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N° 302

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1996 - 1997

Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 27 mars 1997.

Enregistré à la Présidence du Sénat le 4 avril 1997.

PROPOSITION DE LOI

tendant à assurer l'aménagement, l'équipement et la protection de la nature de la région de l'étang de Berre,

PRÉSENTÉE

Par M. Louis MINETTI, Mme Hélène LUC, MM. Félix LEYZOUR, Claude BILLARD, Mme Marie-Claude BEAUDEAU, M. Jean-Luc BÉCART, Mmes Danielle BIDARD-REYDET, Cohen-Seat Nicole BORVO, Michelle DEMESSINE, M. Guy FISCHER, Mme Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS, MM. Paul LORIDANT, Robert PAGÈS, Jack RALITE et Yvan RENAR,

Sénateurs.

(Renvoyée à la commission des Affaires économiques et du Plan, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

Aménagement du territoire.

EXPOSÉ DES MOTIFS

MESDAMES, MESSIEURS,

I. - QUARANTE ANS DE GÂCHIS :

UNE SITUATION INTENABLE

La région de l'étang de Berre, au coeur des Bouches-du-Rhône, a été développée en quelques grandes phases : les années 30 (aviation, pétrochimie), les années 65-67 (Fos-sur-Mer) accompagnées de grands équipements publics. Depuis, aucun équipement majeur n'a été réalisé. Il vous est proposé un ensemble de mesures-cadre pour la mettre au niveau des exigences de l'an 2000 et d'un développement durable.

L'étang de Berre, qui, avec ses 15 500 hectares, est un des plus grands étangs marins de France et d'Europe, connaît depuis des années des épisodes de perturbations et de pollution du milieu pêcheurs ou riverains ; la population est inquiète pour l'étang, pour ses rives et les activités du pourtour. Sa dégradation est le symbole d'un abandon de cette région par l'État.

L'étang de Berre est un milieu écologique original et d'une grande richesse potentielle, notamment pour la pêche.

Mais à présent, que la salinité de l'eau soit faible ou forte, l'ensemble de l'étang reste un milieu fermé très sensible à l'eutrophisation entraînant des proliférations d'algues ou de micro-algues, la mortalité de poissons, des mauvaises odeurs... L'étang subit les effets de trois agressions cumulées :

1. Une pollution industrielle à laquelle les pouvoirs publics ont répondu de façon contradictoire, pollution qui persiste.

2. L'augmentation des rejets en eaux usées des villes riveraines (qui va de pair avec l'augmentation de la population) et de celles du bassin de l'Arc malgré des efforts d'épuration réels mais insuffisants.

3. Les déversements massifs et intermittents des eaux douces de la Durance amenés par le canal usinier d'EDF à Saint-Chamas qui dénaturent cet étang marin et construisent un cône alluvial immergé ; il est choquant de voir ainsi gaspillé de l'eau douce nécessaire en période de sécheresse.

La solution des problèmes écologiques de l'étang de Berre doit aussi tenir compte de sa liaison avec l'approvisionnement en eau douce de toute la Basse-Provence à partir de l'utilisation de la Durance, ainsi que de l'utilisation énergétique de cette rivière par la réalisation d'une chaîne de barrages d'une utilisation très souple. La sécheresse, les problèmes de l'approvisionnement en énergie de la région et de notre pays montrent donc que la reconstruction d'un équilibre entre la nature et les hommes relève bien d'une responsabilité nationale d'aménagement.

Par ailleurs, la population riveraine, qui s'est beaucoup accrue, souffre des dégradations de son cadre de vie : la pollution aérienne atteint un seuil insupportable dans certaines zones pour trois causes égales (circulation automobile, aéroport, industrie) qui tiennent pour les deux premières à des choix d'aménagement antérieurs. Enfin, des projets immobiliers, voire touristiques, ainsi que l'aménagement du plateau de l'Arbois menacent les zones naturelles (zones humides, forêts) dont certaines sont classées de grand intérêt faunistique ; c'est-à-dire que les dernières zones de nature et de loisirs de proximité dans la grande agglomération marseillaise sont à présent menacées.

Équiper la région de l'étang de Berre donnerait un coup de fouet à son économie, créerait des emplois.

II. - RÉPONDRE AUX BESOINS

Tout acte législatif doit répondre aux besoins d'une population délaissée.

A. - Valoriser les atouts économiques de la région.


• Mieux raccorder la région de l'étang de Berre aux grands axes de communication pour le développement de l'économie et des déplacements des populations. Des transports collectifs modernes et non polluants sont nécessaires de même que des équipements ferroviaires et routiers modernes, valorisant la fonction portuaire.


• Permettre l'essor des activités :

L'étang réhabilité réellement peut voir l'essor de l'aquaculture (conchyliculture...) ainsi que des loisirs de proximité pour la population locale et un tourisme léger. Les activités industrielles et agricoles déjà nombreuses peuvent être favorisées par une optimisation de l'utilisation de l'eau douce (énergie, irrigation, besoins des villes, etc.).

B. - Sauvegarder le patrimoine naturel.

Les contradictions d'une situation où la pêche est acceptée mais sans soutien des pouvoirs publics, où l'étang est domaine maritime, mais délaissé et envasé, ne peuvent rester en l'état. La solution ne peut se dégager qu'en partant des besoins exprimés par la population.


• Retrouver un étang marin.

C'est la volonté des populations riveraines ; c'est utiliser au mieux les potentialités naturelles de l'étang et permettre un renouveau de la pêche qui est une des traditions locales dont il faut aider la filière.


• Préserver les richesses naturelles des rives.

Les zones naturelles forestières et amphibies contribuent à la richesse écologique de l'étang et aux loisirs des chasseurs, pêcheurs et promeneurs. Les dispositions de la loi littoral de 1986 doivent être appliquées rigoureusement en ce sens pour protéger les zones humides. La population de la région veut préserver à la fois ses emplois et la nature.

III. - AMÉNAGER POUR LA NATURE ET LES HOMMES

Pour rompre avec la dilution des responsabilités de l'État, il est temps d'adopter une démarche d'ensemble.

Il convient à présent :

- d'aller vers la reconstruction d'un équilibre écologique de l'étang par des aménagements qui n'impliquent pas la suppression mais l'harmonisation des activités industrielles et humaines dans le cadre naturel à restaurer et à préserver ;

- d'associer largement les différents partenaires intéressés à une nécessaire concertation dans laquelle l'État serait partie prenante. Cette responsabilité nationale allant jusqu'à un nécessaire engagement financier pour apurer l'héritage d'une situation dont la population locale n'est pas responsable.

Aménager l'étang de Berre, reconquérir cet espace naturel pour le faire revivre est un choix de progrès pour la nature et les hommes ; c'est pourquoi nous vous proposons d'adopter la présente proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI

TITRE PREMIER

OBJECTIFS D'AMÉNAGEMENT

Article premier

Il est établi et mis en oeuvre par les pouvoirs publics un programme pluriannuel d'aménagement et de réhabilitation de l'étang de Berre et de sa région sur cinq ans.

Article 2

Concernant l'étang, ce programme définira les moyens permettant d'atteindre en 2002 les objectifs suivants :

- une salinité moyenne de 31 g/1 (+/- 2 g/1) ;

- un arrêt des déversements massifs d'eau douce et un délimonage des apports afin d'atteindre un taux de turbidité inférieur à 0,5 g/1 ;

- un traitement tertiaire des eaux usées domestiques en stations d'épuration ;

- un contrôle et le traitement des débits des rivières se déversant dans l'étang de Berre : l'Arc, la Cadière, la Touloubre ;

- une réduction supplémentaire des rejets polluants industriels liquides jusqu'à 20 mg/1 de demande chimique en oxygène ;

- une réduction de la pollution accumulée dans les vases du fond de l'étang ;

- une réduction des rejets polluants aériens : gaz et poussières.

Article 3

Les centrales d'EDF de la Basse-Durance de Salon et Saint-Chamas cesseront immédiatement de turbiner une eau dont la turbidité serait égale ou supérieur à 1 g/1 dans l'attente des résultats mentionnés à l'article 2.

Article 4

Ce programme comportera un calendrier d'établissement d'un schéma de mise en valeur de la mer (SMVM-loi littoral). Des mesures de protection des rives ainsi qu'un programme d'équipements en transports modernes et un échéancier des travaux de prévention ou de réduction des pollutions.

Article 5

Ce programme comprendra :

a) un suivi scientifique de l'étang de Berre, de ses rives et des sources de pollution autour de l'étang : il prévoira la mise en place progressive d'un recyclage intégral des eaux usées industrielles ;

b) La mise à niveau progressive des stations d'épuration des villes du pourtour et des agglomérations du bassin versant ;

c) Le renforcement de l'action du secrétariat permanent pour les pollutions industrielles pour la réduction effective des pollutions industrielles, ainsi que la rationalisation et la modernisation du réseau des tubes qui traversent l'étang ou qui sont enfouis sous ses rives.

Article 6

Ce plan précisera les conditions d'un aménagement de la centrale EDF de Saint-Chamas pour que les équilibres écologiques de l'étang soient respectés et le potentiel énergétique valorisé (canal de fuite notamment, et autres).

Il devra définir les conditions du déblaiement et la réouverture du tunnel du Rove favorisant uniquement la circulation de l'eau de mer.

Article 7

Ce programme envisagera les moyens concrets d'une réduction de la pollution aérienne.

Article 8

La gestion de la ressource en eau douce, notamment de la Durance, sera confiée à une commission régionale qui, sur la base du principe des quotas définis par les conventions État-EDF, pourra les adapter chaque année avant la saison sèche en fonction de l'évolution des besoins locaux, des priorités et selon les aléas climatiques.

Une utilisation de l'eau douce dans le cadre d'une coopération Nord-Sud sera étudiée.

Cette commission devra comporter une représentation importante d'élus locaux.

Article 9

Seront favorisées les utilisations suivantes de l'étang de Berre et de ses rives : aquaculture, pêche, loisirs de proximité et tourisme léger, nautisme ainsi que le développement raisonnable des industries riveraines compatible avec la préservation de la vie de l'étang. Le schéma de mise en valeur de la mer devra impérativement traduire ces orientations nécessaires à la préservation du milieu. Seront notamment prévues des aides financières au développement de l'aquaculture et de la pêche ainsi que les règles d'une exploitation optimale de la ressource.

TITRE II

UN SYNDICAT MIXTE D'AMÉNAGEMENT

DE L'ÉTANG DE BERRE

Article 10

Seul l'engagement du législateur peut amener les multiples acteurs riverains de l'étang à se regrouper pour élaborer des options d'aménagement entrant dans le cadre ci-dessus défini. Sera donc suscitée la création d'un syndicat mixte d'aménagement de l'étang de Berre.

Article 11

Le conseil d'administration de ce syndicat mixte sera composé :

1. Pour un cinquième, des représentants de l'État et de ses services concernés dans la région ;

2. Pour deux cinquièmes, des représentants de chaque commune concernée de l'étang de Berre, de Caronte et du golfe de Fos et des collectivités territoriales, département et région ;

3. Pour un cinquième :

- des représentants des industriels riverains (port autonome, EDF, etc.),

- des représentants des unions départementales des grandes centrales syndicales,

- des représentants des associations de défense de la nature ;

4. Pour un cinquième :

- des utilisateurs de l'étang : prud'homie de pêche, comité local des pêches, chasseurs, clubs nautiques, professionnels du tourisme.

Article 12

Le conseil d'administration élira un président et des vice-présidents et secrétaires parmi ses membres. Les représentants des communes riveraines seront majoritaires dans le bureau.

Article 13

Le syndicat mixte se dotera d'un conseil scientifique.

TITRE III

FINANCEMENT

Article 14

Le financement des actions de réhabilitation de l'étang dont l'état résulte de choix gouvernementaux antérieurs sera assuré à hauteur de 70 % par les participations des ministères concernés : aménagement du territoire, agriculture, environnement, pêche, industrie et transports. Des participations de la Communauté européenne seront sollicitées. Les autres travaux nécessaires à la région de l'étang seront financés selon les méthodes admises.

Article 15

Une fois réhabilité, l'étang de Berre sera géré par le syndicat mixte. Le financement de cette gestion sera assuré par les revenus de ce syndicat.

Article 16

Les ressources du syndicat mixte sont constituées :

- des subventions, avances, participations qui lui sont attribuées par l'État, les collectivités territoriales, la Communauté européenne, les établissements publics, les sociétés nationales et les organismes internationaux, ainsi que par toute personne publique ou privée intéressée ;

- du produit des emprunts qu'il est autorisé à contracter ;

- du produit de la revente de ses biens meubles et immeubles ;

- du produit de la gestion des biens entrés temporairement dans son patrimoine ;

- du produit des rémunérations perçues au titre des conventions d'aménagement, de mandats et de prestations de services ;

- des dons et legs qui lui sont faits.

Article 17

Sont abrogées toutes les dispositions contraires à la présente loi. Les conventions liant EDF et l'État seront modifiées en conséquence. Ces nouvelles dispositions seront applicables immédiatement.

Article 18

L'article 158 bis du code général des impôts est abrogé. Une part du produit résultant de cette abrogation est versée aux collectivités locales intéressées.

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