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N° 301

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1996 - 1997

Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 27 mars 1997.

Enregistré à la Présidence du Sénat le 3 avril 1997.

PROPOSITION DE LOI

relative à la détermination des taux d'intérêt

de l' épargne administrée,

PRÉSENTÉE

Par MM. Alain LAMBERT, Philippe MARINI et Paul LORIDANT,

Sénateurs.

(Renvoyée à la commission des Finances du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

Épargne. - Comité de la réglementation bancaire et financière (CRBF) .

EXPOSÉ DES MOTIFS

MESDAMES, MESSIEURS,

Confronté aux multiples défis de la mondialisation de l'économie, notre pays cultive la spécificité de s'en imposer d'autres, purement nationaux ceux-là. La fixation des taux de l'épargne administrée ( ( * )1) en est un. Le livret A ou les plans d'épargne logement nous offrent périodiquement le spectacle de joutes théoriques et d'empoignades politiques sur un thème ignoré de nos voisins et concurrents économiques.

Seule la France propose un tel éventail de produits d'épargne, à taux fixé par l'État, défiscalisés le plus souvent. Elle continue même à en créer (livret jeunes). La libération des prix et la banalisation des , circuits de financement n'ont pas été conduites à leur terme : l'épargne à taux administrés et le financement du logement social demeurent parmi les survivances d'une époque de contrôle généralisé. S'il convient de ne pas succomber aux sirènes d'un libéralisme effréné, reconnaissons tout de même que l'État et son administration n'ont pas toujours montré un génie éblouissant de la gestion financière et bancaire.

Le soutien fiscal à l'épargne des ménages, qui peut faire l'objet d'interprétations divergentes, a un coût méconnu de nos concitoyens. La dépense fiscale associée ( ( * )2) est évaluée à 7,3 milliards de francs pour le livret A et le livret bleu, à 7,8 milliards de francs pour les comptes et plans d'épargne logement ( ( * )3) , à 6 milliards de francs pour les plans d'épargne populaire. Lorsque la monnaie unique européenne sera mise en circulation, rien ne devrait s'opposer longtemps à ce qu'un étudiant allemand ouvre un livret jeunes, un retraité hollandais un livret A et un ménage autrichien un plan d'épargne logement. Mais le contribuable français devra alors, seul, en acquitter (indirectement) la facture fiscale.

Cette épargne constitue par ailleurs une composante du coût de la ressource pour les banques. L'ensemble de leurs engagements (dépôts à vue, épargne, actifs acquis sur le marché monétaire...) est un élément clé de la fixation de leurs prix, c'est-à-dire des taux proposés aux emprunteurs (entreprises, ménages, commerçants et artisans). Naturellement, plus la rémunération servie aux épargnants est élevée, plus ces épargnants, lorsqu'ils deviennent emprunteurs pour financer l'acquisition de leur logement ou de leur automobile, se voient proposer des taux d'intérêt élevés. Ils n'en n'ont pas toujours une claire conscience. Cette réalité leur est d'autant plus obscure que les banques, pour des raisons de conquête de parts de marché, se livrent à une sévère concurrence sur ces produits d'épargne, concurrence aujourd'hui contradictoire avec la préservation de leurs marges.

Il en résulte une situation pour le moins paradoxale : les étrangers ont plus confiance dans la signature de la France que les Français eux-mêmes. En effet, pour des produits comparables, les opérateurs mondiaux acceptent - sur les marchés - une rémunération plus faible de leur épargne que nos propres compatriotes lorsqu'ils constituent leurs réserves financières. Ce paradoxe ne serait qu'une figure de style propre à nourrir les réflexions des économistes s'il n'exerçait aujourd'hui un effet de cliquet à la baisse des taux d'intérêt ( ( * )4) . Le volume de l'épargne administrée est, en effet, si important en France (2 476 milliards de francs le 31 décembre 1996) et les taux de rémunération offerts aujourd'hui si élevés, que nos investisseurs - les créateurs d'emplois de demain - se voient proposer des taux réels ( ( * )5) encore trop élevés. Un calcul schématique permet d'établir que si les taux de l'épargne administrée avaient suivi la baisse des taux du marché monétaire (l'épargne administrée est quasiment liquide pour l'essentiel), le coût moyen du crédit serait aujourd'hui inférieur d'environ un point à ce qu'il est effectivement. Or, le coût fiscal de l'épargne administrée ne se justifie que si elle permet de fournir une ressource bon marché à un financement jugé d'intérêt général (les PME, le logement social, l'accession à la propriété).

L'épargne administrée en France au 31 décembre 1996

L'État, qui fixe discrétionnairement les taux de l'épargne administrée, porte donc une responsabilité directe dans l'ajustement retardé des taux de marché. Responsabilité qu'il peut avoir la tentation de cacher en dirigeant les feux de l'actualité sur celle de la Banque de France, qui n'a pourtant pas compétence en matière d'épargne administrée.

La fixation des taux du livret A ou du plan d'épargne logement est un levier important pour favoriser la croissance. Mais tous les gouvernements sans exception, ont hésité à exercer une compétence politiquement délicate, tout en se refusant à y renoncer. Malgré les bouleversements de l'économie, le taux du livret A n'a pas bougé entre 1986 et 1996.

Cette rigidité peut désorganiser les réseaux collecteurs. Dès qu'une décision est prise, elle produit rapidement des effets massifs, et potentiellement déstabilisants, sur l'équilibre des différentes formes d'épargne et donc sur la masse monétaire.

L'année 1996 s'est caractérisée d'abord par une « ruée » sur les livrets de caisse d'épargne en raison d'une modification de la fiscalité des autres produits, puis par une décollecte importante consécutive à la baisse des taux (au profit notamment du plan d'épargne logement) et à la création du livret jeunes.

En outre, cette rigidité peut dénaturer le rôle de cette épargne. S'ils ne sont pas ajustés en fonction des taux de marché, ses taux d'intérêt sont soit trop élevés, soit trop bas. S'ils sont trop élevés, les livrets ne fournissent plus une ressource privilégiée.

S'ils sont trop bas, la ressource collectée devient insuffisante pour financer le logement social ( ( * )6) ou les PME. Ce fut tout l'objet des critiques émises par la commission des finances à l'encontre de la gestion du Codevi ( ( * )7) , puis du plan d'épargne logement ( ( * )8) , qui ne jouent pas le rôle que la loi leur assigne, faute d'une gestion adéquate de leurs taux.

Fiscalement coûteuse, financièrement déstabilisante et monétairement inhibante, la fixation à un niveau encore trop élevé des taux de l'épargne administrée appelle des réformes de bon sens. Depuis plusieurs années, le Sénat et sa commission des finances plaident en faveur d'une allocation plus optimale des ressources de l'épargne. En juin 1995, à l'occasion d'un rapport sur le Codevi, la commission des finances a ainsi proposé d'associer le Conseil de la politique monétaire à la fixation des taux administrés. Elle a obtenu satisfaction lors du débat sur la proposition de loi de notre collègue député Alain Gest sur l'utilisation du Codevi pour l'investissement des collectivités locales ( ( * )9) . Lors de la séance publique du 25 janvier 1996, le ministre de l'économie et des finances a en effet déclaré : « je tiens [...] à rappeler que, d'ores et déjà, rien ne s'oppose à ce que le Conseil de la politique monétaire fasse connaître son opinion sur le niveau de rémunération de l'épargne administrée ».

En mars 1996, le Sénat a voté à l'unanimité un amendement imposant au Gouvernement l'obligation de déterminer, au moins une fois par an, les taux de l'épargne administrée. Dans ce cadre souple, le gouvernement pourrait aussi bien maintenir les taux en vigueur que les modifier plusieurs fois en une année si les circonstances l'exigeaient. Le Gouvernement et l'Assemblée nationale ont reconnu l'intérêt de cette proposition, mais l'ont jugée prématurée. À deux reprises, la commission des finances est intervenue en faveur de la baisse des taux du livret A (à la fin de 1995) et du plan d'épargne logement (à la fin de 1996). L'objectif n'était pas de léser l'épargne populaire, mais de favoriser le financement du logement social et de l'accession à la propriété au moindre coût. Le Gouvernement a entendu ces deux appels. Cette antériorité et cette constance donnent au Sénat légitimité pour activer ce débat.

Plusieurs techniques de fixation des taux sont envisageables : une indexation sur des grandeurs macro-économiques irréfutables (à l'exemple du SMIC), une détermination des taux par le Conseil de la politique monétaire de la Banque de France (ou, plus simplement, un avis obligatoire), le recours à un collège d'experts ou à une autorité indépendante. Ces solutions présentent des avantages, mais elles n'emportent pas notre pleine conviction, car elles diluent des compétences qui doivent être exercées par le Gouvernement, en raison de leur portée éminemment politique.

La question est donc moins de savoir qui doit être compétent pour fixer les taux administrés, que de savoir comment cette compétence doit être exercée.

L'organe aujourd'hui compétent est le Comité de la réglementation bancaire et financière (CRBF), dont la composition vient d'être modifiée par la loi de modernisation des activités financières ( ( * )10) . Le CRBF est présidé par le ministre de l'économie et des finances, ou, le plus souvent, et par délégation, par le directeur du Trésor. Il comprend également le gouverneur de la Banque de France en tant que président de la Commission bancaire et cinq membres nommés par le ministre : un conseiller d'État, un représentant de l'association française des établissements de crédit et entreprises d'investissement (AFECEI), un représentant des personnels et deux personnalités qualifiées.

Pour modifier les taux administrés, le CRBF procède, à l'initiative du Gouvernement, par modification de son règlement n° 86-13 du 14 mai 1986 relatif à la rémunération des fonds reçus par les établissements de crédit. Ce règlement, ainsi que ses modifications, sont homologués par arrêté du ministre de l'économie et des finances.

Organisme essentiellement gouvernemental, mais qui associe la Banque de France et les établissements de crédit à ses décisions, le CRBF paraît qualifié pour délibérer de la fixation des taux administrés.

Le problème posé est donc celui des modalités de cette décision. La difficulté ne provient pas de la nature des choix : au moment où ils ont été réalisés, les ajustements étaient en général à peu près pertinents. Elle repose sur l'audace nécessaire à la prise de décision : les ajustements sont beaucoup trop rares. Pour résoudre ce problème, il apparaît qu'une périodicité, une clause de rendez-vous, serait une bonne solution : le Gouvernement serait alors obligé de réviser périodiquement les taux, et l'opinion publique ne pourrait plus le lui reprocher. Au demeurant, il pourrait choisir de les maintenir en l'état.

Cette proposition n'a rien de révolutionnaire ni d'excessivement contraignant pour le Gouvernement. La loi prévoit de multiples révisions périodiques de grandeurs économiques : le SMIC, le barème des aides au logement, le taux d'intérêt légal... On peut également remarquer que la réglementation du livret d'épargne populaire prévoit d'ores et déjà un mécanisme d'indexation préventif contre l'inflation. Le Parlement est fondé à se préoccuper de cette question, car le volume d'épargne administrée a une influence directe sur l'assiette fiscale.

Nous proposons une révision semestrielle, une fréquence adaptée pour obtenir un ajustement pertinent en fonction des évolutions du marché, sans pour autant entraîner de perturbations dans les choix des épargnants. On a d'ailleurs pu observer que les variations quotidiennes des taux d'intérêt des Sicav monétaires n'avaient pas empêché l'épargne populaire de s'y reporter massivement lorsque leurs taux et leur fiscalité étaient attractifs.

L'épargne administrée n'est pas une épargne « ringarde ». Elle demeure un outil privilégié de la politique économique. Mais la mondialisation des marchés, la perspective de l'euro comme les contraintes de l'équilibre budgétaire imposent plus de réalisme, c'est-à-dire plus de courage. Il entre dans le rôle de la commission des finances du Sénat de le souligner avec force.

Modifier le processus de décision, sans altérer la compétence du Gouvernement, afin de rendre optimale la gestion de notre épargne administrée : tel est l'objet de la présente proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI

Article unique

Sans préjudice des dispositions spécifiques qui les régissent, les taux d'intérêt nominaux annuels des comptes d'épargne-logement, des livrets d'épargne-entreprise, des comptes sur livret ordinaire, des premiers livrets de caisse d'épargne, des comptes spéciaux sur livret du Crédit mutuel, des livrets d'épargne institués au profit des travailleurs manuels, des comptes pour le développement industriel, des comptes sur livret d'épargne populaire, des plans d'épargne-logement et des livrets jeunes sont révisés semestriellement par décision du Comité de la réglementation bancaire et financière. Un décret précise les conditions d'application du présent article.

* (1) L'épargne administrée est composée des instruments financiers dont le taux d'intérêt est fixé par la puissance publique (livret A, livret jeunes, plan d'épargne logement...). Ce taux d'intérêt est donc un prix (le prix de l'argent immobilisé) fixé par l'État, qui se compare aux prix des autres produits fixés par le marché (obligations, marché monétaire...).

* (2) Le revenu de ces produits d'épargne est exonéré de l'impôt sur le revenu, par opposition au revenu des autres produits concurrents. La dépense fiscale mesure la perte de recettes d'impôt sur le revenu consentie par l'État à ce titre. Pour financer ses missions, l'État doit donc augmenter ses prélèvements fiscaux sur d'autres acteurs ou opérations économiques

* (3) À laquelle s'ajoute une prime budgétaire pour 6 milliards de francs par an.

* (4) Cette situation est exceptionnelle et anormale. En principe, les taux d'épargne administrée doivent être inférieurs à ceux du marché en contrepartie d'autres avantages (liquidité, sécurité, défiscalisation).

* (5) Le taux réel est le taux constaté (nominal) diminué du taux d'inflation. Malgré le poids de l'épargne administrée, les performances actuelles de la France sont tout à fait remarquables : les taux courts ont baissé de 4 points en un an et demi et les taux d'intérêt réels à long terme sont les troisièmes plus bas du monde.

* (6) Voir à ce sujet le rapport « Financement du logement » du commissariat général du plan de juillet 1991, dit « rapport Lebègue ».

* (7) Les Codevi : une nécessaire remise en ordre - Sénat n° 298 - 1994/1995 - Paul Loridant, Philippe Marini.

* (8) Rapport général sur la loi de finances pour 1997 - Sénat n° 86 - 1996/1997 - Alain Lambert, tome III, pages 42 à 44

* (9) Rapport Sénat n° 169 - 1995/1996 - Philippe Marini.

* (10) N° 96-597 du 2 juillet 1996.

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