (UE) 2015/637 du 20 avril 2015, qui établit les mesures de coordination et de coopération nécessaires pour faciliter la protection consulaire des citoyens de l’Union européenne.