N° 112

SENAT

SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998

Annexe au procès-verbal de la séance du 26 novembre 1997.

PROPOSITION DE LOI

modifiant l'article 33 de la loi du 30 juin 1975 d'orientation en faveur des handicapés,

PRÉSENTÉE

Par Mme Nicole BORVO, MM. Guy FISCHER, Mme Marie-Claude BEAUDEAU, M. Jean-Luc BÉCART, Mme Danielle BIDARD-REYDET, MM. Jean DERIAN, Michel DUFFOUR, Pierre LEFEBVRE, Paul LORIDANT, Mme Hélène LUC, MM. Louis MINETTI, Robert PAGES, Jack RALITE, Ivan RENAR et Mme Odette TERRADE,

Sénateurs.

(Renvoyée à la commission des Affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

Handicapés. - Centre d'aide par le travail (CAT) - Charges patronales.

EXPOSÉ DES MOTIFS

MESDAMES, MESSIEURS,

La loi n° 75-534 du 30 juin 1975, dite «d'orientation en faveur des handicapés », a sur de nombreux points constitué une avancée significative du droit social français relatif aux personnes handicapées et à leur citoyenneté.

Parmi eux, le titre IV, intitulé « Garantie de ressources » (art. 32, 33 et 34), fut innovant et apporta un avantage très important aux handicapés et surtout à ceux non susceptibles - à titre provisoire ou définitif- de s'insérer dans le milieu ordinaire de travail, en instituant le complément de salaire et la garantie de ressources.

Grâce à ces articles et leurs textes d'application, les travailleurs handicapés en milieu ordinaire de travail, en ateliers protégés ou en centres de distribution de travail à domicile avaient la garantie de ressources égale à 90 % du SMIC, mais ces handicapés pouvaient bénéficier en supplément d'une fraction de l'allocation aux adultes handicapés, ce qui aboutissait à des revenus correspondant à 100 % du SMIC.

L'article 33 énumère la liste des cotisations assises sur le montant de la garantie de ressources que doivent payer les ateliers protégés, les centres de distribution de travail à domicile et les entreprises de milieu ordinaire au titre d'employeur et les travailleurs handicapés eux-mêmes au titre du précompte.

L'article 34 dispose que « l'Etat assure aux entreprises et aux organismes gestionnaires d'ateliers protégés, de centre de distribution de travail à domicile et de CAT, dans des conditions fixées par décret, la compensation des charges qui s'imposent au titre de la garantie de ressources prévue à l'article 33 et des cotisations afférentes ».

Pendant plusieurs décennies, l'Etat remboursait l'ensemble des cotisations afférentes mais, recherchant par tous les moyens à réduire ses dépenses, l'Administration s'est avisée que l'article 33 était singulièrement restrictif et n'énumérait qu'une partie des charges sociales que la loi, la réglementation et les conventions collectives imposaient aux entreprises. Des contentieux avaient été engagés et le Conseil d'Etat, par un arrêt du 16 avril 1985, a confirmé plusieurs décisions de la juridiction administrative, de même que la Cour de cassation. Ces juridictions ont estimé qu'en fonction de la rédaction de l'article34 de la loi susvisée il convenait de faire une distinction entre les différentes charges sociales dont la nature n'est pas identique.

Face à cette rédaction incomplète, le Gouvernement pouvait choisir entre deux positions :

- modifier la loi pour que soient couvertes toutes les charges ;

- réduire sa compensation des charges sociales à celles nommément énumérées dans l'article 33 de la loi.

C'est la deuxième option qu'il a prise et qu'il a confirmée par la circulaire CDE 94-40 du 10 octobre 1994, accentuant ainsi l'exclusion des handicapés.

En conséquence, l'Etat ne compense plus les cotisations payées par les ateliers protégés, les centres de distribution de travail à domicile et les entreprises de milieu ordinaire au titre de la médecine du travail, de la formation professionnelle continue, de la participation aux charges de transports, de la construction et du financement des comités d'entreprise.

Dans certains départements, la compensation portait aussi sur des aspects d'accord d'entreprise, de convention collective, sur les oeuvres sociales, sur le maintien de salaire (loi de 1978).

Cette position est à plus d'un titre aberrante. L'ensemble des fédérations et des grandes associations gestionnaires employeurs de salariés handicapés l'ont contestée.

Voici point par point les effets de cette circulaire.

a) Médecine du travail

Les ateliers protégés emploient à proportion d'au moins 80% de leurs effectifs des personnes handicapées reconnues par la COTOREP comme non susceptibles à titre temporaire ou définitif de s'insérer dans le milieu ordinaire de production.

Or, les salariés de ces établissements ont par essence un état pathologique, physique ou mental, qui les rend beaucoup plus fragiles que les bien portants, c'est-à-dire qu'ils ont besoin, pour ne pas rechuter ou aggraver leur cas, d'une surveillance médicale plus attentive que leurs collègues bien portants, et cela non seulement sur le plan de la santé physique mais aussi surtout psychique, puisque l'on sait qu'environ 60 % des 13 000 travailleurs de ces entreprises de travail adapté sont des déficients intellectuels ou psychiques.

La logique et l'équité voudraient que l'Etat augmente sa contribution aux charges de médecine du travail de manière à éviter le plus possible des rechutes, qui, bien souvent, lorsqu'elles se produisent, conduisent ces travailleurs à l'hôpital.

Les services de la médecine du travail appliquent à chacun de leurs adhérents un coût de la visite. Les ateliers protégés, compte tenu de la spécificité de leurs salariés, sont réputés être de grands consommateurs de temps de médecine du travail. La durée de la visite est plus longue pour le travailleur handicapé compte tenu de son historique médical, sa problématique de la difficulté d'aptitude à l'emploi.

Il est par ailleurs bien légitime que la médecine du travail ne fasse pas supporter aux autres adhérents le réel coût de la visite médicale pour les personnes handicapées. C'est à la collectivité publique de le prendre en charge d'une manière ou d'une autre. Si l'Etat se désengage, cela signifie que la visite du médecin du travail n'a pas de caractère obligatoire pour les salariés handicapés de l'atelier protégé.

b) Formation professionnelle continue

Nombre de travailleurs des ateliers protégés ont un niveau de formation inexistant. Les systèmes de formation traditionnels ne leur sont pas accessibles.

L'atelier protégé joue donc un rôle majeur d'interface formative entre le handicap et la situation professionnelle.

Il s'agit d'une formation professionnelle de terrain trois à quatre fois plus longue que dans une entreprise classique, accompagnée par une maîtrise dont la compétence pédagogique devra être, elle aussi, renforcée.

L'enjeu de l'emploi dans son futur dépend de cette capacité de réadaptation professionnelle.

En France, peu de structures jouent un rôle aussi important d'insertion dans une réalité d'entreprise vraie.

Cette formation, plus largement, ne peut déboucher sur une réussite et une évolution de la personne que dans la mesure où, dépassant la simple efficacité d'une gestuelle de répétition, la formation, innovante, la conduit du savoir-faire au savoir-être dans le milieu de production.

Nous parlons ici de la flexibilité humaine et organisationnelle nécessaire pour l'autonomie des personnes.

En application du décret n° 78-75 de la loi de juin 1975, l'arrêté R. 323-60 précise : « ... Les ateliers protégés ... mettent les travailleurs handicapés à même d'exercer une activité professionnelle salariée dans des conditions adaptées à leurs possibilités. Ils doivent, en outre, favoriser la promotion des travailleurs handicapés et leur accession à des emplois dans le milieu ordinaire de travail. » Comment la circulaire de 1994 sert-elle cet article R. 323-60 du code du travail ?

Peut-on imaginer un seul instant que la promotion de la personne, dont le vécu, l'historique sont une succession de difficultés, d'échecs, au niveau scolaire, intégration sociale, intégration professionnelle..., peut spontanément, par le simple fait d'être employée par l'atelier protégé, accéder au milieu ordinaire ? Il faut être réaliste ; comme pour chaque salarié, la formation est un des leviers fondamentaux de la promotion, de l'adaptation au travail face à de nouvelles technologies et aux mutations professionnelles.

Là encore, l'Etat se devait d'accroître ses financements plutôt que de les supprimer, car la diminution des versements diminue le budget formation, les fonds mutualisés ayant par ailleurs pratiquement disparu.

Enfin, l'exonération des cotisations de l'Etat sur sa part de rémunération n'est pas conforme aux règles fiscales.

c) Transport

Un grand nombre de travailleurs des établissements utilisent les transports en commun mais certains doivent être transportés par des minibus adaptés (en région parisienne gérés par le GIHP - Groupement pour l'insertion des personnes handicapées physiques) dont le handicapé assume une partie de la charge (1140F par mois en avril 1995).

d) Construction et logement

Il est vrai que nombre de ces travailleurs vivent en foyer parce que leur degré d'autonomie n'est pas suffisant ou, pour des motifs financiers, ne peuvent pas accéder à des appartements HLM malgré l'allocation logement à laquelle ils ont droit. Un effort supplémentaire en leur faveur devrait être consenti par l'Etat.

La diminution de versement influe sur le niveau des droits ouverts aux travailleurs handicapés quant :

- au montant des prêts accordés sur les fonds (0,45 % pour l'aide au financement des projets immobiliers) ;

- au nombre des réservations de logements auprès des bailleurs sociaux (HLM) ;

- à la capacité du collecteur à accorder des aides financières à la création ou la rénovation des foyers d'hébergement.

Enfin, l'exonération des cotisations de l'Etat sur sa part de la rémunération n'est pas conforme aux règles fiscales.

e) Comité d'entreprise

Les ateliers protégés étant légalement tenus de constituer des comités d'entreprise, le fait pour l'Etat de ne pas compenser les charges de cotisations exclut ces travailleurs du monde du travail et les considère comme une sous-population, ce qui porte atteinte non seulement à leurs droits mais également à leur dignité. Par ailleurs, leur rémunération du fait de leur état étant plus faible que celle des bien-portants, la logique voudrait que les fonds sociaux des comités d'entreprise des ateliers protégés soient abondes de façon plus importante que ceux des comités d'entreprise du milieu ordinaire pour répondre aux besoins spécifiques de ces personnes.

f) Conclusions

Pour cet ensemble de motifs, nous proposons de modifier l'article 33 de la loi n° 75-534 du 30 juin 1975 de manière à la compléter pour qu'il devienne exhaustif par rapport à la compensation par l'Etat de l'ensemble des charges sociales et fiscales assumées par ces organismes au titre du complément de salaire.

Notre démarche se justifie d'autant plus que la subvention de fonctionnement par emploi créé versée par l'Etat aux ateliers protégés n'a cessé de se dégrader.

S'ajoute à ces considérations le fait que l'environnement économique a beaucoup changé au cours de ces décennies, les ateliers protégés se sont fragilisés en raison notamment de la délocalisation des productions simples et répétitives accessibles à des handicapés à très faible capacité professionnelle vers l'Afrique, l'Extrême-Orient, l'Amérique latine et, plus récemment, vers les pays de l'Est.

Le climat concurrentiel a exacerbé les impératifs de souplesse, de qualité de service ; cela impose des contraintes techniques et d'organisation qui tendent à pénaliser gravement les entreprises fragiles que sont les ateliers protégés. L'ensemble de ces nouvelles exigences du marché peut tendre et tend déjà à exclure les personnes les moins performantes, les plus fragiles, dans leur citoyenneté économique faute d'un minimum d'accompagnement en permettant dans le temps l'adaptation nécessaire.

Or, comme l'ont montré des études économiques très élaborées, la mise au travail des handicapés, même gravement atteints, dans des structures adaptées comme le sont les ateliers protégés est hautement rentable pour la société, qui bénéficie :

- de la production de ces travailleurs en termes de valeur ajoutée ;

- des cotisations tant des entreprises de travail protégé que des précomptes retenus sur les feuilles de paie ;

- de l'amélioration de l'état pathologique de ces handicapés, qui, s'ils ne travaillaient pas, aggraveraient les dépenses de santé ;

- de la TVA collectée par les ateliers protégés.

Une étude récente met en avant le fait que pour 1 franc investi dans un atelier protégé et pour un de ses salariés handicapés la collectivité publique reçoit 1 franc et 12 centimes.

On peut donc parler « prosaïquement » de retour sur investissement en ce qui concerne les subventions de l'Etat au titre de fonctionnement et de la garantie de ressources.

Quand l'efficacité économique de l'atelier protégé dans l'insertion des personnes handicapées se conjugue avec le devoir de solidarité exprimé par la loi de 1975, il importe que la révision du texte de loi soutienne l'action de cette structure.

PROPOSITION DE LOI

Article l er

L'article 33 de la loi n° 75-534 du 30 juin 1975 en faveur des personnes handicapées est complété, in fine, par un alinéa ainsi rédigé :

« En outre, pour les salariés handicapés relevant du code du travail, le complément de rémunération versé par l'Etat, ayant caractère de salaire, est assujetti à toutes les charges patronales s'imposant à l'employeur et entre en totalité dans le calcul des indemnités de toute nature. »

Article 2

De manière à compenser les dépenses prévues à l'article 1 er , le taux de l'impôt sur le bénéfice des sociétés est augmenté à due concurrence pour les bénéfices distribués.

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