EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L'essor insuffisamment maîtrisé de l'urbanisation s'est réalisé par cercles concentriques autour des grandes agglomérations métropolitaines. Il a atteint depuis plusieurs années ses limites. Le coût des logements dans les grandes villes et leur exiguïté ont entraîné un éloignement des lieux de vie des classes moyennes par rapport aux lieux de travail. La qualité de la vie s'en est trouvée dégradée en raison des temps de transport, de l'insécurité, de la pollution et de l'insuffisance des services publics. C'est pourquoi la politique d'aménagement du territoire doit être revue en profondeur. La lutte contre le réchauffement climatique justifie aussi que la situation actuelle soit corrigée.

Les modes de vie du monde urbain et péri-urbain, qui regroupe près de 80% de la population, sont de plus en plus dévastateurs pour l'environnement, ravageurs pour les paysages, destructeurs pour l'équilibre familial, incompatibles avec l'épanouissement culturel, associatif et sportif, inhibiteurs de la cohésion sociale, générateurs de communautarisme, de pauvreté et aussi de violence et d'insécurité. Les services publics y sont dégradés. Des zones de non droit s'y sont constituées.

Depuis plusieurs années, les législations d'urbanisme ont été durcies pour enrayer ce phénomène. De nouvelles contraintes ont été posées par la loi « climat et résilience » du 22 août 2021, qui impose aux documents d'urbanisme de se conformer à une « trajectoire » visant à atteindre en plusieurs étapes l'objectif qualifié de « zéro artificialisation nette ». Aux anciennes prescriptions d'urbanisme liées par exemple aux périmètres des agglomérations ou à l'affectation des sols (zones agricoles, zones de submersion marine, zones naturelles protégées) s'ajouteront donc des contraintes chiffrées liées aux surfaces foncières susceptibles d'être construites ou simplement pourvues d'un revêtement. Pendant la durée de vie des prochains plans d'urbanisme, la consommation de foncier devra être moitié moindre que pendant les dix années précédentes.

À terme, les Français ne pourront plus « artificialiser » de sols qu'en contrepartie de la remise à l'état naturel de friches industrielles ou d'îlots d'immeubles vétustes. Dès maintenant, l'inventaire des logements vacants constitue par conséquent un point de passage obligé pour l'élaboration des plans d'urbanisme. La ré-introduction de ces logements sur le marché immobilier devient un préalable au calcul des droits à construire des communes concernées. Beaucoup d'entre elles n'ont d'ailleurs pas attendu les prescriptions légales pour s'engager intelligemment dans cette voie.

Cette logique de développement durable n'appelle pas de contestation de principe et peut même faire l'objet d'un consensus national tant les modes de vie imputables à une urbanisation plus subie que voulue se sont dégradés avec le temps, au point d'être à l'origine de bien des dérèglements de la société française. Mais, comme toutes les logiques, elle peut devenir absurde si elle est poussée sans discernement jusqu'à son point le plus extrême. C'est inéluctablement ce qui adviendra si on n'applique pas dès maintenant les correctifs nécessaires.

Il faut d'abord regarder la France telle qu'elle est. S'il n'est pas douteux que l'arrière-pays des métropoles, tributaire de leur puissant développement économique, a connu et connaît une urbanisation anarchique auquel un coup d'arrêt doit être donné, il faut aussi comprendre que notre pays n'est pas seulement constitué de villes entourées de cités-dortoirs, de banlieues résidentielles et de zones semi-urbaines. Une grande partie du territoire français, qui mérite aussi la considération de la nation, trouve son équilibre en dehors de la sphère d'influence de ce monde métropolitain et sub-métropolitain. Il couvre près de 80% de la surface de l'hexagone et accueille près du quart des Français.

Cet espace est celui de la ruralité. Il vit de l'agriculture, de l'artisanat, des PME et du tourisme. Il compte aussi quelques fleurons de l'économie nationale. L'attachement à la valeur travail y reste essentiel. La violence et l'insécurité y demeurent relativement sous contrôle malgré la dégradation observée au cours des dernières années. On y participe activement à la vie municipale, associative, culturelle et sportive. On y travaille près de chez soi. On y pratique la solidarité intergénérationnelle.

Cet espace n'a pas été dénaturé par l'urbanisation galopante qui a affecté le monde métropolitain. On y construit, certes. On y renforce les axes de communication nécessaires au développement économique local. On y a consommé des terres agricoles et des espaces naturels, sans doute trop, et il faut veiller à y maîtriser la consommation de terres. Mais il n'y a pas de rapport ni de commune mesure entre l'évolution du paysage urbain observée au sein du monde rural et les nuisances multiples que la loi a entendu à juste titre corriger dans la sphère métropolitaine, où le développement durable a été compromis par de nombreuses nuisances affectant le mode de vie.

C'est un mal français particulièrement pernicieux que de vouloir appliquer partout la même règle alors que les situations sont différentes, de traiter par les mêmes contraintes les territoires dont l'équilibre a été préservé et ceux que l'urbanisation a déstabilisés. Laisser les choses en l'état reviendrait à infliger au monde rural une sorte de punition sans cause, alors qu'une chance nouvelle s'offre à son développement du fait même des nuisances rencontrées là où la qualité de la vie a été dégradée. On constate en effet depuis le début de la crise sanitaire une demande croissante de logements dans les espaces ruraux venant de citadins, que facilite le déploiement de la fibre au moment où le télétravail explose. La situation économique de certains départements ruraux est désormais favorable et les offres d'emplois qualifiés y sont nombreuses. Un freinage excessif des possibilités de construction y apparaît particulièrement incongru et contreproductif. Il empêcherait de satisfaire une forte demande qui offre une opportunité nouvelle de compenser le vieillissement et le dépeuplement de territoires encore touchés par l'exode rural au cours des dernières décennies. L'espace rural ne doit pas être interdit de développement. La loi « climat et résilience » a d'ailleurs officiellement consacré comme un impératif catégorique la prise en compte, imposée aux schémas de cohérence territoriale dans la réalisation des objectifs de réduction de l'artificialisation des sols, des besoins liés au développement rural et à la revitalisation des communes rurales caractérisées comme peu denses ou très peu denses au sens de l'Institut national de la statistique et des études économiques. Mais, pour que cet appel du législateur au développement se traduise dans les faits, il faut que l'espace rural puisse saisir les chances nouvelles qui s'offrent à lui. Ce n'est pas seulement son intérêt. C'est aussi celui des espaces fortement urbanisés : ils verraient ainsi s'atténuer les tensions qui s'exercent sur eux. L'enjeu est donc de cohésion nationale, car il impose de conjuguer développement rural et développement urbain. La ville et la campagne sont désormais plus solidaires que jamais du point de vue de l'aménagement du territoire national.

Il est temps de tourner résolument le dos aux préjugés idéologiques qui ont pu conduire la ministre en charge du Logement à qualifier de « non-sens écologique, économique et social (...) le rêve de la maison individuelle », alors qu'il constitue toujours le modèle privilégié par les familles pour leur épanouissement. Ce choix de vie relève d'une liberté fondamentale qui doit être accessible à tous et pas seulement aux Français les plus aisés. Il peut s'accomplir dans le respect du développement durable dans les espaces ruraux qui trouvent en eux-mêmes leur propre équilibre et ne sont pas dans l'orbite des métropoles urbaines.

La présente proposition de loi s'attache à donner aux espaces ruraux les outils indispensables pour mettre en oeuvre leur droit à se développer tout en préservant l'environnement, l'agriculture et les paysages dans le cadre d'une politique de développement durable.

Elle vise d'abord, dans des conditions strictement définies et dans le cadre de la « trajectoire » fixée par la loi « climat et résilience », à inscrire dans les différents documents d'urbanisme élaborés par les collectivités et leurs groupements la possibilité de construire des maisons individuelles et d'édifier des commerces et des ateliers dans les bourgs ruraux ou en lisière de ceux-ci sans que les terrains concernés soient imputés sur le calcul des terres artificialisées. Des dispositions particulières sont prévues pour les installations agricoles. Le périmètre des espaces concernés serait celui des zones à forts besoins de développement rural, identifiées par application des critères combinés de faible densité de population et d'autonomie par rapport au périmètre d'influence des pôles d'emploi établis par l'Institut national de la statistique et des études économiques, c'est-à-dire des grandes métropoles. Ces critères constitueront une référence objective.

Les possibilités ouvertes par ces dispositions sont strictement encadrées afin que leur mise en oeuvre ne se fasse pas au détriment de l'environnement, des paysages ou de l'activité agricole (interdiction étant expressément faite d'autoriser une construction susceptible de la compromettre) et n'emporte pas de risque de « mitage ». La commission départementale compétente en matière de préservation, selon les cas, des espaces agricoles ou des zones naturelles, sera consultée. Il est expressément prévu que ces possibilités ne seront pas applicables dans les zones protégées : espaces naturels sensibles, espaces boisés, espaces de continuités écologiques...

Par son pragmatisme, le dispositif relatif à ce premier axe de la proposition de loi s'inscrit aux antipodes du manichéisme idéologique selon lequel le développement rural ne pourrait se faire qu'au préjudice du développement durable. Les territoires ruraux ne sauraient être condamnés à l'immobilité.

La proposition de loi prévoit également d'inscrire dans le code de l'urbanisme de nouveaux objectifs parmi ceux que doivent légalement prendre en compte les plans locaux d'urbanisme, notamment le développement de l'activité et des services et l'amélioration de l'offre de logements et de la qualité de l'habitat.

La proposition de loi vise par ailleurs à réformer l'Agence de la cohésion territoriale pour assurer son autonomie par rapport à l'Etat et lui donner pour mission, sur le modèle de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine, de contribuer aux opérations de rénovation de l'habitat délaissé dans les bourgs ruraux et de réhabilitation urbaine dans les espaces ruraux, y compris la conversion en espaces naturels de constructions vétustes. L'agence mettra en oeuvre un programme national de rénovation rurale destiné à concourir au développement de ces espaces ruraux par des interventions en faveur de la réhabilitation urbaine des communes rurales, de la rénovation des logements et de la transformation en logements de locaux en déshérence au moyen notamment de concours financiers aux communes et à leurs groupements. Elle pourra également, dans le cadre de ce programme, soutenir des opérations de désartificialisation des sols et concourir à la construction de logements sans qu'il en résulte une artificialisation nette. Les représentants des collectivités détiendront la majorité des sièges du conseil d'administration qui désignera le directeur général sur proposition de l'Etat et adoptera le programme national de rénovation rurale. Le montant des financements du programme national de rénovation rurale serait fixé en loi de finances, l'équité imposant que son appréciation se fasse en considération du montant des crédits du nouveau programme de renouvellement urbain et de l'importance démographique des populations concernées par ces deux programmes. Afin de faciliter la déclinaison territoriale de ce programme national de rénovation rurale, l'Agence pourrait s'appuyer sur les établissements publics fonciers locaux, habilités par la proposition de loi, dès lors que leurs statuts les y autoriseraient, à être ses relais sur leur périmètre d'intervention.

Afin d'inciter les particuliers à participer, eux aussi, aux efforts en faveur du logement dans les zones à forts besoins de développement rural, la proposition de loi étend à ces territoires le dispositif dit « Pinel » de réduction d'impôt pour investissement à des fins locatives.

Le texte permettrait par ailleurs de traiter certaines difficultés auxquelles sont confrontés les espaces ruraux littoraux.

Le dispositif applicable dans les « dents creuses », issu des amendements du Sénat à la loi dite « ELAN » du 23 novembre 2018, serait perfectionné en autorisant expressément, en plus des constructions et installations liées au logement et à l'hébergement, celles nécessaires aux activités agricoles ou forestières ainsi que l'édification d'annexes de taille limitée à proximité d'un bâtiment existant. Bien entendu, ces constructions seraient subordonnées aux mêmes conditions de fond que celles posées par la loi « ELAN » : ne pas être réalisées sur la bande des cent mètres, ne pas avoir pour effet d'étendre le périmètre bâti existant ni d'en modifier de manière significative les caractéristiques.

Serait ouverte, sous réserve de respecter les proportions en hauteur et en volume du bâti existant, la possibilité d'autoriser la densification des hameaux déjà desservis par les réseaux d'accès aux services publics essentiels (distribution d'eau potable et d'électricité, assainissement, collecte de déchets).

La relocalisation de biens exposés au recul du trait de côte serait facilitée, sous réserve de présenter un caractère démontable. De ce fait, n'étant pas à proprement parler une construction nouvelle, une relocalisation n'aurait pas à donner lieu à une consignation pour garantir le paiement de la démolition à terme exigée pour tout nouveau bâtiment. Les installations économiques proches du rivage pourraient ainsi être plus facilement déplacées dans des zones plus sûres également proches du rivage quand la poursuite de leur activité l'exige.

Les collectivités pourraient acquérir des biens immobiliers proches du rivage servant à l'exercice d'une activité économique (industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale) et les donner à bail, dans le cadre d'un bail dit de « sécurisation d'activité littorale »,  pour assurer la poursuite de l'exploitation sans perte de patrimoine lorsque le niveau des risques de submersion marine le permet. Afin de compenser les contraintes inhérentes à l'exploitation d'une activité économique dans une zone menacée par le recul du trait de côté, les créateurs ou repreneurs d'une entreprise signataire d'un tel bail bénéficieraient de l'exonération des bénéfices, pendant cinq ans, accordée aujourd'hui aux créateurs et repreneurs d'entreprise située dans une zone de revitalisation rurale.

Les financements du fonds de prévention des risques naturels majeurs (dit « Fonds Barnier ») seraient ouverts aux propriétaires d'habitations menacés par le recul du trait de côte dans les conditions prévues par la loi. À ce titre, serait d'abord possible l'indemnisation rétroactive d'un propriétaire d'immeuble dont la construction, autorisée par ou au nom de l'État, a été frappée d'une interdiction définitive d'habitation ou d'utilisation motivée par le risque de recul du trait de côte (et pour des faits intervenus avant le 1 er janvier 2021) ; le montant de l'indemnisation ne saurait excéder 75 % de la valeur de l'immeuble.

Pour l'avenir, le fonds pourrait financer les acquisitions de biens réalisées par les collectivités avant 2025 dans le cadre d'opérations d'aménagement foncier (pour lesquels l'exercice du droit de préemption serait élargi) afin de réduire la vulnérabilité des territoires face au risque de recul du trait de côte, sous réserve que ce risque présente une certaine urgence (les biens acquis devant être soumis, au jour de l'ouverture de l'opération d'aménagement, à un risque à horizon inférieur à dix ans) ; les dépenses liées à la limitation de l'accès à ces biens et à leur démolition éventuelle seraient également prises en charge, sauf s'ils ont été édifiés après l'approbation d'un plan de prévention des risques mentionnant l'exposition au recul du trait de côte. Le fonds financerait également l'indemnisation des pertes qui résulteraient d'une réalisation du risque de recul du trait de côte plus précoce que celle prévue dans les contrats de bail de sécurisation d'activité littorale.

Toujours en ce qui concerne le littoral, la proposition de loi s'attache à renforcer la sécurité juridique et à prévenir les contentieux en :

- donnant une définition du recul du trait de côte. Celui-ci serait entendu comme un déplacement, vers l'intérieur des terres, de la limite du domaine maritime en raison soit d'une érosion côtière par perte de matériaux rocheux ou sédimentaires, soit de l'élévation permanente du niveau de la mer ;

- précisant le concept de « sensibilité des lieux » qui permet à une collectivité d'élargir la bande des cent mètres sur son territoire ;

- affirmant, pour obvier aux incertitudes des services de l'Etat sur ce point, que le fait de remettre du sable sur une plage pour remédier aux conséquences d'évènements climatiques ne constitue pas une atteinte à l'état naturel du rivage et ne tombe donc pas sous le coup de l'interdiction posée en ce cas par le code général de la propriété des personnes publiques ;

- interdisant aux collectivités publiques d'aliéner un bien de leur domaine privé exposé à un recul du trait de côte à un horizon inférieur à trente ans.

Le texte qu'il vous est demandé d'adopter comprend dix-neuf articles répartis entre trois chapitres consacrés respectivement aux zones à forts besoins de développement rural, aux zones littorales et aux dispositions diverses et transitoires.

• Chapitre Ier : Prendre en compte les spécificités des zones à forts besoins de développement rural

Le volet « zones à forts besoins de développement rural », objet du chapitre Ier, comprend les articles 1 à 5.

L' article 1 er renforce la place du développement de la ruralité parmi les enjeux des politiques publiques.

À cette fin, il élargit d'abord aux zones à forts besoins de développement rural le périmètre, actuellement circonscrit aux zones de revitalisation rurale, au sein duquel l'État et les collectivités territoriales sont appelés, par l'article 61 de la loi du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, à mettre « en oeuvre des actions visant notamment à :

- développer les activités économiques,

- assurer un niveau de service de qualité et de proximité,

- améliorer la qualité de l'habitat et l'offre de logement, notamment locatif,

- lutter contre la déprise agricole et forestière et maintenir des paysages ouverts,

- assurer le désenclavement des territoires,

- développer la vie culturelle, familiale et associative,

- valoriser le patrimoine rural,

- et d'une façon plus générale assurer aux habitants de ces zones des conditions de vie équivalentes à celles ayant cours sur les autres parties du territoire. »

Corollaire de cette exigence, les zones à fort besoins de développement rural devront être prises en compte dans l'élaboration des documents stratégiques relatifs au déploiement équilibré dans les territoires de services aux populations de qualité (notamment les schémas de services collectifs prévus par la même loi de 1995 dans les domaines sanitaire, de l'information et de la communication, du sport, de la culture...) ; elles constitueront, comme les zones de revitalisation rurale, un territoire de référence pour l'organisation par l'État des services rendus aux usagers dans des conditions visant à assurer l'accès de tous aux services au public,

L'article 1 er prévoit également d'ajouter les objectifs ainsi assignés aux pouvoirs publics dans la liste de ceux que doivent légalement prendre en compte les documents d'urbanisme, dressée par l'article 101-2 du code de l'urbanisme. Ce faisant, serait enfin traduite dans le droit de l'urbanisme la volonté clairement exprimée par le législateur il y a plus d'un quart de siècle de mettre en oeuvre des dispositions adaptées aux besoins des zones rurales et de leurs habitants.

Enfin, l'article 1 er inscrit, aux côtés de considérations essentielles telles que le renouvellement urbain, la qualité urbaine ou la protection des sols, celle tout aussi fondamentale du développement rural parmi les éléments de l'équilibre imposé par l'article L. 101-2-1 du code de l'urbanisme dans la lutte contre l'artificialisation.

L' article 2 permet aux documents d'urbanisme (règlement national d'urbanisme, plan local d'urbanisme, carte communale) d'autoriser dans les zones à forts besoins de développement rural (dont sont exclues les zones protégées), sous la stricte condition qu'elles ne compromettent pas l'activité agricole et ne portent atteinte ni à l'environnement, ni aux paysages :

- des constructions et installations dans les « dents creuses », autrement dit n'ayant pas pour effet d'étendre le périmètre bâti existant ni, au surplus, de modifier de manière significative les caractéristiques de ce bâti ;

- des constructions ou installations se situant en continuité de zones urbanisées, mais, afin de prévenir tout risque de « mitage », uniquement de celles qui existent déjà (à savoir à la date de promulgation de la loi qu'il vous est proposé d'adopter).

La possibilité d'autoriser les constructions et installations nécessaires aux activités agricoles ou forestières, déjà prévue expressément pour le règlement national d'urbanisme (article L. 111-4 du code de l'urbanisme) et la carte communale (article L. 161-4), est formellement étendue au plan local d'urbanisme (à l'article L. 151-11), bien entendu sous les mêmes conditions de fond (de ne pas compromettre l'activité agricole et de ne porter atteinte ni à l'environnement, ni aux paysages). Il est au surplus précisé que le changement de destination de ces constructions et installations sera prohibé.

Les autorisations délivrées sur la base de ces nouvelles dispositions seront soumises préalablement à l'avis de la commission départementale de la préservation des espaces agricoles, naturels et forestiers (CDPENAF).

L'édification d'annexes de taille limitée à proximité d'un bâtiment existant, déjà susceptible d'être autorisée par un PLU ou une carte communale, pourrait également l'être par le règlement national d'urbanisme, sous les mêmes conditions de fond de ne pas compromettre l'activité agricole et de ne porter atteinte ni à l'environnement, ni aux paysages.

L' article 3 procède à une rationalisation de la lutte contre l'artificialisation des sols en l'adaptant aux besoins inhérents au développement des espaces ruraux, sans remettre en cause le rythme de la trajectoire prévue par la loi « climat et résilience » pour atteindre une artificialisation nette nulle en 2050.

D'abord, il exclut de l'assimilation à une artificialisation des opérations qui :

- soit sont indispensables au développement des zones rurales (à savoir les projets d'envergure nationale, régionale ou départementale),

- soit portent sur des surfaces qu'il serait aberrant de considérer comme non artificialisées (à savoir les friches) ou qui, lors du lancement de la trajectoire vers le « zéro artificialisation nette » (fixé par référence à la date de promulgation de la loi « climat et résilience »), pouvaient avoir vocation à contribuer au développement rural (à savoir les parcelles attenantes au bâti existant à ladite date).

Ensuite, il exclut de cette assimilation certaines consommations d'espace (nécessairement respectueuses de l'environnement, des paysages et de l'activité agricole, faute de quoi elles ne peuvent être autorisées) dans les zones littorales, rurales ou de montagne. Il en va ainsi pour les constructions au sein de dents creuses car, réalisées par hypothèse au milieu et à proximité de bâtiments existants, nul ne saurait sérieusement soutenir qu'elles altèrent les fonctions écologiques des sols et encore moins qu'elles devraient être assimilées à des constructions ayant pour effet d'étendre le périmètre du bâti existant. Il en va également ainsi pour les implantations de services publics ou les constructions nécessaires aux activités agricoles puisque, précisément parce qu'elles sont nécessaires, chercher à les limiter relèverait, au regard des exigences du développement rural, d'un oxymore téléologique. Il en va enfin ainsi, dans les zones à forts besoins de développement rural, des constructions ou installations se situant en continuité de zones urbanisées existant aujourd'hui, dont le périmètre potentiel est de ce fait strictement limité.

L' article 4 instaure un programme national de rénovation rurale, établi et mis en oeuvre par l'Agence nationale de la cohésion des territoires, destiné à constituer pour les zones à forts besoins de développement rural l'équivalent du programme national de renouvellement urbain pour les zones relevant de la politique de la ville.

À cette fin, cet article définit le concept de zone à forts besoins de développement rural au sein d'un futur paragraphe III bis à insérer dans l'article L. 1231-1 du code général des collectivités territoriales et qui se présente donc comme une « disposition souche », puisque toutes les dispositions relatives à ce concept y renvoient nécessairement.

Selon cette définition, seront classés en zones à forts besoins de développement rural, les territoires des communes autres que les espaces protégés au sens du code de l'urbanisme (espaces relevant du chapitre III de son titre I er : espaces naturels sensibles, espaces boisés, espaces de continuités écologiques...) remplissant deux conditions cumulatives, chacune appréciée au sens des données statistiques, donc objectives, établies par l'INSEE :

- une condition « morphologique », tenant à la densité de population : être des communes peu denses ou très peu denses. La classification dans l'une de ces catégories s'opère en fonction d'une méthode, mise au point par Eurostat et récemment reprise par l'INSEE, reposant sur une analyse de la densité km² par km². Bien que nouvelle, cette classification a déjà été consacrée par le législateur qui y recourt désormais, par exemple, pour fixer la clef de répartition des crédits de la dotation d'équipement des territoires ruraux (article L. 2334-35 du code général des collectivités territoriales) ou comme paramètre à prendre en compte par le schéma de cohérence territoriale en cas de déclinaison par secteur géographique des objectifs de réduction de l'artificialisation des sols (article L. 141-8 du code de l'urbanisme) ;

- une condition fonctionnelle, tenant à l'autonomie par rapport aux grandes zones urbaines, notamment les métropoles : être autonomes ou sous faible influence d'un pôle d'emploi, concept qui, dans la terminologie de l'INSEE, correspond en substance à une ville d'attraction économique de plus de 50 000 habitants.

Il appartiendra au représentant de l'État dans le département de constater (puisque, s'agissant de tirer les conséquences de paramètres statistiques, il ne disposera pas de pouvoir d'appréciation) le classement des zones à forts besoins de développement rural. Ce constat s'effectuera par voie d'arrêté (le premier devant intervenir au plus tard le 1 er janvier 2023), à réviser bien entendu régulièrement, en l'occurrence au 1er janvier de la troisième année qui suit chaque renouvellement général des conseils communautaires.

Les zones ainsi identifiées seront éligibles aux crédits du programme national de rénovation urbaine adopté par le conseil d'administration de l'Agence nationale de la cohésion des territoires et appelé à s'appliquer sur la période 2023-2033. Les auteurs de la présente proposition de loi ont fait le choix de laisser à la loi de finances le soin d'en fixer le montant précis, mais, dès lors qu'il s'agit d'instaurer pour les espaces ruraux un levier correspondant à celui déjà prévu pour les quartiers de la politique de la ville, l'équité commandera de le déterminer en prenant en compte celui des crédits du nouveau programme de renouvellement urbain, pondéré par l'importance démographique respective des populations couvertes.

Ce programme national de rénovation urbaine sera activé pour soutenir quatre catégories d'interventions dans les zones à forts besoins de développement rural (donc toujours, bien entendu, hors espaces protégés) :

- la réhabilitation de logements ;

- la transformation en logements de constructions, installations et locaux en déshérence

- des opérations de désartificialisation des sols occupés par des constructions ou installations en déshérence ;

- la réalisation de logements sous réserve qu'elle n'entraine pas, si besoin après une opération de désartificialisation sur le terrain d'assiette ou à sa proximité immédiate, une artificialisation nette.

Ces interventions pourront être conduites aussi bien par des collectivités territoriales, des établissements publics de coopération intercommunale ou d'autres organismes publics que par des organismes privés. Le soutien qui leur sera apporté dans le cadre du programme national de rénovation urbaine donnera lieu à une convention avec l'Agence nationale de la cohésion des territoires (de même qu'un soutien apporté dans le cadre du programme de renouvellement urbain donne lieu à une convention avec l'Agence nationale de renouvellement urbain) ; le conseil d'administration de celle-ci pourra éventuellement fixer des seuils au-dessous desquels il ne sera pas nécessaire de conclure de convention.

Compte tenu de la nature des interventions concernées, ciblées sur le logement, le programme bénéficiera, comme son homologue pour la politique de la ville, de contributions du groupe Action Logement.

Afin de faciliter la déclinaison dans les territoires de ce programme national, il vous est proposé de permettre à l'Agence nationale de la cohésion des territoires de s'appuyer sur le réseau des établissements publics fonciers locaux : dès lors que ses statuts le lui permettra, un établissement public foncier local pourra être habilité à intervenir, naturellement dans son périmètre, pour le compte de l'Agence, dont il sera donc le délégataire local, sur la base d'une convention d'objectifs et de moyens. Conclue pour six ans, sans préjudice de la possibilité de la réviser par avenant (notamment si l'évaluation de sa mise en oeuvre le justifie ou en cas de modification du périmètre d'un établissement), cette convention constituera en quelque sorte la « feuille de route » du délégataire en tant qu'elle déterminera la ou les catégories d'interventions à soutenir en priorité compte tenu à la fois des orientations du programme national de rénovation rurale et des caractéristiques propres au territoire concerné. Elle fixera également, en fonction des interventions, les taux maximaux et minimaux (dans des limites fixées par décret en Conseil d'État) des soutiens susceptibles de leur être apportés. Il lui appartiendra également de déterminer l'enveloppe budgétaire dont disposera l'établissement public foncier local pour conduire ses missions.

En outre, le dispositif de la proposition de loi relatif au programme national de rénovation rurale transpose à celui-ci deux mesures prévues pour le programme de renouvellement urbain : la participation à son financement de la Caisse des dépôts et consignation et la possibilité, pour une personne de droit public en charge d'une intervention soutenue par le programme, d'assurer moins de 20 % de la subvention publique totale qui lui est attribuée.

Enfin, l'article 4 de la proposition de loi améliore la gouvernance de l'Agence nationale de la cohésion des territoires, faisant logiquement écho à des compétences conçues essentiellement pour s'exercer à l'égard des collectivités locales :

- la place des représentants des collectivités locales (collectivités territoriales et groupements) au conseil d'administration est renforcée, leur nombre devant désormais être égal à celui de l'ensemble constitué par les représentants de l'État, de la Caisse des dépôts et consignation et du personnel de l'agence (rappelons que, actuellement, les représentants de l'État et de la Caisse des dépôts et consignations constituent à eux seuls au moins la moitié des membres du conseil d'administration). Comme aujourd'hui, deux députés et deux sénateurs siègeront également avec voix délibérative ;

- il est expressément prévu que la composition du conseil d'administration, qui doit déjà favoriser une juste représentation de la diversité des territoires métropolitains et ultramarins, devra également favoriser la prise en compte des caractéristiques propres aux zones à forts besoins de développement rural, au littoral et à la montagne ;

- la nomination du directeur général de l'agence, actuellement décidée par décret, relèvera du conseil d'administration, sur la proposition du ministre chargé de la cohésion des territoires. La durée du mandat sera de trois ans, renouvelable une fois.

L' article 5 étend aux zones à forts besoins de développement rural le dispositif dit « Pinel », qu'il proroge par ailleurs jusqu'au 31 décembre 2025 (soit de deux ans par rapport à la dernière prorogation, décidée par la loi de finances pour 2022). Rappelons que ce dispositif prévoit, au profit de la personne qui acquiert un logement avant cette date et y fait réaliser des travaux d'amélioration ou de transformation pour le destiner à l'habitation locative pendant au moins six ou neuf ans, une réduction d'impôt de 12 % (en cas d'engagement à la location pour six ans) ou 18 % (en cas d'engagement pour neuf ans) du prix de revient de l'opération, travaux compris, dans la limite de 300 000 €.

• Chapitre II : Prendre en compte les spécificités des zones littorales

Le chapitre II, consacré à la prise en compte des spécificités des zones littorales, comprend les articles 6 à 16,

L' article 6 rationalise d'abord le dispositif applicable au droit de construire dans les « dents creuses » des zones littorales, régi par l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme, en :

- intégrant les constructions et installations nécessaires aux activités agricoles ou forestières dans le champ des opérations susceptibles d'être autorisées en application de cet article, actuellement limité à celles poursuivant des fins exclusives d'amélioration de l'offre de logement ou d'hébergement ou d'implantation de services publics. Comme pour les opérations déjà concernées, les constructions et installations nécessaires aux activités agricoles ou forestières ne pourront être autorisées, après avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites, qu'en dehors de la bande littorale des cent mètres et des espaces proches du rivage et à la condition qu'elles n'aient pas pour effet d'étendre le périmètre bâti existant ni d'en modifier de manière significative les caractéristiques. Sur le fond, il s'agit moins d'instaurer un nouvel assouplissement au droit de construire, puisque ces opérations peuvent déjà être autorisées par l'État sur le fondement de l'article L. 121-10 du code de l'urbanisme (applicable au-delà du strict champ des « dents creuses »), que de faciliter la cohérence des décisions en unifiant entre les mains du maire ou du président de l'intercommunalité à fiscalité propre l'exercice de la compétence relative aux constructions dans les « dents creuses » du littoral : sont donc transférées au maire ou président de l'intercommunalité les décisions relatives aux constructions et implantations agricoles dans ces secteurs particuliers, comme l'ont déjà été celles relatives aux constructions de logement et d'hébergement et aux implantations de services publics. L'article L. 121-10 n'est pas pour autant abrogé, puisqu'il peut avoir encore vocation à régir des demandes de constructions agricoles en dehors des « dents creuses » ;

- permettant, dans les mêmes conditions de fond (en dehors de la bande des cent mètres et des espaces proches du rivage, ne pas étendre le périmètre bâti existant et ne pas en modifier de manière significative les caractéristiques), l'édification d'annexes de taille limitée à proximité d'un bâtiment existant ;

- posant expressément, afin d'éviter tout détournement du droit, l'interdiction de changer la destination des constructions et installations autorisées dans les « dents creuses ».

L'article 6 permet par ailleurs de densifier les hameaux en retrait du littoral (hors de la bande des cent mètres et des espaces proches du rivage) sous réserve qu'ils soient desservis par les réseaux de services essentiels (distribution d'eau potable, électricité, assainissement...). Toute densification devra respecter les proportions en hauteur et en volume du bâti existant et ne pourra porter que sur des hameaux identifiés dans cette perspective par un schéma de cohérence territoriale et délimités par un plan local d'urbanisme (le cas échéant, le Scot et le PLU pourraient être révisés à cette fin selon la procédure simplifiée). Ce dispositif relatif à la densification des hameaux ne fait que reprendre la substance de celui déjà voté à deux reprises par le Sénat : en 2017, sur la proposition de loi portant adaptation des territoires littoraux au changement climatique ; en 2018, lors de l'examen de la proposition de loi relative au développement durable des territoires littoraux déposée par notre ancien collègue Michel Vaspart.

L' article 7 permet aux opérateurs de téléphonie mobile, lorsqu'aucun dommage ne peut en résulter pour l'environnement et les paysages, et en tout état de cause en dehors de la bande des cent mètres et des espaces proches du rivage, de se conformer à leurs obligations de déploiement dans des communes littorales sans avoir nécessairement à implanter des antennes relai à proximité immédiate d'habitations. À cette fin, et uniquement à cette fin, le préfet pourra les autoriser à déroger au principe de l'implantation en continuité des zones urbanisées, après avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites.

L' article 8 , reprenant la substance d'un dispositif adopté par le Sénat lors de l'examen de la proposition de loi précitée de M. Michel Vaspart, vise à améliorer la lisibilité du droit en ce qui concerne les motifs permettant aux plans locaux d'urbanisme d'élargir à plus de cent mètres la largeur de la bande littorale préservée de toute construction. L'un de ces motifs, prévu par le premier alinéa de l'article L. 121-19 du code de l'urbanisme, est tiré de la « sensibilité des milieux », formule qui gagnerait à être précisée pour sécuriser les décisions des acteurs locaux. Il est donc proposé de substituer à ce motif des justifications tenant à la protection des équilibres biologiques et écologiques, à la prévention des risques naturels liés à la submersion marine et à l'érosion ou à la préservation des sites, des paysages ou du patrimoine.

L' article 9 facilite la relocalisation de biens exposés au recul du trait de côte, dans le souci de maintenir autant que possible l'exercice d'activités économiques dès lors que ce maintien ne porte en rien atteinte à l'environnement ou aux paysages.

En l'état actuel du droit, issu du dernier alinéa de l'article L. 141-13 du code de l'urbanisme, les relocalisations sont interdites sur la bande des cent mètres et dans les espaces remarquables du littoral, ce qu'il n'est pas question de remettre en cause, mais aussi dans toute zone exposée au recul du trait de côte, que ce soit à moyen terme (horizon de moins de trente ans) ou à long terme (horizon compris entre trente et cent ans), ce qui est plus contestable. Il est vrai que l'article L. 121-22-5 du même code atténue un peu la rigueur de cette interdiction en permettant de construire (donc éventuellement de relocaliser) dans une zone exposée à long terme, sous réserve de procéder à une consignation auprès de la Caisse des dépôts et consignations pour un montant correspondant au coût prévisionnel de la démolition de la construction (remise en état du terrain comprise) qui devra intervenir plusieurs décennies plus tard. On ne voit cependant pas pourquoi une relocalisation devrait par principe être interdite sur une zone exposée au recul du trait de côte, même à échéance inférieure à trente ans, ou pourquoi elle devrait nécessairement être soumise à une consignation, lorsqu'il est possible d'y procéder dans des conditions garantissant que l'installation concernée pourra, du fait de son caractère démontable, être enlevée en quelques jours et à peu de frais. C'est pourquoi l'article 9 permet au schéma de cohérence territoriale d'autoriser les relocalisations sur les zones exposées au recul du trait de côte à condition qu'elles présentent un caractère démontable. Faute de présenter ce caractère, une relocalisation sera assimilée à une construction nouvelle et, à ce titre, soumise aux dispositions de l'article L. 121-22-5 : elle sera interdite sur une zone exposée au recul du trait de côte à horizon de moins de trente ans ; elle sera soumise à consignation sur une zone exposée au recul du trait de côté à horizon compris entre trente et cent ans.

Reprenant un dispositif adopté par le Sénat lors de l'examen de la proposition de loi de M. Michel Vaspart, l'article 10 inscrit noir sur blanc dans la loi la possibilité de remettre du sable sur les plages pour obvier aux érosions éoliennes. Comme l'avait alors expliqué notre collègue Jean-François Rapin, lors de sa présentation en séance de cette initiative, il s'agit de sécuriser les opérations réalisées à cette fin par les communes ou leurs groupements face à une interprétation littérale, et manifestement regrettable, faite par certains services de l'État de l'interdiction de principe, posée par l'article L. 2124-2 du code général de la propriété des personnes publiques, de porter « atteinte à l'état naturel du rivage de la mer, notamment par endiguement, assèchement, enrochement ou remblaiement ». Déduire de cet article qu'il interdit que soit remis sur les plages le sable emporté par le vent revient à faire primer la lecture littérale des textes sur le bon sens le plus élémentaire. L'article 10 lève donc toute ambiguïté sur la lettre de l'article L. 2124-2 pour, puisqu'il semble nécessaire de passer par une modification de la loi, la faire coïncider avec la raison.

L' article 11 interdit à l'État, aux collectivités territoriales et à leurs groupements et aux établissements publics fonciers d'aliéner les immeubles susceptibles de faire l'objet d'un bail de sécurisation d'activité littorale (autrement dits des immeubles de leur domaine privé, utilisés à des fins économiques et situés dans une zone identifiée comme exposée au recul du trait de côte à horizon de moins de trente ans). La possibilité reste cependant offerte à ces personnes de céder ou d'échanger ces immeubles entre elles ou avec le Conservatoire de l'espace littoral des rivages lacustres.

Une mesure comparable a été adoptée à deux reprises par le Sénat, en 2017 et 2018, malgré les réserves de sa commission des Lois sur la constitutionnalité d'un dispositif qui risquait, selon elle, d'être regardé comme portant une atteinte disproportionnée au droit de propriété des personnes publiques et à la libre-administration des collectivités territoriales. La question se pose cependant aujourd'hui en des termes différents puisque, dans le cadre de la présente proposition de loi, il ne s'agit plus d'interdire l'aliénation d'immeubles y compris lorsque le risque de submersion est à très long terme, mais uniquement lorsque ce risque est à moins de trente ans. En d'autres termes, sont visés des immeubles qui se trouvent de fait dans l'antichambre du domaine public maritime de l'État, qu'ils devraient intégrer à une échéance somme toute proche eu égard à la nature des biens concernés. Par ailleurs, contrairement à ce qu'avait envisagé le Sénat en 2017 et 2018, l'interdiction d'aliénation n'est pas générale puisqu'elle ne s'applique qu'aux immeubles susceptibles de faire l'objet d'un bail de sécurisation collective, ce qui exclut notamment les terrains nus ou les immeuble à usage d'habitation ; au surplus, les caractéristiques d'un tel bail, portant aussi sur les droits réels, en font un acte proche d'un contrat de vente, ce qui atténue d'autant la portée de l'interdiction de vendre.

L' article 12 insère au sein du code de l'environnement un chapitre consacré à l'évaluation et à la gestion du recul de trait de côte constitué des futurs articles L. 567-1 à L. 567-25.

La première section de ce chapitre (article L. 567-1) définit le recul du trait de côte. Celui-ci consisterait en un déplacement, vers l'intérieur des terres, de la limite du domaine maritime en raison soit d'une érosion côtière par perte de matériaux rocheux ou sédimentaires, soit de l'élévation permanente du niveau de la mer.

Il est précisé qu'il peut s'étendre au-delà des limites du rivage de la mer tel qu'il est défini par l'article L. 2111-4 code général de la propriété des personnes publiques, relatif au périmètre du domaine public maritime naturel de l'État, aux termes duquel : « Le rivage de la mer est constitué par tout ce qu'elle couvre et découvre jusqu'où les plus hautes mers peuvent s'étendre en l'absence de perturbations météorologiques exceptionnelles ». Le recul du trait de côte pourrait donc être constaté au-delà de ces limites.

Le souci de définir le recul du trait de côte, au nom de la clarté du droit, correspond à une volonté du Sénat affirmée lors de l'examen de la proposition de loi de M. Vaspart et réitérée lors de la discussion de la future loi « climat et résilience ». La définition proposée par le présent article 12 reprend à la lettre celle adoptée dans le cadre du premier de ces textes ; elle se distingue de la définition adoptée dans le cadre du second (dans un article supprimé en commission mixte paritaire) par la mention, parmi les causes du recul du trait de côte, de l'élévation des eaux due au changement climatique (entendue comme « l'élévation permanente du niveau de la mer »).

La section 2 (futurs articles L. 567-2 et L. 567-3) reprend la substance d'un dispositif voté dans le cadre de la proposition de loi de M. Michel Vaspart afin de préciser les trois outils du code de l'urbanisme pouvant être mis en oeuvre pour s'adapter au recul du trait de côte : les actions et opérations d'aménagement, la constitution de réserves foncières et les procédures de préemption.

Les deux premiers de ces outils sont surtout mentionnés à des fins « pédagogiques », puisqu'il est juste précisé que la réduction de la vulnérabilité des territoires face au recul du trait de côte (on pense notamment à la construction d'ouvrages de protection contre l'élévation du niveau de la mer) peut s'appuyer sur ces opérations, déjà prévues par le code de l'urbanisme et dont le dispositif n'est pas modifié.

La mention du troisième outil, à savoir l'exercice du droit de préemption, va plus loin qu'un simple rappel puisqu'il est ajouté que la préemption est possible et réputée d'utilité publique dans une zone exposée au recul du trait de côte à moins de trente ans si le prix fixé par le juge de l'expropriation intègre une « décote » tenant compte de l'existence de ce risque lorsque le propriétaire a acquis le bien (cette exigence n'est cependant pas posée si le bien objet de la préemption est affecté à une activité agricole au sens de l'article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime, ce qui inclus notamment la culture marine). Comme l'expliquait la commission des Lois lors de la discussion de la proposition de M. Vaspart, « cette disposition présente un double objectif : prendre en compte le risque de submersion marine de ces biens, d'une part, et permettre aux personnes publiques de disposer de davantage de marges de manoeuvre financières pour les préempter, d'autre part. »

Par ailleurs, lorsque le bien sera destiné à une activité économique, la préemption, pour être possible et réputée d'utilité publique, supposera en outre que l'acte de vente comporte une clause précisant si une préférence sera accordée au bailleur en cas de conclusion future d'un bail de sécurisation d'activité littorale (cf. infra).

La section 3 (futurs articles L. 567-4 à L. 567-24) instaure un bail dit de « sécurisation d'activité littorale ».

L'objectif est de faciliter le maintien d'activités dans les zones menacées par le recul du trait de côte. Afin que ce nouvel outil soit effectivement utilisé à cette fin, la présente proposition de loi le réserve aux immeubles ou parties d'immeuble destinés à l'exercice d'une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale. Ce faisant, elle s'écarte légèrement de ce que le Sénat a déjà adopté sous l'appellation de « bail réel immobilier littoral » qui, bien que poursuivant le même objectif de maintien des activités, pouvait aussi concerner les immeubles à usage d'habitation.

Sous réserve de cette différence concernant le champ matériel du bail (et, bien entendu, des adaptations techniques qui en résultent), le dispositif qui vous est soumis est quasiment identique à celui voté à deux reprises par le Sénat. Ses principales caractéristiques (outre les éléments « classiques » tels que le paiement d'un loyer et des charges, l'obligation de jouissance paisible du bien, etc.) sont les suivantes :

- le bien concerné devrait se situer dans une zone exposée au recul du trait de côte, en l'occurrence à horizon de moins de trente ans, et ne devrait pas relever du domaine public ;

- le bailleur pourrait être l'État, une collectivité territoriale, un groupement de collectivités territoriales, un établissement public foncier, le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, une société publique locale d'aménagement d'intérêt national ou une société publique locale compétente pour mener des opérations d'aménagement ou de construction ;

- le preneur pourrait être une personne physique ou morale, de droit privé ou public ;

- le bail confèrerait au preneur, outre un droit d'usage sur l'immeuble, des droits réels, comme le droit à hypothèque. Cet effet justifie que le bail soit conclu devant notaire ;

- le preneur ne pourrait cependant consentir un titre d'occupation conférant des droits réels sur l'immeuble ;

- le preneur, sauf stipulation contraire, disposerait de la possibilité de procéder à des travaux divers (surélévation, réhabilitation, démolition...) sur les constructions et même d'édifier de nouvelles constructions, à condition de n'opérer aucun changement diminuant la valeur de l'immeuble. En cas de construction nouvelle, une garantie financière devrait être constituée afin de permettre au preneur d'assurer ses obligations de démolition ou de déplacement (la proposition de loi prévoit que cette garantie puisse prendre la forme de la consignation exigée par la loi « climat et résilience » en cas de construction sur une zone exposée, précision qui ne figurait évidemment pas dans les textes adoptés auparavant par le Sénat) ;

- en cas de réalisation du risque de recul du trait de côte avant le terme prévu dans le contrat de bail, c'est en principe au bailleur qu'incomberaient les frais de démolition des constructions existant le jour de la conclusion du bail (et des constructions accessoires mises contractuellement à sa charge). Le preneur, lui, aurait en principe à sa charge le déplacement ou la démolition des constructions édifiées à son initiative. La porte reste cependant ouverte à des stipulations contraires ;

- en l'absence de réalisation du risque de recul du trait de côte au terme du contrat (éventuellement après prorogation), et également sauf stipulation contraire, le preneur devrait s'entendre avec le bailleur pour déterminer les modalités de cession, à titre gratuit ou onéreux, des constructions et améliorations dont il est propriétaire. En cas de refus de l'acquisition par le bailleur, la démolition de ces constructions incomberait au preneur ;

- la durée du bail serait comprise entre cinq et quatre-vingt-dix-neuf ans, les parties ne pouvant, si un document d'urbanisme a fixé une durée maximale d'utilisation des constructions en raison du recul du trait de côte, prévoir un terme postérieur à cette durée. Il n'y aurait pas de tacite reconduction ; une reconduction (nécessairement expresse donc) serait possible si, à l'échéance du terme initialement convenu, le risque de recul du trait de côte ne s'est pas réalisé ;

- en cas de réalisation du risque de recul du trait de côte avant le terme prévu, le bail serait résilié de plein droit (ce risque serait considéré comme réalisé dès la publication d'un arrêté de péril tirant les conséquences d'un recul du trait de côte) ;

- le preneur pourrait céder son bail de sécurisation d'activité littorale ou l'apporter en société, après accord du bailleur.

La section 4 du nouveau chapitre, constituée du seul article L. 567-25, se borne à prévoir un décret en Conseil d'État pour déterminer les modalités d'application du futur chapitre.

L' article 13 confie aux départements le soin de procéder, en tant que de besoin, à l'élaboration d'une stratégie locale de gestion intégrée du trait de côte, que la loi « climat et résilience » a réservé aux collectivités territoriales et à leurs groupements compétents en matière de défense contre les inondations et contre la mer. L'attribution de cette compétence aux départements semble davantage s'inscrire en cohérence avec leur rôle en matière de cohésion des territoires. Naturellement, lesdites collectivités et groupements seraient étroitement associés à l'élaboration de cette stratégie, via un mécanisme de consultation obligatoire, tant sur le projet de stratégie initiale que sur les éventuelles modifications de celle-ci, assorti d'un délai de six mois pour rendre leur avis.

L' article 14 prévoit, pour les propriétaires d'un bien immeuble dont la construction a été autorisée par l'État ou en son nom ayant fait l'objet d'une interdiction définitive d'habiter ou d'occuper les lieux prise en raison du risque de recul du trait de côte pour des faits intervenus avant le 1 er janvier 2021, d'être indemnisés par le fonds de prévention des risques naturels majeurs (dit « Fonds Barnier »). Il s'agit d'obvier aux tergiversations de l'État, insupportables pour les propriétaires déjà gravement affectés par cette interdiction, telles que celles constatées pour régler le cas de l'immeuble « Le Signal », à Soulac-sur-Mer, dont le principe d'une indemnisation a dû attendre la loi de finances rectificative du 30 juillet 2020, soit près de dix ans après un arrêté de péril. Alors que l'évolution du trait de côte rend probable la multiplication de situations comparables dans les prochaines années, il est essentiel de se doter d'un dispositif qui permettra d'y répondre dans un délai raisonnable.

L' article 15 étend le champ des évènements susceptibles d'ouvrir droit à une indemnisation au titre du fonds de prévention des risques naturels majeurs.

Il prévoit d'abord que, en l'absence de plan de prévention des risques naturels prescrit, l'État pourra déclarer d'utilité publique l'expropriation (par lui-même, une commune, un groupement de communes ou un établissement public foncier) des biens exposés aux mouvements de terrains côtiers (une période transitoire, appelée à s'achever au plus tard le 1er janvier 2025, est cependant prévue au cours de laquelle la condition tenant à l'absence de plan de prévention des risques naturels prescrit ne sera pas exigée). Cette modification, qui porte sur l'article L. 561-1 du code de l'environnement, permettra d'activer le fonds Barnier au profit des personnes ainsi expropriées, puisque ce fonds est, selon l'article L. 561-3, notamment chargé de financer les indemnités allouées en vertu des dispositions de l'article L. 561-1.

En second lieu, cet article 15 élargit le champ d'intervention dudit fonds à trois interventions :

- - le financement des acquisitions de biens effectuées dans le cadre d'une opération d'aménagement pour réduire la vulnérabilité des territoires face au recul du trait de côte (opération expressément permise par l'article 12 de la présente proposition de loi), pour les biens soumis à un risque inférieur à dix ans lors de l'ouverture de l'opération, sous réserve que l'opération d'aménagement ait été lancée avant le 1er janvier 2025 ;

- - la prise en charge des dépenses liées à la limitation de l'accès à ces biens, dans une zone classée comme exposée au recul du trait de côte à horizon de moins de trente ans, et à leur démolition éventuelle, à l'exception des constructions édifiées après approbation du plan de prévention des risques naturels ;

- - l'indemnisation des pertes relatives à la réalisation anticipée du risque de recul du trait de côte prévu dans les contrats de bail de sécurisation d'activité littorale.

L' article 16 étend aux personnes qui, à l'avenir, créeront ou reprendront une activité économique en application d'un bail de sécurisation d'activité littorale, donc dans une zone menacée par le recul du trait de côte à horizon de trente ans, l'exonération d'impôt sur le revenu ou d'impôt sur les sociétés des bénéfices réalisés pendant les six premières années. Notons cependant que, en l'état actuel du droit (issu de la loi de finances pour 2022), cette exonération suppose que la création ou la reprise d'activité intervienne avant le 31 décembre 2023. Son application aux signataires d'un bail de sécurisation d'activité littorale n'est donc appelée à porter que sur une très courte période, sauf à ce que, comme il en a pris l'habitude, le législateur procède à un nouveau report de la date limite.

• Chapitre III : Dispositions diverses et transitoires

Le chapitre III, consacré à des dispositions diverses et transitoires, comprend les articles 17 à 19.

L' article 17 permet aux départements de déléguer leur droit de préemption dans les espaces naturels sensibles aux établissements publics fonciers de l'État. Ceux-ci viendraient donc s'ajouter à la liste des délégataires potentiels fixée par l'article L. 215-8 du code de l'urbanisme, dans laquelle se trouvent déjà leurs « cousins » établissements publics fonciers locaux. Cet ajout avait d'ailleurs donné lieu, au début de l'année 2017, à un vote conforme des deux assemblées, dans la même rédaction que celle de cet article 17, lors de l'examen (inachevé) de la proposition de loi portant adaptation des territoires littoraux au changement climatique,

L' article 18 se borne à permettre le recours à la procédure simplifiée, sous réserve qu'elle soit engagée avant le 1er janvier 2024, pour réviser les schémas de cohérence territoriale et les plans locaux d'urbanisme afin de prendre en compte, bien entendu si et dans la mesure où les acteurs locaux le souhaitent, les modifications prévues par la future loi.

L' article 19 prévoit un « gage » pour compenser les conséquences du texte proposé sur les finances de l'État.

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