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N° 103

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Annexe au procès-verbal de la séance du 29 novembre 1995.

PROJET DE LOI

modifiant le code de la propriété intellectuelle en application de
l
' accord instituant l ' Organisation mondiale du commerce,

PRÉSENTÉ au nom de M. ALAIN JUPPÉ,

Premier ministre,

par M. Franck BOROTRA,

ministre de l'industrie, de la poste et des télécommunications.

(Renvoyé à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

Propriété intellectuelle. Organisation mondiale du commerce - Traités et conventions.

EXPOSÉ DES MOTIFS

MESDAMES, MESSIEURS,

Origine de l'accord A.D.P.I.C.

La France a ratifié en vertu de la loi n° 94-1137 du 27 décembre 1994 l'acte final du cycle de l'Uruguay conclu à Marrakech le 15 avril 1994 auquel est incorporé l'accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (A.D.P.I.C.) (annexe IC). L'intégration de cet accord, alors qu'il avait d'abord été envisagé d'en faire un code séparé auquel l'adhésion aurait été facultative, lui confère un caractère quasi-universel eu égard au nombre des ratifications.

La vocation quasi-universelle de l'accord A.D.P.I.C. tient également au fait que son application s'appuie, ainsi que pour les autres volets de l'acte final, sur le mécanisme de règlement des différends prévu au sein de l'Organisation Mondiale du Commerce (O.M.C.) qui succède au GATT.

Le besoin d'une harmonisation plus grande des règles de la propriété intellectuelle est né de la constatation du fait que l'absence ou l'insuffisance de protection sur certains marchés crée des distorsions de concurrence et des obstacles au commerce dans la mesure où elle favorise la contrefaçon, sachant par ailleurs que dans plusieurs domaines industriels connaissant à l'heure actuelle un très fort développement, tels que les technologies de l'information ou les biotechnologies, la reproduction des innovations est possible à des coûts sans commune mesure avec les frais de développement.

Contenu de l'accord

L'accord A.D.P.I.C. comporte 73 articles organisés en sept parties. Sur les différents points abordés, il pose des normes minimales auxquelles les lois des pays industrialisés sont déjà conformes dans leurs grandes lignes. Dans ces conditions, les modifications qu'il convient d'apporter au code de la propriété intellectuelle sont très limitées, le droit français atteignant déjà le minimum énoncé par l'accord.

Le présent projet de loi vise donc à aligner sur ce dernier les quelques dispositions du code de la propriété intellectuelle qui nécessitent une modification formelle. Les principaux points abordés par ce projet de loi sont les suivants :

*

* *

I - Protection des recueils d'oeuvres ou de données

L'accord ADPIC, dans son article 10-2 impose d'une part d'accorder la protection au titre du droit d'auteur aux recueils de données et d'autre part de modifier les conditions de la protection. Au critère cumulatif du choix et de la disposition des matières est substitué un critère alternatif : le choix ou la disposition des matières (article premier).

II - Traitement

Le bénéfice du traitement national était accordé jusque-là en France aux seuls ressortissants des États parties à la convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle, les autres étant soumis à la règle de la réciprocité. L'article 3 de l'accord A.D.P.I.C. impose d'étendre le traitement national aux ressortissants des États membres de l'O.M.C. Les articles 2,12 et 13 du projet de loi, qui modifient les articles L. 611-1 (brevets), L. 712-11 et L. 712-12 (marques) du code de la propriété intellectuelle procèdent à cette extension.

Dans le même esprit, l'article 10 du projet de loi modifiant l'article L.622-2 a) du code précité vise à étendre la protection des produits semi-conducteurs, jusque-là réservée aux seuls ressortissants d'un État membre de la Communauté économique européenne ou d'un État partie à l'accord sur 1'Espace économique européen, aux créateurs ressortissants d'un État membre de l'O.M.C.

III - Les licences non volontaires

L'article 31 de l'accord A.D.P.I.C. organise en détail le régime des licences dites non volontaires car imposées au breveté contre sa volonté.

L'article L. 613-11 du code de la propriété intellectuelle prévoit l'octroi de licences non volontaires lorsque l'invention n'est pas exploitée sur le territoire d'un État de la Communauté européenne ou d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen. Un dernier alinéa est ajouté à cet article assimilant l'importation du produit couvert par le brevet à une exploitation de l'invention (article 4 du projet de loi). Cette adjonction est la conséquence de l'article 27-1°), dernière phrase, de l'accord A.D.P.I.C. qui pose notamment le principe de la jouissance de droits de brevet sans discrimination quant au fait que les produits sont importés ou sont d'origine nationale.

Conformément, d'une part, aux e) et d) de cet article 31, l'article 5 du projet de loi modifie l'article L. 613-13 du code de la propriété intellectuelle en posant pour l'ensemble des licences non volontaires le principe de leur non exclusivité ainsi que celui de leur incessibilité sauf lorsque les droits sont cédés avec le fonds de commerce, l'entreprise ou la partie de l'entreprise auxquels ils sont attachés. S'agissant de cette dernière modification et dans un souci de coordination, l'article 3 du projet de loi modifie dans le même sens l'article L. 613-7 du code qui traite de la cession d'un droit de possession personnelle antérieure. L'article 6 du projet de loi modifie quant à lui les articles L. 613-12 et L. 613-18 du code en supprimant la référence au caractère non exclusif de la licence, devenue inutile du fait des dispositions générales du nouvel article L. 613-13.

Conformément, d'autre part, au 1) de l'article 31 de l'accord A.D.P.I.C., l'article 7 du projet de loi modifie l'article L. 613-15 du code en précisant les conditions d'octroi et de cession des licences de dépendance. Une telle licence ne peut être octroyée que si l'invention objet du brevet de perfectionnement présente à l'égard du brevet antérieur un progrès technique et un intérêt économique importants et elle ne peut être cédée qu'avec le brevet de perfectionnement correspondant.

Le c) de l'article 31 de l'accord A.D.P.I.C. instaure pour sa part un régime spécial applicable aux licences non volontaires portant sur les brevets ayant pour objet une invention dans le domaine de la technologie des semi-conducteurs. L'article 8 du projet de loi insère un article L 613-19-1 nouveau au code de la propriété intellectuelle qui vise les conditions d'octroi de telles licences : utilisation à des fins publiques non commerciales ou nécessité de remédier à une pratique dont il a été constaté qu'elle est anticoncurrentielle.

IV - Renversement de la charge de la preuve en matière de contrefaçon de brevets de procédé

Pour faciliter la preuve de la contrefaçon des brevets de procédé, l'article 34 de l'accord AD.P.I.C. prévoit un renversement de la charge de la preuve dans certains cas. L'article 9 du projet de loi insère en conséquence un article L. 615-5-1 nouveau au code de la propriété intellectuelle. Cet article prévoit que le tribunal peut ordonner au défendeur de prouver que le procédé utilisé pour obtenir un produit identique est différent du procédé breveté. À défaut, tout produit identique fabriqué sans le consentement du titulaire du brevet est présumé l'avoir été par ce procédé à condition que le produit obtenu par le procédé breveté soit nouveau ou que la probabilité soit grande que le produit identique ait été obtenu par le procédé breveté, le breveté n'ayant pas pu, en dépit d'investigations sérieuses, déterminer quel procédé a été en fait utilisé.

Cet article prévoit en outre légitimement que, dans l'administration de cette preuve, le défendeur a droit à la protection de ses secrets de fabrication ou d'affaires.

V - Protection des indications géographiques pour les vins et les spiritueux.

Afin de renforcer la protection des indications géographiques de vins et spiritueux contre des dépôts de marque, l'article 23 de l'accord A.D.P.I.C. impose de refuser ou d'annuler ces dernières lorsqu'elles sont constituées d'une indication d'origine erronée.

L'article 11 du projet de loi modifie l'article L. 711-3 du code de la propriété intellectuelle en introduisant un nouveau motif absolu de rejet des marques conformément à l'article 23 précité ; cette modification intéresse les produits des pays tiers, les appellations d'origine et indications correspondantes des autres États membres de la Communauté européenne étant d'ores et déjà protégées par la réglementation communautaire.

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* *

Telles sont les principales réformes proposées par ce projet, conçu pour mettre le droit de la propriété industrielle français en conformité avec celui qui résulte de l'accord A.D.P.I.C.

Comme tous les articles qu'il modifie, ce projet de loi s'appliquera aux territoires d'outre-mer et à la collectivité territoriale de Mayotte.

PROJET DE LOI

Le Premier ministre,

Sur le rapport du ministre de l'industrie, de la poste et des télécommunications,

Vu l'article 39 de la Constitution,

Décrète :

Le présent projet de loi modifiant le code de la propriété intellectuelle en application de l'accord instituant l'Organisation mondiale du commerce, délibéré en Conseil des ministres après avis du Conseil d'État, sera présenté au Sénat par le ministre de l'industrie, de la poste et des télécommunications qui sera chargé d'en exposer les motifs et d'en soutenir la discussion.

Article premier.

L'article L. 112-3 du code de la propriété intellectuelle est remplacé par les dispositions suivantes :

« Art. L. 112-3. - Les auteurs de traductions, d'adaptations, transformations ou arrangements des oeuvres de l'esprit jouissent de la protection instituée par le présent code sans préjudice des droits de l'auteur de l'oeuvre originale. Il en est de même des auteurs d'anthologies ou recueils d'oeuvres ou de données diverses qui, par le choix ou la disposition des matières, constituent des créations intellectuelles. »

Art. 2.

Dans le troisième alinéa de l'article L. 611-1 du code de la propriété intellectuelle, les mots : « Sans préjudice de l'application des dispositions de la convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle, » sont remplacés par les mots : « Sous réserve des dispositions des conventions internationales auxquelles la France est partie, ».

Art. 3.

Le deuxième alinéa de l'article L. 613-7 du code de la propriété intellectuelle est remplacé par les dispositions suivantes :

« Le droit reconnu par le présent article ne peut être transmis qu'avec le fonds de commerce, l'entreprise ou la partie de l'entreprise auquel il est attaché. »

Art. 4.

L'article L. 613-11 du code de la propriété intellectuelle est complété par l'alinéa suivant :

« Pour l'application du présent article, l'importation de produits objet du brevet est considérée comme une exploitation de ce brevet. »

Art. 5.

L'article L. 613-13 du code de la propriété intellectuelle est remplacé par les dispositions suivantes :

« Art. L. 613-13 - Les licences obligatoires et les licences d'office sont non exclusives. Les droits attachés à ces licences ne peuvent être transmis qu'avec le fonds de commerce, l'entreprise ou la partie de l'entreprise auquel ils sont attachés. »

Art. 6.

Au deuxième alinéa de l'article L. 613-12 et au cinquième alinéa de l'article L. 613-18 du code de la propriété intellectuelle, les termes : « ne peut être que non exclusive ; elle » sont supprimés.

Art. 7.

Le deuxième alinéa de l'article L. 613-15 du code de la propriété intellectuelle est remplacé par les dispositions suivantes :

« Le tribunal de grande instance peut, le ministère public entendu, accorder, dans l'intérêt public, sur sa demande, qui ne peut être antérieure à l'expiration du délai prévu à l'article L. 613-11, une licence au titulaire du brevet de perfectionnement dans la mesure nécessaire à l'exploitation de l'invention qui fait l'objet de ce brevet, et pour autant que l'invention, objet du technique et un intérêt économique importants. La licence accordée au titulaire du brevet de perfectionnement ne peut être cédée qu'avec ledit brevet. Le propriétaire du premier brevet obtient, sur requête présentée au tribunal, la concession d'une licence sur le brevet de perfectionnement. »

Art. 8.

Il est inséré, après l'article L. 613-19 du code de la propriété intellectuelle, un article L. 613-19-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 613-19-1. - Si le brevet a pour objet une invention dans le domaine de la technologie des semi-conducteurs, une licence obligatoire ou d'office ne peut être accordée que pour une utilisation à des fins publiques non commerciales, ou être destinée à remédier à une pratique déclarée anticoncurrentielle à la suite d'une procédure juridictionnelle ou administrative. »

Art. 9.

Il est inséré, après l'article L. 615-5 du code de la propriété intellectuelle, un article L. 615-5-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 615-5-1. - Si le brevet a pour objet un procédé d'obtention d'un produit, le tribunal pourra ordonner au défendeur de prouver que le procédé utilisé pour obtenir un produit identique est différent du procédé breveté. Faute pour le défendeur d'apporter cette preuve, tout produit identique fabriqué sans le consentement du titulaire du brevet sera présumé avoir été obtenu par le procédé breveté :

a) si le produit obtenu par le procédé breveté est nouveau ;

b) ou si la probabilité est grande que le produit identique a été obtenu par le procédé breveté, alors que le titulaire du brevet n'a pas pu, en dépit d'efforts raisonnables, déterminer quel procédé a été en fait utilisé.

Dans la production de la preuve contraire, sont pris en considération les intérêts légitimes du défendeur pour la protection de ses secrets industriels et commerciaux. »

Art. 10.

Au a) de l'article L. 622-2, les termes : « État membre de la Communauté économique européenne ou d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen » sont remplacés par les termes : « État partie à l'accord instituant l'Organisation mondiale du commerce ».

Art. 11.

Le b) et le c) de l'article L 711-3 du code de la propriété intellectuelle deviennent le c) et le d).

Il est inséré à cet article le b) suivant :

« b) exclu par l'article 23-2 de l'annexe IC à l'accord instituant l'Organisation mondiale du commerce ».

Art. 12.

L'article L. 712-11 du code de la propriété intellectuelle est remplacé par les dispositions suivantes :

« Art. L. 712-11. - Sous réserve des dispositions des conventions internationales auxquelles la France est partie, l'étranger qui n'est ni établi ni domicilié sur e territoire national bénéficie des dispositions du présent livre aux conditions qu'il justifie avoir régulièrement déposé la marque ou obtenu son enregistrement dans le pays de son domicile ou de son établissement et que ce pays accorde la réciprocité de la protection aux marques françaises ».

Art. 13.

À l'article L. 712-12 du code de la propriété intellectuelle, les termes : « Lorsque le demandeur ne peut prétendre au bénéficie de cette convention, » sont remplacés par les termes : « Sous réserve des dispositions des conventions internationales auxquelles la France est partie, ».

Art. 14.

La présente loi est applicable aux territoires d'outre-mer et à la collectivité territoriale de Mayotte.

Fait à Paris, le 29 novembre 1995

Signé : ALAIN JUPPÉ

Par le Premier ministre :

Le ministre de l'industrie, de la poste
et des télécommunications

Signé : FRANCK BOROTRA

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