Service des Commissions

M. HUBERT VEDRINE FAIT, DEVANT LES SENATEURS, LE POINT DES NEGOCIATIONS SUR LE KOSOVO

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, présidée par M. Xavier de Villepin, président, a entendu le jeudi 4 mars 1999, M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

M. Hubert Védrine a tout d’abord rappelé l’évolution de la situation au Kosovo au cours des derniers mois : alors que la situation s’était stabilisée à la fin de l’automne, permettant d’éviter une véritable catastrophe humanitaire, le cycle des attentats et de la répression avait recommencé au cours du mois de décembre avant que les massacres perpétrés en janvier ne provoquent un nouveau choc au sein de la communauté internationale.

Le ministre des affaires étrangères a estimé que le groupe de contact avait démontré qu’il constituait un cadre approprié pour traiter la question du Kosovo, particulièrement parce qu’il permettait d’associer, autour des Européens, les Etats-Unis et la Russie. Il a considéré que le poids politique du groupe de contact, renforcé par l’autorité des Nations unies et par les menaces militaires de l’OTAN, avait permis d’exercer sur les parties en présence une pression suffisante pour les amener à accepter de se réunir.

Pour M. Hubert Védrine, le fait que l’ensemble des parties en cause, y compris les Albanais du Kosovo, ait accepté de participer à la réunion de Rambouillet, constituait en soi un premier succès pour la démarche du groupe de contact.

Le ministre des affaires étrangères est ensuite revenu sur le déroulement des discussions de Rambouillet. Il a indiqué que la délégation serbe avait paru prête à accepter les principes généraux d’un accord politique, même si elle en contestait certains détails, mais qu’elle refusait en revanche toute présence militaire internationale au sol. Or, a-t-il poursuivi, la présence d’une force militaire internationale constituait, pour les Albanais du Kosovo, une garantie minimale en contrepartie du renoncement à l’indépendance et du désarmement de l’UCK.

Ainsi, a ajouté M. Hubert Védrine, est-il clairement apparu que les obstacles à un accord complet se situaient des deux côtés en présence, ce qui devait conduire à poursuivre les pressions sur les deux parties.

M. Hubert Védrine s’est félicité du processus que la réunion de Rambouillet avait permis d’enclencher tout en soulignant la fragilité des résultats obtenus et l’extrême complexité de la négociation. Il s’est inquiété de la reprise des attentats anti-serbes au Kosovo et des mouvements de troupe de l’armée serbe qui entraînaient un regain de tension.

Le ministre des affaires étrangères a conclu en estimant que le risque de blocage demeurait élevé et que la tentation pour les différentes parties en présence de se tourner vers des solutions autres que politiques demeurait. Dans ce contexte, les pressions exercées par le groupe de contact devaient se poursuivre et M. Hubert Védrine n’excluait pas de se rendre, si nécessaire, à Belgrade avec M. Robin Cook.

A l’issue de cet exposé, un débat s’est engagé entre le ministre des affaires étrangères et les commissaires.

M. Aymeri de Montesquiou a souhaité connaître la portée des différences d’appréciation sur le problème du Kosovo qui s’étaient exprimées aux Etats-Unis. Il s’est interrogé sur les objectifs des négociations en cours. Si la paix était recherchée dans l’immédiat, on pouvait s’interroger, en revanche, sur la définition du statut du Kosovo à moyen et à long termes : autonomie dans un cadre fédéral ou indépendance ? A cet égard, M. Aymeri de Montesquiou s’est demandé comment l’avenir du Kosovo pourrait concilier à la fois le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et le principe de souveraineté nationale. Il a également, avec M. Christian de La Malène, posé la question de la nature de l’UCK, relevant notamment les points communs entre ce mouvement et certains mouvements de libération nationale.

M. Michel Caldaguès s’est alors interrogé sur la signification et la portée de la participation des Américains aux négociations de Rambouillet, qui pouvait apparaître en contradiction avec le soutien que les Etats-Unis avaient apporté aux Kosovars. Il a exprimé des doutes sur l’efficacité de la menace de frappes aériennes. M. Michel Caldaguès a enfin souhaité savoir quelle serait l’attitude de la France si de telles frappes faisaient des victimes civiles au Kosovo.

M. Pierre Mauroy a souligné le succès diplomatique que représentaient en soi les négociations en cours, compte tenu en particulier de la cohésion qui s’était manifestée à cette occasion entre Européens et de la coopération conduite de manière satisfaisante entre Américains et Européens. Tout en exprimant son soutien à la priorité attachée par les négociateurs à un règlement pacifique, M. Pierre Mauroy a néanmoins fait observer que la menace d’une intervention militaire conférait tout son sens au dialogue diplomatique, qui, en lui-même, a-t-il relevé, ne suffisait pas. M. Pierre Mauroy a également posé la question de l’objectif final du processus en cours, qu’il a rapproché des difficultés actuellement constatées en Bosnie-Herzégovine.

M. Robert del Picchia s’est alors interrogé sur la signification de la marginalisation actuelle de M. Rugova.

M. Christian de La Malène ayant souligné le rôle de l’Albanie dans le conflit du Kosovo et dans l’émergence de l’UCK, M. Xavier de Villepin, président, a rappelé les tensions croissantes qui se font jour en Albanie, compte tenu de la radicalisation de la situation due notamment à l’influence de M. Berisha dans le nord du pays.

M. Xavier de Villepin, président, après avoir évoqué le projet tendant à constituer, après l’adoption éventuelle d’un accord de paix, une force d’intervention composée de 25 000 Européens et de 4 000 Américains, s’est interrogé sur la pertinence et l’efficacité d’une éventuelle action militaire au Kosovo en cas d’échec des négociations.

Répondant ensuite aux interventions des commissaires, M. Hubert Védrine a apporté les précisions suivantes :

- la position européenne s’appuyait sur la conviction des dangers susceptibles de résulter, pour l’ensemble de l’Europe centrale et orientale, de l’indépendance du Kosovo, et sur le souci de prendre en considération les aspirations des Kosovars,

- les Européens étaient convaincus de la nécessité de trouver une solution politique en recourant à la menace,

- la participation de Mme Madeleine Allbright aux négociations de Rambouillet illustrait la volonté des autorités américaines de faire aboutir le processus en cours,

- l’absence d’unité de l’UCK pourrait, a espéré le ministre, évoluer vers une plus grande cohérence du mouvement,

- la menace de frappes aériennes s’appuyait sur des bases juridiques claires (résolution 1199 du Conseil de sécurité),

- le processus enclenché à Rambouillet s’inscrivait dans un schéma de règlement élaboré par le groupe de contact, qui visait à reconnaître une autonomie substantielle au Kosovo, tandis qu’une force internationale déployée sur le terrain devait assurer une garantie suffisante,

- l’UCK avait contesté ce schéma général de règlement en exigeant l’organisation, au terme de la période transitoire de trois ans, d’un référendum destiné à obtenir l’indépendance du Kosovo,

- les difficultés actuelles de l’Albanie, qu’il s’agisse du gouvernement de Tirana ou des projets défendus par M. Berisha, constituait un élément important du problème régional et devait être pris en compte dans la perspective d’un règlement d’ensemble,

- la mise en œuvre éventuelle de moyens militaires en cas d’échec des négociations dépendrait de l’évaluation politique des conditions d’un tel échec,

- enfin, l’accord susceptible d’intervenir au terme des négociations en cours constituerait une étape dans un processus pouvant conduire à la réintégration de la République fédérale de Yougoslavie dans la famille européenne.