Réuni le mardi 5 juillet 2022, sous la présidence de M. André REICHARDT (Les Républicains – Bas-Rhin), président, le groupe d’amitié France – Afrique de l’Ouest s’est entretenu, par visioconférence, avec M. Luc HALLADE, Ambassadeur de France au Burkina Faso.

Ont également participé à la réunion : MM. Bruno BELIN (Les Républicains – Vienne), président délégué pour le Burkina Faso, et Laurent BURGOA (Les Républicains – Gard), président délégué pour la Gambie, Mme Agnès CANAYER (Les Républicains – Seine-Maritime), présidente déléguée pour la Côte d’Ivoire, et MM. Joël LABBÉ (Écologiste – Solidarité et Territoires), président délégué pour la Guinée-Bissau, et Martin LÉVRIER (Rassemblement des Démocrates, Progressistes et Indépendants – Yvelines).

M. Luc HALLADE a indiqué que le Burkina Faso connaissait une situation préoccupante et que le coup d’État militaire du 24 janvier dernier, qui avait renversé le Président KABORÉ et porté au pouvoir une junte dirigée par le lieutenant-colonel DAMIBA, n’avait pas arrangé les choses. La faiblesse de la réaction du pouvoir déchu aux nombreuses attaques terroristes, dont les populations peules musulmanes sont les premières victimes, explique en partie le coup d’État et son accueil favorable par la population. Celle-ci a cru aux promesses du nouveau pouvoir, mais l’absence de résultats provoque des frustrations de plus en plus fortes dans le pays. Par ailleurs, environ 10 % des 21 millions de Burkinabés sont des déplacés internes, dont beaucoup, chassés des zones rurales par la peur des groupes armés, viennent grossir la population urbaine déjà éprouvée. Le nombre de ces déplacés internes augmente chaque jour, tandis que le territoire contrôlé par les terroristes s’étend. En outre, la route Ouagadougou-Bobo-Dioulasso, qu’empruntent beaucoup de Français établis dans le pays, est dangereuse ; utiliser l’avion plutôt que la voiture est désormais nettement préférable. L’ambassade a appelé à deux reprises les ressortissants français à se relocaliser, mais il n’est pas facile d’assurer leur sécurité, en particulier celle des jeunes et des Français établis de longue date, qui n’ont pas la même perception du danger.

L’ambassadeur a fait observer que le bilan de la junte était pour l’instant mitigé. Le 1er avril dernier, le Président DAMIBA a indiqué avoir besoin de temps, jusqu’au 1er septembre, pour faire un bilan d’étape. L’armée burkinabée n’est pas suffisamment professionnalisée, souffre de sous-effectifs et reste mal équipée. Et le régiment de sécurité présidentielle, seule unité véritablement opérationnelle, a été dissous à la suite d’une tentative de coup d’État en 2015. Aussi l’armée est-elle régulièrement défaite par les groupes armés, très déterminés et bien organisés – la mort de 53 gendarmes à Inata en novembre 2021 avait provoqué une profonde indignation dans le pays. Les nouvelles autorités ont récemment défini des zones d’intérêt militaire où sont menées des opérations anti-terroristes, mais 40 % du territoire échappe désormais à leur contrôle (en particulier dans l’Est, le Sud-Ouest, le Sahel, les zones frontalières avec les pays du Golfe de Guinée). La situation délicate au Mali – les deux pays ont une frontière commune de 1 200 kms – n’arrange rien.

M. Luc HALLADE a estimé pour conclure que la situation sécuritaire au Burkina Faso était extrêmement inquiétante et que la restauration de l’autorité de l’État serait une œuvre de longue haleine. Ce « conflit endogène » est, en réalité, une guerre civile : une partie de la population se rebelle contre l’État et cherche à le renverser. Depuis 2011, un détachement de forces spéciales françaises d’un peu moins de 400 hommes est stationné dans la banlieue de la capitale, Ouagadougou, afin de pouvoir intervenir contre les groupes armés, leurs chefs en particulier. Les autorités de transition ont engagé des discussions avec les chefs des groupes armés à la suite du coup d’État ; toutefois, ces discussions n’en sont qu’à leur début. Ces efforts ont d’ailleurs été sapés par les Volontaires pour la Défense de la Patrie, des citoyens armés pour lutter contre les terroristes, mais non formés, dont ils constituent la cible prioritaire. Le Burkina Faso, surnommé « la patrie des hommes intègres », a longtemps été réputé pour sa grande tolérance religieuse ; ce pays-là a aujourd’hui disparu. Les groupes armés ont pour objectif de détruire l’État.

L’ambassadeur a indiqué que la méfiance et le nationalisme expliquaient une certaine retenue des Burkinabés envers la France, en particulier dans l’opinion publique numérique. Dans ce contexte, ils  appellent à un appui de la Russie, bien plus que  de la Chine. La Russie pousse ses pions ; dès le lendemain du coup d’État, un responsable de la société militaire privée Wagner s’est d’ailleurs exprimé. Pour l’instant, le Président DAMIBA exclut cette option russe et affirme privilégier la relation avec la France.

M. Luc HALLADE a fait observer que la situation humanitaire était dramatique. Le Programme alimentaire mondial (PAM) a été obligé de réduire de moitié les rations alimentaires distribuées aux ménages. Le Burkina Faso connaît une crise alimentaire sévère : 3,5 millions de personnes sont mises en danger, non seulement du fait de la situation sécuritaire, mais aussi à cause du changement climatique, très visible dans le pays, et de la pression démographique. 700 000 enfants sont déscolarisés. La crise est aussi économique et budgétaire : l’inflation atteint 15 %, et 20 % pour les produits alimentaires.

L’ambassadeur a indiqué que, face à cette situation, la France essayait de réajuster son intervention. Le conseil local de développement a tenu récemment sa première réunion, avec plusieurs priorités : répondre aux besoins essentiels de la population ; développer les infrastructures dans les villes secondaires ; renforcer la résilience de la population, les femmes et les enfants notamment ; promouvoir le capital humain ; appuyer la lutte contre le changement climatique. L’Agence française de développement (AFD), dont le budget annuel dans le pays s’établit à 100 millions d’euros, auquel il convient d’ajouter 20 à 30 millions provenant d’autres acteurs, dont le service de coopération du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, apporte son soutien en priorité à l’agriculture et aux énergies renouvelables. Les Américains accordent une aide plus importante, mais travaillent très peu avec l’État, privilégiant les organisations non gouvernementales.

M. Luc HALLADE a souligné la qualité des relations bilatérales, les autorités burkinabé reconnaissant la France comme un partenaire majeur et très présent. Pour autant, elles s’en prévalent assez peu car l’opinion publique est plutôt hostile, surtout sur les réseaux sociaux où la présence française est régulièrement vilipendée. Il conviendrait de changer de paradigme : plutôt que de faire de la communication institutionnelle, il faudrait donner davantage de visibilité aux bénéficiaires de l’aide française. Le sentiment anti-français est surtout présent chez les jeunes, très désillusionnés, qui considèrent la France comme responsable de leurs malheurs, alors que les Burkinabés ayant connu la période coloniale sont beaucoup moins vindicatifs. Cela explique aussi la volonté du Président MACRON de s’adresser d’abord à la jeunesse africaine et de valoriser l’aide française au plus près des populations.

S’est ensuite engagé un débat au cours duquel sont intervenus MM. Bruno BELIN, président délégué pour le Burkina Faso, Joël LABBÉ, président délégué pour la Guinée-Bissau, et André REICHARDT, président.

En réponse, M. Luc HALLADE a indiqué que le maire de Ouagadougou, M. Armand BÉOUINDÉ, qui était proche de l’ancien Président KABORÉ, n’était plus apparu publiquement depuis le coup d’État. Les autorités militaires ont de toute façon démis l’ensemble des élus, parlementaires – l’Assemblée législative de transition est composée de personnalités nommées – et élus locaux – remplacés par des délégations spéciales, gérées directement par les préfets. Il n’y a plus d’élus aujourd’hui au Burkina Faso ; la disparition de ces interlocuteurs bien connus ne facilite ni le contact avec les nouvelles autorités, ni l’apport de solutions aux problèmes du pays. La fin de la période de transition, au cours de laquelle doit avoir lieu la « refondation de l’État », incluant une nouvelle Constitution, a été fixée au 1er juillet 2024. L’objectif est de changer le personnel politique, étant entendu que les Burkinabés ne veulent pas voir se reproduire le scénario de 2014, lorsque la chute du président Blaise CAMPAORÉ avait entraîné de grands espoirs aujourd’hui déçus. Ce délai semble toutefois  court.

L’ambassadeur a noté que le risque de famine était réel, 700 000 à 800 000 personnes étant en situation de détresse alimentaire, dont beaucoup d’enfants. La France aide au développement de filières de compostage. L’AFD va réorienter une partie de ses crédits non utilisés vers l’achat d’intrants agricoles via une coopérative nationale. Le Burkina Faso a longtemps été le terrain privilégié de la coopération décentralisée ; le contexte sécuritaire, notamment, rend toutefois de plus en plus en plus compliquée la conduite des projets. Les services de l’ambassade restent à la disposition des ressortissants français qui souhaiteraient des informations sur la sécurité dans le pays. Beaucoup de ces actions de coopération décentralisée passent désormais par des structures locales – le service de coopération de l’ambassade dispose de très bons contacts. L’Assemblée législative de transition a des besoins en matière d’appui à la gestion de ses archives ; l’activité de coopération dans ce domaine menée il y a quelques années avec les services du Sénat gagnerait sans doute à reprendre.

Pour conclure, M. Luc HALLADE a appelé à soutenir avec détermination les institutions étatiques du Burkina Faso, dont l’effondrement serait dramatique pour la population burkinabée, pour l’ensemble de la région et pour l’influence française.

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