Service des Commissions

M. Charles Josselin fait le point devant les sénateurs

sur la situation des réfugiés du Kosovo

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, présidée par M. Xavier de Villepin, élargie aux membres de la Conférence des Présidents, a entendu le mardi 20 avril 1999 M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur la situation humanitaire liée à la crise au Kosovo.

Le ministre délégué a d’abord indiqué que, depuis le début de la crise du Kosovo, 600 000 kosovars avaient trouvé refuge dans les pays voisins et qu’il était difficile par ailleurs d’évaluer la part de la population déplacée sur le territoire même du Kosovo. Il a relevé que si l’Albanie avait manifesté dès le début de la crise sa disponibilité pour accueillir des réfugiés et reçu 365 000 kosovars alors même que la population albanaise s’élève à quelque 3,3 millions d’habitants, la Macédoine se trouvait confrontée, devant l’afflux des réfugiés, au risque d’une crise économique et politique, compte tenu du fragile équilibre ethnique de ce pays. M. Charles Josselin a ajouté que le Monténégro, qui avait accueilli 75 000 réfugiés, présentait un problème spécifique dans la mesure où il faisait partie de la fédération yougoslave, ce qui rendait difficile l’intervention des organisations humanitaires.

Après avoir rappelé que le départ des réfugiés du Kosovo ne concernait pas des individus isolés mais des familles entières, M. Charles Josselin a observé que le Haut Commissariat pour les Réfugiés (HCR) et les organisations non gouvernementales (ONG) avaient d’abord été débordés et que l’aide aux réfugiés avait pris du temps pour se mettre en place. Il a souligné à cet égard que la France avait été l’un des premiers pays à mobiliser sur place les secours nécessaires. Le ministre délégué a alors évoqué l’organisation de l’aide humanitaire et noté que si les besoins en nourriture étaient dans l’ensemble satisfaits, la fourniture de tentes supplémentaires s’avérait indispensable.

M. Charles Josselin a attiré l’attention sur la nécessité d’apporter une aide adéquate aux familles albanaises qui accueillaient les réfugiés kosovars et qui se trouvaient elles-mêmes souvent dans une situation matérielle difficile. Il a évoqué à cet égard le principe d’une compensation financière à ces familles en soulignant toutefois la difficulté de mettre en place une telle formule compte tenu de la fragilité des structures administratives albanaises.

M. Charles Josselin a ensuite estimé que l’une des priorités visait aujourd’hui à donner une protection juridique à des réfugiés qui avaient été dépouillés, par les autorités serbes, de tout signe identitaire. Il a noté que cette responsabilité incombait au Haut Commissariat aux Réfugiés qui avait besoin à cette fin de moyens supplémentaires. Il a relevé par ailleurs que les instructions avaient été données aux postes diplomatiques français dans la région pour faire preuve de souplesse à l’égard des demandes exprimées par les réfugiés pour se rendre dans notre pays, sachant qu’une vigilance s’imposait à l’égard de possibles tentatives d’infiltration des réfugiés par des non-Kosovars. M. Charles Josselin a observé cependant qu’une grande partie des réfugiés du Kosovo avaient exprimé leur désir d’émigrer en Allemagne où se trouvait déjà une communauté kosovare importante.

M. Charles Josselin a indiqué que les nombreuses familles françaises, qui avaient manifesté leur disponibilité pour accueillir des Kosovars, devaient être prêtes à recevoir un nombre de personnes parfois important,10 à 15 personnes par famille, et ce pour une période d’au moins trois mois. Le ministre délégué a souligné que les Kosovars bénéficieraient sur notre territoire d’une autorisation provisoire de séjour et que le statut de réfugié pourrait leur être donné, des consignes de souplesse ayant été données à cet égard aux préfets. Il a ajouté que la France avait accueilli le week-end dernier, à titre officiel, 348 réfugiés qui seraient hébergés dans des structures collectives avant d’être reçus le cas échéant par des familles françaises dans des conditions qui seraient évaluées par les services des Directions départementales à l’action sanitaire et sociale. M. Charles Josselin a indiqué qu’une centaine de réfugiés avaient par ailleurs rejoint notre pays selon des procédures non officielles. La France, a-t-il précisé, accueillera de nouveaux réfugiés dans les jours à venir, et se trouvait actuellement au cinquième rang des pays d’accueil, 15 929 réfugiés ayant été évacués à ce jour de la zone de conflit, dont 9 000 vers l’Allemagne.

M. Charles Josselin a ensuite insisté sur la nécessité de rapidement prolonger l’aide humanitaire d’urgence par une aide au développement des pays accueillant des réfugiés, qu’il s’agisse de répondre aux besoins des populations réfugiées elles-mêmes, par exemple en matière scolaire ou sanitaire, ou à ceux des populations locales.

Il a annoncé que le Gouvernement français commençait à réfléchir sur un programme de coopération-développement en direction des pays de la zone, en liaison avec les postes diplomatiques concernés, mais aussi les collectivités locales. Il s’est en effet déclaré convaincu que la coopération décentralisée, dans des domaines tels que l’eau et l’assainissement, pouvait se révéler extrêmement utile.

Evoquant le rôle de l’Otan dans le domaine humanitaire, il a précisé que c’est à la demande du Haut commissariat aux réfugiés que les moyens de l’Alliance avaient été sollicités, notamment pour le transport de l’aide et la sécurisation des camps de réfugiés. A ce titre, 8 000 soldats, dont 800 Français, stationnaient actuellement en Albanie.

Le ministre délégué a enfin rappelé les conclusions du Conseil des ministres des affaires étrangères des Quinze tenu à Luxembourg le 8 avril dernier, qui s’était prononcé, conformément aux vues françaises, en faveur d’une priorité à l’accueil sur place des réfugiés et qui avait proposé un pacte de stabilité pour les Balkans. Il a indiqué que les aspects humanitaires de la crise seraient prochainement évoqués lors de deux réunions importantes :

- le sommet de l’Otan à Washington, au cours duquel pourrait être précisé le rôle de l’Alliance dans l’action humanitaire et l’aide au développement,

- une réunion, en marge de celle du Fonds monétaire international, du Comité " Balkans ", la semaine prochaine, destinée à évoquer l’appui susceptible d’être apporté à l’Albanie et à la Macédoine.

A la suite de l’exposé du ministre délégué à la coopération et à la francophonie, un débat s’est engagé avec les membres de la commission.

M. Hubert Durand-Chastel a demandé des précisions sur les conséquences de la rupture des relations diplomatiques entre Belgrade et Tirana et sur la notion de corridor humanitaire.

M. Aymeri de Montesquiou, tout en se félicitant de l’attention désormais portée à l’aide au développement des pays voisins du Kosovo, a déploré que l’Alliance n’ait pas anticipé les difficultés provoquées par l’exode de réfugiés kosovars. Il s’est demandé s’il n’aurait pas fallu décréter un embargo à l’encontre de la Serbie avant d’envisager des frappes aériennes.

Mme Danielle Bidard-Reydet a interrogé le ministre sur les conditions dans lesquelles pourraient être envisagés des parachutages de vivres au Kosovo. Elle l’a également questionné sur l’évolution de la situation diplomatique et la recherche d’une issue politique au conflit.

M. Xavier de Villepin, président, s’est lui aussi interrogé sur la possibilité d’effectuer des parachutages de vivres pour venir en aide aux populations restées au Kosovo. Il a demandé si la présence au sol d’une force de protection des réfugiés était envisageable sans accord de paix préalable et en dehors d’un mandat du Conseil de sécurité des Nations unies.

En réponse à ces interventions, M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, a apporté les précisions suivantes :

- la rupture des relations diplomatiques entre le République fédérale de Yougoslavie et l’Albanie avait entraîné la fermeture de la frontière entre les deux pays ;

- la notion de corridor ou de zone humanitaire impliquait une présence au sol pour protéger les réfugiés, qui n’était possible que dans deux hypothèses : l’acceptation, à l’issue d’une négociation politique, d’une force d’interposition, ou une intervention terrestre, celle-ci ne devant pas être nécessairement écartée dans la mesure où l’Otan avait une obligation de résultat, mais n’étant pas actuellement à l’ordre du jour ;

- l’accélération de l’épuration ethnique, selon un plan méthodiquement préparé, a provoqué un exode dont l’ampleur avait effectivement surpris ; la mise en place d’une infrastructure d’accueil des réfugiés avant l’engagement des frappes aériennes n’était pas envisageable car elle aurait semblé légitimer par avance l’entreprise des autorités serbes ;

- la France est traditionnellement réservée sur les embargos qui atteignent essentiellement les populations civiles ;

- le parachutage de vivres au Kosovo posait de difficiles problèmes techniques en raison des difficultés d’un guidage précis vers les populations concernées ;

- la France continuait de privilégier la recherche d’une solution diplomatique en coopération étroite avec ses Alliés ainsi qu’avec les Russes sur la base des conditions déjà posées incluant notamment la mise en place d’une force d’interposition.

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