Service des Commissions

M. Alain Richard fait le point devant les sénateurs

sur la situation au Kosovo

La commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, présidée par M. Xavier de Villepin, président, a entendu, le jeudi 17 juin 1999, M. Alain Richard, ministre de la défense, sur l’évolution de la situation au Kosovo.

M. Alain Richard a d’abord souligné que l’objectif poursuivi par les forces alliées au Kosovo était de garantir aux habitants de cette région la sécurité leur permettant un retour à une vie normale. Il a rappelé que le contingent français au Kosovo réunissait, d’ores et déjà, 1.700 hommes, soit 15 % des effectifs de la KFOR actuellement en place. Il a précisé que la KFOR se composait aujourd’hui, pour l’essentiel, de forces des cinq Etats alliés qui avaient pris une part déterminante dans les frappes militaires contre la République fédérale de Yougoslavie et que son élargissement à d’autres pays prendrait nécessairement du temps.

Le ministre de la défense a observé que la brigade française s’était aujourd’hui en totalité déployée à Mitrovica où elle aurait à assurer, compte tenu de l’importance des destructions dans cette zone, une mission de stabilisation qui pourrait s’avérer longue et difficile. Il a relevé que des éléments du deuxième échelon des forces françaises, constitué notamment de chars Leclerc et de porte-chars, parviendraient à Mitrovica dans la journée du jeudi 17 juin. M. Alain Richard a observé par ailleurs que nos partenaires renforçaient également leur dispositif au Kosovo. Il a noté à cet égard que la brigade britannique, qui s’était rendue à Pristina dans des conditions relativement favorables, aurait sur place à conduire une mission de pacification délicate.

Evoquant alors les modalités de retrait des forces yougoslaves du Kosovo, M. Alain Richard a observé qu’elles obéissaient également, pour l’essentiel, aux engagements souscrits par les Serbes. Il a précisé que les retards qui pouvaient être enregistrés avaient principalement pour origine des raisons d’ordre technique. Il a souligné que le commandement de l’armée yougoslave se montrait très attaché à sauvegarder son outil militaire et à organiser en conséquence un repli en bon ordre. Il a ajouté que les incidents qui avaient pu survenir s’expliquaient, pour une large part, par le départ des civils serbes inquiets d’éventuelles représailles. Le ministre de la défense a insisté sur le souci des alliés de prendre place dans les zones occupées par les forces serbes dès que ces dernières se retiraient, afin de ne pas laisser un déficit de sécurité s’instaurer. Il a estimé qu’environ 20.000 hommes sur les 40.000 qui constituaient la force militaire yougoslave au Kosovo s’étaient retirés de cette province.

Abordant ensuite la situation humanitaire au Kosovo, M. Alain Richard a observé que 5.000 à 6.000 réfugiés étaient revenus dans la province, principalement à partir de la Macédoine. Il a ajouté que les mises en garde faites sur les risques pour les réfugiés d’un retour anticipé dans leur pays avaient été largement entendues. Il a toutefois noté que les retours pourraient prochainement s’accélérer, compte tenu du souci manifesté par les Kosovars de procéder, chez eux, aux réparations nécessaires afin de préparer l’hiver. Le ministre de la défense a ajouté que l’on n’avait pas observé jusqu’à présent d’afflux désordonné des personnes déplacées de l’intérieur du Kosovo -les interventions des organisations humanitaires ayant soulagé une partie de ces réfugiés, qui par ailleurs préféraient attendre le départ de la totalité des forces serbes avant de revenir dans leurs foyers.

Le ministre de la défense a souligné que l’entrée des forces alliées au Kosovo avait permis de prendre la mesure des exactions commises contre la population kosovare, même si beaucoup de preuves de ces faits avaient fait l’objet de tentatives de dissimulation et de destruction, ce qui rendrait difficile l’action du Tribunal pénal international.

Revenant alors sur le rôle de l’UCK, M. Alain Richard a constaté que de petites unités avaient tenté de prendre position dans les zones dont s’étaient retirées les forces serbes et que les forces alliées, qui n’avaient pas toujours reçu d’instructions très précises sur la position à adopter, avaient parfois réagi différemment vis-à-vis de ces opérations. Il a relevé que le contingent français, pour sa part, poursuivait une méthode préventive visant à empêcher l’UCK de prendre des positions militaires agressives. Il a ajouté que la démilitarisation des éléments de l’UCK s’avérait difficile mais que l’objectif restait de cantonner l’UCK au seul rôle d’une force politique. Il a par ailleurs observé avec M. Xavier de Villepin, président, que la fin de la crise du Kosovo s’était traduite par une augmentation des effectifs de l’UCK qui pourraient atteindre aujourd’hui quelque 20.000 hommes.

M. Alain Richard a souligné qu’il ne fallait pas surestimer le problème soulevé par la présence russe sur l’aéroport de Pristina qui ne revêtait pas d’importance stratégique au regard du déploiement des forces alliées au Kosovo. Il a ajouté que la question du soutien logistique de cette force se poserait par ailleurs rapidement. Il a ajouté que les discussions engagées, à leur demande, par les Russes avec les Américains, se concluraient vraisemblablement avant la prochaine réunion du G8 à Cologne. Il a estimé qu’on parviendrait à un compromis sur une structure de commandement unifiée et que seules les modalités de la présence militaire russe –concentrée au sein d’une brigade ou répartie sur plusieurs brigades– restaient encore en débat. Le ministre de la défense a conclu en estimant que les réfugiés pourraient bientôt revenir au Kosovo, la KFOR jouant dans cette province le même rôle de stabilisation que la SFOR en Bosnie.

Un débat s’est ensuite ouvert avec les commissaires

M. Michel Caldaguès a fait observer que le souhait de voir la France et l’Europe exister sur la scène internationale ne devait pas être systématiquement associé à de l’anti-américanisme. Le sénateur s’est inquiété de l’accroissement sensible des effectifs de l’UCK parallèlement au déploiement de la KFOR. Il s’est interrogé sur l’éventuelle responsabilité de certaines des composantes de la force internationale à l’égard de ce problème, sachant que les accords prévoyaient la démilitarisation de l’UCK. M. Michel Caldaguès s’est par ailleurs déclaré préoccupé de voir les Russes eux-mêmes souhaiter entretenir un dialogue privilégié avec les seuls responsables américains, au détriment du rôle qui devrait être joué, selon lui, par la communauté des alliés.

M. Paul Masson a estimé que l’UCK constituait le problème le plus lourd de menaces pour l’avenir. Des risques existaient, à ses yeux, que certains contingents de la KFOR apprécient mal les dangers que représentait une telle force civile armée qui ne se laisserait pas aisément désarmer, une fois le pays libéré.

M. Aymeri de Montesquiou s’est demandé si la perspective d’une partition " à la bosniaque " ne constituerait pas une solution pérenne au Kosovo. Après avoir relevé l’incapacité de l’Europe à résoudre seule la crise kosovare, le sénateur s’est interrogé sur la mise en place effective d’une agence européenne des armements et d’un commandement intégré des quinze membres de l’Union européenne qui lui permettraient de gérer par elle-même, à l’avenir, une crise comparable à celle du Kosovo.

M. Serge Vinçon s’est inquiété de ce que la zone affectée aux forces françaises ne risque de devenir le lieu de regroupement privilégié de civils serbes ayant quitté les zones tenues par d’autres brigades de la KFOR, risquant à terme de poser un problème pour l’application des accords, notamment dans l’hypothèse où les autres zones, alors presqu’exclusivement composées de populations albanophones, feraient l’objet d’une revendication d’indépendance.

M. Philippe de Gaulle s’est interrogé sur les différences existant entre les populations serbes d’une part et albanophones d’autre part, résidant au Kosovo. Il s’est demandé par ailleurs s’il n’aurait pas été possible que la France reçoive la gestion d’un secteur qu’elle aurait administré d’une façon autonome par rapport à l’OTAN.

M. Guy Penne a évoqué les capacités françaises en matière de renseignement que la crise du Kosovo avait été l’occasion de mettre en lumière. Il a souhaité que les prochains budgets de défense accordent une priorité budgétaire à la recherche en ce domaine.

M. Xavier de Villepin, président, a interrogé le ministre sur les premières leçons qu’il était possible de tirer des opérations militaires récentes, notamment en ce qui concerne : les modalités de fonctionnement de l’OTAN et l’évolution éventuelle de la position de la France à l’égard de cette organisation, les conditions de transformation du Corps européen en corps de réaction rapide, enfin les incidences budgétaires des opérations extérieures sur le budget du ministère de la défense.

Le ministre de la défense a alors apporté aux sénateurs les précisions suivantes :

- l’UCK constituait, pour le ministre, le problème le plus préoccupant à gérer dans l’immédiat. La communauté internationale ne souhaitait pas que cette organisation soit en mesure de prendre le contrôle de la province. Il pouvait y avoir entre les responsables des différentes brigades de la KFOR des attitudes spécifiques pour gérer une situation qui, par bien des aspects, constituait une expérience inédite. L’ascendant de l’UCK auprès de la population albanaise ne constituait pas un acquis, compte tenu notamment de l’influence de M. Rugova. L’idée d’un " désarmement " était apparue aléatoire dans une région où tout le monde disposait d’armes légères. En revanche, l’objectif de " démilitarisation " inscrit dans les accords tend à empêcher une force de manoeuvrer en unités constituées et de se doter d’armements lourds ;

- il était particulièrement difficile, a estimé le ministre, de convaincre toutes les familles serbes de rester dans la province. C’était l’une des tâches de la communauté internationale de contenir de tels déplacements de population ;

- la cohabitation des différentes communautés serait sans doute plus facile si celles-ci étaient amenées à résider dans des zones séparées. Dans ce contexte, le principe à retenir pourrait être, à l’image de ce qui se produit en Macédoine d’une façon positive, celui de la répartition, largement préférable à celui de la partition ;

- l’idée d’un commandement unifié pour la KFOR était légitime et indispensable, notamment si l’on entendait construire concrètement une Europe de la défense, en associant les nations qui n’ont pas la même expérience militaire que les principaux pays européens. Cette solidarité ainsi exprimée était également de nature à conduire des nations européennes, peu habituées aux opérations militaires extérieures, à s’y impliquer davantage à l’avenir, dans l’intérêt de l’Europe de la défense ;

- la crise du Kosovo aura contribué à convaincre plusieurs de nos partenaires de la nécessité de renforcer et d’adapter leurs outils militaires. Plusieurs d’entre eux, tels que l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie, se préparent à prendre des décisions importantes pour conférer à leurs forces de meilleures capacités de mobilité, même si la mise en œuvre de ces mesures demandera nécessairement du temps. Il s’agissait pour la France qu’après les discours vienne le temps des décisions concrètes concernant les objectifs à atteindre ;

- c’est sans doute dans le domaine du renseignement que la crise a confirmé l’importance de l’écart existant entre les capacités américaines et européennes. Si les satellites d’observation, qui manquaient actuellement à l’Europe, se seraient révélés utiles dans la phase préalable aux frappes aériennes, ce sont surtout, en cours de conflit et par-delà les moyens humains, des équipements qui ne relèvent pas tous de la haute technologie qui se sont avérés les plus utiles (drones, systèmes d’écoute...) ;

- les Kosovars constituaient une population en mouvement, indépendamment des phases d’immigration. C’est l’écart démographique qui a le plus contribué à distinguer les deux communautés serbe et albanophone du Kosovo ;

- les événements récents permettaient à la France de préserver sa place singulière au sein de l’OTAN aussi longtemps que nous le souhaitions. Dans ce contexte, la France était notamment en mesure de privilégier la prééminence des instances politiques sur l’organisation militaire intégrée. Tout en ne participant pas à cette organisation, la France souhaitait, dans un cadre politico-militaire européen, promouvoir des réformes destinées à réduire la rigidité bureaucratique des structures militaires de l’OTAN ;

- en réponse à M. Xavier de Villepin, président, le ministre de la défense a confirmé que la France avait, au niveau politique, contribué aux décisions concernant le choix de catégories de cibles et donné son accord à chaque cible assignée à un appareil français. Nos partenaires britanniques avaient, par des modalités différentes, exercé un contrôle similaire. Ces attitudes n’ont pas été sans influence sur la réflexion conduite par certains de nos alliés européens ;

- les quatre milliards de francs représentant les surcoûts pour la France de l’opération conduite au Kosovo ne devaient pas être prélevés sur les ressources consacrées au budget de la défense mais devraient faire l’objet d’un financement spécifique dans le cadre d’un prochain collectif budgétaire.

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