Le groupe interparlementaire d’amitié, présidé par M. Dominique de Legge, a reçu, le jeudi 8 mars, Mme Aurélie Daher, enseignante à l’Université de Paris-Dauphine et spécialiste du mouvement chiite libanais Hezbollah. Mme Christine Lavarde et MM. René Danesi, Bernard Fournier, Jean-Yves Leconte et Louis-Jean de Nicolay ont participé à cette rencontre.

Le mouvement Hezbollah, issu de la communauté chiite et à forte dominante religieuse, est très lié au régime iranien qui l'a financé lors de sa création. Leurs rapports sont régis par le principe de gouvernement du jurisconsulte (wilayat-al-Faqih). Celui-ci relie directement la direction du Hezbollah au Guide de la Révolution iranien, qui intervient dans deux cas. Il approuve ou dénonce une décision du Hezbollah qui pourrait mettre en péril les intérêts de la République iranienne ou dont la légitimité religieuse n'est pas claire. Il a par ailleurs le rôle d'arbitre en cas de conflit au sein de la direction du Hezbollah. La branche militaire de la formation est considérée comme une organisation terroriste par les États-Unis, l'Union européenne et, depuis mars 2016, par les monarchies du Golfe persique (Arabie saoudite, Bahreïn, Émirats arabes unis, Koweït, Oman et Qatar). Le mouvement est très implanté au Sud-Liban.

Mme Daher a rappelé les origines du mouvement chiite,soulignant au préalable que celui-ci constituait avant tout la branche politique du groupe paramilitaire Résistance islamique au Liban, créé en 1982. Le Hezbollah peut être considéré à l’origine comme le bras civil de cette milice, chargé d’atténuer au sein de la population libanaise les conséquences de la guerre civile et des opérations armées dans lesquelles est engagée Résistance islamique au Liban. Le Hezbollah chapote ainsi une quinzaine de structures qu’il s’agisse de la Fondation des martyrs, en charge de l’aide aux familles des miliciens tués,  de la Fondation des blessés, qui dépasse la logique confessionnelle et est ouverte à toutes les victimes de la guerre, d’hôpitaux ou d’une entreprise de bâtiment et de travaux publics, en charge de la reconstruction, d’une chaîne de télévision (Al-Manar) et d’une antenne radio (Al-Nour). Le mouvement agit comme un tampon à l’égard de la population pour tempérer toute hostilité à l’égard de la milice, liée à la lassitude de la guerre. Son rôle politique s’affirme à partir de 1992 au Parlement puis à compter de 2005 au gouvernement. Le Hezbollah défend alors au sein des institutions les intérêts de la milice, empêchant à de multiples reprises son démantèlement.

Cette logique de lobbying le distingue d’autres formations politico-militaires dans la région, comme le Hamas ou les Frères musulmans. Aux yeux de Mme Daher, le rapprochement le plus pertinent est à opérer avec le binôme Armée républicaine irlandaise – Sinn Fein, l’agenda politique  de ce dernier étant déterminé par le groupe armé.  Cette spécificité conduit le mouvement politique à rechercher le compromis dans la mesure du possible et à se montrer assez souple sur la question religieuse notamment. S’il reste un mouvement avant tout chiite, le Hezbollah n’impose pas de contrôle social dans les zones du Liban qu’il domine.

S’agissant de son financement, il convient là encore de séparer la Résistance islamique au Liban du Hezbollah. Le mouvement armé est quasi-intégralement financé par l’Iran qui pourvoit notamment à ses besoins de matériels. Le Hezbollah est, quant à lui, principalement financé par des fonds libanais, provenant pour partie de la diaspora chiite en Afrique. L’organisation repose également beaucoup sur le bénévolat – 19 permanents pour 730 bénévoles au sein de la Fondation des martyrs – et sur le soutien de quelques entreprises, pas uniquement dirigées par des chiites : l’équipe de football du mouvement dispose ainsi d’un budget de 400 000 dollars annuels, abondé par 8 sociétés. Les structures audiovisuelles et caritatives sont également autofinancées.

Un changement de dimension, déjà amorcé par la guerre contre Israël en 2006, a pu être observé avec le déclenchement de la guerre civile en Syrie. L’intervention du Hezbollah dans le pays aux côtés des forces du régime est principalement motivée par la volonté de préserver son axe principal de communication avec l’Iran. L’alternative maritime envisagée au début du conflit ne présentant pas tous les gages de discrétion. Le risque d’un renversement d’alliance dirigée par une majorité sunnite et favorable à un dialogue avec Israël a également pesé dans le choix de l’intervention. Celle-ci ne saurait être considérée comme un alignement sur les positions du régime baasiste, le Hezbollah demeurant assez réservé depuis 2006 sur Bachar el-Assad. Il ressort de ces combats successifs l’image d’un mouvement militaire bien organisé, apte à assurer la sécurité du pays. Les effectifs militaires du mouvement chiite ont ainsi triplé depuis 2006, lui permettant de maintenir une forme de dissuasion à l’égard de toute velléité d’attaque israélienne. La relation avec l’Iran a également évolué. Si elle reste forte, on observe que la dynamique militaire est désormais du côté des chiites libanais, plus expérimentés que leurs alliés iraniens dont la dernière participation à un conflit remonte à 1988. La Russie considère par ailleurs le mouvement armé chiite comme une référence et concourt à leur formation en matière d’espionnage, de téléguidage ou de décryptage des données.

Les succès militaires ont également contribué à revaloriser le sentiment d’appartenance à la communauté chiite, longtemps considérée comme la plus pauvre au Liban. Elle est aujourd’hui sans doute la plus nombreuse puisqu’on estime son poids à 40 % de la population. On assiste à une véritable réécriture de l’histoire libanaise par les intellectuels chiites, accentuant la libanité de leur communauté, s’opposant aux récits maronite et sunnite. Ce changement de perception coïncide également avec une affirmation du Hezbollah au niveau politique, le mouvement apparaissant comme la clé de voûte de toute coalition gouvernementale. Il dispose par ailleurs d’un réel pouvoir de véto quant à l’accession aux plus hautes fonctions.

Ce renforcement de son poids politique est à mettre en perspective avec l’effondrement du sunnisme politique, le Courant du futur de l’actuel Premier ministre – premier opposant au Hezbollah – étant fragilisé par l’attitude de l’Arabie saoudite à l’égard de Saad Hariri et la perte de ses ressources financières. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant d’observer un ralliement des sunnites au Courant patriotique libre, parti du président maronite de la République, M. Michel Aoun, qui souhaite apparaître avant tout comme un parti transconfessionnel. Cette formation est l’alliée du Hezbollah. Dans ces conditions, le spectre d’une scène politique dominée à 80 % par le Hezbollah et ses alliés à l’horizon 2020 n’est pas à écarter.

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