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N° 85

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Annexe au procès-verbal de la séance du 21 novembre 1995.

PROPOSITION DE LOI

relative à la négociation collective et instituant un contrat collectif d'entreprise,

PRÉSENTÉE

Par MM. Philippe MARINI, Philippe ADNOT, Roger BESSE, Jacques BIMBENET, Paul BLANC, Mme Paulette BRISEPIERRE, MM. Robert CALMEJANE, Auguste CAZALET, Jean CHÉRIOUX, Jean CLOUET, Désiré DEBAVELAERE, Jean-Paul DELEVOYE, Michel DOUBLET, Philippe de GAULLE, Daniel GOULET, Adrien GOUTEYRON, Daniel HOEFFEL, Jean-Paul HUGOT, Claude HURIET, Roger HUSSON, Jean-Jacques HYEST, Jean-Philippe LACHENAUD, Lucien LANIER, Jacques de MENOU, Mme Nelly OLIN, MM. Joseph OSTERMANN, Jean-Marie POIRIER, Maurice SCHUMANN, Bernard SEILLIER, Michel SOUPLET et Martial TAUGOURDEAU,

Sénateurs.

(Renvoyée à la commission des Affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

Entreprises. -Accord collectif de branche - Contrat collectif d'entreprise - Négociation collective.

EXPOSÉ DES MOTIFS

MESDAMES, MESSIEURS,

Il apparaît aujourd'hui de plus en plus nettement que la vitalité économique et le progrès social ne peuvent se concilier véritablement qu'au plus près de l'entreprise.

C'est essentiellement à ce niveau, dans le cadre d'un dialogue social organisé, que la recherche d'une plus grande compétitivité économique, la satisfaction des aspirations des salariés et la défense de l'emploi peuvent faire l'objet d'accords adaptés à la situation spécifique de l'entreprise compte tenu de son environnement économique et social. Encore faut-il donner aux acteurs du dialogue social dans l'entreprise un espace suffisant de liberté contractuelle. Or, la hiérarchie actuelle des sources en matière de droit du travail limite de façon excessive l'autonomie des acteurs.

L'objet de la présente proposition de loi est donc d'ouvrir de nouveaux espaces de liberté à la négociation collective, d'en élargir le champ pour ceux qui souhaiteraient s'engager dans une voie socialement innovante et économiquement stimulante.

La proposition de loi se situe dans la perspective tracée par les lois Auroux de 1982. Celles-ci, en effet, ont introduit en droit du travail un principe de subsidiarité de la norme légale au profit de l'accord d'entreprise, assorti d'un droit d'opposition destiné à valider la légitimité des signataires. Ce principe est aujourd'hui élargi par le présent texte à l'ensemble des conditions de travail, d'emploi et de rémunération, à l'exception des dispositions intéressant l'ordre public et les bonnes moeurs, au sens de l'article 6 du code civil, ainsi que des dispositions relatives au droit de la défense, aux attributions des institutions sociales et représentatives du personnel et au salaire minimum interprofessionnel de croissance.

Enfin, la proposition de loi tend à conférer au contrat collectif d'entreprise une légitimité pleine et entière qui procède d'une démarche en deux temps.

Dans un premier temps, en recourant à une procédure classique de négociation de branche, les partenaires sociaux ouvrent aux entreprises de la branche la possibilité de négocier un contrat collectif d'entreprise.

Il leur appartient :

- de préciser, le cas échéant, les dispositions conventionnelles ou légales (autres que celles relevant de l'ordre public mentionnées plus haut) devant conserver un caractère impératif, justifié par la situation particulière de la branche ;

- de définir les conditions de forme de la négociation afin d'en garantir la légitimité ;

- d'organiser au niveau de la branche les procédures de règlement des litiges relatifs à l'interprétation des contrats collectifs d'entreprise ;

- de mettre en place à ce niveau un observatoire des pratiques, afin notamment d'informer les pouvoirs publics.

L'accord collectif de branche instituant le contrat collectif d'entreprise sera soumis à la commission nationale de la négociation collective. Son avis devra être suivi, faute de quoi la possibilité de négocier un contrat collectif d'entreprise ne pourra être ouverte.

Dans un second temps, il appartient au chef d'entreprise et aux représentants des salariés de négocier, dans l'espace de liberté ainsi défini, un contrat collectif d'entreprise dont la durée maximum est fixée par la convention ou l'accord de branche, dans la limite de cinq ans.

La négociation du contrat collectif d'entreprise suit une procédure innovante, mais respectueuse des droits des institutions représentatives du personnel. Les représentants des salariés sont soit des délégués syndicaux et des membres élus du comité d'entreprise, soit des délégués syndicaux seuls, soit encore, lorsqu'il n'y a pas de délégués syndicaux, des membres élus du comité d'entreprise, à condition que celui-ci ait été habilité au moment de son élection à négocier un tel contrat. Après conclusion, le contrat doit être ratifié par la majorité des membres composant le comité d'entreprise. En outre, celui-ci peut décider de le soumettre à référendum.

Lorsque l'entreprise n'a pas de délégués syndicaux, le contrat doit obligatoirement être soumis à référendum. On notera que si les délégués syndicaux refusent le principe du contrat collectif d'entreprise, la négociation ne peut avoir lieu. Par ailleurs, seules les entreprises disposant d'un comité d'entreprise - entreprises occupant au moins cinquante salariés ou disposant d'un comité volontairement constitué - peuvent négocier un tel contrat. En outre, les délégués syndicaux doivent appartenir à une organisation syndicale représentative au plan national.

Le contrat collectif d'entreprise traite globalement des matières relevant de la négociation collective traditionnelle telles que les salaires, la durée du travail, l'aménagement du temps de travail, les conditions de travail, la formation, l'emploi, la prévoyance, etc.

Cependant, l'innovation majeure du contrat collectif d'entreprise est qu'il inverse la hiérarchie des normes traditionnelles ; le contrat collectif prime sur toute autre norme, dès lors qu'il respecte les limites posées par la proposition de loi et la convention ou l'accord de branche. C'est pourquoi l'avantage du contrat collectif d'entreprise pour les salariés s'appréciera globalement sur l'ensemble du contrat et non plus thème par thème. Le contrat collectif d'entreprise constitue donc un tout indivisible.

Le contrat collectif d'entreprise est un contrat à durée déterminée qui ne peut être dénoncé avant terme. Il peut cependant prévoir les modalités de sa révision ou de sa reconduction. Il ouvre droit à exécution forcée et à dommages-intérêts en cas d'inexécution, ou d'exécution déloyale, de ses obligations par une partie.

Enfin, la proposition de loi institue une procédure de règlement des litiges, sur recours devant la commission paritaire d'interprétation de branche instituée selon les dispositions de droit commun. Les litiges non résolus à ce niveau sont de la compétence du tribunal de grande instance.

Le dispositif est prévu pour une durée de cinq ans au terme de laquelle une évaluation permettra de juger de l'opportunité de le reconduire définitivement, de l'amender ou de l'abandonner.

*

* *

La proposition de loi est constituée de trois articles.

L'article premier insère dans le titre III (conventions et accords collectifs du travail) du livre premier (conventions relatives au travail) un chapitre VIII intitulé « contrat collectif d'entreprise » regroupant dix articles nouveaux.

L'article L. 138-1 ouvre aux conventions et accords collectifs de branche, ce qui se fera le plus souvent par avenants, la possibilité d'autoriser la négociation au sein des entreprises ou des établissements d'un contrat collectif.

L'article L. 138-2 exclut du champ d'application du contrat collectif d'entreprise ce qui relève de l'ordre public et des bonnes moeurs, les droits de la défense, les attributions des institutions sociales et représentatives du personnel et le salaire minimum interprofessionnel de croissance.

L'article L. 138-3 institue la primauté du contrat collectif d'entreprise sur toute autre disposition conventionnelle, sauf sur celles qui auraient été considérées comme intangibles par la convention ou l'accueil de branche visé à l'article L. 138-1.

Les articles L 138-4 et L. 138-5 déterminent le régime juridique du contrat collectif d'entreprise.

L'article L. 138-6 détermine les conditions et les procédures de négociation, de conclusion et de ratification du contrat collectif d'entreprise.

L'article L. 138-7 fixe les dispositions devant obligatoirement figurer dans la convention ou l'accord de branche et celles qui peuvent y figurer sous forme de recommandation. La plupart de ces dispositions concernent la fixation des conditions de la négociation d'entreprise.

L'article L. 138-8 confie à la commission paritaire d'interprétation de branche le soin de régler les litiges au moyen d'avis et de dresser un bilan économique et social bisannuel des contrats dans la branche. Il lui donne également un rôle consultatif.

L'article L. 138-9 détermine la procédure d'information des services du ministre du travail et du secrétariat-greffe du conseil des prud'hommes par renvoi aux dispositions de droit commun.

L'article L. 138-10 renvoie au tribunal de grande instance les litiges non résolus après recours à la commission paritaire d'interprétation.

L'article 2 de la proposition de loi précise le caractère expérimental du dispositif en supprimant le chapitre VIII du titre III du livre premier du code du travail au terme d'un délai de cinq ans. Il appartiendra au législateur de se prononcer sur son éventuelle reconduction préalablement à cette suppression.

Enfin, l'article 3 prévoit deux bilans économiques et sociaux, destinés à éclairer tant les partenaires sociaux que les pouvoirs publics. Le premier dans un délai de trois ans à compter de la promulgation de la loi, afin de connaître les conditions de mise en oeuvre des contrats et la place qu'ils occupent dans le champ conventionnel de branche, le second, avant le terme de cinq ans, en vue de l'examen de la reconduction éventuelle du dispositif. L'élaboration de ces bilans est confiée à la commission nationale de la négociation collective qui pourra s'appuyer sur les travaux des commissions paritaires d'interprétation.

Tel est l'objet de la proposition de loi qu'il vous est demandé d'adopter.

PROPOSITION DE LOI

Article premier.

Il est inséré, après le chapitre VII du titre III du livre premier du code du travail, un chapitre VIII ainsi rédigé :

« CHAPITRE VIII

« Contrat collectif d'entreprise.

« Art. L. 138-1. - Une convention ou un accord collectif de branche peut, sur avis conforme de la commission nationale de la négociation collective, ouvrir la possibilité de négocier au sein de l'entreprise un contrat collectif d'entreprise.

« Le contrat collectif d'entreprise est conclu entre l'employeur et les représentants des salariés dans les conditions définies au présent chapitre.

« Un contrat collectif d'établissement peut être conclu dans les mêmes conditions.

« Art. L. 138-2. - Le contrat collectif d'entreprise ne peut déroger aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes moeurs, ni à celles des dispositions du code du travail qui concernent les droits de la défense, les attributions des institutions sociales et représentatives du personnel et le salaire minimum interprofessionnel de croissance.

« Art. L. 138-3. - Le contrat collectif d'entreprise peut déroger aux dispositions applicables en vertu d'une convention ou d'un accord de niveau supérieur ou couvrant un champ territorial ou professionnel plus large, sauf à celles qualifiées d'impératives par la convention ou l'accord mentionné à l'article L. 138-1.

« Art. L. 138-4. - Le contrat collectif d'entreprise oblige tous les membres de l'entreprise, y compris ceux qui le deviendraient après sa conclusion.

« Sauf dispositions contraires stipulées au contrat collectif d'entreprise, les engagements contractés sont indivisibles. La non-exécution d'un engagement, ou son exécution déloyale, peut donner lieu à une action visant à obtenir son exécution et, le cas échéant, des dommages-intérêts.

« Art. L. 138-5. - Le contrat collectif d'entreprise est conclu pour une durée déterminée qui ne peut excéder la durée fixée par la convention ou l'accord de branche. Il ne peut être dénoncé. Il peut déterminer les conditions de sa révision avant terme et de sa reconduction. À défaut de reconduction et sous réserve des dispositions de la convention ou de l'accord collectif de branche visées à l'article L. 138-7, il cesse de produire effet sans toutefois remettre en cause les avantages individuels acquis liés à l'ancienneté et à la qualification.

« Art. L. 138-6. - Le contrat collectif d'entreprise est un acte, écrit à peine de nullité, conclu entre l'employeur et une délégation de représentants des salariés composée :

« - soit de délégués syndicaux et de membres élus du comité d'entreprise ;

« - soit de délégués syndicaux ;

«- soit de membres élus du comité d'entreprise, si l'entreprise n'a pas de délégués syndicaux ; dans ce cas, le comité d'entreprise doit avoir été habilité à cet effet lors de son élection.

« Les délégués syndicaux doivent être membres d'une organisation syndicale représentative au plan national au sens de l'article L. 133-2.

« Lorsque la délégation des salariés comprend des délégués syndicaux, le contrat est ratifié par le comité d'entreprise statuant à la majorité absolue de ses membres. Le comité d'entreprise peut, en outre, décider à la majorité simple de soumettre le contrat à un référendum.

« Lorsque l'entreprise n'a pas de délégués syndicaux, le contrat est ratifié par le comité d'entreprise statuant à la majorité absolue de ses membres puis soumis à référendum.

« Art. L. 138-7. - La convention ou l'accord collectif de branche mentionné à l'article L. 138-1 fixe la durée maximale des contrats collectifs d'entreprise dans la branche, sans qu'elle puisse excéder cinq ans, et peut déterminer les dispositions devant obligatoirement figurer dans le contrat.

« La convention ou l'accord contient, en outre, des dispositions concernant :

« - les conditions et les modalités de l'habilitation du comité d'entreprise ;

« - la composition des trois types de délégations prévus à l'article L. 138-6 et les règles de désignation et de convocation de leurs membres ;

« - les informations à remettre aux négociateurs salariés ainsi que les conditions de leur communication ;

« - les crédits d'heures permettant la préparation des réunions par les négociateurs salariés ;

« - les modalités de formation de négociateurs ;

« - les procédures de ratification et les modalités d'organisation du référendum ;

« - le sort du contrat collectif d'entreprise en cas notamment de fusion d'entreprises, de cession, de scission ou de changement d'activité.

« La convention ou l'accord collectif de branche peut émettre des recommandations sur :

« - la durée, la périodicité et le nombre de réunions préparatoires ;

« - les conditions de la révision éventuelle avant le terme et de sa reconduction ;

« - les conditions de retour éventuel au droit commun au terme du contrat collectif d'entreprise ;

« - certaines clauses-types susceptibles de figurer dans le contrat collectif d'entreprise.

« Art. L. 138-8. - La commission paritaire d'interprétation mentionnée à l'article L. 132-17 est chargée de rendre des avis sur les litiges dont elle est saisie et de dresser un bilan économique et social bisannuel de l'exécution des contrats collectifs dans la branche.

« La commission paritaire d'interprétation peut être consultée avant ratification par les parties à la négociation, dans des conditions fixées par la convention ou l'accord.

« Art. L. 138-9. - Les contrats collectifs d'entreprise, ainsi que leurs avenants et annexes, font l'objet d'un dépôt auprès des services du ministre chargé du travail et du secrétariat-greffe du conseil de prud'hommes du lieu de conclusion, dans les conditions de l'article L. 132-10.

« Art. L. 138-10. - Les litiges relatifs à l'exécution du contrat collectif d'entreprise qui n'auraient pu être résolus dans le cadre de la procédure de conciliation instituée à l'article L. 138-8 sont de la compétence du tribunal de grande instance. »

Art. 2.

Le chapitre VIII du titre III du livre premier du code du travail inséré par l'article premier est supprimé au terme d'un délai de cinq ans à compter de la promulgation de la présente loi.

Les contrats collectifs d'entreprise en vigueur à cette date demeurent régis jusqu'à leur terme par les dispositions antérieurement applicables.

Art. 3.

Dans un délai de trois ans à compter de la promulgation de la présente loi, la commission nationale de la négociation collective adressera au Parlement et au Gouvernement un rapport sur la mise en oeuvre du contrat collectif d'entreprise dont elle dressera un premier bilan économique et social à partir notamment des bilans qui lui auront été adressés par les commissions paritaires d'interprétation.

Avant le terme de cinq ans fixé à l'article 2, elle dressera un second bilan et formulera toutes recommandations qu'elle jugera nécessaires.

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