Manipulation du marché de gros de l'énergie (PPRE) - Texte déposé - Sénat

N° 622

SÉNAT


SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

                                                                                                                                             

Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 mai 2023

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE PORTANT AVIS MOTIVÉ


au nom de la commission des affaires européennes,
en application de l’article 73 octies du Règlement,


sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant les règlements (UE) n° 1227/2011 et (UE) 2019/942 afin d’améliorer la protection de l’Union contre la manipulation du marché de gros de l’énergie - COM(2023) 147 final,


présentée

Par MM. Daniel GREMILLET, Claude KERN et Pierre LAURENT,

Sénateurs


(Envoyée à la commission des affaires économiques.)




Proposition de résolution européenne portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant les règlements (UE)  1227/2011 et (UE) 2019/942 afin d’améliorer la protection de l’Union contre la manipulation du marché de gros de l’énergie – COM(2023) 147 final

Publiée le 14 mars 2023 dans le cadre de la réforme de l’organisation du marché de l’électricité de l’Union européenne, la proposition de règlement COM(2023) 147 final du Parlement européen et du Conseil tend à modifier, d’une part, le règlement (UE) 1227/2011 concernant l’intégrité et la transparence du marché de gros de l’énergie (REMIT) et, d’autre part, le règlement (UE) 2019/942 instituant une agence de l’Union européenne pour la coopération des régulateurs de l’énergie (ACER).

Cette proposition de règlement a pour objet d’aligner plus étroitement la législation sur les marchés de gros de l’énergie sur celle relative aux marchés financiers. Elle renforce les capacités de surveillance des marchés par les régulateurs nationaux et l’Agence européenne. Elle étend également les pouvoirs de coordination et d’enquête de l’ACER et vise à une harmonisation des sanctions au niveau européen.

Vu l’article 88-6 de la Constitution,

Le Sénat fait les observations suivantes :

– selon les traités, et notamment l’article 194 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), la politique de l’Union européenne dans le domaine de l’énergie vise, dans un « esprit de solidarité », à assurer notamment le fonctionnement du marché de l’énergie et la sécurité de l’approvisionnement énergétique ; toutefois, la politique énergétique relevant des compétences partagées entre l’Union et les États membres, il convient d’examiner si l’objectif de l’action envisagée peut être mieux réalisé au niveau communautaire et si l’intensité de l’action entreprise ne se situe pas au-delà des mesures nécessaires à l’atteinte des objectifs que cette action vise à réaliser ; surtout, ces mesures ne doivent pas affecter le droit d’un État membre de déterminer les conditions d’exploitation de ses ressources énergétiques, son choix entre différentes sources d’énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique ;

– l’Union européenne s’est dotée d’une institution chargée de favoriser la coopération entre régulateurs nationaux de l’énergie et de garantir le bon fonctionnement du marché de l’énergie. L’Agence doit veiller à la bonne application du règlement REMIT dans toute l’Union européenne pour assurer l’intégrité et la transparence du marché de gros de l’énergie ;

– la crise des prix de l’énergie n’a pas permis de déceler des menaces systémiques portant sur l’intégrité et la transparence des marchés de gros à l’échelle européenne de nature à justifier une révision d’ampleur du règlement REMIT et de la répartition des compétences entre l’ACER et les régulateurs nationaux ; puisque la mise en œuvre du règlement REMIT par les régulateurs nationaux et le suivi de son respect par les acteurs de marché n’ont pas fait apparaître de difficulté particulière ni soulevé de critique, qui justifieraient une révision conséquente du cadre existant, son application doit continuer de s’appuyer sur les compétences et les responsabilités dévolues aux autorités de régulation nationales de l’énergie ainsi que sur l’expérience qu’elles ont acquise en matière de contrôle des marchés de gros de l’énergie ;

– l’article 13 du règlement (UE)  1227/2011 tel que modifié par l’article 1er de la proposition de règlement COM(2023) 147 final prévoit de renforcer les compétences de l’ACER en matière d’enquête en lui accordant des pouvoirs d’investigation et de poursuite, dans un contexte transfrontalier ou en cas d’absence d’intervention de l’autorité de régulation nationale, sur les manquements à l’application du règlement REMIT. Elle pourrait ainsi réaliser des opérations de visites et de saisies. La proposition de règlement ne spécifie pas suffisamment l’articulation envisagée entre les pouvoirs qui seraient accordés à l’Agence européenne et ceux des autorités de régulation nationales en matière de lutte contre les abus de marché, alors même qu’elle habilite l’ACER à mener des investigations sur des enquêtes déjà ouvertes par un régulateur national. Or l’Agence dispose déjà de prérogatives pour impulser et coordonner des enquêtes en cas de soupçon d’abus de marché, qu’elle doit exercer en coopération avec les régulateurs nationaux, ceux-ci devant, en raison de leur expérience, de leurs fines connaissances du marché de gros au plan national, conserver les moyens d’enquête et de sanction actuellement à leur disposition pour lutter efficacement contre toute atteinte à l’intégrité et à la transparence des marchés de gros de l’énergie, dans le respect du principe de subsidiarité ;

– l’article 16 règlement (UE)  1227/2011 tel que modifié par l’article 1er de la proposition de règlement COM(2023) 147 final oblige les autorités de régulation nationales à communiquer à l’ACER tout projet de décision de sanction du comité de règlement des différents et sanctions (CoRDis) au plus tard trente jours avant l’adoption d’une décision définitive, « un résumé du dossier ainsi que de la décision envisagée » devant être fourni à l’Agence. Le considérant (30) du règlement (UE)  2019/942 souligne qu’il « convient notamment de prendre pleinement en compte le rôle spécifique des autorités de régulation et de garantir leur indépendance » ; or cette proposition pourrait remettre en question l’indépendance des régulateurs nationaux et le principe du secret des délibérations ;



– l’article 16 ter du règlement (UE)  1227/2011 tel qu’inséré par l’article 1er de la proposition de règlement COM(2023) 147 final tend à rendre contraignantes les orientations et recommandations, destinées aux régulateurs nationaux et aux acteurs de marché, formulées par l’ACER pour l’application du règlement REMIT, puisqu’ils devront mettre « tout en œuvre pour respecter ces orientations et recommandations », et qu’en cas de non-respect par une autorité de régulation nationale, l’Agence devra en être informée, connaître les motivations de l’autorité concernée et rendre public ce fait. Par ailleurs, l’Agence ne serait pas tenue de procéder à des consultations préalables avant l’édiction de ces orientations et recommandations. Cette disposition permettrait à l’ACER de créer des normes qui produiraient des effets juridiques en dehors de nécessités liées à son fonctionnement. L’ACER se verrait ainsi attribuer une compétence normative alors qu’elle est chargée, par le règlement (UE) 2019/942 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019, d’assister les autorités nationales dans leur activité de régulation au niveau européen et de coordonner leur action, ce qui apparaît contraire au principe de subsidiarité. Par ailleurs, le rôle, que serait appelée à jouer l’ACER, de supervision des régulateurs nationaux n’apparaît pas conforme au principe de proportionnalité en ce qu’il menace leur indépendance.



Le Sénat estime, en conséquence, que la proposition de règlement COM(2023) 147 final n’est pas conforme, dans sa rédaction actuelle, au principe de subsidiarité prévu à l’article 5 du traité sur l’Union européenne et au protocole  2 annexé à ce traité.

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