M. ALAIN RICHARD FAIT LE POINT DEVANT LES SENATEURS

DE L’EVOLUTION DU CONFLIT AU KOSOVO

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, présidée par M. Xavier de Villepin, président, a entendu le mardi 25 mai 1999, M. Alain Richard, ministre de la défense, sur l’évolution du conflit au Kosovo.

M. Alain Richard a tout d’abord fait le point sur le dernier état des discussions engagées avec la Russie en vue de l’élaboration d’un projet de résolution qui serait proposé au Conseil de sécurité des Nations unies. Il a estimé que la définition de la chaîne de commandement d’une future force internationale de sécurité au Kosovo constituait le principal point d’achoppement de ces discussions. Alors que les alliés souhaitent garantir l’efficacité de la force en préservant la capacité de réaction immédiate de la structure de commandement, les Russes, a-t-il poursuivi, subordonnent toujours son déploiement à l’approbation préalable de Belgrade et entendent disposer d’un droit de regard sur son fonctionnement.

Le ministre de la défense a par ailleurs indiqué que les alliés et les Russes n’étaient pas encore parvenus à s’accorder sur les modalités de coordination dans le temps du retrait des troupes serbes et de l’entrée de la force internationale au Kosovo. Il a déclaré que les alliés ne pouvaient accepter l’idée d’un arrêt unilatéral préalable des frappes aériennes qui conduirait à renoncer à la menace militaire sans être en mesure de vérifier la réalité du retrait des forces serbes.

S’agissant de l’évaluation du résultat des frappes aériennes, M. Alain Richard a estimé que si les opérations évoluaient lentement, elles aboutissaient néanmoins à une destruction toujours plus large des capacités militaires serbes qui se trouvent déjà privées d’environ un tiers de leurs capacités. Le dispositif désormais mis en place par les alliés permettra une présence aérienne sur la zone 24 heures sur 24 de manière à exploiter pleinement toutes les possibilités d’atteindre les objectifs visés.

Le ministre de la défense a considéré que les premières manifestations de perte de moral au sein des unités serbes témoignaient de l’efficacité croissante des opérations de bombardement.

Il a estimé que, dans ces conditions, la rationalité devrait plaider, du point de vue de la Serbie, pour la recherche rapide d’une solution politique, même si les autorités de Belgrade n’avaient pas encore infléchi leur position de manière déterminante.

Un débat s’est ensuite engagé avec les membres de la commission.

M. Bertrand Delanoë s’est interrogé sur la portée et la signification des différences d’appréciation entre alliés quant à la poursuite des opérations militaires. Il a par ailleurs constaté que l’incertitude pesant sur l’échéance d’une solution politique renforçait l’inquiétude sur le sort des réfugiés au cours des prochains mois. Il a estimé que tout devrait être entrepris au plan de la conduite des opérations et au plan financier pour éviter le risque d’une catastrophe humanitaire qui serait très sévèrement jugée par les opinions publiques occidentales.

M. Hubert Durand-Chastel s’est demandé si les alliés n’avaient pas commis une erreur tactique dommageable en excluant d’emblée toute perspective d’intervention terrestre. Il a ensuite souligné les difficultés considérables auxquelles serait confrontée, à ses yeux, une future force internationale au Kosovo et s’est demandé si le chiffre de 50 000 hommes, souvent évoqué à ce propos, ne serait pas insuffisant pour faire face à ces difficultés.

M. Emmanuel Hamel s’est inquiété de l’incidence de l’indisponibilité prochaine du porte-avions Foch sur notre niveau de participation aux actuelles opérations militaires. Il a souhaité connaître les conséquences financières des actions actuellement engagées et envisagées pour l’avenir. Enfin, il s’est demandé si les images télévisées de la détresse des réfugiés kosovars d’une part, et de celles des civils serbes victimes des bombardements, d’autre part, n’entraîneraient pas un infléchissement du soutien de l’opinion publique à l’action engagée.

M. Aymeri de Montesquiou a souhaité savoir quels étaient les points de la négociation sur lesquels persistait un désaccord absolu avec la partie serbe. Il a également souhaité savoir si la pratique des " boucliers humains " par les forces serbes était avérée et quelle incidence elle avait sur la détermination de l’OTAN à poursuivre ses bombardements.

M. Xavier de Villepin, président, a tout d’abord fait part au ministre du souhait de la commission d’engager une réflexion sur les enseignements, notamment militaires, de la crise actuelle. Il s’est demandé si le retour provisoire du porte-avions Foch entraînerait, pendant cette période, une diminution des forces aériennes françaises engagées dans les opérations en cours et a interrogé le ministre sur l’opportunité pour la France, au regard de cette situation, de se doter d’un second porte-avions. Il s’est enfin enquis de l’évolution de la position des Européens sur la nécessité de disposer de capacités de renseignement autonomes.

M. Alain Richard, en réponse aux questions des commissaires, a alors apporté les précisions suivantes :

- peu de divergences étaient perceptibles entre les alliés sur les modalités essentielles de l’engagement en cours. Toutefois deux différences d’appréciation apparaissaient : la première concernait l’opportunité d’une offensive terrestre dont le principe était défendu essentiellement par les autorités britanniques. Cette position pouvait s’expliquer, a estimé le ministre, par une volonté d’implication accrue de la Grande-Bretagne dans le dossier européen. La seconde différence d’appréciation concernait l’hypothèse d’une pause dans les frappes aériennes que défendaient nos partenaires italiens et bien qu’à un moindre degré, nos alliés allemands. Le ministre a relevé toutefois que ces divergences, liées à la nécessaire prise en compte de l’opinion publique de chacun de ces pays, s’effaçaient dans les débats diplomatiques ;

- le calendrier de déploiement d’une force militaire de mise en œuvre d’un accord politique pourrait s’étaler, en ce qui concerne les forces de l’OTAN, entre quelques jours et deux à trois semaines. Pour les forces non OTAN, et notamment l’éventuelle contribution russe, leur déploiement pourrait nécessiter un minimum de trois à quatre semaines ;

- M. Alain Richard a souligné la spécificité du délai nécessaire au retour des réfugiés. Il a notamment relevé que les conditions de leur prise en charge dans des pays d’accueil, où ils disposaient parfois de relais familiaux, pourraient retarder un retour volontaire rapide ;

- toute annonce prématurée d’une offensive terrestre, alors que les responsables de l’OTAN n’y étaient pas résolus, aurait affecté la crédibilité de l’opération engagée. Selon M. Alain Richard, une entrée en force au Kosovo comporterait également des risques de dommages collatéraux et le maintien d’une capacité de résistance militaire de la part des Serbes en rendrait l’exécution particulièrement difficile ;

- M. Alain Richard a par ailleurs précisé que l’hypothèse d’un effectif de 50 000 hommes concernait une force de mise en œuvre d’un accord politique. Il s’agissait, certes, d’une estimation supérieure à celle qui avait été formulée initialement mais elle était due à la dégradation de la situation liée aux impératifs de déminage et aux dommages infligés aux différentes infrastructures en territoire yougoslave ;

- le ministre a précisé que le retrait du Foch du théâtre d’opérations ne serait limité qu’à huit semaines auxquelles il convenait d’ajouter deux fois quatre jours de délai d’acheminement. Ce retrait aboutirait à une diminution des capacités aériennes françaises de 16 aéronefs -sur un total actuel de 91. Le ministre a précisé que l’immobilisation du porte-avions ferait perdre à l’Alliance l’avantage lié à l’absence de ravitaillement en vol des aéronefs embarqués compte tenu de leur proximité du théâtre d’intervention. En fait, a conclu M. Alain Richard sur ce point, la contribution globale de la France aux forces alliées pourrait passer de 10 à 7,5 %, sauf à être compensée par l’envoi sur place de 8 à 9 Mirage supplémentaires ;

- l’estimation financière actuelle permettait d’évaluer à quelque 400 millions de francs par mois le coût des opérations engagées. Cette évaluation, compte tenu du renforcement récent des capacités de l’armée de terre destinées à l’action humanitaire, pourrait être portée à environ 450 millions de francs ;

- le ministre a estimé légitime la préoccupation de l’opinion publique face au spectacle des victimes civiles des bombardements. Il a toutefois relevé que les premières failles étaient perceptibles au sein du pouvoir serbe. Il a enfin estimé que la responsabilité politique impliquait parfois d’agir en dépit des résultats des sondages d’opinion ;

- le principal point de désaccord avec les Russes, qui étaient en contact avec les responsables serbes, portait essentiellement sur la composition et la sectorisation de la future force de mise en œuvre d’un accord de paix, sachant que les Russes auraient vocation à prendre dans cette force une part supérieure à celle qu’ils avaient actuellement au sein de la SFOR en Bosnie-Herzégovine. Le partenariat Russie-OTAN n’était que suspendu et pourrait constituer un support institutionnel utile à cette participation ;

- le ministre a indiqué que, depuis plusieurs semaines, les responsables militaires avaient identifié les situations où les forces militaires serbes étaient à un niveau de contact étroit avec les populations civiles. Certains épisodes avaient également démontré que l’emploi d’une telle tactique de boucliers humains était une réalité, sans pour autant constituer un comportement systématique de la part des forces serbes. M. Alain Richard a par ailleurs précisé que des véhicules militaires ou des pièces d’artillerie ne faisaient l’objet de bombardements de l’OTAN que si celle-ci avait la certitude de ne pas mettre en danger les populations civiles ;

- le ministre a considéré qu’il pouvait être utile que la commission sénatoriale des affaires étrangères et de la défense se penche sur les enseignements des opérations en cours en ex-Yougoslavie. Il a relevé que la plupart des spécialistes ne s’étaient jusqu’alors exprimés que sur des aspects " périphériques " de la crise et indiqué qu’il s’efforcerait, le moment venu, d’apporter des réponses précises aux opinions ainsi émises ;

- le ministre a indiqué que le principal enjeu de la prochaine loi de programmation 2003-2009 consisterait à maintenir le niveau d’investissements actuel qui pourrait s’élever sur cette période à quelque 600 à 650 milliards de francs, dont une partie importante serait nécessairement consacrée à des programmes actuellement en cours ou déjà décidés dans leur principe comme, par exemple, l’avion de transport futur. Sur l’opportunité de construire un second porte-avions ou, à l’inverse, de permettre à la Marine de disposer de davantage de frégates, le ministre a indiqué que l’expérience démontrait qu’un seul porte-avions permettait déjà de réaliser d’importantes missions. M. Alain Richard a ensuite relevé que les événements actuels avaient ébranlé la traditionnelle indifférence de nos partenaires européens à l’égard de capacités de renseignement ; le ministre a souhaité que des débats concrets soient engagés en vue de doter l’Europe d‘outils de renseignements véritablement autonomes.

Enfin, avec M. Charles-Henri de Cosse-Brissac, qui s’inquiétait du moral des gendarmes à la suite de l’affaire des paillotes, M. Alain Richard a reconnu l’importance du problème et indiqué qu’il avait déjà, en plusieurs occasions, réaffirmé auprès des gendarmes toute la confiance qu’il plaçait dans l’arme. Il avait également, a-t-il ajouté, réuni à titre exceptionnel le Conseil " gendarmerie " de la fonction militaire afin d’étudier des mesures propres à prévenir tous risques de dérives personnelles. Il a enfin estimé qu’il importait que les gendarmes surmontent le réflexe de solidarité à l’égard de ceux d’entre eux qui avaient transgressé la loi.

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